Le Sous-marin « JULES-VERNE »

Chapitre 8DÉCISIONS

 

À bord de l’Étoile-Polaire,l’affolement et le désespoir étaient à leur comble. Ursen Stroëm etGoël Mordax, incapables de prononcer une parole, se serraient lesmains en pleurant.

Le capitaine de Noirtier avait fait mettre àla mer toutes les embarcations : la chaloupe, le canot et layole. Les matelots, munis de torches et de gaffes, explorèrent lamer dans un large rayon autour du yacht.

Sur une idée de M. Lepique, Ursen Stroëmfit installer de puissants fanaux électriques, qui furent hissés entête du grand mât et d’aveuglants et gigantesques faisceaux delumière blanche fouillèrent jusqu’aux derniers recoins del’horizon. Au bout d’une heure et demie de travaux, il fallut biense résoudre à convenir que tout cela était inutile.

M. de Noirtier et M. Lepique,qui seuls avaient conservé un peu de sang-froid, supposaientqu’Edda avait dû tomber à la mer accidentellement, que Coquardots’était précipité à son secours, et que tous deux avaient coulé àfond.

Cependant, cette façon de voir ne put tenirdevant le témoignage des marins, qui avaient entendu les crisdésespérés du cuisinier, et qui avaient vu ses adversaires leprécipiter à la mer. Les événements demeuraient enveloppés demystère.

M. Lepique et Mlle Séguy essayaientvainement de consoler Ursen Stroëm et Goël. Le père et le fiancéd’Edda, unis dans une même douleur, continuaient à pleurersilencieusement.

Ce fut Ursen Stroëm qui reprit, le premier,tout son sang-froid. Il se leva brusquement, les poings serrés, laface effrayante de colère contenue et de sombre énergie. Ses yeuxverts étincelaient et semblaient phosphorer dans la nuit.

– Je retrouverai ma fille !s’écria-t-il… Et je dépenserai, s’il le faut, pour cela, mesinutiles millions !… Ah ! que ne suis-je encore le pauvreaventurier de jadis, sans autre fortune que mes bras et moncerveau !… Ah ! ma chère Edda, es-tu toujoursvivante ?

La résolution d’Ursen Stroëm fut d’un heureuxeffet sur l’abattement de Goël.

– Nous retrouverons Edda !s’écria-t-il à son tour. Elle n’est pas morte ! … Elle ne peutêtre morte… Peut-être suis-je sur le point d’avoir la clef dumystère !

Le capitaine de Noirtier, M. Lepique etMlle Séguy regardèrent Goël avec surprise, avec pitié. Ils crurentque la douleur le faisait divaguer. Seul, Ursen Stroëm portaitattention à ses paroles.

Goël continua :

– Et d’abord, la première chose à faire,c’est de télégraphier immédiatement à la Girolata, pour activerl’achèvement du Jules-Verne.

– Pourquoi faire ? demandaM. Lepique.

– Je comprends… Cela suffit, répliquaUrsen Stroëm.

Goël s’était précipité vers le récepteur dutélégraphe sans fil, installé près de la roue du timonier. UrsenStroëm fit fonctionner les manipulateurs.

Ce fut en vain.

– Il y a un accident, une interruption decourant ? demanda Mlle Séguy.

– Il y a peut-être autre chose, réponditM. Lepique.

Ursen Stroëm et Goël s’étaient regardés.

Tous deux venaient d’avoir la même pensée.

– Il y a certainement corrélation,murmura Goël, entre l’enlèvement d’Edda et l’interruption ducourant…

– C’est possible. Je comprends votreidée, répondit Ursen Stroëm à voix basse.

Et, se retournant vers le capitaine deNoirtier :

– Qu’on vire de bord, tout de suite,ordonna t-il… Qu’on pousse les feux et qu’on fasse route vers lecap Corse, avec le maximum de vitesse.

Les ordres furent immédiatement exécutés. Lavapeur à haute pression fusa dans les tiroirs, s’engouffra dans lescylindres des pistons, et l’Étoile-Polaire, virant cappour cap, fit route vers la Corse.

Une demi-heure s’était à peine écoulée, queles cimes bleuâtres de l’île de Monte-Cristo furent signalées.

Ursen Stroëm et Goël s’entretenaient à voixbasse sur le pont, lorsque, tout à coup, la sonnerie de l’appareilde T.S.F. retentit énergiquement.

– Vous voyez, fit triomphalementM. Lepique, le courant est rétabli… C’était un accident.

– Nous allons bien savoir quelque chose,grommela Ursen Stroëm.

Le ruban de papier bleu pâle se déroula.

Goël lut au milieu de l’anxiétégénérale :

« Le Jules-Verne a été enlevépar des bandits. Hier matin, environ une heure après que je vouseus télégraphié des nouvelles rassurantes, une troupe d’hommes enarmes est sortie du maquis, a mis le feu aux magasins et auxateliers, s’est élancée sur les travailleurs, qui ont été presquetous grièvement blessés. À ma grande indignation, j’ai reconnuparmi les assaillants un certain nombre d’ouvriers américains,naguère employés dans nos ateliers. Le mécanicien Robert Knippparaissait être à leur tête… »

– Des Américains… Robert Knipp ! …s’écria Goël… Je comprends tout, maintenant… Le ravisseur d’Edda,le voleur du Jules-Verne ne peut être que Tony Fowler… Lemystère de cette nuit s’explique : ce n’est qu’à l’aide denotre sous-marin que les misérables ont pu disparaître sirapidement !

– Je suis de l’avis de Goël, s’écriaM. Lepique.

– Quel est ce Tony Fowler ? demandaUrsen Stroëm, le visage contracté par la fureur, les poingsserrés.

Ce fut Mlle Séguy qui répondit :

– Mais, monsieur Stroëm, vous leconnaissez, ce Tony Fowler ! … C’est un des concurrentsévincés, un jeune Américain milliardaire… Il avait même réussi à sefaire présenter à vous et à Edda, qui ne pouvait le souffrir…

– C’était un des anciens camarades deGoël, ajouta M. Lepique… Et Goël lui avait sauvé la vie.

– Oui… Il voulait se suicider, parce queses plans n’avaient pas été primés au concours. Je l’en ai empêché,et, depuis, il m’a voué une haine mortelle.

– Si vous lui avez sauvé la vie, il nepeut en être autrement, fit amèrement Ursen Stroëm… Je me souviens,en effet, maintenant de ce Tony Fowler : Les plans qu’il nousavait présentés étaient parfaits dans le détail, mais neconcordaient pas pour l’ensemble… Il était facile de voir qu’ilsétaient dus à un grand nombre de collaborateurs.

Cependant, le ruban de papier bleu continuaità se dérouler. On lut le reste de la dépêche.

Pierre Auger expliquait comment il avait étéfait prisonnier. Blessé, il avait été emmené dans le maquis etattaché au tronc d’un châtaignier.

Délivré par des paysans, il avait trouvé, àson retour au golfe de la Girolata, le Jules-Vernedisparu, les ateliers en ruine, les travailleurs blessés ou enfuite, Heureusement, la cabine de la T.S.F. avait échappé auxpillards, et il s’empressait d’apprendre à M. Ursen Stroëm lafatale nouvelle.

Tout le monde était atterré.

Il fallait, au plus vite, se mettre à larecherche du sous-marin.

Pendant que l’Étoile-Polaireregagnait à toute vitesse la Girolata, les passagers tenaientconseil. Il importait tout d’abord de reconstruire un nouveausous-marin, plus rapide que celui qui venait d’être siaudacieusement volé par Tony Fowler.

De plus, Ursen Stroëm voulait retrouver, sic’était possible, le corps de l’infortuné Coquardot, que lesmatelots de quart affirmaient avoir vu tomber à la mer. Il futdécidé à ce sujet que M. de Noirtier reviendrait sur lelieu de la catastrophe et explorerait, à l’aide de sondes, le fondde la mer à cet endroit, dont le point avait été exactementrelevé.

Dès l’arrivée, on s’occupa de soigner lesblessés pendant que M. de Noirtier repartait pour alleraccomplir la mission qui lui avait été confiée.

Mlle Séguy, devenue infirmière, ne quittaitplus ses malades.

M. Lepique passait ses journées encompagnie d’Ursen Stroëm et de Goël à rédiger des notes auxjournaux, pour annoncer à l’univers entier le crime sans précédentcommis par l’Américain. Des primes considérables étaient offertes àquiconque pourrait fournir le moindre renseignement sur lesous-marin.

On avait appris, par le maître de chantierPierre Auger, que l’approvisionnement du Jules-Verne n’était pasterminé, et que la soute aux vivres serait bientôt vide. Il fallaità tout prix empêcher Tony Fowler de se ravitailler.

On télégraphia dans tous les grands ports dela Méditerranée, et le signalement de Tony Fowler et de RobertKnipp fut envoyé aux syndics, aux chefs de port, à la policemaritime, jusque dans les plus petites bourgades du littoral, ainsique leurs photographies, qu’on avait réussi à se procurer.

Dès le retour de M. de Noirtier, ondevait se mettre en campagne. Celui-ci ne tarda pas à arriver, maisil n’apportait aucune nouvelle du cuisinier Coquardot. Son cadavreavait dû être entraîné au large par les courants. Il était sansdoute devenu la proie des crustacés et des squales.

M. de Noirtier avait essayé deprendre des photographies du fond de la mer, mais la catastropheavait eu lieu à la surface d’un abîme de plus de mille mètres,au-dessus duquel il était difficile d’opérer.

Toutes les recherches demeurèrent égalementinfructueuses.

Des semaines se passèrent, et aucun navire,aucun sémaphore ne signala la présence du Jules-Verne.Ursen Stroëm et Goël commençaient à retomber dans le désespoir.

La coque de l’autre sous-marin, leJules-Verne II, improvisée, pour ainsi dire, à coups debillets de banque, en quelques semaines, s’allongeait déjà sur leschantiers.

Quant à M, de Noirtier, il avait embarqué àbord de l’Étoile-Polaire une collection de bouéesautomatiques à microphones, d’avertisseurs-torpilles électriques,et il croisait à l’entrée du détroit de Gibraltar. L’équipage avaitété doublé, et l’on veillait sans relâche à bord du yacht. Ilfallait à tout prix empêcher Tony Fowler de passer de laMéditerranée dans l’Atlantique, avant l’achèvement du secondsous-marin, auquel deux équipes d’ouvriers travaillaient nuit etjour, en se relayant.

Quand ils auraient à leur disposition leJules Verne II, Ursen Stroëm et Goël comptaient biendonner la chasse au pirate et lui arracher sa proie.

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