La Terre qui meurt

Chapitre 13CEUX DE LA VILLE

 

Le métayer reprit vite connaissance. Ilse redressa, regarda autour de lui, et, apercevant Mathurin qui selamentait et disait : « Il est mort ! »répondit :

– Non, mon ami, je tiens toujoursbon.

Aidé par le valet, il serecoucha.

Le lendemain, dès l’aube, il étaitdehors, et commençait une tournée à travers les fermes, afind’apprendre quelque chose touchant le sort de son fils. NiMathurin, ni le valet, paraît-il, n’avaient eu le moindre soupçonde cette fuite d’André. Ils n’avaient rien vu, rienentendu. Toussaint Lumineau allait donc s’adresser aux amis anciensou nouveaux qu’André avait fréquentés pendant les derniers mois,fils de métayers, bourriniers ou marins. Trois jours durant, ilcourut le Marais de Saint-Gervais à Fromentine, et deSallertaine à Saint-Gilles. Ceux qu’il interrogea ne savaient quepeu de chose ou ne voulaient pas compromettre celui qui s’étaitconfié à eux. Ils s’accordèrent seulement à raconter qu’Andréparlait souvent de faire fortune au delà de la mer, où lesterres sont neuves. Le mieux informé avoua :

– Dimanche, il a fait ses adieux àplusieurs, dont j’étais. Il m’a dit qu’il s’embarquait pourl’Amérique du Sud ; qu’il aurait, pour rien, une métairie desoixante journaux de belle terre, mais je ne connais pas lenom du petit pays où il s’établira.

Le soir du troisième jour, quand le pèrerentra avec cette réponse à la maison, il trouva l’infirme devantle feu.

– Mathurin, demanda-t-il, tu doisavoir encore des livres où il y a des dessins de pays, tu saisbien ?

– Des géographies ? Oui, denos temps d’école il doit en rester. Pourquoi ?

– Je voudrais voir l’Amérique, ditle vieux : c’est là que va ton frère, à ce qu’ilsassurent.

L’infirme se traîna jusqu’au coffre, et,sous les vêtements, tout au fond, saisit une poignée de livres declasse, cinq ou six, qui avaient appartenu à l’un ou à l’autre desfrères. Il revint avec un petit atlas d’école primaire, sur lacouverture duquel il y avait écrit, d’une grosse écriture decommençant : « Ce livre est à Lumineau André, fils deLumineau Toussaint, à la Fromentière, commune de Sallertaine,Vendée. »

Le père passa la main sur les lignesd’écriture, comme pour les caresser.

– C’était le sien,dit-il.

Mathurin ouvrit l’atlas. Les feuilletsne tenaient plus. Ils étaient arrondis aux coins, par lefrottement, ou déchirés, ou pliés, et tout le long des tranches lepapier s’en allait en touffes de poils. Les doigts de l’infirme lestournaient avec précaution. Ils s’arrêtèrent sur une page toutetachée d’encre, où les deux Amériques réunies par leur isthme,dessinées d’un trait jaune orange, ressemblaient à une paire degrosses besicles. Les deux hommes se penchèrent.

– Voilà celle du Sud, dit Mathurin.Et voilà la mer.

Le métayer médita un long moment sur lesmots que disait Mathurin. Il fit effort pour les rapporter à cepauvre dessin lamentable, et secoua la tête.

– Je ne peux pas me figurer où ilest, dit-il tristement, mais je vois qu’il y a de la mer, et qu’ilest perdu pour nous…

Mathurin ferma lentement le livre, etdit :

– C’étaient de mauvais fils tousdeux : ils vous ont abandonné.

Le métayer n’eut pas l’air d’entendre.Il commanda, doucement, bien plus doucement qu’il ne faisaitd’ordinaire :

– Rousille, tu mettras à chauffer,demain matin, de grand matin, une tasse de café : je veuxaller trouver François.

Et le lendemain, en effet, qui était lequatrième jour depuis le départ de Driot, le métayer de laFromentière, avant qu’il fût dix heures, descendait de wagon dansla gare de la Roche-sur-Yon.

Dès qu’il posa le pied sur le quai, ilchercha son fils parmi les employés occupés à ouvrir les portièresou à enlever les bagages du fourgon. Au milieu desvoyageurs qui se hâtaient, dominant de la tête la plupart d’entreeux, il s’arrêtait tous les dix pas, pour suivre du regard, ici oulà, quelque visage jeune et plein qui ressemblait à François. Ilvoulait revoir son fils, mais il redoutait de lerencontrer en cet endroit et en public. Lui, venu librement,dans son costume de laine noire, ceinturé de bleu, son chapeau neufà galons de velours bien posé en arrière, lui, maître de régler letravail et le loisir de ses journées, il avait honte à la penséeque dans cette troupe de manœuvres commandés, serrésde près par les chefs, vêtus d’un uniforme qu’ils n’avaient pas ledroit de changer pour un vêtement de leur choix, il y avait unLumineau de la Fromentière. N’ayant pas aperçu François sous lehall, il se dirigeait vers les lignes de dégagement, où une équipede six hommes poussait de l’épaule un wagon chargé, et ilsongeait : « En voilà d’attelés comme les bêtes de chezmoi », lorsqu’une voix l’interpella :

– Où allez-vous ?

– Voir mon gars.

– Qui ça ?

– Vous le connaissez peut-être, ditle métayer en portant le bout des doigts à son chapeau : ilest employé chez vous ; il a nom François Lumineau.

Le contrôleur eut une moueméprisante :

– Lumineau ? Ah ! oui, unhomme d’équipe qui est là depuis quatre mois ?

– Cinq, dit le père.

– Peut-être ; un grosrougeaud, un peu fainéant ; vous voulez luiparler ?

– Oui.

– Eh bien ! si vous savez oùil demeure, allez-y donc. Vous pourrez lui faire vos commissions àl’heure du déjeuner, quand il rentrera : mais ici on necircule pas sur les voies, mon bonhomme.

Il grommela, ens’éloignant :

– Ces paysans, ma parole, ça nedoute de rien ; ça se croit partout dans seschamps…

Le métayer se contint, et ne réponditpas, à cause de François. Il sortit de la gare, et, sous la pluiequi tombait depuis le matin, se mit à errer dans les rues à peuprès désertes, larges, bordées de maisons basses. Les passantsqu’il interrogeait ne connaissaient pas le café de la Faucille, quetenait Éléonore, et dont il avait appris le nom par des Maraîchinsvenus aux foires de la Roche. Il finit par découvrir lui-mêmel’enseigne qui se balançait au bout d’une tringle, dans unfaubourg, à la limite de la campagne.

La maison n’avait qu’un étage et unefenêtre, comme ses voisines. Toussaint Lumineau poussa la porte, etentra dans une salle de café meublée de tables de bois blanc, detabourets de paille et d’une armoire vitrée, où étaient rangées desbouteilles de liqueurs entamées et, en bas, des assiettes de viandefroide entre deux boîtes de gâteaux secs. Il n’y avait là personne.Lumineau se planta droit au milieu de l’appartement. Une sonnette,mise en mouvement par l’entrée du métayer, continuait de s’agiter,fêlée, de plus en plus faible. Avant que le carillon eût cessé, uneseconde porte s’ouvrit en face de la première, le long du buffet,un coup de vent souffla des odeurs de cuisine, et une femme coifféeen cheveux s’avança, clignant les yeux et se balançant sur seshanches. Bien qu’il se trouvât à contre-jour, elle reconnutaussitôt le visiteur, rougit beaucoup, laissa tomber le coin de sontablier qu’elle tenait, de ses deux mains croisées, appliqué surson ventre, et s’arrêta net.

– Oh ! dit-elle, lepère ! En voilà une surprise ! Depuis le temps qu’on nes’est vu !

– Oui, c’est vrai : il y alongtemps.

Elle hésitait, contente de revoir lepère et n’osant le dire, ne sachant ce qu’il venait faire, ni sielle devait lui offrir de s’asseoir, ou l’embrasser, ou se tenir àdistance comme celles qui n’ont pas de pardon à espérer. Elle ne lequittait pas des yeux. Pourtant les mots qui n’étaient pas durs, lavoix qui était tremblante, mais douce, la rassurèrent. Elledemanda :

– Peut-on vous embrasser, tout demême, père ?

Il se laissa embrasser par elle, mais nelui rendit pas son baiser. Puis, s’asseyant sur un tabouret, tandisqu’Éléonore passait de l’autre côté de la table, il se mit àconsidérer sa fille avec une curiosité triste, pour juger duchangement qui s’était produit en elle. Éléonore, debout, àdeux pas du mur, gênée par ce regard dont elle sentaitl’interrogation pénétrante, agrafait le col de sa robe de lainagegris, tirait ses manches qu’elle avait relevées sur ses bras nus,retournait le chaton d’une bague en doublé qu’elleportait à la main droite.

– Je ne m’attendais pas,balbutia-t-elle en baissant les yeux… Ça me fait un saisissement devous revoir !… François va être étonné aussi… Il rentre pouronze heures, tous les jours… quelquefois onze heures et demie…Dites donc, père, vous mangerez bien unmorceau ?

Il fit signe que non.

– Un verre de vin ? Ça ne serefuse pas ?

Au lieu de répondre, Toussaint Lumineaudit :

– Sais-tu ce qui est arrivé cheznous, Éléonore ?

Subitement, le peu d’assurance qu’elleavait s’effaça, elle se recula encore. Ses yeux bleu pâles’emplirent de crainte, et elle chercha, du regard, si le secoursattendu ne lui venait pas du côté de la rue. Puis, contrainte deparler, la tête appuyée au mur et les paupièresbaissées :

– Oui, dit-elle… Il a passé par laRoche… Il a voulu voir François…

– Que dis-tu ? fit ToussaintLumineau en repoussant le tabouret et en se levant :André ? tu as parlé à André ?

– Lundi, de grand matin… Il estentré… Il avait une figure qui me revient à l’esprit tout le temps,quand je suis seule… Oh ! une figure comme sic’était le malheur qui entrait. Il a poussé la porte comme vous… Etil a dit : « François, je m’en vas de la Fromentière,parce que tu n’es plus là ! » Je comprends bien, père,c’est un coup pour vous… Mais ne vous fâchez pas, onn’a rien dit pour le faire partir… On avait même de la peine, tous,à cause de vous…

Elle avait mis sa main devant elle,comme pour l’empêcher d’approcher, mais elle vit tout de suitequ’elle n’avait rien à craindre, et la main retomba lelong du plâtre éraillé. Car Toussaint Lumineau pleurait enla regardant. Sur ses joues, dans les rides creuséespar la souffrance, les larmes coulaient. Il voulait tout savoir, etil interrogea :

– A-t-il parlé demoi ?

– Non.

– A-t-il parlé de laFromentière ?

– Non.

– A-t-il dit au moins où ilallait ?

– Il n’a voulu ni s’asseoir, nirester ; il nous a embrassés tous deux. Mais les mots ne luivenaient guère, pas plus qu’à nous. François lui a demandé :« Où que tu vas, mon Driot ? » Il a répondu :« À Buenos-Ayres d’Amérique, je vas tâcher de faire fortune…Quand je serai riche, vous entendrez tous parler de moi. Adieu,Lionore ! adieu, François ! » Et il estparti.

– Parti, répéta Lumineau, parti,mon dernier !

Éléonore s’attendrissait par contagion.Ses yeux se mouillaient aux coins, mais ils setournaient vers la rue, tandis que le père fermait lessiens.

– Père, dit-elle, il faudrait veniravec moi dans la cuisine. Voilà que François va rentrer. S’il netrouve pas son dîner prêt, vous comprenez : il n’est pastoujours commode…

Elle pénétra dans la seconde pièce, oùson père la suivit. Ce n’était qu’un réduit, tout sombre même enplein jour, dont la fenêtre donnait sur une cour étroite etenveloppée de constructions. Un fourneau de fonte, en ce momentallumé, trois chaises et une table l’encombraient presque. Lemétayer prit une chaise, et s’assit entre la fenêtre et la portedemeurée ouverte, de manière à voir François, quand Françoistraverserait la salle du café. Éléonore se mit à cuisiner, àdresser deux couverts sur la petite table, affairée, courant d’unappartement à l’autre pour trouver le peu qu’il fallait, n’avançantguère en besogne. Toussaint Lumineau se taisait. Elle se croyaitobligée de soupirer, quand elle passait devant lui, et dedire :

– Ça n’est pas de chance pourvous ! Non, et la Fromentière doit être triste, àprésent ! Pauvre père, tout de même !

Lui l’écoutait, et recueillait ces motsvides comme des paroles de pitié.

– Lionore, dit-il, après un peu detemps, et pendant que, penchée, elle taillait le pain pour lasoupe, Lionore, tu as quitté la coiffe de Vendée ?

– Oui, on les repassait mal à laRoche. C’était cher. Et puis personne n’en porte ici, descoiffes.

– Eh bien ! depuis que tu net’habilles plus comme faisaient ta mère, ta grand’mère, et toutesles femmes de la famille que j’ai connues, es-tu plusheureuse ? Te plais-tu dans ton nouvel état ?

Elle continua de couper le pain partranches menues, et répondit :

– Ça n’est pas le même travail,mais j’ai au moins autant de mal que chez nous, je ne peux pas direle contraire. Il y a les chambres à faire ; le marché ;mon carreau à laver tous les deux jours, quand ilpleut comme aujourd’hui, ou qu’il neige ; la cuisine à toutesles heures, et pour du monde qui n’est pas toujours poli, je vousassure. On se plaint quelquefois de ne pas voir assez de monde,parce qu’on l’a payé cher le café, beaucoup trop cher. Etpuis, quand il vient des clients, des gens de la route quidemandent à boire, j’ai souvent peur d’eux. En vérité si je n’avaispas les voisins…

– Et ton frère, se plaît-il ?interrompit le métayer.

– À demi. C’est le paiement qui esttrop petit, voyez-vous. Deux francs, à la Fromentière, sont plusque trois francs ici.

Le père hésita un peu. Puis il demanda,baissant la voix :

– Dis-moi : il regrettepeut-être ce qu’il a fait ? Je n’ai plus de fils avec moi,Lionore ; je suis malheureux : penses-tu que Françoisreviendrait chez nous ?

Il pardonnait ; il oubliait ;il appelait au secours ceux qui l’avaient offensé.

Éléonore changea subitement dephysionomie. Elle essuya ses yeux, du coin de son mouchoir, secouason chignon blond relevé en pointe, et ditsèchement :

– Je ne crois pas, père… J’aimemieux vous le dire tout de suite… Vous verrez mon frère… vous luiparlerez… mais je ne crois pas…

Et comme si on l’avait blessée, elle sedétourna d’un geste brusque, du côté du fourneau.

Onze heures et demie sonnèrent. La portede la rue s’ouvrit avec bruit. Un homme entra. La fille, sanschanger de place et sans se pencher, dit :

– C’est lui !

Le père avait déjà reconnu François,malgré la jaquette et le chapeau de feutre dur ; il l’avaitreconnu dans la pénombre de la salle, à cette démarche bouvière, àcette habitude aussi qu’avait François de tenir les bras un peuécartés du corps. Il l’eut bientôt devant lui, sur le seuil de lacuisine, et il retrouva d’un coup d’œil ces traits lourds, cevisage rose et rousselé, ces moustaches tombantes, cet air delassitude et de nonchalance qui n’avaient pas changé. Françoismarchait la tête basse. En apercevant le père, il eut un petitmouvement d’émotion.

– Bonjour, père ! dit-il entendant la main… Alors, ça ne va pas, à ce que jevois ?

Le métayer fit un signe dedénégation.

– Vous avez de la peine… Oui, jecomprends… J’en aurais à votre place… André n’aurait pas dû faireça, lui ;il était le dernier… Il devaitrester…

Toussaint Lumineau avait saisi la mainde François, et il la serrait entre les siennes, avec une tendressequi parlait, et ses yeux cherchaient en même temps les yeux de sonfils, et faisaient la même prière. Mais celui-ci se remettait de sasurprise, rapidement, à mesure que les paroles muettes du père luientraient dans l’âme. Il se raidissait contre cette pitié quil’avait saisi un moment. Bientôt il retira sa main, se recula unpeu, et dit, de l’air d’un homme qui se défie et sedéfend :

– J’entends bien… vous voudriez nepas prendre un autre domestique, n’est-ce pas, et nous ramener àSallertaine, Lionore et moi ?

– Si tu le pouvais, monFrançois : je n’ai plus personne !

François eut un demi-sourire desatisfaction d’avoir deviné juste, et répondit :

– Vous voyez pourtant que l’autreaussi est parti, et qu’il n’y a plus rien à faire avec laterre.

– Tu te trompes : il est partipour la cultiver ailleurs, en Amérique ! C’est de ne plus tevoir, François, qui l’a dégoûté de la terre de cheznous.

– Oui, dit François, en approchantune chaise et en s’asseyant près de ta table : il paraît quec’est encore fameux, les Amériques. Mais chez nous, c’est tropdur.

Le métayer ne releva pas les paroles quidéjà l’avaient offensé autrefois.

– Eh bien ! dit-il, je teferai aider. Je n’ai plus de fils à présent, car tu sais queMathurin ne compte guère, dans une métairie. Tu seras bientôt lemaître ; le prochain bail sera fait en ton nom, et il y auratoujours un Lumineau à la Fromentière. Veux-turevenir ?

François eut un geste d’ennui, et nerépondit pas.

– Tu ne gagnes guère, reprit lemétayer, à ce que m’a dit Éléonore ?

– Non, la paye estfaible.

– Le café n’a pas beaucoup demonde ?

– Non, nous l’avons payé trop cher.Nous ne sommes pas sûrs de réussir…

Le fils se tourna vers la grande fillequi écoutait, passive et pleurnichant.

– Mais on vivote, n’est-ce pas,Lionore ? Avec le temps, je monterai peut-être, le sous-chefme l’a dit. Alors je serai à l’aise. Je ne demande pas autre chose…On a des connaissances déjà, à la Roche… Le dimanche, j’ai mademi-journée.

– Tu l’avais toute, à laFromentière !

– Je ne dis pas non, mais ce quevous demandez, père, ça ne se peut.

Un homme qu’ils n’avaient pas vu entrer,cria, dans la pièce voisine :

– Il n’y a donc personne ici ?Est-ce qu’on ne peut pas dîner ?

Éléonore, contente d’une diversion,passa entre son frère et son père, et on l’entendit rire pourapaiser le client. François attira la soupière, et y plongea lacuiller.

– Faut pas m’en vouloir, dit-il aumétayer qui était demeuré à la même place, assis derrière lui, prèsde la fenêtre : je n’ai plus qu’un quart d’heure ; c’estloin, la gare. Je serais à l’amende.

Et, entre les bouchées de soupe, ildemandait, de sa voix redevenue molle :

– Vous ne m’avez pas donné desnouvelles de Rousille ?… Est-ce qu’elle va bien ?… EtMathurin, a-t-il encore dans l’idée qu’il se remettra ?… Luiqui a toujours voulu commander, à la Fromentière, il n’a pas dûretenir André…

Toussaint Lumineau se dressa toutdebout. Et, ne retenant plus sa colère :

– Vous êtes vraiment de mauvaisenfants ! dit-il tout haut. Restez-y, dans votreville !

Il sortit de la cuisine, traversa lasalle du café, devant le pâle ouvrier de fabrique, et devantÉléonore qui attendait les ordres. Celle-ci, tout épouvantée, sepencha :

– Je vous l’avais bien dit, monpauvre père, qu’il ne voudrait pas. Je le connais ! Au revoir,tout de même !

Puis, s’adressant à François quisuivait :

– Va donc le reconduire à lagare ?

Il secoua la tête.

– Si, va donc ! ça sera plusconvenable. Il n’aura pas à dire qu’on n’a pas été bien pourlui…

Le métayer ouvrit la porte de larue.

– Je vas vous accompagner, si vousvoulez, dit piteusement François.

Toussaint Lumineau luijeta :

– Je ne t’ai pas demandé dem’accompagner, mauvais gars ; je t’ai demandé de nous sauvertous, et tu n’as pas voulu !

Dans la rue, on le vit un moment marcherbien droit, large comme deux ouvriers de ville, les poils blancs desa tête luisant dans la pluie grise.

La porte se referma.

– Pas commode, le vieux papa, ditle client qui dînait.

– Ne m’en parlez pas ! fitEléonore. J’en suis malade !

– Qu’est-ce qu’il voulaitdonc ?

François dit, avec un gros rire, enrevenant vers la cuisine :

– Il voulait que je retourne remuerla terre avec lui ! L’ouvrier haussa les épaules, et dit,convaincu :

– Est-ce que ça se peut ?C’est tout de même pas raisonnable, voyons !

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer