LE FLAMBEAU AGATHA CHRISTIE

LE CHIEN DE LA MORT

C’est par William P. Ryan, correspondant d’un journal américain, que j’entendis parler pour la première fois de cette affaire. Nous dînions ensemble à Londres, à la veille de son retour à New York, et le hasard voulut que je mentionne la localité de Folbridge, où je devais me rendre le lendemain matin.

Il leva les yeux :

— Folbridge, dans les Cornouailles ? demanda-t-il vivement.

Or, il y a peut-être une personne sur mille qui connaisse l’existence d’un Folbridge dans les Cornouailles. La plupart des gens supposent d’emblée qu’il s’agit du Folbridge du Hampshire. C’est pourquoi la question de Ryan excita ma curiosité.

— En effet, dis-je. Vous connaissez ?

— Pas le moins du monde ! s’exclama-t-il.

Et puis il me demanda si par hasard je ne connaissais pas là-bas une maison appelée Trearne.

Mon intérêt s’accrut.

— Et comment ! C’est même à Trearne que je vais. C’est là qu’habite ma sœur.

— De plus en plus fort ! dit William P. Ryan.

Je l’invitai à abandonner son ton énigmatique et à me donner des explications.

— Bien, dit-il, mais il faut pour cela que je remonte à une expérience que j’ai faite au commencement de la guerre.

Je soupirai. Les faits que je relate ici datent de l’année 1921 : la guerre était alors la dernière chose à laquelle on souhaitait penser. Nous commencions à peine, grâce à Dieu, à l’oublier… Par ailleurs, je savais qu’une fois lancé sur le thème de ses souvenirs de guerre, William P. Ryan pouvait se montrer intarissable.

Mais il était trop tard pour l’arrêter.

— Au début de la guerre, ainsi que vous devez le savoir, mon journal m’avait envoyé en Belgique et j’y voyageais énormément. Je découvris ainsi un petit village – appelons-le X. Un trou perdu s’il en est, mais qui abritait un assez grand couvent. Des religieuses en blanc, comment s’appellent-elles déjà ? Je ne sais plus le nom de cette congrégation. D’ailleurs, cela n’a aucune importance. Or, le hasard voulut que ce patelin se trouvât juste sur le chemin de l’avance allemande. Quand les Uhlans sont arrivés…

Je m’agitai, mal à l’aise. William P. Ryan leva une main rassurante :

— Ne vous en faites pas. Ce n’est pas une histoire d’atrocités allemandes. En fait, c’est même tout le contraire. Les Boches se sont dirigés vers le couvent, ils y sont entrés et tout a explosé.

— Oh ! dis-je, plutôt stupéfait.

— Étrange, pas vrai ? Naturellement, la première explication qui vient à l’esprit, c’est que les Boches avaient fait la fête et qu’ils avaient tripoté leurs propres explosifs. Mais il semble qu’ils ne transportaient rien de ce genre. Les religieuses, alors ? Comment voulez-vous qu’une poignée de nonnes s’y connaisse en explosifs ?

— C’est curieux, en effet.

— Je me suis intéressé à la façon dont les paysans expliquaient l’histoire. Ils avaient leur version toute prête, toute ficelée. D’après eux, c’était ni plus ni moins qu’un formidable miracle des temps modernes, réussi à cent pour cent. Une des religieuses du couvent possédait apparemment une réputation particulière : elle entrait en transes, avait des visions… Une sainte, en un mot. Et c’est elle, à en croire les gens, qui avait effectué ce tour de passe-passe. Elle avait fait descendre la foudre sur le Boche impie – qui s’était retrouvé foudroyé, aussi sec ! Avec tout ce qui l’entourait. Rudement efficace, comme miracle !

« Je ne suis jamais parvenu à découvrir la vérité – je n’en ai pas eu le temps. Mais les miracles étaient à la mode, en ce temps-là – rappelez-vous les anges de Mons, et tout le reste. J’ai relaté toute l’histoire par écrit, j’y ai ajouté une petite pointe de drame en insistant bien sur le côté religieux et j’ai envoyé mon papier au journal. L’article a marché le tonnerre aux États-Unis. À l’époque, les gens raffolaient de ces affaires-là.

« Mais – je ne sais pas si vous me comprendrez –, en écrivant cette histoire, j’ai commencé à m’y intéresser. Je me suis mis à avoir envie de savoir ce qui s’était réellement passé. Sur les lieux mêmes, il n’y avait rien à voir. Deux murs étaient encore debout. L’un d’eux portait une tache noire laissée par la poudre, et cette tache avait exactement la forme d’un grand chien. Les paysans des environs étaient terrifiés par cette tache. Ils l’appelaient le Chien de la Mort et pour rien au monde ils ne se seraient aventurés de ce côté après la tombée de la nuit.

« Les superstitions sont toujours intéressantes. J’aurais aimé rencontrer la religieuse qui avait réalisé le prodige. On m’a appris qu’elle n’était pas morte. Elle était partie pour l’Angleterre avec un convoi d’autres réfugiés. J’ai pris la peine de rechercher sa trace et j’ai fini par apprendre qu’elle avait été envoyée à Trearne, à Folbridge dans les Cornouailles.

Je hochai la tête.

— Ma sœur a hébergé un bon nombre de réfugiés belges au début de la guerre. Une vingtaine, environ.

— Eh bien, je me suis dit que le jour où j’aurais le temps j’irais voir cette personne. J’aurais voulu entendre sa propre version du drame. Et puis, j’ai été très occupé, vous savez ce que c’est, et j’ai fini par ne plus y penser. D’autant que les Cornouailles se trouvent en dehors des itinéraires courants. À vrai dire, j’avais complètement oublié toute cette histoire et c’est vous, en mentionnant le nom de Folbridge, qui me l’avez remise en mémoire.

— Il faudra que j’interroge ma sœur. Elle en a peut-être entendu parler. Naturellement, il y a longtemps que les Belges ont été rapatriés.

— Bien sûr. Néanmoins, si jamais votre sœur vous apprenait quoi que ce soit, je serais heureux que vous m’en informiez.

— C’est promis, dis-je avec chaleur.

Et nous parlâmes d’autre chose.

J’étais arrivé à Trearne depuis deux jours lorsque je repensai tout à coup à cette histoire. J’étais en train de prendre le thé sur la terrasse en compagnie de ma sœur.

— Kitty, lui dis-je, n’y avait-il pas une religieuse parmi tes Belges ?

— Tu veux parler de sœur Marie-Angélique ?

— Peut-être, répondis-je prudemment. Parle-moi d’elle.

— Mon Dieu ! C’est l’être le plus mystérieux qui soit. Elle vit toujours là, tu sais.

— Comment ? Ici, chez toi ?

— Non, non, au village. Le Dr Rose… Tu te souviens du Dr Rose ?

Je secouai la tête :

— Je me souviens d’un vieux médecin de quatre-vingt-trois ans, environ.

— Le Dr Laird. Lui, il est mort. Le Dr Rose n’est ici que depuis quelques années. Il est jeune et les idées nouvelles le passionnent. Et le cas de sœur Marie-Angélique l’intéresse au plus haut point. Vois-tu, elle a des hallucinations, et il semble que d’un point de vue médical ce soit d’un intérêt extraordinaire. La pauvre, elle n’avait nulle part où aller. À mon avis, elle est d’ailleurs plutôt cinglée, mais d’une façon assez émouvante, si tu vois ce que je veux dire. Enfin, comme je le disais, elle n’avait nulle part où aller et le Dr Rose, très gentiment, l’a installée au village. Je crois qu’il est en train de rédiger une monographie à son sujet.

Elle marqua un temps, puis reprit :

— Mais toi, que sais-tu d’elle ?

— On m’a fait à son propos un récit assez étrange.

Je lui racontai l’histoire telle qu’elle m’avait été narrée par Ryan. Kitty était suspendue à mes lèvres.

— Elle a effectivement l’air capable de faire exploser les gens, me confia-t-elle.

Ma curiosité était de plus en plus en éveil.

— Décidément, il faudra que je voie cette jeune femme.

— Mais oui, vas-y ! J’aimerais savoir ce que tu penses d’elle. Va d’abord voir le Dr Rose. Pourquoi ne descendrais-tu pas au village après le thé ?

J’acceptai sa proposition.

Le Dr Rose était chez lui. Je me présentai. Il avait l’air d’un jeune homme agréable, et cependant il y avait quelque chose dans sa personnalité qui m’inspirait une sorte de répugnance. Une certaine brutalité qui m’empêchait de le trouver réellement aimable.

À l’instant où je mentionnai sœur Marie-Angélique, je le vis se raidir et m’accorder toute son attention. Manifestement, le sujet le passionnait. Je lui transmis le récit de Ryan.

— Ah ! dit-il, pensif, voilà qui explique beaucoup de choses !

Il me lança un regard bref puis reprit :

— De fait, le cas est extraordinaire. Lorsque cette femme est arrivée ici, elle avait subi un choc mental grave. En même temps, elle se trouvait dans un état d’excitation intense. Elle avait des hallucinations d’un type tout à fait étonnant. Elle possède d’ailleurs une personnalité hors du commun. Peut-être cela vous intéresserait-il d’aller lui rendre visite avec moi ? Elle en vaut la peine.

J’acceptai avec enthousiasme.

Nous nous mîmes en chemin, en direction d’un cottage situé à la lisière du village. Folbridge est une petite localité extrêmement pittoresque, née à l’embouchure de la rivière Fol et bâtie presque exclusivement sur la rive est, la rive ouest étant trop escarpée. Il existe néanmoins quelques habitations sur cette rive ouest, quelques cottages accrochés à flanc de falaise – et la maison du médecin était de ceux-là ; érigée à l’extrême bord de la falaise, elle offrait une vue plongeante sur les grandes vagues qui battaient le pied des noirs rochers.

La maisonnette vers laquelle nous nous dirigions se trouvait à l’intérieur des terres, hors de vue de la mer.

— C’est là qu’habite l’infirmière visiteuse, m’expliqua le Dr Rose. Je lui ai demandé de prendre sœur Marie-Angélique en pension chez elle. Ce n’est pas plus mal qu’elle demeure sous le contrôle d’une personne de métier.

— A-t-elle un comportement anormal ?

— Vous allez pouvoir en juger vous-même dans une minute, répondit-il en souriant.

Nous arrivâmes à destination au moment précis où l’infirmière s’apprêtait à sortir à bicyclette. C’était une petite femme replète et accorte.

— Bonsoir, mademoiselle, dit de loin le docteur. Comment va votre patiente ?

— Comme d’habitude, docteur. Elle reste là pendant des heures, les mains jointes et l’esprit ailleurs. Bien souvent, elle ne répond même pas quand je lui adresse la parole. Évidemment, il faut bien dire qu’elle ne comprend toujours que très peu l’anglais.

Rose répondit d’un hochement de tête et l’infirmière s’éloigna. Avançant jusqu’à la porte de la maisonnette, il y donna un petit coup sec et rapide et entra.

Sœur Marie-Angélique était installée sur une chaise-longue près de la fenêtre. À notre arrivée elle tourna la tête vers nous.

Quel visage étrange ! Pâle, comme transparent, avec des yeux immenses. Il semblait y avoir dans ces yeux-là une tragédie infinie.

— Bonsoir, ma sœur, dit le médecin en français.

— Bonsoir, monsieur le docteur[1].

— Permettez-moi de vous présenter un ami, monsieur Anstruther.

Je m’inclinai tandis qu’elle fléchissait la tête avec un faible sourire.

— Comment vous sentez-vous, aujourd’hui ? demanda le docteur en prenant place à ses côtés.

— Sans grand changement, docteur. (Elle fit une pause, puis reprit 🙂 Rien ne me paraît réel. Est-ce que ce sont des jours qui passent, ou des mois… ou des années ? Je n’en suis pas certaine. Il n’y a que mes rêves qui me semblent réels.

— Ainsi, vous continuez à rêver beaucoup ?

— Toujours, toujours… et, comprenez-vous ? Mes rêves me paraissent plus réels que la vie.

— Est-ce de votre pays que vous rêvez, de la Belgique ?

Elle secoua la tête.

— Non. Je rêve d’un pays qui n’a jamais existé – jamais. Mais vous savez déjà tout cela, monsieur le docteur. Je vous l’ai dit à de nombreuses reprises. (Elle s’interrompit et dit brusquement 🙂 Mais peut-être cet autre monsieur est-il aussi médecin ?… Spécialisé, peut-être, dans les maladies du cerveau ?

— Non, non.

Rose se faisait rassurant, mais, tandis qu’il souriait, je remarquai combien ses canines étaient pointues. Je songeai qu’il tenait un peu du loup. Il poursuivait :

— J’ai pensé que cela vous intéresserait de faire la connaissance de M. Anstruther. Il connaît la Belgique et a entendu parler, tout récemment, de votre couvent.

Les yeux de la religieuse se tournèrent vers moi. Une imperceptible rougeur lui monta aux joues.

— C’est très peu de chose, en réalité, me hâtai-je de dire. Je dînais l’autre soir en compagnie d’un ami qui m’a décrit les ruines de votre couvent.

— Donc il est en ruine !

Elle avait poussé cette exclamation à mi-voix, davantage pour elle-même qu’à notre intention.

Puis, reportant ses regards sur moi, elle me demanda d’une voix hésitante :

— Dites-moi, monsieur, votre ami vous a-t-il dit de quelle façon le couvent a été détruit ?

— Il a explosé. Les paysans ont peur de passer à côté la nuit.

— Pourquoi ont-ils peur ?

— À cause d’une trace noire qui se trouve sur l’un des murs en ruine. Ils en ont une crainte superstitieuse.

Elle se pencha en avant.

— Dites-moi, monsieur, vite… vite… dites-moi ! À quoi ressemble cette trace ?

— Elle a la forme d’un grand chien. Les paysans l’appellent le Chien de la Mort.

— Ah !!!

Un cri aigu s’était échappé de ses lèvres.

— C’est donc vrai ! C’est donc bien vrai ! Tout ce dont je me souviens est vrai ! Ce n’est pas un simple cauchemar. C’est la vérité ! C’est ainsi que cela s’est passé !

— Et que s’est-il passé, ma sœur ? demanda le docteur d’une voix grave.

Elle se tourna avidement vers lui.

— Je me suis souvenue. Là, sur les marches, cela m’est revenu. Je me suis rappelé la façon de procéder. J’ai eu recours à la puissance comme nous avions l’habitude de le faire. Je me trouvais sur les marches de l’autel et je leur ai demandé de ne pas avancer plus près. Je leur ai dit de s’en aller. Ils n’ont pas voulu m’écouter. Ils approchaient de plus en plus, malgré mes avertissements. Alors… (Se penchant en avant, elle fit un geste étrange.) Alors, j’ai lâché sur eux le Chien de la Mort…

Elle se renversa en arrière, les yeux clos, tremblant de tous ses membres.

Le docteur alla prendre un verre dans un placard, le remplit d’eau à demi, y ajouta une ou deux gouttes d’une petite bouteille qu’il tira de sa poche, et lui apporta le verre.

— Buvez ceci, lui dit-il d’un ton autoritaire.

Elle obéit presque mécaniquement, les yeux au loin, comme perdue dans la contemplation de quelque vision intérieure qui n’appartient qu’à elle.

— Mais alors, dit-elle, tout est vrai. Tout. La Cité des Cercles, le Peuple du Cristal… tout. Tout est vrai.

— Selon toute apparence, en effet, dit Rose.

Il lui parlait d’une voix basse, apaisante, dans le but manifeste d’encourager le cours de ses pensées plutôt que de l’interrompre.

— Parlez-moi de la Cité, dit-il. La Cité des Cercles, disiez-vous ?

Elle répondit d’un ton absent.

— Oui… Il y avait trois cercles. Le premier cercle pour les élus, le second pour les prêtresses, et le cercle extérieur pour les prêtres.

— Et au centre ?

Elle inspira vivement et sa voix baissa en même temps qu’elle se chargeait d’un respect et d’une crainte indicibles.

— La Maison du Cristal…

Tandis qu’elle murmurait ces mots, sa main droite s’éleva jusqu’à son front et y traça d’un doigt quelque signe inconnu.

Sa silhouette parut se raidir un peu, ses paupières se fermèrent, elle chancela – puis brusquement elle se redressa, comme si elle avait été réveillée en sursaut.

— Qu’est-ce que c’est ? dit-elle, troublée. Qu’est-ce que j’ai dit ?

— Ce n’est rien, dit Rose. Vous êtes fatiguée. Vous avez besoin de repos. Nous allons vous laisser.

Elle semblait légèrement hébétée. Nous nous en allâmes.

— Eh bien ! me dit Rose quand nous fûmes sortis. Qu’en pensez-vous ?

Il me décocha un regard aigu.

— Elle a l’esprit totalement perturbé, dis-je avec lenteur.

— Est-ce là l’impression que vous en avez eue ?

— Non… à vrai dire, elle était plutôt convaincante. J’avoue qu’en l’écoutant j’ai eu l’impression qu’elle avait effectivement fait ce qu’elle prétendait… Qu’elle avait réalisé une sorte de miracle. Elle en semblait tellement convaincue. C’est pourquoi…

— C’est pourquoi vous disiez qu’elle devait avoir l’esprit dérangé. Bien entendu. Considérez à présent la question sous un autre angle. Supposons qu’elle ait véritablement accompli ce miracle. Supposons qu’elle ait, à elle toute seule, détruit tout un bâtiment et plusieurs centaines d’êtres humains.

— Par le simple pouvoir de sa volonté ? dis-je avec un sourire.

— Je n’exprimerais pas les choses de cette façon-là. Vous êtes d’accord qu’une seule personne pourrait anéantir une multitude de gens en actionnant simplement un interrupteur relié à une série de mines ?

— Oui, mais dans ce cas-là c’est de la mécanique.

— En effet, c’est de la mécanique. Mais, au fond, il s’agit essentiellement de forces naturelles maîtrisées et contrôlées par l’homme. Fondamentalement, il n’y a pas de différence entre un orage et une centrale électrique.

— D’accord, mais pour contrôler les forces d’un orage nous devons avoir recours à des moyens mécaniques.

Rose sourit.

— Je pars maintenant sur une tangente. Il existe une substance que l’on appelle wintergreen. Elle se rencontre dans la nature sous une forme végétale. Mais elle peut également être produite artificiellement par l’homme, par synthèse chimique, en laboratoire.

— Eh bien ?

— Je veux dire qu’il y a souvent deux façons d’arriver au même résultat. Notre façon à nous est évidemment la façon artificielle. Il se peut qu’il en existe une autre. Il n’est guère aisé d’expliquer, par exemple, les prodiges réalisés par les fakirs indiens. Les choses que nous appelons surnaturelles ne le sont pas nécessairement. Un flash électrique paraîtrait surnaturel à un sauvage. Le surnaturel n’est en fait qu’un naturel dont nous ne comprenons pas encore les lois.

— Vous voulez donc dire… ? demandai-je, fasciné.

— Que je ne peux écarter entièrement l’éventualité selon laquelle un être humain pourrait peut-être arriver à canaliser quelque vaste force destructrice pour servir ses propres desseins. Les moyens d’y parvenir, qui nous semblent surnaturels, ne le sont peut-être pas du tout en réalité.

Je le regardai avec des yeux ronds.

Il se mit à rire.

— Une hypothèse, sans plus, murmura-t-il. Dites-moi, avez-vous remarqué le geste qu’elle a fait quand elle a parlé de la Maison du Cristal ?

— Elle a porté la main à son front.

— Exactement. Et elle y a tracé un cercle. Un peu comme un catholique y tracerait une petite croix. Je vais vous raconter quelque chose de fort intéressant, M. Anstruther. Le mot « cristal » étant apparu si fréquemment dans les divagations de ma patiente, j’ai tenté une expérience. J’ai emprunté une boule de cristal à quelqu’un et je l’ai montrée à ma patiente sans aucune préparation, afin de tester sa réaction.

— Et alors ?

— Le résultat a été aussi curieux qu’évocateur. Son corps tout entier s’est raidi. Elle s’est mise à contempler fixement la boule, comme n’en croyant pas ses yeux. Enfin, elle est tombée à genoux devant elle, a murmuré quelques mots et s’est évanouie.

— Quels étaient ces quelques mots ?

— C’est très curieux. Elle a dit : « Le Cristal ! Alors la Foi vit toujours ! »

— Extraordinaire !

— N’est-ce pas ? Mais ce n’est pas tout. Quand elle a repris connaissance, elle avait complètement oublié ce qui s’était passé. Je lui ai montré la boule de cristal et je lui ai demandé si elle savait ce que c’était. Elle m’a répondu qu’il devait s’agir d’une boule de cristal comme s’en servent les voyantes. Je lui ai demandé si elle en avait déjà vu auparavant. « Jamais, monsieur le docteur. » Mais je lisais dans ses yeux une certaine perplexité. « Qu’est-ce qui vous trouble, ma sœur ? » lui ai-je demandé. « C’est tellement bizarre, a-t-elle répondu. C’est la première fois de ma vie que je vois une boule de cristal, et pourtant… j’ai la sensation qu’elle m’est très familière. Il y a quelque chose… Si seulement je pouvais me rappeler… » L’effort auquel elle soumettait sa mémoire était visiblement très éprouvant pour elle et je lui ai interdit d’insister. Cela remonte à deux semaines. J’ai laissé passer un peu de temps. Demain, je compte faire une nouvelle expérience.

— Avec la boule de cristal ?

— Avec la boule de cristal. Je la ferai regarder dedans. Je pense que le résultat pourrait être intéressant.

— Qu’espérez-vous découvrir ?

Cette question – que j’avais posée par simple curiosité, sans arrière-pensée – suscita chez Rose une réaction inattendue. Il se raidit, rougit. Et quand il me répondit, sa façon de parler avait changé insensiblement : elle était devenue plus formelle, plus professionnelle.

— J’espère faire la lumière sur certains troubles mentaux encore imparfaitement connus. Le cas de sœur Marie-Angélique est du plus haut intérêt scientifique.

L’intérêt de Rose n’était-il donc que professionnel ?

— Cela vous dérangerait-il que je vous accompagne demain ? demandai-je.

Ai-je été victime de mon imagination ? Je crus le voir hésiter avant de répondre. Et j’eus la subite intuition qu’il ne souhaitait pas ma présence le lendemain.

— Pas du tout, répondit-il. Je n’y vois aucune objection. (Puis il ajouta 🙂 Vous n’allez pas rester longtemps par ici ?

— Jusqu’à après-demain, seulement.

J’eus l’impression que ma réponse lui faisait plaisir. Son visage se détendit et il se mit à m’entretenir d’expériences récemment effectuées sur des cochons d’Inde.

Le lendemain après-midi, je retrouvai le docteur à l’heure convenue et nous nous rendîmes ensemble chez sœur Marie-Angélique. Le docteur, cette fois, se montrait d’excellente humeur. Il s’efforçait, me dis-je, d’effacer l’impression qu’il m’avait provoquée la veille.

— Ne prenez pas trop au sérieux tout ce que je vous ai raconté, me dit-il en riant. Je ne voudrais pas que vous me preniez pour un maniaque des sciences occultes. Ce qui est infernal avec moi, c’est que j’adore démêler les cas compliqués.

— Vraiment ?

— Oui, et plus ils sont fantastiques, plus cela m’excite.

Il rit de nouveau, comme s’il s’agissait d’un petit travers amusant.

Lorsque nous arrivâmes au cottage, l’infirmière demanda à parler quelques instants à Rose. Je demeurai donc seul avec sœur Marie-Angélique.

Elle commença par m’examiner attentivement. Puis elle m’adressa la parole :

— La bonne infirmière m’a dit que vous étiez le frère de la dame qui habite la grande maison où j’ai été amenée à mon arrivée de Belgique ?

— C’est exact.

— Elle a été extrêmement gentille pour moi. Elle est très bonne.

Elle se tut, comme poursuivant silencieusement sa pensée. Puis :

— Le docteur lui aussi est un homme bon, n’est-ce pas ?

J’étais un peu embarrassé.

— Mais, oui. Euh, je veux dire… Je le suppose.

— Ah… En tout cas, il s’est toujours montré très aimable avec moi.

— J’en suis sûr.

Elle leva vers moi un regard pénétrant :

— Monsieur, vous qui me parlez maintenant… croyez-vous que je sois folle ?

— Mais, ma sœur, jamais une telle idée ne…

Elle secoua lentement la tête, interrompant mes protestations.

— Suis-je folle ? Je n’en sais rien… Les choses dont je me souviens… Les choses que j’oublie…

Elle poussa un soupir – et au même moment Rose entra dans la pièce.

Il la salua joyeusement et lui expliqua ce qu’il voulait qu’elle fasse.

— Voyez-vous, certaines personnes possèdent le don de voir des choses dans une boule de cristal. Et je me dis, ma sœur, que vous avez peut-être ce don-là, vous aussi.

Elle eut l’air profondément affligée.

— Non, non, je ne puis faire cela. Vouloir lire l’avenir… C’est un péché.

Cette réponse déconcerta Rose. C’était le point de vue de la religieuse, et il ne s’y attendait guère. Mais il changea très adroitement de tactique.

— Effectivement, on ne doit pas chercher à connaître l’avenir. Vous avez tout à fait raison. Mais retourner vers le passé, voilà qui est différent.

— Le passé ?

— Oui… Il y a beaucoup de choses étranges dans le passé. On en entrevoit des éclairs, de temps en temps : on les aperçoit l’espace d’un instant, et ils disparaissent aussitôt. Ne cherchez pas à voir quelque chose dans la boule, puisque c’est interdit. Bornez-vous à la prendre entre vos mains, comme ceci. Regardez-la, plongez-y vos regards, très profondément. Oui, plus profondément encore… plus encore… Vous vous souvenez, n’est-ce pas ? Vous vous souvenez. Vous entendez ce que je vous dis. Vous pouvez répondre à mes questions. Ne m’entendez-vous pas ?

Sœur Marie-Angélique avait pris la boule de cristal comme il le lui avait demandé. Elle la tenait avec une étrange déférence. Soudain, tandis qu’elle y plongeait ses regards, ses yeux devinrent blancs, aveugles, et sa tête tomba. Elle semblait dormir.

Doucement, le docteur lui prit la boule de cristal et la posa sur la table. Il souleva le coin d’une de ses paupières. Puis il vint s’asseoir près de moi.

— Il faut attendre qu’elle se réveille. Je pense que cela ne sera pas long.

Il ne se trompait pas. Au bout de cinq minutes, sœur Marie-Angélique s’ébroua. Ses yeux s’ouvrirent, encore empreints de rêve.

— Où suis-je ?

— Ici, chez vous. Vous avez fait une petite sieste. Vous avez rêvé, n’est-ce pas ?

Elle acquiesça.

— Oui, j’ai rêvé.

— Vous avez rêvé du Cristal ?

— Oui.

— Racontez-moi cela.

— Vous allez me croire folle, monsieur le docteur. Car, voyez-vous, dans mon rêve le Cristal était un emblème sacré. Il y avait même un autre Christ, un Maître du Cristal, qui mourait pour sa foi. Et ses disciples étaient pourchassés, persécutés… Mais la foi persistait malgré tout.

— La foi persistait ?

— Oui, pendant quinze mille lunes pleines… Je veux dire, pendant quinze mille ans.

— Combien de temps durait une lune pleine ?

— Treize lunes ordinaires. Oui, c’est au cours de la quinze millième lune pleine… Bien entendu, j’étais prêtresse du Cinquième Signe, dans la Maison du Cristal. C’étaient les premiers jours de l’arrivée du Sixième Signe…

Ses sourcils se rejoignirent, une expression de frayeur lui traversa le visage.

— Trop tôt, murmura-t-elle. Trop tôt. Une erreur… Ah, oui ! Je me souviens ! Le Sixième Signe !

D’un bond, elle se leva à demi, puis retomba et se passa la main sur le visage en balbutiant :

— Mais qu’est-ce que je raconte ? Je divague. Ces choses-là n’ont jamais existé.

— Ne vous épuisez pas.

Elle le regardait, à présent, avec un mélange d’angoisse et de perplexité.

— Monsieur le docteur, je ne comprends pas. Pourquoi donc ai-je ces rêves… ces obsessions ? Je n’avais que seize ans quand je suis entrée dans la vie religieuse. Je n’ai jamais voyagé. Et cependant je vois des villes en songe, des gens étranges, des coutumes bizarres… Pourquoi ?

Elle s’était pris la tête entre les mains.

— Avez-vous jamais été hypnotisée, ma sœur ? Êtes-vous déjà entrée en transe ?

— Je n’ai jamais été hypnotisée, monsieur le docteur. Quant aux transes… Il arrivait souvent, lorsque nous priions à la chapelle, que mon esprit soit ravi à mon corps : je demeurais comme morte pendant de longues heures. Ainsi que le disait notre révérende mère, il s’agissait à n’en pas douter d’un état saint – d’un état de grâce. Ah, oui ! (Elle reprit sa respiration.) Je me souviens. Nous aussi, nous appelions cela un état de grâce.

— J’aimerais tenter une expérience, ma sœur, prononça Rose d’une voix parfaitement dénuée de passion. Peut-être parviendrons-nous de la sorte à dissiper tous ces pénibles « souvenirs ». Je vais vous prier de regarder une fois encore dans la boule de cristal, et je vous dirai un mot. Vous me répondrez un autre mot. Et nous continuerons ainsi jusqu’à ce que vous soyez fatiguée. Concentrez vos pensées sur la boule de cristal, pas sur les mots.

Je pris la boule de cristal. En la remettant à sœur Marie-Angélique, je remarquai avec quel respect ses mains la recevaient. Sur le velours noir, la boule reposait à présent entre ses paumes fines. Elle y plongea son beau regard profond. Il y eut un bref silence, puis le docteur dit :

— Chien !

Immédiatement, sœur Marie-Angélique répondit :

— Mort.

Je n’ai pas l’intention de donner ici un compte rendu complet de l’expérience. Le docteur énonça à dessein de nombreux mots sans importance ni signification particulière. D’autres mots, par contre, furent répétés à plusieurs reprises, suscitant pour les uns une réponse invariablement identique ou, pour d’autres, des réponses diverses.

Ce soir-là, dans la maison du docteur, au haut des falaises, nous discutâmes du résultat de l’expérience.

Il s’éclaircit la voix et tira son carnet de notes.

— Les résultats sont très intéressants. Très curieux. En réponse aux mots « Sixième Signe », nous avons obtenu Destruction, Violet, Chien, Puissance, puis de nouveau Destruction, et enfin Puissance. Ensuite, comme vous l’avez peut-être remarqué, j’ai inversé les éléments et voici ce qui en a résulté : à Destruction, elle m’a répondu Chien ; à Violet, Puissance ; à Chien, de nouveau Mort, et à Puissance, Chien. Tout cela se tient. Mais quand je lui ai redit Destruction, elle m’a répondu Mer, ce qui semble n’avoir aucun rapport avec le reste. Quand j’ai essayé « Cinquième Signe », elle a dit Bleu, Pensées, Oiseau, de nouveau Bleu, et puis finalement Ouverture d’un esprit à l’autre – ce qui me paraît fort évocateur. « Quatrième Signe » donne Jaune, puis plus tard Lumière, « Premier Signe » donne Sang. J’en déduis qu’à chaque signe correspond une couleur précise, et peut-être aussi un symbole particulier : l’oiseau pour le Cinquième Signe et le chien pour le Sixième. Par ailleurs, je présume que le Cinquième Signe représente ce que l’on nomme communément la télépathie – l’ouverture d’un esprit à l’autre. Quant au Sixième Signe, il représente très certainement la Puissance de Destruction.

— Et la mer, quelle est sa signification ?

— Cela, j’avoue ne pas pouvoir l’expliquer. J’ai repris le mot un peu plus tard, et elle m’a répondu tout bêtement Bateau. Septième Signe a donné d’abord Vie, puis Amour. À Huitième Signe, elle a répondu Néant. J’en conclus qu’il n’existait en tout et pour tout que sept signes.

— Mais le Septième n’a pas été parachevé, m’écriai-je, mû par une inspiration subite, puisque le Sixième a apporté la Destruction !

— Ah ! Vous croyez ? À vrai dire, nous prenons un peu trop au sérieux ces… divagations de malade. Tout ceci n’a d’intérêt que d’un point de vue strictement médical.

— Mais cela ne manquera pas d’attirer l’attention des chercheurs en parapsychologie.

Les yeux du médecin se rétrécirent.

— Mon cher monsieur, je n’ai absolument pas l’intention de livrer ceci au public.

— Mais, dans ce cas, votre intérêt… ?

— Est purement personnel. Je me propose évidemment de consigner par écrit mes réflexions sur le cas.

— Je vois.

En vérité, j’éprouvais pour la première fois la sensation de ne rien y voir du tout. J’étais comme un aveugle.

Je me levai.

— Eh bien ! docteur, je vais à présent vous souhaiter une bonne nuit. Je repars demain pour la ville.

— Ah !

Je crus discerner dans cette exclamation une certaine satisfaction – un soulagement même.

— Je vous souhaite bonne chance dans la poursuite de vos recherches, ajoutai-je d’un ton badin. Et ne lâchez pas sur moi le Chien de la Mort, la prochaine fois que nous nous rencontrerons !

Sa main se trouvait dans la mienne au moment où je prononçai ces paroles et je la sentis tressaillir. Il se reprit aussitôt et sourit, découvrant ses longues dents effilées.

— Pour quelqu’un qui aimerait la puissance, dit-il, quelle puissance que celle-là ! Tenir dans le creux de sa main la vie même de n’importe quel être humain !

Son sourire s’élargit encore.

Ce fut la fin de mes relations directes avec cette affaire.

Par la suite, j’entrai en possession du carnet de notes et journal du docteur. J’en reproduis ici quelques brefs passages, mais on n’oubliera pas que ce carnet n’est en fait tombé entre mes mains qu’un certain temps après le dénouement.

5 août. J’ai découvert que par « Élus » sœur M. A. entend ceux qui étaient chargés de la reproduction de la race. Apparemment, ils avaient droit aux honneurs suprêmes et étaient considérés comme supérieurs aux prêtres. Différence essentielle avec les premiers chrétiens.

7 août. Réussi à persuader sœur M. A. de me laisser l’hypnotiser. Je suis parvenu à susciter sommeil et transe hypnotique, mais pas à établir un contact.

9 août. Y a-t-il eu dans le passé des civilisations vis-à-vis desquelles la nôtre n’est rien ? Ce serait étrange qu’il en fût ainsi – et que je sois le seul dépositaire de la clé qui y conduit.

12 août. En état d’hypnose, sœur M. A. n’est pas du tout sensible à la suggestion. Se laisse pourtant facilement mettre en transe. Incompréhensible.

13 août. Sœur M. A. a dit aujourd’hui que, « en état de grâce, la porte doit être fermée, de peur que quelqu’un d’autre n’établisse sa domination sur le corps ». Intéressant mais déconcertant.

18 août. Donc, le Premier Signe n’est autre que… (ici, plusieurs mots ont été effacés)… mais alors combien de siècles faudra-t-il avant d’atteindre le Sixième ? S’il y avait un raccourci qui mène à la Puissance…

20 août. Je me suis arrangé avec l’infirmière pour qu’elle amène M. A. ici. Je lui ai dit qu’il fallait garder la malade sous morphine. Suis-je fou ? Ou bien vais-je devenir un Surhomme détenteur de la Puissance de Mort ?

(C’est ici que cesse le journal.)

Le 29 août, je crois, je reçus une lettre qui m’avait été adressée chez ma sœur. L’écriture, penchée, m’était inconnue. J’ouvris l’enveloppe avec une certaine curiosité. Voici ce que disait la lettre :

Cher Monsieur,

Je ne vous ai vu que deux fois, mais j’ai l’impression que je peux vous faire confiance. Que mes rêves soient réels ou non, il est indubitable qu’ils n’ont fait que se préciser ces derniers temps… Et, monsieur, une chose en tout cas est certaine : le Chien de la Mort n’est pas un rêve… Aux jours dont je vous ai parlé (sont-ils réels ou non, je ne sais), Celui qui avait la garde du Cristal a révélé le Sixième Signe au Peuple, alors que c’était encore prématuré… Le mal est entré dans leurs cœurs. Possesseurs du pouvoir de tuer à volonté, ils donnèrent libre cours à leur colère et tuèrent injustement. La soif de la Puissance les enivrait. En voyant cela, nous qui étions encore purs, nous sûmes que cette fois encore nous ne parachèverions pas le Cercle pour parvenir au Signe de la Vie Éternelle. Celui qui devait devenir le prochain Gardien du Cristal fut prié d’agir. Afin que les anciens meurent pour permettre aux nouveaux de revenir un jour, au terme d’âges sans fin, il lança le Chien de la Mort par-dessus la mer (en veillant bien à ne pas refermer le Cercle), et la mer se souleva et, prenant la forme d’un grand Chien, elle engloutit le pays tout entier…

Tout cela, je m’en suis souvenue une fois déjà : en Belgique, sur les marches de l’autel…

Le Dr Rose fait partie de la Confrérie. Il connaît le Premier Signe, ainsi que la forme du Second – dont la signification reste toutefois cachée à tous, à l’exception de quelques rares élus. Il veut que je lui fasse connaître le Sixième Signe. Jusqu’à présent, j’ai pu lui résister. Mais les forces commencent à me manquer. Monsieur, il n’est pas bon qu’un homme accède au pouvoir avant son heure. Plusieurs siècles devront encore s’écouler avant que le monde ne soit prêt à posséder le pouvoir de la mort… Je vous en supplie, monsieur, vous qui aimez la bonté et la vérité, venez à mon aide… avant qu’il ne soit trop tard.

Votre sœur dans le Christ,

Marie-Angélique.

Je laissai tomber le feuillet. La terre sous mes pieds semblait tout à coup moins ferme que d’habitude… Mais bientôt je repris mes esprits. Les idées de cette malheureuse femme, dont la sincérité ne faisait pas de doute, avaient bien failli m’affecter à mon tour ! Une chose était claire : dans l’excès de son zèle scientifique, le Dr Rose abusait lourdement de l’ascendant que lui conférait sa profession. Il fallait que je me rende là-bas sans tarder et…

Soudain, je remarquai parmi le reste de mon courrier une lettre de Kitty. Je l’ouvris précipitamment et lus :

Il est arrivé une chose épouvantable. Tu te souviens du cottage du Dr Rose, sur la falaise ? Il a été emporté par un glissement de terrain, la nuit dernière. Le docteur et cette pauvre religieuse, sœur Marie-Angélique, ont été tués tous les deux. Les ruines qui se sont entassées sur la plage sont affreuses à voir : elles forment un amas au profil fantastique. De loin, on croirait voir un énorme chien…

La lettre m’échappa des mains.

Tout le reste peut n’être que coïncidence. Un certain M. Rose, dont je découvris qu’il était un riche parent du docteur, était mort subitement cette même nuit – frappé par la foudre, disait-on. Pourtant, il n’y avait pas eu le moindre orage dans la région. Une ou deux personnes, seulement, déclarèrent avoir entendu un unique coup de tonnerre. Le cadavre présentait une marque de brûlure électrique « d’une forme étrange ». Le testament du défunt faisait du Dr Rose son légataire universel.

Et si le Dr Rose avait finalement réussi à arracher à sœur Marie-Angélique le secret du Sixième Signe ?… J’avais toujours pressenti en lui un homme dépourvu de scrupules, qui n’eût naturellement pas hésité à supprimer son oncle, s’il avait trouvé le moyen de le faire sans risque d’être découvert. Un passage de la lettre de sœur Marie-Angélique ne cesse de résonner dans ma tête : « … en veillant bien à ne pas refermer le Cercle… » Le Dr Rose avait omis de prendre cette précaution. Peut-être ne savait-il pas comment procéder, peut-être même ignorait-il que cette précaution fût nécessaire. Et la Force qu’il avait déclenchée lui était revenue, refermant la boucle…

Mais tout cela est évidemment absurde ! L’histoire peut parfaitement s’expliquer de façon naturelle. Et le fait que le docteur ait cru aux hallucinations de la religieuse prouve seulement qu’il était, lui aussi, quelque peu déséquilibré.

Et pourtant, il m’arrive de rêver à un continent englouti, où des hommes auraient jadis vécu et atteint un degré de civilisation bien supérieur au nôtre…

Ou bien sœur Marie-Angélique avait-elle une mémoire à l’envers – comme cela peut arriver, de l’avis de certains –, et cette Cité des Cercles dont elle se souvenait faisait-elle en réalité partie de l’avenir plutôt que du passé ?

Absurde ! Il est manifeste que cette histoire relevait de la pure hallucination.

(Traduction de Dominique Mols.)

LE CAS ÉTRANGE DE SIR ARTHUR CARMICHAEL

(extrait des notes du regretté Dr Edward Carstairs, docteur en médecine et éminent psychologue)

Je sais bien que les événements étranges et non moins tragiques que je vais relater ici peuvent être envisagés de deux points de vue entièrement différents. Quant à moi, mon opinion n’a jamais varié. On m’a conseillé de consigner par écrit tous les détails de l’histoire et je crois en effet qu’il est de mon devoir de ne pas laisser sombrer dans l’oubli des faits aussi mystérieux et inexplicables.

C’est suite à un câble de mon ami le Dr Settle que je me trouvai mêlé à l’affaire. Le câble se bornait à citer le nom de Carmichael, sans donner guère de détails. J’obéis néanmoins à la demande qui m’y était faite et pris le train de 12 h 20 à Paddington, à destination de Wolden, dans le Herefordshire.

Le nom de Carmichael ne m’était pas totalement étranger. J’avais connu, jadis, sir William Carmichael de Wolden, aujourd’hui décédé – mais notre dernière rencontre remontait à onze années. Je savais qu’il avait un fils, le baron actuel, qui devait avoir vingt-trois ans environ. Je me souvenais vaguement d’avoir entendu raconter que sir William s’était remarié. Mais je ne me rappelais rien de précis à ce propos, sinon une lointaine impression plutôt en défaveur de la deuxième lady Carmichael.

Settle m’attendait à la gare.

— Je suis content que vous soyez venu, dit-il en me broyant la main.

— C’est avec plaisir. Si je comprends bien, il s’agit d’un cas qui relève de mon domaine ?

— Absolument.

— Une maladie mentale, sans doute ? Qui présente des caractéristiques inhabituelles ?

Nous avions été chercher mes bagages et avions pris place dans un dog-cart qui nous emmenait à présent vers Wolden, à quelque cinq kilomètres de la gare. Settle ne répondit pas tout de suite à mes questions. Soudain, au bout d’une ou deux minutes, il s’exclama :

— Toute l’affaire est totalement incompréhensible ! Voilà un jeune homme de vingt-trois ans, parfaitement normal à tous les points de vue. Un garçon agréable, aimable, pas trop imbu de sa personne, guère brillant, sans doute, mais représentant par excellence le type du jeune aristocrate anglais. Il se couche un soir en parfaite santé – et on le retrouve le lendemain matin errant dans le village, hébété, incapable de reconnaître ses proches les plus chers.

— Ah ! dis-je, aiguillonné. (Le cas promettait d’être intéressant.) La perte de mémoire est totale ? Quand cela s’est-il passé ?

— Hier matin. Le 9 août.

— Et il n’y a rien eu, aucun choc dont vous ayez entendu parler, et qui puisse expliquer cet état ?

— Rien.

Je fus pris d’un soupçon subit.

— Me cachez-vous quelque chose ?

— N…on !

Cette hésitation renforça mes doutes.

— Il faut que je sache tout.

— Cela n’a rien à voir avec Arthur. Il s’agit de… de la maison.

— De la maison ? répétai-je, stupéfait.

— Vous vous êtes beaucoup intéressé aux phénomènes de ce genre, n’est-ce pas, Carstairs ? Vous avez « testé » des maisons dites hantées. Que pensez-vous de tout cela ?

— Dans neuf cas sur dix, il s’agit d’une imposture. Mais la dixième fois… En vérité, il m’est arrivé d’assister à des phénomènes qu’il était absolument impossible d’expliquer par des moyens rationnels. Personnellement, je crois à l’occultisme.

Settle hocha la tête. Nous arrivions aux grilles du parc. Du bout de son long fouet, il m’indiqua une maison blanche, de construction basse, à flanc de colline.

— Voilà la maison, dit-il. Et il y a dans cette maison quelque chose… quelque chose d’inquiétant, d’horrible. Nous le ressentons tous… Et je ne suis pas superstitieux.

— Sous quelle forme cela se présente-t-il ?

Il regarda droit devant lui.

— Je préférerais que vous n’en sachiez rien. Comprenez-moi, si vous qui venez sans aucune idée préconçue, qui ignorez tout, vous le voyez également, alors…

— Oui. Cela vaut mieux. Par contre, j’aimerais que vous me parliez un peu de la famille.

— Sir William s’est marié deux fois. Arthur est né du premier mariage. Le deuxième mariage remonte à neuf ans – et l’actuelle lady Carmichael est un personnage fort mystérieux. Elle n’est qu’à moitié anglaise. Je la soupçonne d’avoir du sang asiatique dans les veines.

Il s’interrompit.

— Settle, dis-je, vous n’aimez pas lady Carmichael.

— C’est vrai, reconnut-il carrément. J’ai toujours eu la sensation qu’il y avait en elle un je ne sais quoi de sinistre. Enfin, pour continuer mon histoire, sir William a également eu un enfant de sa deuxième femme, un garçon, qui a maintenant huit ans. À la mort de sir William, il y a trois ans, Arthur a hérité du titre et de la propriété. Sa belle-mère et son demi-frère sont restés vivre avec lui à Wolden. Il faut savoir que la propriété est en très mauvais état. Son entretien engloutit la quasi-totalité des revenus de sir Arthur. Quant à lady Carmichael, sir William n’a pu lui laisser que quelques centaines de livres de rente annuelle. Mais, heureusement, Arthur s’est toujours entendu à merveille avec elle et est ravi qu’elle vive auprès de lui. Dernièrement…

— Oui ?

— Il y a de cela deux mois, Arthur s’est fiancé avec une jeune fille charmante, mademoiselle Phyllis Patterson.

Il ajouta, la voix légèrement altérée par l’émotion :

— Ils devaient se marier le mois prochain. Elle est ici pour l’instant. Vous imaginez son désespoir…

J’inclinai la tête en silence.

Nous approchions à présent de la maison. À notre droite, une pelouse verte en pente douce. Soudain, j’aperçus un tableau exquis : une jeune fille marchait lentement sur le gazon, en direction de la maison. Elle ne portait pas de chapeau et le soleil parait d’un éclat somptueux l’or de sa magnifique chevelure. Elle avait à la main une large corbeille de roses et un splendide chat persan gris ondulait affectueusement autour de ses chevilles.

J’interrogeai Settle du regard.

— C’est mademoiselle Patterson, dit-il.

— Pauvre petite ! Quelle apparition délicieuse, avec ses roses et son chat gris…

Je perçus un léger bruit, me retournai vivement vers mon ami. Les rênes lui avaient échappé des mains et son visage était livide.

— Qu’avez-vous ? m’écriai-je.

Il se reprit avec effort.

— Rien, dit-il. Rien.

Quelques instants après, nous étions arrivés à destination, et je pénétrais à sa suite dans le salon vert où on avait servi le thé.

Une femme d’âge mûr mais encore très belle se leva à notre entrée et, s’avançant, nous tendit la main.

— Mon ami le Dr Carstairs. Lady Carmichael.

Il m’est impossible d’expliquer la vague de répulsion qui me submergea au moment où je prenais la main de cette femme pourtant séduisante et pleine d’allure, et dont les mouvements empreints d’une grâce obscure et langoureuse me rappelèrent ce que Settle m’avait dit sur ses origines probablement orientales.

— C’est très aimable à vous d’être venu, Dr Carstairs, dit-elle d’une voix grave et musicale, et de bien vouloir nous aider à résoudre le difficile problème qui se pose à nous.

Je répondis par une banalité quelconque et elle me tendit ma tasse de thé.

Au bout de quelques minutes, la jeune fille que j’avais vue sur la pelouse fit son entrée dans la pièce. Le chat ne la suivait plus, mais elle portait toujours sa corbeille de roses. Settle me présenta et elle vint spontanément vers moi :

— Oh, Dr Carstairs ! Le Dr Settle nous a tant parlé de vous ! J’ai le sentiment que vous parviendrez à faire quelque chose pour ce malheureux Arthur.

Mademoiselle Patterson était vraiment très jolie, en dépit de la pâleur de ses joues et des cernes sombres qui entouraient ses yeux francs.

— Ma chère petite, dis-je pour la rassurer, il n’y a en effet pas lieu de désespérer. Ces cas d’amnésie ou de dédoublement de personnalité sont souvent de très courte durée. Le malade peut reprendre ses esprits à n’importe quel moment.

Elle secoua la tête.

— Je ne peux pas croire qu’il s’agisse d’un dédoublement de personnalité, dit-elle. Ce n’est plus du tout Arthur. Ce n’est pas une personnalité qui vient de lui. Ce n’est pas lui. Je…

— Phyllis, mon petit, voici votre thé, interrompit lady Carmichael d’une voix douce.

Elle posa les yeux sur la jeune fille et quelque chose dans l’expression de ce regard me dit que lady Carmichael n’éprouvait guère d’amitié pour sa future belle-fille.

Mademoiselle Patterson refusa le thé et, dans l’espoir de détendre un peu l’atmosphère, je lui demandai :

— Et Poussy ? N’a-t-il pas droit à une soucoupe de lait ?

Elle me regarda d’une façon fort étrange.

— Poussy ?

— Oui, votre petit compagnon d’il y a un instant, dans le jardin…

Un bruit soudain me coupa la parole. Lady Carmichael avait renversé la théière et toute l’eau chaude coulait par terre. Je réparai les dégâts. Phyllis Patterson adressa à Settle un regard interrogateur. Il se leva.

— Si nous allions voir notre malade, à présent, Carstairs ?

Je le suivis aussitôt. Mademoiselle Patterson nous accompagna. Nous montâmes un escalier et Settle tira une clé de sa poche.

— Il lui prend parfois des envies d’aller vadrouiller, expliqua-t-il. C’est pourquoi je préfère l’enfermer quand je dois m’absenter de la maison.

Il déverrouilla la porte et nous entrâmes.

Un jeune homme était lové sur la banquette de fenêtre, profitant des derniers rayons du soleil à son déclin. Il se tenait étrangement impassible, ramassé, tous les muscles au repos. Je crus d’abord qu’il ne s’était pas aperçu de notre présence, puis soudain, je constatai que, sous des paupières immobiles, ses prunelles nous examinaient attentivement. Au moment où nos regards se rencontrèrent, ses yeux se fermèrent, il cligna des paupières. Mais toujours sans le moindre mouvement.

— Venez, Arthur, dit gaiement Settle. Mademoiselle Patterson ainsi que l’un de mes amis sont venus vous dire bonjour.

Le jeune homme se borna à cligner des paupières. Néanmoins, l’instant d’après, je le surpris qui nous observait de nouveau. Furtivement, secrètement.

— Voulez-vous un bon goûter ? poursuivit Settle sur le même ton enjoué, comme s’il s’adressait à un enfant.

Et il posa sur la table une tasse remplie de lait. Comme je levais les sourcils avec étonnement, Settle sourit :

— C’est curieux. Il ne boit plus que du lait.

Quelques instants plus tard, sans hâte aucune, sir Arthur déplia ses membres, l’un après l’autre, et se dirigea avec lenteur vers la table. Je réalisai brusquement que ses mouvements étaient parfaitement silencieux. Ses pieds ne faisaient pas le moindre bruit quand il marchait. Au moment où il atteignit la table, il s’étira formidablement, une jambe en avant et l’autre tendue vers l’arrière. Quand il eut prolongé à l’extrême cette gymnastique, il bâilla. Mais quel bâillement ! Je crois bien n’en avoir jamais vu de semblable : son visage tout entier sembla s’y engloutir.

Puis, il parut enfin s’intéresser au lait et se pencha vers la table jusqu’à toucher des lèvres la surface du liquide.

Comme j’interrogeais Settle du regard, il me dit :

— Il n’utilise plus du tout ses mains. C’est comme s’il était retourné à un stade primitif. Étrange, n’est-ce pas ?

Je sentis Phyllis Patterson se rapprocher imperceptiblement de moi et lui posai la main sur le bras pour l’apaiser.

Son lait finalement terminé, Arthur Carmichael s’étira de nouveau et, de la même démarche tranquille et silencieuse, regagna sa banquette de fenêtre et s’y réinstalla comme précédemment, nous regardant en clignant des yeux.

Mademoiselle Patterson nous entraîna hors de la pièce. Elle tremblait de tous ses membres.

— Oh, Dr Carstairs ! s’écria-t-elle. Ce n’est pas lui ! Cette… chose qui est là, ce n’est pas Arthur ! Je sentirais… Je saurais…

Je hochai tristement la tête.

— Le cerveau peut parfois jouer de bien vilains tours, dis-je.

J’avoue que le cas me laissait perplexe. Il présentait des caractéristiques pour le moins inhabituelles. Je n’avais jamais vu le jeune Carmichael auparavant, mais sa bizarre façon de marcher, ses clignements de paupières aussi, me rappelaient quelqu’un ou quelque chose que je ne parvenais pas à situer.

Le dîner, ce soir-là, se déroula dans le calme. Je partageai avec Lady Carmichael la tâche d’alimenter la conversation. Lorsque les dames se furent retirées, Settle me demanda mes impressions sur notre hôtesse.

— Je dois reconnaître que je ressens à son égard une profonde aversion, répondis-je. Vous aviez raison, elle a du sang oriental. J’ajouterai qu’elle semble posséder des pouvoirs occultes certains. C’est une femme d’une extraordinaire force magnétique.

Settle sembla sur le point de dire quelque chose mais il se ravisa et se contenta de remarquer :

— Elle est très attachée à son petit garçon.

Après le dîner, nous retournâmes nous asseoir au salon vert. Nous venions d’achever le café et échangions des platitudes sur les sujets d’actualité lorsque le chat se mit à miauler à fendre l’âme derrière la porte pour qu’on le fasse entrer. Personne n’y fit attention. Étant donné que je suis un grand ami des bêtes, au bout de quelques minutes, je me levai :

— Me permettez-vous de lui ouvrir ? demandai-je à lady Carmichael.

Il me sembla qu’elle était soudain très blanche. Néanmoins, elle fit un petit geste de la tête que je pris pour un assentiment et j’allai ouvrir la porte. Le corridor était totalement désert.

— Comme c’est curieux, dis-je, j’aurais juré avoir entendu un chat.

Je réintégrai mon siège et réalisai que tous les regards étaient braqués sur moi – ce qui me mit légèrement mal à l’aise.

Nous ne tardâmes pas à aller nous coucher. Settle m’escorta jusqu’à ma chambre.

— Vous avez tout ce qu’il vous faut ? demanda-t-il en regardant autour de lui.

— Oui, merci.

Il restait là, gauche, l’air d’avoir encore quelque chose à dire sans que cela fut possible.

— À propos, dis-je, ne m’aviez-vous pas dit qu’il y avait quelque chose d’inquiétant, dans cette maison ? Jusqu’ici, je dois avouer qu’elle me paraît parfaitement normale.

— Vous appelez cela une maison heureuse ?

— Bien sûr que non, dans de telles circonstances. On y sent planer l’ombre d’un grand chagrin. Mais quant à lui trouver des particularités surnaturelles, non, je lui délivrerais sur l’heure un certificat de bonne santé.

— Bonne nuit, dit brusquement Settle. Faites de beaux rêves.

Des rêves, j’en fis en effet, et en quantité ! Le chat gris de Mlle Patterson avait dû laisser une trace dans mon esprit : j’eus l’impression de rêver pendant la nuit entière de ce satané animal.

Tout à coup je m’éveillai en sursaut et découvris la raison de ces songes obsédants : la bête miaulait sans discontinuer de l’autre côté de ma porte. Impossible de dormir avec un tel tapage. J’allumai ma bougie et me dirigeai vers la porte. Mais le couloir était vide – et cependant les miaulements retentissaient toujours. Une idée nouvelle me vint : le malheureux devait être enfermé quelque part, et retenu prisonnier. À ma gauche, c’était le bout du couloir, et c’est là qu’était située la chambre de lady Carmichael. Je me tournai donc vers la droite. Mais je n’avais fait que quelques pas quand les miaulements reprirent de plus belle, derrière moi. Je pivotai sur les talons : le bruit retentit de nouveau, très distinctement.

Quelque chose me fit frissonner – un courant d’air dans le couloir, sans doute – et je réintégrai prestement ma chambre. Le silence régnait, à présent, et je ne fus pas long à me rendormir. Quand je me réveillai, c’était le matin d’une journée qui s’annonçait splendidement ensoleillée.

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