L’Assassinat du Pont-rouge

Chapitre 9 Àla campagne.

Il y avait environ quatre mois que Rosalien’avait vu son enfant ; elle en parlait sans cesse, elle semourait de l’envie de l’embrasser. Dans ce désir, chaque jour plusvif, elle puisa passagèrement quelques forces. Il fut convenu, unsamedi soir, entre elle, son mari et Max, que le lendemain ilsiraient tous trois à Saint-Germain.

À en juger par les dispositions de la pauvrefemme, au départ, il eût été difficile d’augurer mal du voyage. Lecontentement agissait sur Rosalie au point de ramener sur sa figuredes apparences de santé. La rapidité du convoi, le grand air, lespanoramas pleins de soleil qui défilaient sous ses yeux,accumulaient en elle impression sur impression et la plongeaientdans le ravissement. Le sang colorait ses joues pâles ; sesyeux brillaient de plaisir et éclairaient tout son visage ;elle semblait décidément renaître. Son mari épiait les progrès decette transformation d’un air d’intérêt non équivoque et enmarquait une vive joie, ce qu’il faisait, comme toujours, au moyende plaisanteries d’un goût contestable. Destroy, de son côté,observait ces détails avec plaisir et y voyait les présages, pourClément et sa femme, d’une journée exceptionnellement calme etheureuse.

Chose surprenante, qui troubla profondémentDestroy, ce qui, dans sa pensée, devait compléter le bonheur de sesamis et l’étendre, y mit brusquement un terme. Tout en Rosalies’effaça d’abord devant l’amour maternel. À peine eut-elle passé leseuil du domicile de la nourrice, que, courant au berceau de sonfils, elle saisit l’enfant dans ses bras et le couvrit de caresseset de larmes. Elle l’envisagea ensuite avec une curiosité fébrile,comme pour juger de sa mine et de sa croissance. Le jour de lafenêtre tombait en plein sur l’enfant. L’examen auquel se livraitla mère produisit instantanément sur elle l’effet d’unecatastrophe. Elle redevint pâle ; son œil s’ouvrit outremesure ; la consternation, puis l’épouvante, se répandirentsur son visage. Clément, lui aussi, perdait soudainement sa gaieté.Il regardait cette scène, le front plissé, les sourcils joints,l’air morne et plein d’inquiétude. Max comprenait d’autant moins cequ’il voyait, que l’enfant, qui pouvait avoir quinze mois, outrequ’il était d’une beauté remarquable, paraissait, pour son âge,doué d’une force peu commune. Il avait les joues et les lèvresroses, de grands yeux noirs, des sourcils arqués qui semblaientdessinés avec un pinceau, et, par-dessus cela, d’épais cheveuxbruns, soyeux et bouclés, qui rehaussaient encore la blancheuréclatante de son teint.

« Regarde ! » fît tout à coupRosalie d’une voix éteinte en présentant l’enfant à son mari.

Clément le prit dans ses bras et considéraattentivement ses traits. Il le rendit presque aussitôt à la mèreavec des marques de doute et de terreur.

« Ton obstination n’est pas raisonnable,balbutia-t-il en détournant la tête. Je te jure que tu tetrompes. »

Et il se mit à mesurer la chambre à grandspas.

« Il est bien mignon, disait la nourriceavec un attendrissement affecté. On en fait ce qu’on veut. S’il nerit jamais, il ne pleure pas non plus. Quand il a ce qu’il luifaut, il ne bouge pas plus qu’un terme ; on dirait qu’ilréfléchit. »

L’enfant, pendant ce temps-là, regardaitalternativement son père et sa mère d’un air glacial et ajoutaitainsi à leurs angoisses. Clément parut incapable de supporter pluslongtemps le poids du regard de son fils.

« Voyons, la mère, dit-il d’un tonimpérieux à la nourrice, prenez l’enfant, tandis que nous ironsfaire un tour dans la forêt. »

Rosalie adressa à son mari un regard rempli demélancolie et de découragement.

« Bah ! fit Clément en haussant lesépaules. Sortons !… »

Durant la promenade, Clément, en apparencemaître de lui-même, essaya plusieurs fois de rompre un silencepénible ; mais ni Rosalie, plongée dans une invincibleprostration, ni Max, sous l’empire d’impressions puissantes, ne lesecondèrent. Ce n’était plus seulement l’étonnante pantomime deClément et de sa femme, à la vue de l’enfant, qui troublaitDestroy ; à cela se joignaient, pour le bouleverser, lesremarques que lui avait suggérées l’observation attentive de cemême enfant. Au fond de son souvenir gisait une physionomieidentique à celle du fils de Rosalie. Où l’avait-il vue ?C’est ce qu’il ne pouvait se rappeler. Puis, cet enfant neressemblait nullement ni à son père ni à sa mère. Il n’avait passeulement une chevelure d’un noir de jais, quand Clément et Rosalieavaient des cheveux qui tiraient sur le blond, il avait encore destraits qui leur étaient totalement étrangers. Outre cela, ce quifrappait bien davantage, sa jolie figure n’annonçait nisensibilité, ni intelligence ; elle conservait, même sous lesplus tendres caresses, l’impassibilité de l’idiotisme. Lesagaceries de sa nourrice n’étaient pas parvenues à le fairesourire ; ses lèvres étaient restées closes comme son cœursemblait muet. Il s’était borné à examiner opiniâtrement son pèreet sa mère avec une indifférence stupide. Destroy, qui aimaitbeaucoup les enfants, avait ressenti insensiblement une tellefroideur à l’examen de celui-ci, qu’il n’avait pas même songé àl’embrasser. Vingt sensations l’avaient assailli graduellement, etsa curiosité, un moment assoupie, au sujet du mystère qui pesaitsur l’existence de Clément, s’était réveillée avec une intensiténouvelle.

Après avoir dîné dans une guinguette, ilsretournèrent chez la nourrice. L’enfant dormait. Clément ne voulutpas qu’on le réveillât. La mère se contenta de le baiser au frontet de le mouiller silencieusement de larmes. Clément oublia de lecaresser, tant il avait hâte de quitter cet intérieur. En gagnantla voiture, Max l’entendit qui disait à Rosalie :

« Pourquoi te faire tant de mal ?Avec le temps, il changera sûrement de visage. Je ne voisd’ailleurs dans cette ressemblance que l’effet d’un hasard comme ily en a tant. »

Rosalie secoua douloureusement la tête.

Cette journée qui, au départ, promettaitd’être si joyeuse, s’assombrit tout à coup, comme on l’a vu, puisse termina d’une façon lugubre. Fatiguée par le voyage, déçue dansson amour de mère, sous le poids de lourdes et cruelles pensées,Rosalie fut à peine de retour dans sa maison qu’elle eut desspasmes, suivis d’un long évanouissement. Il en fut de sa nouvelleconvalescence, qu’un moment on avait pu croire sérieuse, comme desautres ; ses anciennes faiblesses la reprirent ; lesinstants de répit que, de temps à autre, lui laissa encore son mal,furent plus que jamais illusoires ; son état maladif empirachaque jour plus ostensiblement.

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