Le Prophète au manteau vert

Chapitre 12Les quatre missionnaires commencent à y voir clair

 

Un spasme d’incrédulité, un profondsoulagement, et cette joie aiguë qui vient d’une violente réaction,se succédèrent brusquement dans mon esprit. J’émergeai tout à coupd’eaux très troublées pour me trouver dans un calme incroyable. Jeme laissai tomber dans le fauteuil le plus proche et essayai delutter avec quelque chose qui dépassait la parole.

– Sandy, dis-je dès que j’eus retrouvé marespiration, vous êtes le diable incarné ! Vous nous avezterrifiés, Peter et moi !

– C’était la seule façon d’agir, Dick. Sije n’avais pas couru à vos trousses hier soir en miaulant comme unmatou, Rasta vous aurait cueilli bien avant que vous ne soyezparvenus à votre hôtel. Ah ! vous m’en avez donné du fil àretordre, vous deux ! Et cela n’a pas été facile de vousamener ici. Mais tout cela, c’est fini. Mettez-vous à l’aise, mesenfants.

– Fini ! m’écriai-je d’un tonincrédule, car j’avais de la difficulté à rassembler mes idées.Quel est donc cet endroit ?

– Mon humble demeure, ne vous déplaise,dit la voix douce de Blenkiron. Nous avions tout préparé pour vousrecevoir, major, mais hier seulement j’ai entendu parler de votreami.

Je présentai Peter.

– Ravi de vous rencontrer, monsieurPienaar, dit Blenkiron. Eh bien, comme je vous disais, vous serezen toute sécurité ici, mais vous l’avez échappé belle.Officiellement, un Hollandais appelé Brandt allait être arrêté cetaprès-midi et remis aux autorités allemandes. Lorsque l’Allemagnes’inquiétera de ce Hollandais, elle aura quelque difficulté à seprocurer son corps. Telles sont les mœurs du despotismeoriental ! En attendant, le Hollandais disparaîtra. À minuit,il cessera d’exister sans la moindre douleur.

– Je ne vous comprends pas,bredouillai-je. Qui nous a donc arrêtés ?

– Mes hommes, répondit Sandy. Nousdisposons de quelque influence ici, et il n’a pas été difficiled’arranger votre arrestation. Demain, le vieux Moellendorff viendraflairer autour de cette affaire, mais le mystère sera trop profondpour lui. Voilà l’avantage d’un gouvernement d’aventuriers. Maispar le ciel ! Dick, il n’y avait pas de temps à perdre. Vousétiez frits si Rasta ou les Allemands vous avaient cueillis. J’aipassé quelques heures agitées ce matin.

Tout cela me dépassait. Je regardai Blenkironqui battait le jeu de cartes avec son vieux sourire paresseux, puisje contemplai Sandy, costumé en bandit de mélodrame, son maigrevisage brun comme une noix, ses bras tatoués de cercles rouges, lapeau de renard cachant ses sourcils et ses oreilles. Peter nesoufflait mot, mais ses yeux étaient lourds de pensées.

Blenkiron se hissa sur ses pieds et se dirigeavers une armoire.

– Vous devez avoir faim, mes garçons,dit-il. Mon duodénum m’a fait diablement souffrir, commed’habitude, et je ne mange pas plus qu’un écureuil. Pourtant, j’aifait quelques provisions, car je devinais que vous auriez del’appétit après vos pérégrinations.

Il tira de l’armoire deux pâtés de Strasbourg,un fromage, un poulet froid, du pain et trois bouteilles dechampagne.

– Du champagne ! s’écria Sandy,ravi. Du Heidsieck extra-sec ! Dick ! Nousavons de la veine !

Je n’ai jamais fait un meilleur repas, carnous avions jeûné dans cet affreux hôtel. Mais j’éprouvais toujoursle sentiment d’être poursuivi, et avant de m’attabler, je m’assuraique la porte était bien gardée.

– Ne t’inquiète pas, dit Sandy, meshommes veillent sur l’escalier et à la grille. Nul n’oseraits’approcher d’un endroit gardé par le Metreb. Ton passé est effacé,Dick ; dès demain, tu commences une page nouvelle de ta vie.Il en faut remercier Blenkiron. Il était à peu près certain que turéussirais à arriver ici, mais il était également certain que tuarriverais à la hâte, ayant soulevé sur ton passage nombred’enquêtes ! Alors, il a tout arrangé pour que tu puissestroquer ton identité contre une autre.

– Vous vous appelez désormais RichardHanau, dit Blenkiron. Vous êtes né à Cleveland (Ohio), de père etmère allemands. Vous êtes un de nos ingénieurs les plus cotés et laprunelle des yeux du vieux Guggenheim. Vous êtes arrivé cetaprès-midi de Constanza, et je vous ai rencontré au débarcadère.Vous trouverez les costumes nécessaires pour votre nouveau rôledans votre chambre à coucher. Mais tout cela peut attendre. Je suispressé d’arriver aux faits. Nous ne sommes pas ici pour notreplaisir, major. Nous n’allons donc pas nous étendre sur vosaventures. Je meurs d’envie de les connaître, mais ce sera pourplus tard. Je veux d’abord savoir si nous avons réussi dans nosenquêtes mutuelles.

Il me tendit un cigare, ainsi qu’à Peter, etnous nous installâmes dans des fauteuils devant le feu. Sandys’accroupit, les jambes croisées sous lui, sur le tapis devant lefeu, et alluma une ignoble vieille pipe qu’il tira d’un repli parmises fourrures. Alors commença cette conversation à laquelle j’avaispensé constamment pendant les quatre semaines agitées que je venaisde passer.

– Si je prends le premier la parole, ditBlenkiron, c’est parce que je crois que mon histoire est la pluscourte. Messieurs, je dois vous avouer que je n’ai pas réussi.

Il prit une expression désolée, à la foiscomique et triste.

– Voyons, si vous cherchiez un objet aupied d’une haie, il n’est guère probable que vous parcourriez laroute dans une auto de courses. Vous essayeriez encore moinsd’obtenir du haut d’un aéroplane une vue à vol d’oiseau de l’objetque vous recherchez. Eh bien ! cette parabole s’adapteparfaitement à mon cas. J’ai été dans les nuages. J’ai grillé surles pics, et, pendant tout ce temps, ce que je cherchais setrouvait dans le ruisseau… Alors, naturellement, je ne l’ai pas vu…J’ai suivi la mauvaise voie, major. Je me suis baladé à traverstoute l’Europe, comme un véritable cirque Barnum, fréquentantgénéraux et Altesses. Il est vrai que j’ai recueilli au passage pasmal de renseignements et que j’ai obtenu quelques éclaircissementsfort intéressants sur la haute politique. Mais je n’ai pas trouvéce que je cherchais, car ceux qui le savaient n’allaient pas me ledire. Dans cette société, ils commencent à s’enivrer et à êtredisposés aux confidences à partir du dixième cocktail. Donc, je nesaurais apaiser les inquiétudes de sir Walter Bullivant qu’en luidisant qu’il est dans le vrai. Oui, messieurs, il a parfaitementraison. On est en train de lancer, dans cette partie du monde, unevaste affaire miraculeuse, mais ceux qui en sont les instigateursn’en soufflent mot.

Blenkiron s’interrompit pour allumer un autrecigare. Il était plus maigre qu’en quittant Londres, et des pochessous ses yeux semblaient indiquer que son voyage n’avait pas étéaussi facile qu’il aimait à nous le faire croire.

– J’ai découvert une chose, reprit-il.J’ai découvert que la dernière illusion à laquelle l’Allemagneconsentira à renoncer, c’est au contrôle de l’Orient. Elle céderala Belgique, l’Alsace-Lorraine et la Pologne, mais elle ne céderajamais la route menant en Mésopotamie à moins qu’on ne la prenne àla gorge et qu’on ne l’y force ! Sir Walter voit loin et ilvoit clair. Au pis-aller, le Kaiser jettera une énorme quantité delest en Europe, afin que les Alliés paraissent remporter une grandevictoire, mais tant qu’il tient la route de l’Orient, il ne serapas battu. L’Allemagne ressemble à un scorpion. Son poison est danssa queue, et cette queue s’étend jusqu’en Asie. J’ai tiré ça auclair, et je me suis assuré que la Turquie lui donne bien desinquiétudes, comme vous allez vous en rendre compte. Maisl’Allemagne prétend qu’elle saura la manœuvrer. Et je ne dis pas lecontraire. Tout dépend de son jeu : elle le considèreexcellent. J’ai essayé de me renseigner à ce sujet, mais on m’aéconduit. J’ai dû faire semblant d’être satisfait, car ma situationn’était pas assez solide pour me permettre de prendre des libertés…Si je parlais à un haut personnage, il prenait un air profond et mevantait la puissance militaire de l’Allemagne, l’organisationallemande et l’état-major allemand. Je hochais la tête et memontrais enthousiaste. Mais je sais ceci : l’Allemagne a ungros atout en réserve. Je ne saurais dire lequel. Dieu fasse quevous soyez plus fins que moi !

Son ton était mélancolique et je m’en réjouisun peu. Blenkiron était le professionnel disposant de toutes leschances. Ce serait une bonne farce si l’amateur triomphait là oùl’expert n’avait pu réussir !

Je regardai Sandy. Il remplit sa pipe,repoussa le bonnet de fourrure, et à le voir ainsi avec ses longscheveux en désordre, son visage aux pommettes hautes et sessourcils teints, on eût juré quelque mollah fanatique.

– Je suis allé directement à Smyrne,commença-t-il. Ce n’était pas difficile, car j’avais posé pas malde jalons pendant mes précédents voyages. J’arrivai dans cetteville sous le déguisement d’un usurier grec de Fayoum. Mais j’ytrouvai des amis sur lesquels je pouvais compter, et le soir même,j’étais devenu un romanichel turc, membre de la plus célèbreconfrérie de l’Asie occidentale. J’en faisais partie depuis fortlongtemps déjà, et je suis même frère de sang du grand chef, desorte qu’il me fut facile de jouer ce rôle. Mais je découvris quela Compagnie des Heures Roses n’était plus ce qu’elle avait été en1910, lorsque je la fréquentais. Alors, elle soutenait lesJeunes-Turcs et les réformes ; aujourd’hui, elle soupire aprèsle vieux régime et elle représente le dernier espoir desorthodoxes. Elle n’a que faire d’Enver et de ses amis, et considèresans nul plaisir les beaux yeux du Teuton. La Compagnie des HeuresRoses soutient l’Islam et les vieilles traditions. C’est en sommele parti conservateur nationaliste. Elle est extrêmement puissantedans les provinces, et ni Enver ni Talaat n’ont osé y toucher. Cequ’il y a de particulièrement dangereux, c’est qu’elle ne soufflemot et ne fait rien en apparence. Elle attend le moment propice etse renseigne.

» Vous pouvez vous imaginer que c’étaitprécisément le milieu qui me convenait pour mon but. Je connaissaisles rites, car malgré son orthodoxie, la Compagnie se mêle bien unpeu de magie et doit une grande partie de sa puissance àl’atmosphère de mystère dont elle s’entoure. Les Compagnons saventdanser de façon à enchanter le Turc ordinaire. Vous avez eu unéchantillon de nos danses cet après-midi, Dick. C’était assezréussi, n’est-ce pas ? Les Compagnons sont partout, on ne leurpose nulle question. Ils savent ce que pense l’homme ordinaire, carils forment un excellent service de renseignements, meilleur mêmeque le Khafiyehr d’Enver Pacha. Ils sont aussi très populaires, nes’étant jamais courbés devant les Nemseh, les Allemands, quipressurent jusqu’à la dernière goutte de sang des Osmanlis pourarriver à leurs propres fins. C’eût été un grand coup pour lecomité et ses maîtres allemands, s’ils avaient pu mettre la mainsur nous, car nous nous tenions collés l’un à l’autre comme dessangsues, et nous n’avions pas l’habitude de reculer devant lesdétails.

» Eh bien ! je n’éprouvai aucunedifficulté à aller où je voulais, comme vous pouvez bien vousl’imaginer. Mon costume et le mot de passe m’ouvraient toutes lesportes. Je me rendis à Smyrne par la nouvelle voie ferrée allant àPanderma, sur la mer de Marmara, et j’y arrivai un peu avant Noël.Nous venions d’évacuer Anzac et Suvla, et j’entendais le canontonner dans le détroit des Dardanelles. De Panderma, je voulusgagner la Thrace par un caboteur, et c’est alors qu’il m’arriva unebizarre aventure : je fus torpillé.

» Ce fut peut-être le dernier effort d’unsous-marin britannique dans ces eaux-là. Mais il réussit. On nousdonna dix minutes pour embarquer dans les canots de sauvetage, puison coula le vieux caboteur avec sa cargaison d’obus. Il y avait peude passagers, il nous fut donc facile de gagner la terre dans lescanots. Le sous-marin demeura à la surface à nous observer, tandisque nous poussions des lamentations à la mode orientale. Je pusvoir de tout près le capitaine dans sa tourelle de quart. Devinezqui c’était ? Tommy Elliot, qui habite sur le versant de lacolline en face de mon patelin, en Écosse !

» Je lui fis la plus grande surprise desa vie. Comme notre canot passait devant lui en tanguant,j’entonnai très clairement Les fleurs de la forêt,l’ancienne version, et je m’accompagnai sur le vieil instrument àcorde que je portais. Tommy écarquilla les yeux ; il medemanda en anglais qui diable j’étais. Je lui répondis dansl’écossais le plus pur, que personne, ni dans le sous-marin, nidans notre canot, ne dut comprendre : Maister Tammy, whatfor wad ye skail a dacent tinkler lad intil a cauld sea ?I’ll gie ye your kail through the reek for this ploy thenext time I forgaither wi’ye on the tapo’Caerdon !

» Tommy me reconnutsur-le-champ. Il se mit à rire aux larmes et, comme nous nous enallions, il me cria dans le même langage : Pit a stoothert tae a stey brae ! Dieu veuille qu’il ait eu le flairde ne rien dire de ceci à mon père ! Sans quoi, le vieux auraeu une attaque. Il n’a jamais beaucoup approuvé mes randonnées etme croit enfin définitivement ancré dans le bataillon.

» Eh bien ! pour en venir au fait,je parvins à Constantinople et je réussis bientôt à me mettre enrapport avec Blenkiron. Vous savez le reste. Maintenant… autravail. J’ai eu assez de chance, mais rien de plus, car je n’aipas réussi à découvrir le fond de l’affaire. Néanmoins, j’aidéchiffré la première énigme que nous a laissée Harry Bullivant. Jesais ce que signifie Kasredin.

» Sir Walter a raison, comme ditBlenkiron. Il existe une grande effervescence dans tout l’Islam,quelque chose « qui se meut sur la surface des eaux ». Onne le cache point. Ces renaissances religieuses se produisent parcycles réguliers, et le moment est venu. Par exemple, on se montretrès net quant aux détails. Un mage vient d’apparaître appartenantau sang du Prophète ; il restaurera au Khalifat sa gloire dejadis et rendra à l’Islam son ancienne pureté. Le monde musulmanrépète ses paroles. Tous les croyants orthodoxes les connaissentpar cœur. Voilà pourquoi ils supportent la misère noire et desimpôts formidables ; voilà pourquoi leurs fils s’engagent dansles armées et meurent sans une plainte à Gallipoli et enTranscaucasie. Ils se croient à la veille de la grandedélivrance.

» Je découvris, en tout premier lieu, quesi les Jeunes-Turcs – qui ne sont ni populaires ni orthodoxes –n’ont rien à voir avec ce mouvement, l’Allemagne y est, par contre,intimement mêlée. Je voyais clairement que l’on considéraitl’Allemagne comme la collaboratrice de ce mouvement. C’est grâce àcette croyance que le régime actuel dure encore. Le Turc ordinairedéteste le Comité, mais il fonde un espoir bizarre et perverti surl’Allemagne. Enver ne soutient pas le Teuton impopulaire ;c’est au contraire le Teuton qui soutient le Comité. Voilà tout leprestige de l’Allemagne : elle contribue en quelque façon à lavenue du nouveau libérateur.

» Tout le monde parle très ouvertement dela chose. Cela s’appelle le Kaâba-y-hurriyeh, le Palladiumde la Liberté. Le Prophète s’appelle Zimrud, l’Émeraude, et sesquatre ministres portent également des noms de joyaux :Saphir, Rubis, Perle et Topaze. On entend souvent prononcer leursnoms dans les villes et les villages, comme on entend en Angleterreprononcer les noms de nos généraux. Mais personne ne sait où Zimrudse trouve, ni où il se révélera, bien que ses exhortationsparviennent aux croyants chaque semaine. J’ai seulement pum’assurer qu’il viendra de l’Occident, suivi de ses disciples.

» Vous allez me demander : « Ehbien ! et Kasredin ? » Voilà. Ce motm’intrigua beaucoup, car personne n’employait cette phrase :« La Demeure de l’Esprit ». C’est évidemment un cliché,tout comme en Angleterre une secte nouvelle quelconque pourraits’appeler l’Église du Christ. Seulement, personne ne se servait decette expression.

» Mais peu à peu, je découvris que cemystère possédait un cercle intérieur et un cercle extérieur. Toutecroyance a un côté ésotérique soigneusement caché du troupeau desfidèles. C’est à Constantinople que je trouvai ceci. Or, il existeun shaka turc très célèbre, un de ces anciens miraclesfrisant la farce, appelé Ortaoyun ; il faudrait bienune semaine pour le lire. Cette histoire raconte la venue d’unProphète, et je m’assurai que les élus de la Foi se servaient dutexte de cette pièce pour parler de la révélation nouvelle. Choseétrange, dans cette histoire, le Prophète est aidé par une desseules femmes qui ait joué un rôle important dans l’hagiologieturque. C’est même le point capital de l’histoire qui, bienqu’étant une farce, est surtout un mystère religieux. Et puis leProphète ne s’y appelle pas Émeraude.

– Non, interrompis-je. Il s’appelleManteau-Vert.

Sandy se leva d’un bond, laissant tomber sapipe.

– Comment diable savez-vous cela ?demanda-t-il.

Alors, je leur parlai de Stumm, de Gaudian,des mots murmurés que j’avais surpris par hasard. Blenkiron meregardait fixement, ce qui était surprenant de la part de quelqu’undont le regard est toujours lointain, et Sandy arpentaitfiévreusement la pièce.

– L’Allemagne est donc au cœur même duprojet. Je l’ai toujours cru, dit-il. Si nous voulons découvrir leKaâba-y-hurriyeh, il est inutile de fouiller le Comité, niles provinces turques : le secret se trouve en Allemagne.Dick, vous n’auriez pas dû franchir le Danube.

– C’est ce que je craignais, dis-je.Mais, d’autre part, il est évident que le secret se divulguera àl’est tôt ou tard. À mon avis, ils ne peuvent tarder longtemps à lelivrer. Si nous pouvons demeurer ici, nous trouverons forcément lefilon. Et puis j’ai d’autres preuves. J’ai découvert la troisièmeénigme de Harry Bullivant.

Les yeux de Sandy se mirent à étinceler ;mes auditeurs m’écoutaient, l’attention tendue.

– Ne m’avez-vous pas dit que dansl’histoire de Kasredin, l’allié du Prophète est unefemme ?

– Oui, répondit Sandy, maisqu’importe ?

– Cela est vrai aussi de Manteau-Vert. Jevais vous dire le nom de cette femme.

Je pris une feuille de papier et un crayon surle bureau de Blenkiron, et les tendit à Sandy.

– Écrivez le troisième mot de HarryBullivant, lui dis-je.

Il écrivit aussitôt « v. I. »

Alors, je leur appris l’autre nom prononcé parStumm et Gaudian. Je leur fis part de la découverte que j’avaisfaite tandis que j’étais malade dans la cabane du bûcheron.

– Le I n’est pas la lettre de l’alphabet,mais l’adjectif numéral. La femme s’appelle von Einem, Hildavon Einem.

– Ce braveHarry ! dit Sandy, doucement. Il est joliment fort.Hilda von Einem ? Qui est-elle, et oùest-elle ? Si nous la trouvons, nous gagnons la partie.

Alors, Blenkiron prit la parole.

– Je pense que je puis vous le dire,messieurs. J’ai vu Mme von Einem hier.C’est une très belle femme. Et le hasard veut qu’elle soit lapropriétaire de cette maison.

Sandy et moi, nous nous mîmes à rire. C’étaittrop drôle d’avoir traversé l’Europe pour atterrir précisément auquartier général de l’énigme que nous avions entrepris dedéchiffrer !

Mais Blenkiron ne rit pas. Il était devenutout à coup très grave en entendant prononcer le nom de Hilda vonEinem, et l’expression de son visage m’interloqua.

– Je n’aime pas tout ceci, messieurs,nous dit-il. J’aurais préféré que vous ayez prononcé tout autre nomque celui-là. Il n’y a pas longtemps que je suis ici, mais j’aipourtant pu me faire une idée assez juste des chefs politiques. Ilsne valent pas grand-chose. Mais j’ai rencontré Frau von Einem, quiest tout autre. L’homme qui la comprendra sera vraiment trèsfort.

– Qui est-elle ? demandai-je.

– C’est précisément ce que je ne sauraisvous dire. Elle a pris une part importante aux fouilles des ruinesbabyloniennes et elle a épousé un diplomate, qui mourut il y atrois ans. Ce n’est pas tant ce qu’elle a été, mais plutôt cequ’elle est : une femme extraordinairement intelligente.

Le respect évident de Blenkiron nem’impressionna aucunement. Il me semblait que notre tâche sedessinait enfin clairement, car j’avais horreur de patauger dansl’obscurité. Je lui demandai où demeurait Frau von Einem.

– Je n’en sais rien, répondit Blenkiron.Et laissez-moi vous dire que vous ne trouverez pas beaucoup depersonnes désireuses de satisfaire votre curiosité fort légitime ausujet de Frau von Einem.

– Je saurai cela facilement, répliquaSandy. Voilà l’avantage d’avoir, comme moi, ses entrées partout.Mais en attendant, il faut que je me sauve. Je n’ai pas encoreterminé ma tâche quotidienne. Dick, il faut que vous et Peteralliez vous coucher tout de suite.

– Pourquoi ? demandai-je, ahuri, carSandy parlait comme un médecin.

– Parce que j’ai besoin des vêtements quevous portez en ce moment. Je vais les emporter avec moi et vous neles reverrez plus jamais.

– Vous aimez les souvenirs bizarres,remarquai-je.

– Dites plutôt que la police turque lesaime. Le courant du Bosphore est assez rapide : demain, cestristes reliques de deux Hollandais égarés seront rejetées sur lerivage, à la Pointe de Seraglio. Car, voyez-vous, dans un jeu commele vôtre, il faut laisser tomber le rideau proprement à la fin dechaque scène, si l’on désire éviter tout ennui dans l’avenir.

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