Le Robinson de douze ans

Chapitre 6

 

— Le porc-épic. – La chaussure. – Les récoltes. – La tortue.– Ah ! la bonne soupe ! – Félix pense à l’hiver. – Il seprépare de l’ouvrage. – Les habits de peaux. – Les ficelles. – Lespaniers. – Installation du troupeau dans la maison deschamps.

 

Le troisième jour après mon arrivée, jequittai ce lieu avec ma petite caravane. Je conduisais ma chèvreavec une simple ficelle, les chevreaux la suivaient, et Castorfaisait l’arrière-garde ; si les petits s’écartaient, il lesramenait bien vite. Je m’arrêtais de temps en temps dans lesendroits où l’herbe était la plus épaisse, pour laisser paître montroupeau. Dans une de ces haltes, mon chien, qui s’était un peuécarté, se mit à aboyer et à hurler d’une façon extraordinaire,comme s’il était blessé ou effrayé par quelque bête féroce. J’eusd’abord grand’peur, mais je ne pouvais laisser sans secours monfidèle compagnon. Je ne marchais plus qu’armé d’une petitehache ; je résolus de m’en servir pour défendre mon cherCastor. Je m’avançai doucement en regardant de tous côtés, et jel’aperçus en présence d’un ennemi plus singulierqu’effrayant ; c’était un animal de la grosseur d’un gros chatet couvert de piquets plantés sur son corps comme des tuyaux deplume. Castor avait voulu l’attaquer, comme le prouvait son museauensanglanté ; tout à coup l’animal s’arrondit et prit la formed’une boule, en nous présentant des dards hérissés qui seheurtaient avec bruit. Alors je pris ma hache à deux mains, et jelui en déchargeai un si grand coup que la terre fut tout arrosée deson sang. Il fit un bond terrible qui me fit reculer ; mais jerevins sur mes pas et lui donnai tant de coups que je parvins à letuer. Je dois avouer que je fus tout à fait glorieux de cettevictoire, la première que j’eusse remportée de ma vie. J’auraisbien voulu emporter le corps de mon ennemi vaincu ; mais celaétait impossible, puisqu’on ne savait par où le prendre ; jeme contentai de couper avec ma hache tous les dards de l’animal.Ils étaient si forts et si pointus que, si je parvenais à percer lebout le plus épais, j’en pouvais faire des aiguilles propres àcoudre des habits de peau dont je comptais bien me pourvoir. Ceuxqui liront cette relation seront sans doute plus instruits que jene l’étais alors, et reconnaîtront le porc-épic au portrait que jeviens d’en faire.

Ce fut là le seul événement remarquable de cevoyage. J’arrivai heureusement chez moi ; j’établis montroupeau dans ma nouvelle demeure, et ne voulant ce jour-là rienentreprendre de trop fatigant, j’employai la peau de l’agouti à megarantir les pieds des blessures auxquelles ils étaient exposésdepuis que j’étais sans chaussures. Je taillai de mon mieux dessemelles, puis des lanières pour les attacher sur le pied et autourde la jambe. Pour les joindre ensemble, il me fallait desaiguilles : voici comment je m’y pris pour m’en procurer. Jefis rougir un clou pointu dans un feu fort ardent ; je saisisensuite la tête avec mon mouchoir mouillé, et je perçai le côtéépais des dards de porc-épic. Cela me réussit parfaitement, j’eusde fort bonnes aiguilles, et j’attachai solidement les bandes depeau aux semelles, de manière que je pouvais marcher sans meblesser. La soirée fut employée à me pourvoir de vivres pourquelques jours, afin de travailler avec plus d’assiduité. Je meservis de ma marmite pour faire cuire des crabes, des moules etd’autres coquillages, en attendant que la chasse de mon chien meprocurât le moyen de faire du bouillon.

La première chose dont je m’occupai fut deconstruire une porte pour ma grotte. Que de peines et de fatigueselle me coûta ! Je pris d’abord la longueur et la largeur del’ouverture ; je sciai ensuite le dessus du coffre qui étaitresté dans son entier dans les mêmes proportions. On devine bienque j’y passai un temps considérable ; mais cet ouvrageterminé, je n’en fus pas plus avancé. Il fallait transporter cetteporte près de la caverne, et, quoique la distance ne fût pasgrande, il me fut impossible d’en venir à bout, puisque je pouvaisà peine la remuer. Je supportai encore cette fois la peine de monpeu de prévoyance ; il fallut me contenter de fermer ma grotteavec une espèce de claie composée de branches entrelacées. Jeréussis mieux au volet ; comme il était beaucoup plus petit,je l’achevai en peu de jours et je le portai près de ma fenêtrepour m’en servir seulement la nuit, ou quand le temps serait à lapluie.

Je songeai ensuite à ma récolte de riz et depommes de terre ; ce fut alors que je me félicitai d’avoir degrands et bons sacs. Sans ce secours, comment eussé-je transportéchez moi mes provisions d’hiver ? Dans l’espace de quinzejours je recueillis assez de grains et de patates pour laconsommation d’un enfant de mon âge. Le tout fut mis à couvert dansl’endroit le plus sec de ma demeure, et je commençai à faire usagedu riz au lait, nourriture qui me plaisait infiniment ;d’autres fois je le faisais cuire dans l’eau et je le laissais surle feu jusqu’à ce que le riz fut absolument sec ; alors je lemangeais en guise de pain avec les œufs ou les coquillages dont jene manquais pas souvent. Le tout, assaisonné de sel et de jus decitron, faisait un manger très passable.

Jusqu’alors j’avais toujours fait du feu enplein air. Je songeai que dans les grandes pluies je ne pourraisjamais l’allumer, ou qu’il s’éteindrait bien vite. Je compris lanécessité de me fabriquer un foyer dans l’intérieur de ma grotte.La plus grande difficulté était de donner un passage à la fuméepour n’en pas être suffoqué ; je cherchai d’abord des pierresplates que je rangeai les unes sur les autres, en mettant entreelles une couche d’une certaine terre grasse qui me parut propre àles lier ; j’en formai deux petits murs qui m’allaient jusqu’àla ceinture. Je posai dessus une planche en travers que j’enduisisaussi de terre grasse pour que le feu n’y prît pas ; j’avaisétabli ce foyer près de ma fenêtre. J’eus le bonheur de trouverencore un endroit du rocher qui était percé et seulement bouchéavec de la terre et des herbes ; je l’en débarrassai et formaiun trou où je pouvais passer les deux mains. Je sciai alors quatreplanches fort étroites et je les fis entrer dans cette ouverture,les attachant fortement avec de grands clous, ce qui forma comme untuyau de poêle qui conduisait la fumée en dehors.

On ne peut être plus content que je ne le fusde cette invention ; je voulus sur-le-champ en faire l’essaiet je mis le pot-au-feu devant mon nouveau foyer. Pendant que monriz bouillait, il me prit envie d’aller faire un tour au rivage.J’avais vu souvent au bord de la mer d’énormes tortues quidéposaient leurs œufs dans le sable et me préparaient d’excellentsrepas : j’aurais bien voulu en prendre quelqu’une, car j’avaisappris des matelots que c’était un fort bon manger et qu’on enfaisait du bouillon ; je savais aussi qu’il fallait tourner latortue sur le dos pour l’empêcher de retourner à la mer ; maistoutes celles que j’avais vues jusqu’à ce jour étaient trop grosseset trop lourdes pour que je puisse en venir à bout. Cette foisj’eus le bonheur d’en rencontrer une plus petite et que je pouvaisespérer remuer. J’appelai Castor pour qu’il lui coupât la retraite,et m’approchant d’elle, je la mis promptement sur le dos. Latortue, ne pouvant se sauver, ni se défendre, fut alors en monpouvoir ; je la tuai à coups de hache, et lui ouvris le ventreoù je trouvai vingt-deux œufs ; enfin j’en coupai une grandepièce que j’allai mettre dans une marmite. Je revins à ma proie, etl’ayant entièrement dépecée sans rompre son écaille supérieure, jeme mis en possession d’une belle cuve, dont je tirai partiaussitôt. La vue d’un vase si commode me fit naître l’idée de salerla tortue, afin de la conserver. Je me rappelai ce que j’avais vufaire à ma mère quand elle salait un porc, et j’agis de la mêmemanière ; je portai dans ma grotte ma cuve d’écaille et toutela chair de ma bête.

J’arrangeai d’abord une couche de sel, puisune autre de viande, et ainsi, tant qu’il en put entrer dans lacuve. Je recouvris le tout de sel, de l’épaisseur d’un doigt ;je mis des bouts de planches par-dessus, et ensuite de grossespierres pour presser ma salaison. Cela fait, je retournai à mondîner ; il était cuit à point et j’eus le plaisir de manger unexcellent potage au riz ; la chair de ma tortue me parut aussifort bonne, et Castor s’en régala ainsi que moi.

Le plus pressé me semblait fait ; j’avaisde quoi vivre pendant l’hiver, et une retraite commode pour megarantir des injures du temps. Je me demandais à quoi je devaism’occuper, afin de me distraire par le travail. Je résolus decueillir une grande quantité d’osier et de petites branches desaule pour me fabriquer des paniers et des corbeilles. Je voulaisaussi tuer quelques boucs avant l’hiver et me tailler des vêtementsdans leurs peaux.

Ce projet était bien conçu, mais l’exécutionen était embarrassante ; je ne voyais d’autre moyen, pourprendre des boucs et des chèvres, que de tendre un grand filet dansle chemin où ils passaient pour aller s’abreuver ; je voulaisles guetter, accompagné de mon chien, paraître tout à coup devanteux, les épouvanter par mes cris, auxquels se joindraient lesaboiements de Castor, et j’espérais qu’en fuyant, quelques-unsdonneraient dans mes filets, où je pourrais facilement les tuer. Cequ’il y avait de malheureux, c’est que ma ficelle était épuisée.J’essayai d’en faire avec plusieurs plantes filandreuses ; cequi m’y parut le plus propre fut le brou qui entourait les noix decoco ; j’en tirai une espèce de filasse dont je fis descordelettes, en les tournant avec un morceau de bois auquel j’avaisdonné la forme d’un fuseau. J’avais souvent vu des pêcheurstravailler à leurs filets, je me fabriquai une navette, et jeréussis à faire un filet grand et fort. Alors je me donnai toutentier à la chasse ; j’y fus si heureux qu’il ne se passaitguère de jour où je ne prisse quelque bouc ou un jeune chevreau. Jetuais les premiers, je les dépouillais et mettais leurs peauxsécher. Quant aux jeunes, je les joignis à mon troupeau, qui setrouva composé, outre la première chèvre, de neuf chevreaux mâleset femelles. Je résolus aussi de faire beaucoup de filets plus oumoins forts, les uns pour prendre du poisson, les autres pourattraper des petits oiseaux. J’eus à me féliciter des précautionsque j’avais prises contre le désœuvrement ; les pluiescommencèrent bientôt avec une telle violence, que, pendantplusieurs jours, il me fut impossible de sortir de chez moi.Combien je me trouvai heureux de m’être préparé de l’ouvrage !J’ai omis de dire que l’exercice et le travail avaientconsidérablement augmenté mes forces, et que l’habitude deréfléchir à des choses utiles avaient étendu mes idées, de manièreque, tant au physique qu’au moral, j’étais beaucoup plus avancé quele commun des enfants. La nécessité m’avait rendu industrieux etsurtout observateur. Par exemple, ma première pensée, quand lemauvais temps commença, fut que je devais calculer sa durée, poursavoir sur quoi compter les années suivantes. À cet effet, je prisun grand vase de calebasse, et tous les jours j’y mettais uncaillou me proposant de les compter à la fin de l’hiver.

Je commençai mes travaux par ceux devannier ; je fis des paniers de toutes formes et de toutesgrandeurs. Je dois avouer qu’ils n’étaient pas d’une tournureélégante, mais ils étaient solides, et me rendirent de grandsservices par la suite. Je tressai deux grandes et fortescorbeilles, où je serrai mon riz ; il était bien plusproprement qu’entassé dans mon magasin. Dès qu’il y avait un joursans pluie, j’en profitais pour aller faire de l’herbe, afin quemes bêtes ne manquassent pas de nourriture : Castor sortaitaussi ces jours-là et me régalait quelquefois de gibier. Au reste,les patates, le riz, le lait de ma chèvre, approvisionnaientsuffisamment ma cuisine, et si les vivres m’avaient manqué,j’aurais pu tuer un de mes chevreaux. Mais ces animaux, que j’avaisapprivoisés, que je nourrissais avec tant de soin et qui faisaientpartie de ma famille, m’étaient extrêmement chers ; ce n’eûtété qu’à la dernière extrémité que j’eusse pu me décider à leurôter la vie. Je ne voulais pourtant pas que mon troupeau augmentât,et, pensant bien qu’il se multiplierait au printemps, j’avais prisla résolution de tuer les petits, dès qu’ils cesseraient de téter,ce qui aurait le double avantage de me procurer du lait enabondance et des peaux pour me vêtir. La tortue que j’avais salées’était conservée parfaitement : quand je l’eus consommée, jecherchai l’occasion d’en prendre une autre que j’accommodai de lamême manière, ce qui me procura une seconde cuve d’écaille et lemoyen d’augmenter mes salaisons.

Lorsque je fus bien fourni de paniers, jeplantai de gros clous dans les fentes du rocher ; je suspendisaux parois de la grotte des corbeilles remplies de toutes mesprovisions ; j’y serrai aussi mes clous et la menueferraille ; tout cela était rangé dans un si bel ordre, que mademeure n’en était pas déparée.

Ce qui me contrariait, c’était de n’avoir quetrès peu de clarté ; le plus souvent la pluie m’obligeait detenir mon volet fermé ; j’étais alors privé de la lumière quivenait de la fenêtre et forcé de travailler près de la porte. Lesjours d’ailleurs étaient très courts ; il fallait quitterl’ouvrage de bonne heure ; je n’avais alors aucune ressourcecontre l’ennui. Je tombais dans la mélancolie ; toutes mespensées étaient tristes. Me voyant dans une grande abondance deschoses nécessaires à la vie, je n’en regrettais que plus vivementde n’avoir pas un compagnon avec qui je pusse les partager. C’estalors que je compris le vide de cette existence solitaire. Je medésespérais, en pensant que j’étais peut-être condamné à passerainsi bien des années, peut-être même toute ma vie. Cette penséem’effrayait ; en vain je voulais la chasser de monesprit : mais toujours elle se présentait à moi quandl’approche de la nuit m’empêchait de m’occuper.

Un soir que j’étais accablé de tristesse, ilme vint une pensée heureuse, puisqu’elle me rendit le courage et mefit surmonter mon chagrin. Voici ce que je me dis à moi-même :« À quoi me servent mes larmes et l’affliction à laquelle jem’abandonne ? Mes inutiles désirs ne me donneront pas ce quime manque. Je ferais donc bien mieux de tâcher de me rendre lemoins malheureux qu’il me sera possible. L’ennui me tourmente unepartie du jour, parce que je suis dans l’obscurité et que je nepuis travailler. Il est vrai, je n’ai ni livre, ni plume, nipapier, pour occuper mon esprit, mais j’ai de la mémoire. Quim’empêche de me rappeler tout ce que j’ai appris autrefois, ce quej’ai lu, tant à l’école qu’à la maison ? Ne sera-ce pas commesi l’on me racontait des histoires ou comme si je les lisais ànouveau ? Je veux aussi me souvenir de tout ce que j’ai penséet de tout ce que j’ai fait depuis que je suis dans cette île. Jetrouverai quelque chose pouvant me servir de papier :j’écrirai alors mes aventures, et je suis sûr que cela m’amuserabeaucoup. » Cette idée m’occupa toute la soirée ; meslarmes se séchèrent, et j’allai me reposer sur mon lit de feuillesle cœur plus content qu’à l’ordinaire.

On s’étonnera peut-être qu’un enfant qui avaità peine treize ans fût capable de pareils raisonnements ; maisdans la situation où je me trouvais, toutes les pensées de monesprit étaient tournées vers les choses utiles ; je conversaissans cesse avec moi-même ; enfin les notions que j’avaisreçues germaient, pour ainsi dire, dans la solitude, et seretraçaient à mon esprit.

J’avais calculé le temps par les lunes.C’était le 25 avril que j’avais fait naufrage : j’étais alorsâgé de douze ans et demi. J’avais compté quatre lunes depuis cetteépoque jusqu’au commencement des pluies ; je jugeai donc êtreà la fin du mois d’août, et l’on a vu le moyen que je pris poursavoir exactement combien de temps elles dureraient. Je n’ai pas àme reprocher d’avoir perdu un seul jour. Mes habits étantentièrement usés, je m’en fis avec mes peaux de chèvre. C’étaitd’abord une espèce de tunique fort large qui me descendaitjusqu’aux genoux ; elle était formée de deux pièces uniesensemble par une couture grossière. Je me servis pour cela de mesaiguilles de porc-épic et d’une petite ficelle que je tournai commeje l’ai dit. Je serrais cette robe autour de mes reins avec unelanière de la même peau. Je me fis aussi des guêtres pour garantirmes jambes de la piqûre des insectes, et plusieurs paires desandales, parce qu’elles s’usaient en peu de temps. Il fallaitaussi préserver ma tête des rayons du soleil, dont j’avais souventété fort incommodé ; je tressai d’abord de l’osier, et luidonnai la forme d’un bonnet pointu ; je le couvris de peau,dont je mis le poil en dehors, comme à mes autres vêtements. Sil’on m’avait vu dans cet équipage, on eût pu me prendre pour unpetit ourson. Quoi qu’il en soit, je fus très content de montravail et de la certitude qu’il me donnait d’être toujours vêtu.Les jours sombres et pluvieux s’écoulaient dans ces occupations, etles soirées étaient employées comme je l’avais imaginé, pour enbannir l’ennui. Je m’occupai de rédiger mes aventures ; c’està ce soin que je dois de pouvoir rendre un compte exact de tout cequi m’est arrivé dans mon île. Que d’heures j’ai ainsi passées, merappelant les difficultés que j’avais surmontées, et les différentsévénements qui avaient marqué mon existence dans mon île.

Aujourd’hui encore, je me rappelle avecattendrissement la terreur que j’éprouvai un jour, en me sentantsubitement malade. J’avais, je crois, mangé des coquillagesmalsains : je fus pris de vomissements terribles, suivis d’unaffaiblissement complet. Je pouvais à peine faire unmouvement ; j’étais là, étendu sur ma couche de feuillessèches, me demandant avec effroi ce que j’allais devenir si mon malse prolongeait ; mon chien à mes côtés me regardaittristement, on eût dit qu’il comprenait que son maître souffrait.Je restai ainsi près de deux jours, au bout desquels, à bout deforces, je tombai dans un profond sommeil. Quand je m’éveillai, jene ressentis plus qu’une légère fatigue : j’étais guéri.

Les pluies venaient de cesser, le soleilbrillait de tout son éclat, et je pus me flatter que l’hiver étaitpassé. Ce fut pour moi le sujet d’une grande joie. J’allais revoirles charmants bocages de mon île, visiter mes domaines, renouvelermes provisions et varier mes aliments. Je comptai les cailloux quej’avais mis, chaque jour, dans un vase ; il y en avait centquinze, ce qui formait près de quatre mois ; je conjecturaique c’était à peu près la durée de chaque hiver dans cette partiedu monde, où j’étais tout étonné de ne point éprouver de froid etde ne voir ni glace ni neige. Ayant formé de grands projets devoyage, je voulus m’équiper en conséquence. Je me fis un ceinturonde peau pour y placer une petite scie d’un côté et une hache del’autre. D’une forte branche, dépouillée de ses feuilles, je me fisun bâton que je portai sur mon épaule en guise de fusil, et où jepassai un panier qui devait me servir à rapporter au logis ce queje trouverais de bon. Je me chargeai, de plus, d’un sac roulé etattaché sur mon dos. Je pris d’abord le chemin de ma maison deschamps, pour y conduire mon troupeau et l’établir dans sonparc ; ces pauvres bêtes étaient bien contentes d’être enliberté et de brouter l’herbe fraîche des prairies et les jeunesbranches des arbustes : elles me suivaient gaîment, et Castor,joyeux de faire une course avec son maître, faisait mille bonds, seroulait sur le gazon et m’accablait de caresses.

Je ne vis, à mon arrivée, aucun vestige de macabane ; elle avait été entièrement détruite, et ses débrisentraînés par les pluies. Le parc, au contraire, était dans lemeilleur état ; la haie était si fourrée que je n’y pouvaispasser la main, et les jeunes arbres avaient poussé tant derejetons en tous sens, que l’ouverture que j’y avais laissée étaitbouchée. J’élaguai avec ma hache les branches qui la fermaient etj’y fis entrer mon troupeau. Depuis quelque temps la chèvre n’avaitplus de lait ; je ne voyais aucun inconvénient à laisser cesanimaux à eux-mêmes. Je crus même pouvoir me dispenser de lesapprovisionner, et leur laisser la liberté de sortir du parc pourchercher leur nourriture, bien sûr qu’ils y rentreraient toutes lesnuits, puisqu’ils y trouvaient de quoi se reposer commodément. Lebon état de ma plantation me donna envie d’en faire une semblableprès de ma grotte, et de m’entourer d’un bosquet d’arbres choisis,propres à égayer ma demeure. Je remis l’exécution de ce projet unpeu avant l’hiver, pensant que les pluies abondantes lui seraientfavorables.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer