LE FLAMBEAU AGATHA CHRISTIE

La première fois que Silas Hamer entendit l’Appel, c’était par une nuit de février où soufflait un vent violent. Avec son ami Dick Borrow il revenait d’un dîner chez Bertrand Seldon, le célèbre psychiatre, Borrow était plus taciturne que d’habitude, et Hamer lui avait demandé, avec une certaine curiosité, à quoi il pensait. La réponse fut assez inattendue :

— J’étais en train de me dire que, de toutes les personnes réunies ici ce soir, deux seulement pouvaient se prétendre heureuses ; et, aussi étrange que cela puisse paraître, ces deux personnes sont vous et moi.

« Étrange » était bien le mot, car on ne pouvait trouver deux hommes plus différents que Richard Borrow, le clergyman tout dévoué à sa paroisse malgré de faibles moyens, et Silas Hamer, le milliardaire dont l’immense fortune faisait envie à beaucoup.

— C’est curieux, reprit Borrow, mais je crois que vous êtes le seul homme riche que je connaisse personnellement.

Hamer garda le silence un instant. Quand il parla, son ton avait changé :

— Lorsque j’ai commencé, je n’étais qu’un minable petit vendeur de journaux. Je voulais alors posséder ce que j’ai maintenant : les agréments et le luxe que procure l’argent. Mais je ne souhaitais pas vraiment la puissance qu’il représente. Je désirais la fortune pour la dépenser sans compter, à des fins égoïstes. Vous voyez, je vous parle sans détours. On dit que l’argent ne peut pas tout acheter : c’est exact. Il n’en reste pas moins qu’il peut me procurer tout ce que je désire, et par conséquent je suis satisfait. Voyez-vous, mon ami, je ne suis qu’un affreux matérialiste.

Le vif éclairage qui régnait dans le quartier où ils se trouvaient semblait venir confirmer ses paroles. Hamer était douillettement engoncé dans un épais manteau doublé de fourrure, et la lumière soulignait les plis de graisse qui alourdissaient son menton. Borrow, qui marchait à côté de lui, était son vivant contraste avec son visage d’ascète et ses yeux que la foi rendait brillants.

— C’est vous que je n’arrive pas à comprendre, répondit Hamer.

Borrow sourit.

— Je vis au milieu de la misère, du besoin, de la faim, autrement dit de toutes les souffrances de la chair. Mais une puissante vision me soutient. Ce n’est pas facile à comprendre à moins d’avoir la foi, ce qui, je crois, n’est pas votre cas.

Hamer répondit avec une certaine véhémence :

— Je ne crois qu’à ce que je peux voir, entendre ou toucher.

— C’est bien ce qui nous différencie tous les deux. Enfin… Bon, eh bien, bonsoir. La terre va m’engloutir maintenant.

Ils étaient arrivés devant une bouche de métro où Borrow allait s’engouffrer pour rentrer chez lui.

Hamer poursuivit seul sa route. Il se félicitait d’avoir renvoyé sa voiture ce soir et de marcher ainsi sous l’air vif et glacé, bien au chaud dans sa pelisse fourrée.

Il s’apprêtait à traverser la rue mais s’arrêta au bord du trottoir en apercevant un bus qui venait dans sa direction. Il aurait eu le temps de traverser, mais il préféra attendre car il n’avait aucune envie de se presser.

Subitement il vit un homme, ou plutôt un lamentable déchet d’humanité, s’effondrer en plein milieu de la chaussée. Il devait être ivre. Hamer entendit un cri, vit l’autobus freiner désespérément et aperçut enfin un amas de guenilles inerte sur le pavé.

Des badauds s’agglutinèrent comme par enchantement autour de deux policiers et du conducteur de l’autobus, mais le regard de Hamer restait rivé sur la masse sans vie qui était encore il y a quelques secondes un homme comme lui. Il ne put réprimer un frisson.

— Vous avez rien à vous reprocher, mon vieux, fit un gros homme près de lui. Vous pouviez rien faire. Il était flambé…

Hamer dévisagea celui qui venait de lui adresser la parole. La pensée qu’il aurait pu éventuellement sauver la victime ne lui avait pas un instant traversé l’esprit. Pourtant, si lui-même avait été aussi imprudent, il aurait pu se retrouver… Il écarta cette pensée et s’éloigna de l’attroupement. Il tremblait de tous ses membres et dut s’avouer qu’il avait peur, terriblement peur de la mort… De cette mort qui pouvait frapper avec une vitesse et une cruauté inouïes aussi bien les riches que les pauvres.

Il hâta le pas, mais cette peur subite qui s’était emparée de lui le glaçait maintenant jusqu’aux os. Cela l’étonna quelque peu car il ne se laissait pas facilement impressionner d’habitude. Quelques minutes plus tôt, une terreur comme celle-là n’aurait pu l’effleurer, sans doute parce qu’il ne mesurait pas encore très bien à quel point la vie pouvait être précieuse. En fait, il n’était vulnérable qu’à une seule menace : celle de la mort, cette force destructrice aveugle…

Il tourna le coin de la rue et emprunta un passage sombre qui, entre deux hautes murailles, lui offrait un raccourci pour arriver jusque chez lui, dans cette maison célèbre pour les trésors artistiques qu’elle renfermait. La rumeur de la rue s’étant atténuée, le seul bruit qu’il put entendre bientôt fut celui, assourdi, de ses pas.

Soudain, dans l’obscurité, devant lui, monta un autre son. Un homme, assis contre un mur, jouait de la flûte. Ce devait être un de ces musiciens ambulants que l’on rencontre souvent dans les quartiers riches. Mais pourquoi avait-il choisi cet endroit isolé alors qu’à cette heure la police… ? Les réflexions du milliardaire furent brusquement interrompues lorsqu’il s’aperçut que le musicien n’avait pas de jambes et que deux béquilles reposaient contre le mur à côté de lui. En prêtant mieux l’oreille, on pouvait se rendre compte également que ce n’était pas de la flûte qu’il jouait mais d’un étrange instrument dont la tonalité était plus haute, plus claire que celle d’une flûte.

Sans prêter attention au nouvel arrivant, l’homme continuait de jouer. Il avait la tête renversée en arrière, comme si la béatitude que lui procurait sa musique la soutenait. Et les notes s’élevaient gaiement, de plus en plus haut.

L’air qu’il jouait était bizarre lui aussi. En réalité, ce n’était pas une véritable mélodie, mais une phrase musicale unique, sans cesse répétée, qui semblait se faire annonciatrice d’une sorte d’extase libératrice.

Hamer n’avait jamais rien entendu de pareil. Cette mélodie était vraiment curieuse, comme génératrice de force. Il s’appuya des deux mains contre le mur le plus proche de lui, car il venait d’être subitement saisi par une sensation insolite : la conscience vague qu’il lui fallait à tout prix demeurer sur terre. Il constata alors que l’instrument s’était tu et que l’infirme tendait le bras vers ses béquilles ; mais il s’aperçut en même temps que lui, Silas Hamer, était en train de s’agripper comme un dément à une saillie du mur pour combattre le sentiment inexplicable qu’il quittait la terre et que la musique l’emportait.

Il se mit à rire. Cette idée était parfaitement ridicule : il était bien évident que ses pieds n’avaient pas décollé du sol. Mais il n’en avait pas moins eu une étrange hallucination. Des petits coups, frappés sur le pavé, lui indiquèrent que l’infirme s’éloignait. Il le suivit du regard jusqu’à ce que l’ombre l’ait englouti.

Il reprit sa marche plus lentement. Il ne parvenait pas à effacer de sa mémoire la troublante sensation qu’il avait éprouvée lorsque la terre avait paru se dérober sous ses pieds.

Soudain, cédant à une impulsion irréfléchie, il fit volte-face et s’élança dans la direction qu’avait prise le musicien. Ce dernier n’avait pu parcourir beaucoup de chemin, il serait donc facile de le rattraper. Dès qu’il aperçut la silhouette qui avançait laborieusement, il cria :

— Ohé ! Ohé ! Attendez !

L’autre s’arrêta et resta immobile sans se retourner, attendant que Hamer arrive à sa hauteur. Un réverbère était allumé juste au-dessus de lui, éclairant en plein son visage. Stupéfait, Hamer retint sa respiration : l’homme avait le plus beau visage qu’il ait jamais vu. Il était impossible de lui donner un âge déterminé ; certes, ce n’était plus le visage d’un enfant, et pourtant l’impression dominante qui s’en dégageait était la jeunesse et la vigueur.

Hamer ne savait pas comment entamer la conversation. Il finit par dire en hésitant :

— Écoutez… J’aimerais savoir… Quel est cet air que vous joutez tout à l’heure ?

L’inconnu sourit.

— C’est un vieil air, un très vieil air… Il remonte à des siècles.

Sa voix était pure et sa diction parfaite, mais, à son accent, il ne devait pas être anglais ; Hamer avait d’ailleurs du mal à lui attribuer une nationalité bien définie.

— Vous n’êtes pas anglais. D’où venez-vous ?

L’infirme sourit une nouvelle fois :

— Je viens de l’autre côté de la mer, monsieur. Je suis arrivé il y a longtemps, très, très longtemps.

— Vous avez dû avoir un grave accident. Est-ce récent ?

— Cela s’est passé il y a déjà quelque temps, monsieur.

— Quelle terrible chose : perdre ainsi les deux jambes…

— Cela va mieux, dit l’homme avec un calme impressionnant. (Puis, regardant son interlocuteur d’un air grave 🙂 Elles étaient diaboliques.

Hamer lui glissa un shilling dans la main et s’éloigna, encore ébranlé par cette rencontre et vaguement inquiet.

« Elles étaient diaboliques… » Quelle étrange formule ! De toute évidence, l’homme avait subi une opération à la suite d’une grave maladie, mais sa dernière réflexion ne laissait pas d’intriguer.

Plongé dans ses pensées, Hamer regagna enfin son domicile. Il tenta sans succès d’écarter l’incident de sa mémoire. Étendu dans son lit, somnolent à moitié, il entendit une horloge du voisinage sonner 1 heure, tintement clair suivi d’un grand silence. Mais ce silence fut bientôt rompu par un bruit familier, et Hamer sentit son cœur faire un bond dans sa poitrine. L’infirme aux béquilles jouait à quelque distance de là ! Le chant de la flûte était toujours très joyeux et répétait la petite phrase que Hamer avait déjà entendue.

— C’est incroyable, murmura-t-il. On jurerait que les notes ont des ailes !…

De plus en plus claire, de plus en plus haute, la mélodie entraînait Hamer avec elle. Il ne résistait plus car elle l’emportait toujours plus haut. C’était comme une envolée triomphale. Où s’arrêterait-elle ? Pourtant, presque aussitôt, quelque chose de pesant, d’insistant ramenait obstinément Hamer vers la terre.

Il observa un moment la fenêtre qui lui faisait face, puis, soupirant, il sortit un bras de sous le drap. Ce geste lui parut étonnamment laborieux à exécuter. En même temps, il avait l’impression que le lit moelleux dans lequel il était couché l’étouffait ; les lourds rideaux, qui faisaient un écran opaque à la lumière et à l’air, l’oppressaient. Le plafond donnait l’impression de s’abaisser vers lui pour l’écraser. Il haletait, il ne pouvait plus respirer. Il essaya de bouger sous les couvertures, mais la pesanteur de son corps lui paraissait insupportable.

— Je voudrais vous demander conseil, Seldon.

Le psychiatre écarta sa chaise de la table. Il se demandait précisément quel pouvait bien être le but de ce dîner en tête-à-tête organisé par le milliardaire. Il avait peu vu Hamer depuis l’hiver, et il avait l’impression, ce soir-là, que son ami avait changé.

— Voici, reprit le milliardaire. Je… Quelque chose me tourmente.

Seldon le considéra en souriant :

— Vous me paraissez pourtant en parfaite santé.

— Il ne s’agit pas de cela.

Hamer s’interrompit un instant avant d’ajouter plus calmement :

— Je crois que je deviens fou.

L’autre leva les yeux et le dévisagea :

— Tiens ! Et qu’est-ce qui vous donne cette impression ?

— C’est à cause de… quelque chose qui m’est arrivé, quelque chose d’inexplicable, d’irrationnel. Comme ça ne peut pas être vrai, j’en déduis que je deviens fou… si je ne le suis pas déjà.

— Si vous commenciez par m’expliquer ce que vous ressentez ?

Hamer poursuivait son idée :

— Je ne crois pas au surnaturel, je n’y ai jamais cru. Mais ceci dépasse… C’est vrai, vous avez raison : je ferais mieux de tout vous raconter depuis le début. Cela remonte à l’hiver dernier, un soir que j’avais été dîner chez vous.

Il narra brièvement l’épisode de l’autobus puis en vint à sa rencontre avec l’infirme :

— C’est là que tout a commencé. Je suis incapable de vous décrire exactement la sensation que j’ai éprouvée, mais je peux vous dire en tout cas que c’était une sensation merveilleuse, qui ne ressemblait à rien que j’aie pu déjà éprouver ou rêver. Elle s’est répétée depuis ; pas tous les soirs, mais de temps en temps. Il y a d’abord cette musique, puis le sentiment d’être emporté dans l’espace, un vol bref, et enfin cette terrible secousse qui me ramène vers la terre, suivie d’une douleur atroce. La douleur du réveil, en fait. C’est un peu comme lorsqu’on est en montagne : vous savez, lorsqu’on redescend et que l’on a de plus en plus mal aux oreilles. La douleur que je ressens s’apparente à cela, mais en beaucoup plus intense, et s’accompagne de l’affreuse sensation d’un poids qui m’étouffe…

Il s’interrompit un instant avant de poursuivre :

— Mes domestiques croient déjà que je suis fou. Comme je ne pouvais plus supporter ni toit ni murs, j’ai fait aménager un endroit, en haut de ma maison, muni de nombreuses fenêtres, sans aucun meuble, ni tapis, bref, sans rien qui risque de me donner cette impression d’étouffement. Mais, même ainsi, les maisons qui m’entourent me paraissent presque aussi oppressantes. Il me faudrait la pleine campagne, un endroit où je pourrais vraiment respirer…

Hamer observa un instant le spécialiste et demanda :

— Que pensez-vous ? Pouvez-vous m’expliquer ce phénomène ?

— Hum ! fit Seldon. Je vois plusieurs hypothèses. Ou bien l’on vous a hypnotisé, ou bien vous vous êtes hypnotisé vous-même. Votre système nerveux est ébranlé, ou alors il peut s’agir simplement d’un rêve.

Hamer secoua la tête :

— Aucune de ces explications ne me convient.

— Il y en a d’autres. Seulement, on n’y croit pas en général. Êtes-vous sûr d’être prêt à les admettre ?

— Oui. Il existe bien des choses que nous ne pouvons pas comprendre ni expliquer en termes de logique. Nous avons quantité de questions à élucider, et je crois qu’il est bon de ne pas se faire d’idées préconçues.

Il s’arrêta un instant comme pour réfléchir.

— Que me conseillez-vous de faire ?

Seldon se pencha en avant :

— Je peux vous donner un conseil parmi d’autres : quittez Londres et allez chercher votre « pleine campagne ». Vos cauchemars vont cesser.

— Non, je ne peux pas, répondit vivement Hamer. J’en suis arrivé au point de ne plus pouvoir me passer de ces cauchemars, et même de ne pas souhaiter m’en débarrasser.

— Je l’avais deviné. Dans ce cas, une autre solution consisterait à retrouver cet infirme auquel vous attribuez toutes sortes de pouvoirs surnaturels. Parlez-lui, faites disparaître l’envoûtement.

Hamer secoua une nouvelle fois la tête sans rien dire.

— Vous ne voulez pas non plus ? fit Seldon. Pourquoi ?

— Parce que j’ai peur, répondit le milliardaire presque à voix basse.

Seldon eut un mouvement d’impatience :

— N’accordez pas à tout cela une signification exagérée. Par exemple, cet air qui a marqué le début de votre envoûtement, à quoi ressemble-t-il ?

Hamer le fredonna. Le visage de Seldon prit une expression étonnée :

— Cela ressemble un peu à l’ouverture de Rienzi. Il y a quelque chose d’entraînant, comme si cet air avait, comment dire… des ailes. Seulement, moi, je ne quitte pas la terre. Vos « envolées » sont-elles toujours pareilles ?

— Oh, non ! (Hamer se pencha en avant.) Elles prennent régulièrement de l’ampleur, et chaque fois ma vision s’en trouve élargie. C’est difficile à expliquer. J’ai toujours conscience à un moment donné que j’atteins un certain degré où la musique m’emporte. Pas d’un seul coup, mais par une succession de vagues dont chacune monte plus haut que la précédente. Et cela, jusqu’à un endroit que l’on ne peut dépasser. J’y reste quelques instants avant d’être ramené en arrière. En réalité, il ne s’agit pas vraiment d’un endroit mais plutôt d’une sorte d’état d’âme. Je ne l’ai pas compris dès le début, mais, au bout d’un certain temps, j’ai commencé à m’apercevoir que j’étais entouré d’autres images, lesquelles semblaient attendre que je sois capable de les voir. Imaginez un tout petit chat : il a des yeux bleus, mais au début il ne peut rien voir parce qu’il est aveugle et doit apprendre à regarder. Il en a été de même pour moi : mes yeux et mes oreilles d’homme ne me servaient à rien, mais il existait un sens qui leur correspondait. Et ce sens n’avait pas été développé parce qu’il n’avait rien de terrestre. Petit à petit, ça s’est amplifié. J’ai eu la sensation de la lumière, puis du son, enfin de la couleur. Tout cela était très vague ; je sentais l’existence des objets, mais je ne les voyais pas ni ne les entendais. Ensuite, j’ai d’abord aperçu une lumière qui est devenue plus forte et plus nette. Puis de grandes étendues de sable rouge çà et là, et de longues lignes droites qui faisaient penser à des canaux.

Seldon, dont l’attention grandissait, intervint :

— Des canaux ? Continuez, c’est très intéressant.

— Pourtant, cela n’avait aucune importance et ne comptait déjà plus. Ce qui importait, c’était les objets que je ne voyais pas encore mais que je percevais instinctivement. J’entendais un bruit qui ressemblait à des battements d’ailes. Des ailes qui étaient, sans que je puisse vraiment les voir, magnifiques. Rien de comparable ici-bas. Alors, j’ai continué à avancer et je les ai vues enfin. Les ailes !… Oh ! Seldon, les ailes !…

— Mais qu’était-ce donc ? Des hommes ? Des anges ? Des oiseaux ?

— Je ne sais pas, je ne les distinguais pas encore très bien. Mais leur couleur… Oh ! cette couleur ! Il n’y a rien de pareil sur la terre.

— À quoi ressemblait cette couleur ? insista Seldon. De quoi se rapprochait-elle le plus ?

Hamer fit un geste d’impatience :

— Comment pourrais-je vous la décrire ? Autant essayer d’expliquer la couleur bleue à un aveugle. Cette couleur d’aile, vous ne l’avez jamais vue.

— Et ensuite, que s’est-il passé ?

— C’est tout. Je ne suis pas allé plus loin. Mais chaque fois le retour était plus douloureux. Je ne parviens pas à comprendre pourquoi car je suis sûr que mon corps ne quitte pas le lit. Et, à l’endroit où j’arrive, je sais qu’il n’y a aucune présence réelle. Alors pourquoi est-ce aussi douloureux ?

Seldon hocha la tête sans répondre. Hamer reprit :

— Le retour est affreusement pénible. Cette sensation d’être tiré en arrière qui s’accompagne d’une douleur dans chaque membre, chaque nerf… J’ai l’impression que mes oreilles vont éclater. Et puis vient l’atroce sentiment de pesanteur, d’oppression, comme si j’étais en prison. Pourtant je ne rêve que d’air, de lumière, d’espace. D’espace surtout, pour pouvoir respirer. Je veux être libre !

— Et que deviennent les autres sensations auxquelles vous accordiez jusque-là tant d’importance ?

— C’est bien là le pire : j’y tiens autant, si ce n’est plus qu’auparavant. Et tout – le confort, le luxe, le plaisir – me paraît livrer combat sans relâche contre l’influence des ailes… Je me demande comment tout cela va finir.

Le médecin garda le silence. Le récit qu’il venait d’écouter était fantastique. S’agissait-il d’une illusion, d’une hallucination sans fondement logique, ou bien ce qu’il contenait était-il réel ? Dans ce cas, pourquoi était-ce Hamer précisément qui avait été choisi ? Lui, le matérialiste qui ne jurait que par ce qu’il pouvait toucher, aurait dû être le dernier à voir les images d’un autre monde.

Hamer observait le psychiatre avec angoisse, attendant une réponse. Au bout d’un moment, Seldon dit avec embarras :

— Il vous faut patienter… voir ce qui va se passer maintenant.

— C’est impossible. Je vous répète que je ne peux pas, et ce que vous venez de me dire prouve que vous ne me comprenez pas. Cette lutte épouvantable me déchire. Cette bataille entre… entre…

Hamer cherchait désespérément ses mots. Son regard, perdu dans le vague, était chargé de tristesse. Enfin il reprit :

— Je ne sais pas comment décrire ce phénomène. Mais ce que je sais en tout cas, c’est que la situation est insupportable et que je n’arrive pas à me libérer.

Seldon secoua la tête. Il se sentait aux prises avec l’inexplicable. Il fit une dernière suggestion :

— Si j’étais vous, j’essayerais de retrouver cet infirme.

Mais tout en regagnant son domicile ce soir-là, il se murmurait à lui-même : « Des canaux !… Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ?… »

Le lendemain matin, Silas Hamer sortit de chez lui d’un pas plus assuré. Il s’était décidé à suivre le conseil de Seldon et à se mettre en quête de l’infirme. Pourtant il était certain d’avance que ses recherches seraient vaines, car l’intéressé devait avoir disparu aussi complètement que si la terre l’avait englouti.

Les bâtiments sombres qui bordaient la ruelle avaient l’air sinistre et mystérieux. En un seul endroit, à mi-chemin, il y avait un trou dans un mur, et cette ouverture laissait passer un rayon de lumière dorée qui éclairait quelqu’un assis par terre… Oui, c’était bien lui : l’infirme ! Ayant posé ses béquilles contre le mur, à côté de son instrument de musique, il était en train de couvrir la pierre de dessins avec des craies de couleur. Il en avait déjà achevé deux qui représentaient des paysages très beaux et très délicats, avec des arbres et un étang dont l’eau semblait presque vraie.

Hamer fut repris par ses doutes. Était-ce là un simple musicien ambulant, un artiste des rues, ou quelqu’un d’autre ? Perdant soudain tout sang-froid, le milliardaire s’écria brutalement :

— Qui êtes-vous ? Pour l’amour de Dieu, dites-moi qui vous êtes !

L’infirme tourna la tête vers lui et se contenta de sourire. Hamer s’énervait de plus en plus :

— Pourquoi ne répondez-vous pas ? Parlez ! Mais parlez donc !

C’est alors qu’il s’aperçut que l’inconnu était en train de dessiner, avec une incroyable rapidité, sur une grande pierre plate. Il suivit des yeux le mouvement de la craie. Des arbres immenses prirent forme, puis, sur un rocher, il vit un homme qui jouait de la flûte. Cet homme avait un visage magnifique et des jambes de… bouc ! La main de l’infirme bougea plus vite encore. L’homme était toujours assis sur le rocher, mais les jambes de bouc avaient disparu, et ses yeux rencontrèrent ceux du milliardaire.

— Elles étaient mauvaises, dit-il.

Hamer le regarda avec stupeur, car le visage qui lui faisait face était semblable à celui du dessin ; mais il était d’une étrange beauté, comme s’il s’était purifié de tout, ne laissant place qu’à une intense joie de vivre.

Hamer se détourna et se mit à courir dans le passage pour fuir et retrouver la lumière du soleil. « C’est impossible ! » se répétait-il à haute voix. « C’est impossible ! Je suis fou, je rêve. » Mais il était hanté par le visage, et ce visage était celui du dieu Pan…

Il entra dans le parc et s’assit sur une chaise. L’endroit était presque désert. Seules, des nurses surveillaient des enfants, assises à l’ombre des arbres et, çà et là, des hommes étaient allongés dans l’herbe. L’expression « misérable vagabond » représentait pour Hamer le comble du dénuement. Mais, ce jour-là, il se mit à envier ceux auxquels elle s’appliquait. Ils lui apparaissaient maintenant comme les seuls êtres libres : ils avaient la terre sous les pieds, le ciel au-dessus de la tête, le monde entier pour se promener. Ils n’étaient ni captifs ni enchaînés.

Puis tout à coup, en un éclair, il comprit ce qui l’attachait à la terre et à quoi il tenait tellement : la fortune. Il l’avait considérée comme sa force, sa puissance, et à présent il mesurait pleinement les conséquences de son choix : c’était son argent qui l’emprisonnait…

Était-ce bien cela ? N’y avait-il pas par hasard une vérité profonde qu’il n’avait peut-être pas encore su discerner ? S’agissait-il de l’argent lui-même ou bien de l’amour qu’il lui portait ? Il était garrotté par des liens qu’il s’était lui-même créés, et qui n’étaient pas la fortune à proprement parler mais le culte qu’il lui vouait.

Il voyait maintenant très clairement les deux forces antagonistes qui l’écartelaient : d’un côté le matérialisme sur lequel il avait fondé sa vie ; de l’autre son adversaire, l’Appel impérieux des Ailes. Or, si l’une combattait, l’autre refusait l’affrontement direct. Elle ne voulait pas s’abaisser à combattre et préférait appeler, appeler sans cesse. Et Hamer l’entendait, cette voix. Si nettement même qu’il croyait presque en distinguer les paroles. « Vous ne pouvez pactiser avec moi », semblait-elle lui dire, « car je suis supérieure à vous. Si vous me suivez, il faut renoncer à tout le reste et briser les chaînes qui vous rattachent à la matière, car seuls les hommes libres vous conduiront où je vais. »

— Je ne peux pas ! cria Hamer. Je ne peux pas !

Quelques personnes dans le parc se retournèrent pour regarder cet original qui parlait tout seul.

Donc on lui demandait un sacrifice, et, qui plus est, le sacrifice de ce qui lui était le plus cher et formait comme partie intégrante de lui-même. Une partie intégrante… Il se souvint de l’homme sans jambes.

— Mon dieu, qu’est-ce qui vous amène ici ? interrogea Borrow.

De toute évidence, la présence de Hamer détonnait un peu dans la paroisse dont s’occupait son ami, au fin fond de ce quartier perdu de Londres.

Le milliardaire sourit :

— J’ai écouté de nombreux sermons qui expliquaient comment il fallait agir quand on disposait d’une fortune, et je suis venu vous dire : « Vous aussi, vous allez désormais être riche. »

— Voilà qui est très généreux de votre part, répondit Borrow, quelque peu surpris. Une grosse souscription, peut-être ?

Hamer eut un rire bref :

— Je crois plutôt que je vais vous donner jusqu’à mon dernier penny.

— Quoi ?

Hamer expliqua son projet sur un ton très assuré. Borrow n’en revenait pas :

— Vous voulez dire que vous allez faire don de toute votre fortune pour venir en aide aux pauvres du quartier ? Et que je serai chargé de la gérer ?

— C’est bien ça.

— Mais pourquoi ? Pourquoi ?

— C’est impossible à expliquer vraiment, dit Hamer lentement. Vous souvenez-vous de notre conversation, en février dernier, au sujet des visions ? Eh bien, une vision me hante, voilà tout.

— C’est magnifique ! s’écria Borrow dont les yeux s’étaient illuminés.

Hamer fit un geste de la main :

— Il n’y a rien là de magnifique, vous savez. Peu m’importe la pauvreté qui règne dans ce quartier : les gens n’ont besoin que d’argent. J’ai été très pauvre, moi aussi, et je ne le suis plus. Seulement, maintenant, il est temps que je me décharge de ma fortune. Comme je ne veux pas que des sociétés avides s’en emparent, je préfère vous la confier. Nourrissez les corps et les âmes. Les premiers de préférence ; je sais de quoi je parle : j’ai eu faim, moi aussi, autrefois. Enfin, vous ferez comme vous voudrez.

Borrow balbutia :

— C’est la première fois que…

— Tout est réglé, poursuivit Hamer. Les hommes de loi ont fait leur travail, et moi, j’ai signé tous les actes. Inutile de vous dire que j’ai été très occupé depuis quinze jours. Vous savez, il est presque plus difficile de se débarrasser que d’amasser une fortune.

— Mais vous avez bien gardé quelque chose ?

— Pas un penny, dit gaiement Hamer. (Il se mit à rire 🙂 En réalité, ce n’est pas tout à fait vrai : j’ai quatre pence en poche.

Laissant son ami à sa surprise, il sortit de la maison paroissiale et emprunta une série de petites rues étroites et sordides. Les paroles qu’il venait de prononcer de façon si insouciante lui revinrent à l’esprit avec une résonance pénible : « Pas un penny… » Il n’avait rien gardé de toute sa richesse, et maintenant il avait peur. Peur de la misère, de la faim, peur du froid. La conscience du sacrifice accompli ne lui était pas douce. Pourtant il avait l’impression de ne plus sentir peser sur lui la menace permanente que sa situation impliquait jusque-là. La rupture de la chaîne l’avait déchiré, mais la vision de la liberté venait le réconforter. Ses nouveaux besoins matériels étaient évidemment susceptibles d’obscurcir l’Appel, mais non de l’anéantir. Car il se rendait compte à présent qu’il s’agissait de quelque chose d’immortel.

L’automne commençait à régner, et le vent devenait de plus en plus froid. Hamer frissonna. Puis la faim se mit à le tenailler. Il avait oublié de déjeuner, et cet événement, inhabituel jusqu’alors, le confrontait impitoyablement à l’avenir. N’était-il pas invraisemblable qu’il ait tout abandonné ? Le confort, la chaleur d’un toit… Un moment, son corps se rebella ; mais il éprouva bientôt un délicieux sentiment de liberté.

Il regarda autour de lui et hésita. Il se trouvait près d’une station de métro, avec quatre pence en poche. L’idée lui vint de s’en servir pour gagner le parc où, quinze jours auparavant, il s’était amusé à observer ceux qui profitaient de quelques moments d’oisiveté. Excepté cette résolution, il écarta tout autre projet d’avenir, car il croyait sincèrement être devenu fou. Les gens sains d’esprits n’agissent pas comme il venait de le faire. Pourtant, s’il en était ainsi, la folie était alors chose extraordinaire et merveilleuse.

Oui, il allait se rendre au parc. De plus, effectuer le voyage en métro revêtait pour lui une signification particulière, en représentant à ses yeux toute l’horreur d’une vie d’étouffement, de claustration. Quand il en sortirait, il se retrouverait au milieu de la nature et de ces arbres qui cachent la menace oppressante des agglomérations urbaines.

L’ascenseur l’emporta rapidement vers les profondeurs. L’atmosphère était lourde et triste. Hamer s’arrangea pour se tenir le plus à l’écart possible de la foule, tout au bord du quai. Sur sa gauche s’ouvrait le tunnel d’où le train allait surgir dans un instant. Il éprouvait de nouveau dans cet endroit sinistre l’atroce sensation d’oppression qu’il voulait fuir désormais. Il n’y avait personne dans les abords immédiats, hormis un jeune homme affalé sur la banquette de la station et qui paraissait ivre.

Le grondement de métro monta tout à coup dans le tunnel. Le jeune homme quitta alors son siège et se porta en titubant à la hauteur de Hamer. Là, au bord du quai, il tourna la tête dans la direction du tunnel.

Alors tout se passa si vite que la réalité même parut devenir irréelle. Le jeune homme perdit l’équilibre et bascula sur la voie. Mille pensées envahirent aussitôt Hamer. Il revoyait une masse sombre écrasée par un autobus et entendait une voix rauque qui disait : « Vous avez rien à vous reprocher, mon vieux. Vous pouviez rien faire, il était flambé… »

En un éclair, il prit conscience que lui seul pouvait sauver la vie du jeune homme, car personne d’autre n’était suffisamment proche pour intervenir. Et le train allait surgir inexorablement du tunnel…

Malgré toutes les pensées qui l’assaillaient, il se sentait d’une étonnante lucidité. Il n’avait qu’une seconde pour prendre une décision. Il savait aussi qu’il avait toujours peur de la mort, une peur épouvantable ; que l’aventure était désespérée ; et qu’il allait sacrifier inutilement deux existences.

Aux yeux des témoins de la scène qui se trouvaient à l’autre extrémité du quai, il parut n’y avoir aucun intervalle entre la chute du garçon et le bond que fit l’homme pour le rejoindre. Déjà le train débouchait du tunnel, ses freins désormais impuissants…

Hamer avait saisi le garçon dans ses bras. Il n’était poussé par aucune impulsion généreuse, et son corps tremblant ne faisait qu’obéir à la force mystérieuse qui le poussait au sacrifice. Dans un ultime effort, il rejeta le jeune homme sur le quai, mais perdit lui-même l’équilibre et retomba en arrière.

D’un seul coup sa peur s’éteignit. Le monde matériel ne le tenait plus dans son étau. Il crut un instant entendre les gais accents de la flûte de Pan, puis, plus près, plus fort, il perçut le battement joyeux d’une multitude d’ailes qui l’enveloppaient et l’emportaient…

(Traduction de Maxime Barrière.)

LA GITANE

Macfarlane avait souvent remarqué que son ami Dickie Carpenter éprouvait une étrange aversion pour les gitans. Il n’en avait jamais su la raison. Mais, lorsque furent rompues les fiançailles de Dickie avec Esther Lawes, la réserve qui caractérisait les relations entre les deux jeunes gens connut une trêve passagère.

Macfarlane connaissait les sœurs Lawes depuis l’enfance. Il était fiancé à la cadette, Rachel, et ce depuis un an environ. Lent et circonspect en toutes choses, il avait longtemps refusé de s’avouer la séduction grandissante qu’exerçaient sur lui le visage enfantin de Rachel, ses yeux marron si pleins de franchise. Elle était loin d’être une beauté comme Esther ! Mais elle possédait un je ne sais quoi d’infiniment plus sincère et plus doux. Au moment où Dickie s’était fiancé à la sœur aînée, les liens qui unissaient les deux jeunes gens semblaient s’être resserrés.

Et voilà qu’au bout de quelques semaines à peine les fiançailles étaient rompues. Dickie, le candide Dickie, en souffrait profondément. Jusqu’à présent, tout, dans sa jeune vie, s’était déroulé sans heurts. Il avait choisi de faire carrière dans la marine, ce qui lui convenait parfaitement : l’amour de la mer était chez lui inné. Lui-même tenait un peu du Viking, avec cette nature simple et directe sur laquelle les subtilités de pensée n’avaient aucune prise. Il appartenait à cette catégorie de jeunes Anglais taciturnes qui détestent toute forme d’émotion et éprouvent d’insurmontables difficultés à s’analyser.

Macfarlane, austère comme tout Écossais mais doué au fond de lui-même d’une très celtique imagination, fumait tout en écoutant son ami s’épancher en un flot de paroles. Il savait bien que Dickie viendrait auprès de lui se délester le cœur. Mais, à vrai dire, il ne s’attendait pas au tour que prit leur conversation : pour commencer, il n’avait même pas été question d’Esther Lawes ! Dickie lui racontait l’histoire d’une de ses terreurs enfantines.

— Tout a débuté par un rêve que j’avais quand jetais petit. Ce n’était pas exactement un cauchemar. Elle apparaissait – la gitane – dans n’importe quel rêve. Même dans les beaux rêves (tu sais bien, le genre de rêves que les gosses trouvent beaux : des fêtes, des bonbons et tout le reste). Je m’amusais comme un fou et puis tout à coup je sentais, je savais que si je levais les yeux elle serait là, comme toujours, les yeux fixés sur moi… Des yeux emplis de tristesse, comme si elle comprenait quelque chose que moi j’ignorais… Je ne sais pas pourquoi cela m’agitait à tel point, mais c’était ainsi ! Je me réveillais en hurlant de terreur, et ma vieille nourrice disait : « Ça y est ! Monsieur Dickie a encore rêvé de sa gitane ! »

— Et dans la réalité, tu avais déjà été effrayé par des gitanes ?

— Je n’en avais jamais vu. Ce n’est que beaucoup plus tard que j’en ai rencontré une pour la première fois. Curieuse histoire, là aussi. J’étais à la recherche d’un de mes chiots qui s’était échappé. J’étais sorti de notre jardin et je suivais un sentier dans les bois. C’était l’époque où nous habitions dans le New Forest. Je suis arrivé dans une sorte de clairière où un pont de bois enjambait une rivière. Et juste à côté du pont se tenait une gitane, avec un fichu rouge sur la tête. Comme dans mes rêves. Tu peux t’imaginer ma frayeur ! Elle me regardait… Exactement le même regard : comme si elle savait quelque chose que j’ignorais et qu’elle en était toute triste… Et puis elle m’a dit, très calmement, en hochant la tête : « Si j’étais à votre place, je n’irai pas par là. » Je suis incapable de te dire pourquoi, mais cela m’a terrorisé. Je me suis mis à courir et, passant devant elle de toute la vitesse de mes jambes, je me suis lancé sur le pont. Sans doute était-il pourri ? Toujours est-il qu’il a cédé sous mon poids et que je suis tombé dans la rivière. Le courant était assez rapide et j’ai bien failli me noyer. Horrible sensation, la noyade ! Je n’ai jamais oublié cela ! Et je me suis dit que ma mésaventure avait un rapport avec la gitane…

— Et pourtant, au fond, elle n’avait fait que te mettre en garde, non ?

— On peut interpréter cela de cette façon, oui. (Dickie se tut un instant avant de reprendre 🙂 Si je t’ai raconté toute cette histoire, ce n’est pas que cela ait un rapport quelconque avec ce qui est arrivé par la suite (du moins je ne le pense pas). Mais c’est un point de départ pour ce que je vais t’expliquer. Tu comprendras maintenant quel type de sentiment se rattache pour moi au personnage de la gitane.

« Venons-en à ma première soirée chez les Lawes. Je venais de rentrer de la côte ouest, et cela me faisait un drôle d’effet de me retrouver en Angleterre. Les Lawes étaient de vieux amis de ma famille. La dernière fois que j’avais vu les deux filles, j’avais environ sept ans, mais leur frère Arthur avait été un de mes grands copains et, depuis qu’il était mort, Esther avait pris l’habitude de m’écrire de temps en temps et de m’envoyer des journaux. Quelles belles lettres elle écrivait ! Elles me faisaient un bien immense. Que je regrettais de n’avoir pas un meilleur talent d’épistolier pour lui répondre ! L’idée de la revoir m’enthousiasmait. En même temps, c’était plutôt étrange de connaître une fille aussi bien par correspondance, sans la connaître autrement. Quoi qu’il en soit, je ne tardai pas à aller rendre visite aux Lawes. Quand je suis arrivé, Esther n’était pas là, mais elle devait rentrer le soir même. Au dîner, j’étais assis à côté de Rachel et, comme je regardais d’un bout à l’autre de la longue table, j’ai été pris d’une bizarre sensation. J’avais l’impression que quelqu’un m’observait et cela me mettait mal à l’aise. C’est alors que je l’ai vue…

— Qui ?

— Eh bien ! Mme Haworth, dont je te parle.

Macfarlane fut à un cheveu de rétorquer : « Je croyais que c’était d’Esther Lawes que tu me parlais. » Mais il s’abstint, et Dickie reprit :

— Il y avait en elle quelque chose qui la différenciait de tous les autres convives. Elle était assise à côté du vieux Lawes qu’elle écoutait gravement, la tête légèrement inclinée. Elle portait, noué autour du cou, une sorte de mouchoir de tulle rouge. L’étoffe était-elle déchirée ? En tout cas, les pointes s’en dressaient derrière sa tête comme de petites langues de feu… Je demandai à Rachel : « Qui est cette personne, là-bas ? Brune, avec un foulard rouge ? – Voulez-vous parler d’Alistair Haworth ? m’a-t-elle répondu. Elle a un foulard rouge, mais elle est blonde, très blonde. »

« Effectivement. Ses cheveux étaient d’un ravissant or jaune pâle. Et cependant j’aurais pu jurer qu’elle était brune. C’est étonnant, comme les yeux peuvent parfois vous jouer des tours… Après le dîner, Rachel nous a présentés et nous sommes sortis faire quelques pas dans le jardin, en parlant de réincarnation…

— Voilà qui ne te ressemble guère, Dickie !

— C’est possible. Je me rappelle lui avoir dit que cela me semblait la manière la plus convaincante d’expliquer le phénomène par lequel on croit parfois reconnaître certaines personnes que l’on n’a jamais vues. Elle a dit : « Vous voulez parler des amoureux… » Elle a prononcé ces mots d’une façon étrange – avec un mélange de douceur et de passion. Cela m’a rappelé quelque chose… et je n’ai pas pu déterminer quoi. Nous avons continué à bavarder pendant quelques instants, puis le vieux Lawes nous a hélés de la terrasse : Esther était rentrée et demandait à me voir. Mme Haworth a posé la main sur mon bras et m’a dit : « Vous rentrez ? – Oui, ai-je répondu, je pense que cela vaut mieux. » Et alors… alors…

— Eh bien ?

— Cela semble tellement idiot… Mme Haworth m’a dit : « Si j’étais à votre place, je ne rentrerais pas… » (Il s’interrompit un moment.) J’ai pris peur. Terriblement peur. C’est pour cela que j’ai commencé par te raconter mon rêve… tu comprends, elle m’a dit cela exactement de la même façon. Calmement, comme si elle savait quelque chose qui m’échappait. Ce n’était pas tout simplement une jolie femme qui cherchait à me retenir au jardin. Il n’y avait que de la gentillesse dans sa voix – et une grande tristesse. Presque comme si elle savait ce qui allait se passer… Je me suis montré très grossier : j’ai tourné les talons et je l’ai plantée là, et je suis retourné vers la maison en courant presque. Il me semblait que c’était là mon salut. En même temps, je réalisais qu’elle m’avait inspiré dès le premier instant une certaine crainte. C’est avec soulagement que j’ai retrouvé le vieux Lawes. Esther était à ses côtés… (Dickie hésita une seconde, puis marmonna sombrement 🙂 Cela n’a pas fait un pli. À la minute précise où je l’ai vue, j’ai su que c’en était fait de moi.

L’esprit de Macfarlane s’envola vers Esther Lawes. Il l’avait un jour entendu décrire comme « un mètre quatre-vingts de perfection juive ». Pas mal campé, comme portrait, se dit-il en songeant à la taille inhabituellement élevée de la jeune fille, à sa sveltesse souple et déliée, à la blancheur marmoréenne de son visage au nez délicatement busqué, à la splendeur de ses yeux et de ses cheveux de jais. Il n’y avait rien d’étonnant à ce que le cœur encore adolescent de Dickie ait capitulé, reconnut-il. Quant à lui-même, Esther n’eût jamais pu faire battre son sang – mais il devait bien admettre qu’elle était éblouissante.

— Et nous nous sommes fiancés, concluait Dickie.

— Tout de suite ?

— Au bout d’une semaine, environ. Et il lui a fallu une quinzaine de jours pour découvrir qu’au fond elle ne tenait guère à moi. (Il éclata d’un petit rire amer et bref.) C’était mon dernier soir avant de rallier le navire. Je rentrais du village en passant par les bois, et tout à coup je l’ai vue, elle ! – Mme Haworth, je veux dire. Elle portait un béret rouge et – l’espace d’un instant, bien sûr – j’ai eu peur. Nous avons fait route ensemble pendant un moment. Ne te méprends pas, nous n’avons pas dit un seul mot qu’Esther n’eût pu entendre…

— Vraiment ? dit Macfarlane en fixant son ami avec curiosité. C’est étrange, comme les gens vous disent des choses dont ils sont eux-mêmes inconscients !

— Ensuite, au moment où j’allais reprendre le chemin de la maison, elle m’a arrêté. Et elle m’a dit : « Vous arriverez toujours assez tôt là-bas. Si j’étais à votre place, je ne me hâterais pas… » À ce moment-là, j’ai su que quelque chose d’affreux m’attendait à la maison, et… quand j’y suis arrivé, Esther est venue vers moi et m’a dit… qu’au fond elle ne tenait pas tellement à moi…

Macfarlane émit un soupir compatissant.

— Et Mme Haworth ? demanda-t-il.

— Je ne l’ai plus jamais revue… jusqu’à ce soir.

— Ce soir ?

— Oui. À la clinique. Je suis allé faire examiner ma jambe, tu sais, celle qui a été blessée par cette torpille. Elle me fait un peu mal, ces derniers temps. Le toubib veut opérer – une petite intervention très simple, sans plus. Quand je suis sorti de la clinique, je me suis trouvé nez à nez avec une infirmière qui portait un chandail rouge par-dessus son tablier, et elle m’a dit : « Si j’étais à votre place, je ne ferais pas faire cette opération… » Et j’ai vu que c’était Mme Haworth. Mais elle a continué son chemin si rapidement que je n’ai pas pu l’arrêter. J’ai rencontré une autre infirmière et je l’ai interrogée à son sujet : mais elle m’a répondu qu’il n’y avait personne de ce nom-là à la clinique… C’est bizarre…

— Tu es sûr que c’était elle ?

— Oh, oui ! Tu vois, elle est très belle, et… (Il s’interrompit et ajouta 🙂 Je vais me faire opérer, évidemment, mais… Si jamais je devais vraiment y passer…

— Foutaises !

— Je sais bien que ce sont des foutaises. Mais, malgré tout, je suis content de t’avoir raconté cette histoire… Tu sais, ce n’est pas tout – si seulement je pouvais me souvenir…

La route grimpait ferme, au milieu d’un paysage de lande. Peu avant la crête de la colline, Macfarlane s’arrêta devant l’entrée d’une maison. Serrant les dents, il sonna.

— Mme Haworth est-elle là ?

— Oui, monsieur. Je vais la prévenir.

La femme de chambre l’abandonna dans une vaste chambre basse dont les fenêtres donnaient sur la lande sauvage et désolée. Il se rembrunit. Était-il sur le point de se ridiculiser de la plus belle manière ?

Brusquement, il sursauta. Une voix grave chantait dans la pièce au-dessus :

Elle vit dans la lande,

La gitane…

Le chant s’interrompit. Le cœur de Macfarlane se mit à battre plus vite. La porte s’ouvrit.

Sa blondeur étonnante, presque Scandinave, le heurta de plein front. Malgré la description que lui en avait faite Dickie, il l’avait imaginée noiraude… Les paroles de Dickie lui revinrent brusquement en mémoire, ainsi que le ton si particulier sur lequel il les avait prononcées : « Tu vois, elle est très belle… » La beauté parfaite et incontestable est une chose extrêmement rare. C’est cette beauté-là que possédait Alistair Haworth : parfaite, incontestable.

Il se ressaisit et s’avança vers elle.

— Vous ne me connaissez ni d’Ève ni d’Adam. Ce sont les Lawes qui m’ont donné votre adresse. Mais… Je suis un ami de Dickie Carpenter.

Elle l’examina pendant une ou deux minutes. Puis :

— J’allais sortir, dit-elle. Dans la lande. Voulez-vous m’accompagner ?

Ouvrant une porte-fenêtre, elle sortit à flanc de colline. Il lui emboîta le pas. Un homme massif à l’air obtus fumait, assis dans un fauteuil d’osier.

— Mon mari, dit-elle. Maurice, nous allons nous promener dans la lande. Après quoi, M. Macfarlane restera avec nous pour le déjeuner. C’est entendu, n’est-ce pas, monsieur Macfarlane ?

— Avec grand plaisir, je vous en remercie.

Elle se mit à gravir la colline d’une foulée élastique. Il la suivait en songeant : « Pourquoi ? Pourquoi, au nom du ciel, avoir épousé ça ? »

Alistair se dirigea vers des rochers.

— Asseyons-nous ici. Et dites-moi… ce que vous êtes venu m’annoncer.

— Vous saviez ?

— Je sais toujours quand un malheur approche. C’est une mauvaise nouvelle que vous m’apportez, n’est-ce pas ? Au sujet de Dickie ?

— Il a dû subir une opération bénigne qui s’est très bien passée. Mais il a sans doute eu une faiblesse cardiaque. L’anesthésie lui a été fatale.

Que s’attendait-il à voir sur son visage, il ne le savait pas très bien lui-même, mais en tout cas pas cet air de lassitude extrême, éternelle… Il l’entendit murmurer quelques mots :

— De nouveau… attendre… si longtemps… si longtemps…

Puis elle leva les yeux :

— Oui, qu’alliez-vous dire ?

— Seulement ceci. Quelqu’un lui avait déconseillé cette opération. Une infirmière. Il a cru vous reconnaître. Était-ce vous ?

Elle secoua la tête.

— Non, ce n’était pas moi. Mais j’ai une cousine qui est infirmière. Dans la pénombre elle me ressemble un peu. Je crois pouvoir dire que ce devait être elle. (Elle leva de nouveau le regard vers lui.) Cela n’a pas d’importance, n’est-ce pas ? (Tout à coup, ses yeux s’écarquillèrent, elle inspira profondément.) Oh ! dit-elle. Oh ! Comme c’est drôle ! Vous ne comprenez pas…

Macfarlane demeurait interdit. Elle ne le quittait pas des yeux.

— Je croyais que vous compreniez… Vous devriez, il me semble que vous l’avez, vous aussi…

— Que j’ai quoi ?

— Le don… La malédiction, appelez cela comme vous voudrez. Je crois que vous l’avez. Regardez intensément ce creux-là, dans le rocher. Ne pensez à rien, contentez-vous de regarder… Ah ! dit-elle en le voyant sursauter presque imperceptiblement. Eh bien ! Avez-vous vu quelque chose ?

— Ce doit avoir été mon imagination. L’espace d’une seconde, j’ai cru le voir rempli de… sang !

Elle acquiesça.

— Je savais bien que vous l’aviez. Nous nous trouvons à l’endroit où les antiques peuplades qui adoraient le soleil sacrifiaient leurs victimes. J’ai su cela avant que quiconque ne m’en parle. El il m’arrive quelquefois de sentir ce que ces gens éprouvaient lors de ces sacrifices… presque comme si j’y assistais moi-même… Et il y a dans la lande quelque chose qui me donne la sensation de me retrouver chez moi… En fait, il n’y a rien d’étonnant à ce que je possède le don. Je suis une Ferguesson. Il y a de nombreux cas de double vue dans la famille. Ma mère était médium jusqu’à son mariage. Elle s’appelait Cristine. Elle était très célèbre.

— Ce que vous appelez « le don », c’est le pouvoir de voir les choses avant qu’elles n’arrivent ?

— Oui. Vers le passé ou vers l’avenir, cela revient au même. Ainsi, par exemple, j’ai vu que vous vous demandiez pourquoi j’avais épousé Maurice. Mais si, ne niez pas ! C’est simplement parce que je sais depuis toujours que quelque chose d’épouvantable le menace… J’ai voulu le faire échapper à ce destin… Les femmes sont toutes comme cela. Grâce à mon don, je devrais pouvoir empêcher que cela ne se réalise… pour autant que cela soit possible… Je n’ai pas su protéger Dickie. Et puis Dickie ne comprenait pas… Il avait peur. Il était tellement jeune.

— Vingt-deux ans.

— Et j’en ai trente. Mais ce n’est pas cela que je voulais dire. Il y a tant de façons d’être séparés… Mais être séparés par le temps, voilà qui est plus affreux que tout.

Elle sombra dans un long mutisme mélancolique.

De la maison monta soudain l’appel cuivré d’un gong qui les tira de leur rêverie.

Pendant le déjeuner, Macfarlane observa Maurice Haworth. De toute évidence, il était follement amoureux de sa femme. On voyait luire dans ses yeux l’aveugle et béate tendresse des chiens fidèles. Macfarlane remarqua également l’attitude affectueuse, maternelle, par laquelle elle répondait. Le repas terminé, il prit congé.

— Je suis à l’auberge pour un jour ou deux. Puis-je revenir vous voir ? Demain, peut-être ?

— Bien sûr. Mais…

— Mais quoi ?

Elle se passa rapidement la main sur les yeux.

— Je ne sais pas. Je… je croyais que nous ne nous reverrions plus, c’est tout… Au revoir.

Il redescendit la route avec lenteur. Malgré lui, il lui semblait sentir une main glacée lui étreindre le cœur. Elle n’avait pourtant rien dit, mais…

Un moteur surgit de derrière le coin. Il s’aplatit contre la haie… il n’était que temps ! Une pâleur grisâtre lui envahit le visage…

— Bon sang, mes nerfs sont dans un état épouvantable, grommela Macfarlane en s’éveillant le lendemain.

Il passa froidement en revue les événements de la veille. La voiture, tout d’abord, puis le raccourci qu’il avait pris pour rejoindre l’auberge et où, surpris par un brouillard subit, il s’était égaré à proximité d’un dangereux marécage. La mitre de cheminée qui était tombée du toit de l’auberge. L’odeur de brûlé, au milieu de la nuit, provenant d’une escarbille qui était tombée sur le tapis devant le foyer. Tout cela n’était rien ! Rien, absolument rien… n’étaient les quelques mots qu’elle avait laissé échapper et la conviction qu’il avait, intime encore que non avouée, qu’elle savait…

Il repoussa ses couvertures avec une énergie soudaine. Il fallait qu’il se lève, qu’il aille la voir avant toute chose. Cela briserait le charme. Du moins, s’il arrivait sain et sauf jusque-là… Seigneur, quelle folie !

Au petit déjeuner, il ne put avaler grand-chose. Sur le coup de 10 heures, il se mettait en route. À 10 heures et demie, il posait le doigt sur la sonnette. Alors, et alors seulement, il s’accorda un long soupir de soulagement.

— Mme Haworth est-elle là ?

C’est la même femme de chambre âgée qui lui avait ouvert la veille. Mais ses traits étaient ravagés par le chagrin.

— Oh ! monsieur ! Oh, monsieur ! Alors, vous n’êtes pas au courant ?

— Au courant de quoi ?

— C’est son tonique. Elle en prenait tous les soirs. Ce pauvre monsieur est dans tous ses états. Il est presque fou de douleur. Il s’est trompé de bouteille, dans le noir… On a fait venir le médecin, mais il était déjà trop tard…

Aussitôt résonnèrent dans l’esprit de Macfarlane les paroles qu’elle avait prononcées : « Je sais depuis toujours que quelque chose d’épouvantable le menace. Je devrais pouvoir empêcher que cela ne se réalise… pour autant que cela soit possible… » Ah ! Mais on ne va pas à l’encontre du Destin… Étrange fatalité de cette vision qui a détruit ce qu’elle cherchait à sauver…

La vieille servante poursuivit :

— Ma jolie brebis ! Elle qui était si douce, si gentille ! Et qui se désolait toujours pour ceux qui étaient en difficulté ! Elle ne supportait pas de voir souffrir quelqu’un. (Elle hésita, puis reprit 🙂 Voulez-vous monter la voir, monsieur ? Vous la connaissiez depuis longtemps, d’après ce que j’ai compris. Depuis très longtemps, même, qu’elle disait…

Macfarlane monta à l’étage à la suite de la vieille femme. Elle l’introduisit dans la chambre qui se trouvait au-dessus du salon et d’où il avait entendu chanter, la veille. Le haut des fenêtres était décoré de vitraux qui projetaient une lumière rouge sur la tête du lit… Une gitane avec un fichu rouge sur la tête… Absurde. Ses nerfs lui jouaient de nouveau des tours. Longuement, il contempla pour la dernière fois Alistair Haworth.

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