La Vallée du désespoir

Chapitre 14LE SECRET DE LA VALLÉE

Le voyage s’accomplit sans le moindre incidentet le soleil se levait à peine, quand l’appareil survola la régionvoisine de la Vallée ; mais pour en trouver l’emplacementprécis, les cartes manquaient, aucun ingénieur officiel, aucunexplorateur ne s’étant encore aventuré dans ces montagnesdésolées.

Martial se souvint heureusement du petit portqu’il avait remarqué sur la côte du Pacifique, il retrouva aussisans grande peine le cèdre géant sous les racines duquel il avaitpassé pour s’évader.

Grâce à ces deux points de repère, aprèsquelques tâtonnements, l’atterrissage put avoir lieu dansd’excellentes conditions, sur le sable même de la grève.

Par mesure de prudence, Martial et Fontenacavaient décidé de laisser l’avion sur le rivage pour qu’il ne pûttomber entre les mains de Bentley si les événements venaient à maltourner. Chanito, qui, sous aucun prétexte, n’eût voulu mettre lespieds sur la terre hantée par les mauvais esprits, fut préposé à lagarde de l’appareil.

Avec une cartouche de dynamite dont ilss’étaient pourvus, Martial et Fontenac firent sauter la porte defer qui fermait le souterrain et ils pénétrèrent dans la valléesans avoir rencontré personne.

Ils venaient d’arriver près de la maisonnettequi servait d’habitation à l’Irlandais, quand ils le virentparaître lui-même, sans doute attiré par le bruit del’explosion.

Le pauvre Mike semblait vieilli de dix ans,ses traits étaient hâves et flétris, et il marchait péniblement ens’appuyant sur un bâton. Il parut très heureux de retrouver sonancien camarade mais il était si abattu, si déprimé qu’il n’eutmême pas l’idée de demander à Martial comment, après s’être enfuide si dramatique façon, il était de nouveau de retour dans lavallée.

– Le Maître est parti, balbutia-t-il,moi, je ne puis plus travailler, je crois que je vais mourir… Il mesemble que j’ai du feu dans la poitrine, et que l’on me pique lesentrailles avec des pointes de fer rouge.

Et il ajouta en poussant un douloureuxsoupir :

– Ah ! si j’avais su, je ne seraisjamais venu dans cet endroit qui est le royaume du diable… Onm’avait pourtant prévenu…

Martial réconforta l’Irlandais de son mieux.Fontenac, cependant, observait que Mike portait aux doigts et aucou des érosions qui ressemblaient à des brûlures et offraient uncaractère tout spécial.

Fontenac avait fait autrefois une partie de samédecine, et il constatait que les rougeurs qui marbraientl’épiderme de Mike ne décelaient pas une maladie de peauordinaire.

– Il est peut-être atteint de la lèpre,dit Martial quand il fut seul avec son ami.

L’aviateur secoua la tête.

– Non, fit-il, ce n’est pas cela, si jene me trompe pas, c’est quelque chose de plus terrible encore.

Ils avaient laissé l’Irlandais assis à laporte de la maisonnette. Le revolver au poing, ils marchèrenthardiment vers les bâtiments où se trouvait le laboratoire deBentley. Ils ne rencontrèrent personne, la porte de la palissadeétait ouverte, et ils purent arriver jusqu’à la pièce du premierétage sans avoir rencontré aucune résistance. Sur la lourde tablefaite de madriers mal équarris, il n’y avait plus ni poudre d’or nidiamant, mais le grand coffre de métal était toujours à sa placedans un coin.

– C’est peut-être là-dedans, ditFontenac, que nous trouverons le secret du Maître de la Vallée.

Et avec la lame de son poignard, il en forçala serrure.

– Voilà qui est tout à faitextraordinaire, s’écria-t-il, ce n’est pas là un coffre-fort banal,sais-tu en quoi il est ?

– Je ne puis pas deviner.

– Il est en plomb !

– Je ne comprends pas.

– Eh bien, je crois que je commence àcomprendre. Le couvercle une fois soulevé, l’intérieur du coffreapparut rempli d’une poudre grise et brillante.

Fontenac demeurait silencieux, les yeuxécarquillés de stupeur, il laissa retomber le couvercle, qui sereferma avec un bruit mat.

– Ça, par exemple, s’exclama-t-il, c’estfabuleux !… Tu sais que j’ai été prospecteur assez longtempspour m’y connaître un peu en fait de métallurgie, sais-tu ce qu’ily a dans ce coffre ?… Tout bonnement du minerai de radiumd’une richesse extraordinaire, telle qu’il n’en existe sans doutepas de pareil dans le monde, il y en pour plusieurs milliards.

« Tu entends, reprit-il, dans une fièvred’enthousiasme, je n’ai pas dit des millions ! Desmilliards !…

Martial était stupéfait, il croyait rêver.

– Tout ce que tu as trouvé de mystérieuxdans la vallée, reprit Fontenac, qui, instinctivement, s’étaitretiré à quelques mètres du coffre de plomb, s’explique de la façonla plus naturelle. Tu l’as échappé belle mon pauvre Martial, tu astravaillé dans une mine de radium et la maladie dont souffre lepauvre Mike, ces brûlures qui lui rongent les entrailles, ce n’estpas autre chose qu’un empoisonnement dû aux terribles rayons. Mikemourra de la même façon que ces deux professeurs du muséum qui ontété victimes de leurs expériences.

Martial était consterné, demeurait sansparole.

– Tu t’expliques maintenant pourquoi,reprit l’aviateur, les Espagnols et les Indiens qui ont lespremiers exploité ces mines, en cherchant de l’or se croyaientatteints de la lèpre. Ils étaient simplement intoxiqués par lesterribles radiations, et c’est pour cela que ce coquin de Bentley,qui grâce sans doute aux leçons de M. Wilcox savait à quois’en tenir, ne se risquait jamais dans la mine qu’avec cettecuirasse doublée de plomb qui, en même temps, ajoutait au mystèrede sa personnalité et le faisait passer pour un êtrefantastique.

– Je l’ai échappé belle, murmura Martial,avec une sorte d’épouvante. Cette végétation luxuriante, cessources empoisonnées, ces reptiles d’une dimension fabuleuse, toutcela s’explique par la présence du radium.

Les deux amis demeurèrent un momentsilencieux.

– L’univers est encore une chose plusmerveilleuse que nous ne pouvons l’imaginer, déclara Fontenacrêveur, cette vallée semble un fragment du monde antédiluvienconservé par miracle.

– Parbleu, reprit Martial, Bentleypouvait se payer le luxe de rétribuer royalement les malheureuxqu’il envoyait à la mort et qui travaillaient à l’enrichir.

– Par exemple, affirma l’aviateur, jejure bien que ce bandit ne profitera pas de ces crimes. Et d’abord,il faut faire disparaître ce coffre, le cacher de telle façon queBentley ne le trouve jamais. Ne perdons pas une minute, c’est lapremière chose que nous devons faire.

Ce n’était pas une chose facile que detransporter cette lourde masse. En sciant le tronc d’un jeune pin,Fontenac improvisa des rouleaux ; avec des planches, iltransforma l’escalier en plan incliné et grâce à de péniblesefforts, le coffre put être descendu au rez-de-chaussée. À l’aidedes rouleaux, ils le traînèrent en dehors de la palissade, etl’ensevelirent sous un monceau de scories et de déblais provenantde l’exploitation.

– Bentley sera bien attrapé, s’écriagaiement Fontenac.

– Je lui réserve une autre surprise, fitMartial, qui ne pouvait pardonner au bandit de l’avoir exposé à laplus terrible des morts.

Une fois cet impérial trésor mis en sûreté,les deux amis explorèrent dans leurs moindres recoins lelaboratoire et les bâtiments qui en dépendaient. Ils découvrirentlà de véritables magasins, d’une organisation extrêmement pratique.Il y avait des vivres pour plusieurs années, un véritable arsenalavec d’innombrables boîtes de cartouches, un assortiment complet deproduits chimiques, de verrerie et d’appareils de laboratoire, letout rangé dans le plus grand ordre et dans un état d’entretien etde propreté parfaite. Mais ce qui fit le plus plaisir à Martial, cefut de découvrir un second coffre de plomb – mais vide, celui-là –exactement pareil à celui qui contenait le radium.

– Nous allons faire une bonne blague àBentley, on va remettre ce coffre-là à la place de l’autre, et nousverrons la tête qu’il fera.

Avec beaucoup de peine, les deux amistransportèrent le coffre vide jusqu’à l’endroit qu’avait occupél’autre. Enfin, après une exploration complète des bâtiments, ilsrevinrent vers la maisonnette de Mike. Le pauvre Irlandais, demeurétoujours à la même place, semblait à l’agonie.

Martial lui expliqua de quel mal il souffrait,lui promit de le guérir, et lui expliqua l’atroce combinaison deBentley.

Mike, si malade qu’il fût, s’était redresséblême de rage.

– La canaille ! rugit-il, ah !il pouvait m’en donner des sacs de poudre d’or !… Mais aussivrai que je suis un honnête homme, je lui réglerai son compte.

– Surtout, lui recommanda Martial, quandBentley va revenir, ne lui dis pas que nous sommes ici.

– Tu n’as pas besoin de me dire unepareille chose. Tu sais que je suis de tout cœur avec vous deuxcontre ce misérable assassin.

Deux jours se passèrent, Fontenac et Martials’étaient installés dans la petite maison de Mike et attendaientl’ennemi. Ils trépidaient d’impatience, et ils se demandaientparfois si le rusé bandit n’avait pas emmené Rosy dans quelque coinperdu où il leur serait impossible de la découvrir.

Cette crainte était vaine, heureusement.

Un matin, Mike monta tout effaré à la chambrequ’occupaient Martial et Fontenac.

– Ça y est, s’écria l’Irlandais avec unesourde fureur, le coquin est revenu, il a avec lui une belle jeunefille qui doit être cette Miss Rosy dont vous m’avez parlé.Cachez-vous ! il ne faut pas qu’il vous surprenne.

– N’aie pas peur, dit Martial, c’estnous, en ce moment, qui sommes les maîtres de la vallée. Tu enauras bientôt la preuve.

Les deux amis avaient résolu d’attendrepatiemment le moment le plus favorable pour s’emparer du bandit.Leur intention était de le surprendre et de la garrotter sitôt quela nuit serait venue. De la maison de Mike, ils virent Bentley vêtud’un costume de sport très élégant introduire cérémonieusement MissRosy dans son habitation.

La jeune fille était souriante.

– Parbleu, grommela Fontenac, il luiraconte sans doute que son père est à deux pas d’ici… Maispatience, il a compté sans nous.

Bentley avait conduit la jeune fille dans unechambre presque luxueusement meublée en la priant de prendre un peude repos avant le déjeuner. Resté seul, il avait gagné en hâte sonlaboratoire.

Son premier mouvement, quand il y fut entré,fut de courir à son coffre. Il fut désagréablement surpris enconstatant qu’il n’était pas fermé, il en souleva le couvercle. Lecoffre était vide.

Il était dans un état de rageinexprimable.

– On m’a volé, hurla-t-il, je suisdépouillé d’une fortune qui fait envie à bien des rois et ce nepeut être que cet Irlandais sournois qui a fait le coup.

Ivre de rage, il se rua vers la mine, revolverau poing.

Il courait de toute la vitesse de sesjambes.

– Il doit être parti, répétait-il enfrémissant de colère, ce doit être un coup monté mais il faut quandmême que je voie.

Il s’engagea dans l’étroite galerie àl’extrémité de laquelle il apercevait la faible clarté d’une lampede mineur.

– Il est là, Dieu merci, soupira-t-il enessuyant son front mouillé de sueur, je vais savoir quelquechose.

Il courut de toute haleine, jusqu’au fond dela galerie, mais quand il y arriva, il constata avec fureur que lalampe était accrochée à une des colonnes qui soutenait le boisageet que la galerie était vide.

– Ah ! la crapule !hurla-t-il.

Mais à ce moment, il reçut sur la tête unformidable coup de pic. C’était Mike qui, tapi dans un angleobscur, l’avait guetté en lui tendant le piège de la lampeallumée.

L’Irlandais qui avait sans doute longuementprémédité sa vengeance lui lia les pieds et les mains avec desolides cordelettes.

Quand Bentley revint à lui, il était ficelécomme un saucisson. Il regarda l’Irlandais d’un air hébété.

– Mon vieux, lui dit ce dernier avec uneamère ironie, chacun son tour, tu vas téter un peu de radium.

– Idiot ! Imbécile ! laisse-moivivre et je te ferai riche comme Crésus.

– Ça m’est égal ! dit froidementl’Irlandais, tu peux maintenant me faire des promesses ou desmenaces tant que tu voudras, je m’en fiche complètement !…

Bentley se débattait, se tordait dans sesliens comme un tigre pris au piège. Mike le traîna dans une espècede niche obscure, tout au fond de la galerie.

– Maintenant, mon vieux, fit l’Irlandais,je vais te faire mes adieux, je te souhaite bon voyage !

Mike frotta une allumette et se baissa etBentley s’aperçut avec une indicible épouvante que l’Irlandaisavait mis le feu à un cordon Bickford qui devait aboutir à quelquescartouches de dynamite.

L’Irlandais était parti en sifflotant sansmême se retourner. Le misérable Bentley voyait la petite lueur quirampait lentement dans les ténèbres et qui se rapprochait,inexorable comme la mort.

Puis il y eut comme un coup de tonnerre sousles voûtes. Sur un large espace, la galerie s’était écroulée,ensevelissant le bandit tout vif dans sa niche de pierre.

Mike n’eut rien de plus pressé que d’allerraconter à Martial et à Fontenac la façon dont il s’était vengé deson ennemi. Les deux amis allèrent aussitôt rejoindre Miss Rosydont on devine la stupeur et l’indignation quand elle apprit lerôle odieux qu’avait joué celui qu’elle regardait comme l’homme deconfiance de son père.

Après ces atroces révélations, Miss Rosydemeurait silencieuse, désespérée.

– Alors, murmura-t-elle, d’une voixtremblante d’émotion, dois-je croire que mon père est mort… qu’ilsl’ont assassiné…

Martial n’osait lui répondre, ce fut Fontenacqui prit la parole.

– Non, Mademoiselle, répondit-il, d’unton plein d’énergie et d’assurance, qui donna tout de suiteconfiance à la jeune fille, Martial sait où est votre père. Siinvraisemblable que cela puisse paraître, vous l’aurez retrouvéavant qu’une heure se soit écoulée.

– Comment cela ? firent à la foisMartial et Rosy avec une surprise qui n’était pas jouée.

– Réfléchissez un peu, reprit l’aviateuravec le plus grand calme, Miss Rosy ignore que tu sais où se trouveM. Wilcox, on lui expliquera cela tout à l’heure. Grâce ànotre avion et avec les explications de Chanito, nous atteindronstout de suite la ville en ruine et délivrerons l’ingénieur.

*

**

Ce programme fut suivi de point en point. Enmoins d’une demi-heure on avait atteint les décombres de la villeensevelie. On trouva le temple facilement. Quand il eut appris lamort du Maître de la Vallée, le géant indien, qui montait toujoursune garde vigilante dans la crypte, ne fit aucune difficulté àconduire Chanito qui était d’ailleurs un de ses parents éloignésjusqu’au caveau, où gisait M. Wilcox sur un tas de paille demaïs à demi pourri.

Le père de Rosy, quoiqu’il fût dans un état defaiblesse extrême, expliqua comment Bentley, qui n’était que sonemployé, s’était emparé traîtreusement d’abord de ses découvertes,puis de sa personne et comment il l’avait retenu prisonnier envoulant le forcer à lui accorder la main de Rosy, seule héritièrede la merveilleuse mine.

– J’ai toujours refusé, déclaral’ingénieur, car je savais bien qu’une fois que j’aurais consenti,Bentley m’aurait assassiné…

*

**

On pouvait lire tout récemment dans lesfeuilles mondaines cette note suggestive :

« Miss Rosy Wilcox, la fille dumilliardaire bien connu, propriétaire de la célèbre mine de radiumde la Vallée du Désespoir, vient d’épouser un des as de l’aviationfrançaise qui est en même temps un génial sculpteur,M. Martial Norbert. La cérémonie nuptiale, d’un luxe inouï, aeu lieu à la cathédrale de Mexico. Le cardinal Perez a donné labénédiction nuptiale ; les témoins du marié étaient le marquisde Fontenac, le célèbre explorateur, et le consul de France. Lecacique Chanito, descendant d’une race royale, et le richeindustriel bien connu Mike de Mike étaient les témoins de lamariée. »

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