L’Effrayante aventure

V – Une ménagerie comme on en voitpeu

 

De diamants ! Non. Mais deglace !

Éclatement de facettes, tourbillonnementd’étoiles, flamboiement d’astres.

Sous l’irradiation avivée par le geste destrois torches vriliennes, des girandoles éclataient, avec desfulgurations mouvantes, des couleurs de feu qui fusaient enpoussière de cristal…

Ivres de la vie retrouvée dans cette apothéosede féerie, ils secouaient follement leurs flambeaux dont leséclairs, pareils à ceux du lycopode, provoquaient des ripostes demétéores, des lancées d’aurores boréales, des girations de rayons,tantôt se brisant sur un plan sombre, comme un espace sans fond,tantôt jaillissant dans le vide comme des balles de plomb enfusion.

Sir Athel, enthousiaste, avait sauté lepremier par l’issue ouverte et était tombé sur une plate-forme,sommet d’un vaste pylône d’où la grotte dominée semblait étendre àl’infini ses richesses de reflets et ses queues de comète.

Les deux autres l’avaient suivi.

Éblouis, les pupilles dilatées, ilsregardaient, jouissant de cette ivresse de beauté, jouant comme desenfants avec ce kaléidoscope de splendeur, ayant tout oublié :les fatigues, les affres de la mort qui étaient passées sur leurstêtes, s’enveloppant dans cette magnificence qui les pénétrait,rallumant en eux la volonté de vivre !

Sir Athel, le premier, s’était ressaisi ;s’arrachant à l’étourdissement physique qu’il avait subi, ilcherchait à se rendre compte des dimensions de la grotte, de sonorigine, de son orientation.

Il n’en pouvait douter, cette excavationglaciaire datait de périodes si lointaines que, jusqu’ici, lascience n’a pu les calculer ; elle était l’œuvre d’un de cesbouleversements telluriques qui ont accompagné, déterminé laformation de notre sol.

Cette grotte était immense : cherchant àdiriger la lumière de sa torche, il n’apercevait au-dessus de luique des pics aux formes hétéroclites, aiguilles aux arêtestranchantes, tours carrées comme des castels du moyen âge,plates-formes et balustres suspendus en dehors de toutes les règlesde la statique…

En bas, des mamelons, des collines, des blocsd’où des pointes dardaient, comme s’élançant à la rencontre desstalactites qui pendaient des hauteurs.

Aussi des creux profonds, sombres, presquenoirs.

Là-bas, aux dernières limites de sa vision,une énorme tache se plaquait sur la blancheur des névés, et uneautre, sur le sommet d’un des pics, cachant sa crête et qui luiinspira le souvenir d’une chauve-souris gigantesque.

Alors il s’aperçut que le froid était intense,surtout en comparaison de la température lourde dans laquelle, ilsétaient si longtemps restés immergés… Et se tournant du côté del’issue qui lui avait donné passage, il sentit que de là venait uncourant tiède qui, vivement, filait dans la grotte.

Tirant de sa trousse un petit thermomètre, ilconstata que l’ambiance était de six degrés au-dessous de zéro,température sans danger pour l’organisme humain.

Alors il s’adressa à ses compagnons :

– Eh bien ! mes amis, que pensez-vous dece spectacle ?…

– Inouï ! beautiful !magnifique ! splendid !

Les exclamations se heurtaient aux adjectifs,débauche d’épithètes.

– Comme mise en scène, dit Labergère, ça faitla pige au Châtelet !… il n’y manque que des figurantes enmaillot !…

– Quel décor pour une féerie deChristmas ! compléta Bobby.

– Donc, vous admirez, reprit Athel. Moi aussi.Mais si vous m’en croyez, nous ferons trêve à notre enthousiasme.D’abord il fait froid…

– C’est vrai, j’ai l’onglée…

– Et il nous sera bon de prendre un peud’exercice…

– Je ne m’y refuse pas… Ah çà ! oùsommes-nous ?

– Sur le sommet d’un pic de roche et de glace,répondit Athel. Et je dois ajouter, pour vous arracher au rêve etvous ramener à la réalité, que sauf examen ultérieur, nous n’ensommes guère plus avancés que tout à l’heure : nous savonscomment nous sommes entrés ici, mais nous ignorons absolumentcomment nous en sortirons…

– Diable ! je n’y pensais plus, fitLabergère. Comme quoi on ne peut jamais être un instant tranquille,même à cent pieds sous terre… ça ne fait rien, j’ai eu dix minutesde bon temps ! Maintenant, ô vous qui êtes le dieu de lasagesse, racontez votre petite affaire…

– D’abord, avons-nous tous nos outils… lacaisse ?…

– Sous mon bras, dit Bobby. Je ne connais quela consigne…

– C’est bien… Le vrilium nous a rendu service,il nous aidera encore… Tout d’abord il nous faudra descendre…

– De notre perchoir, dit Labergère, mais ça neme paraît guère facile…

– Ce n’est qu’un jeu… je vois des aspéritésqui nous serviront d’échelons et en cas d’interruption, le vriliumnous taillera des marches d’escalier… mais, vous, monsieurLabergère, regardez donc autour de vous et dites-moi donc quelleidée vous vous faites de la grotte…

– Je la vois énorme… une vraie cathédrale…Mais, qu’est-ce qu’il y a donc, tout au fond, entre deux pics deglace… une chose colossale, toute noire… une forme arrondie… etluisante…

– Je la vois aussi. Tout à fait immobile,n’est-ce pas ?

– Absolument… mais ce n’est pas la seule… ondirait d’énormes blocs de pierre noire… basalte, granit ?Peut-être quelque chose comme les moraines, ces roches charriéespar la fonte des neiges et qu’on retrouve aux bords desglaciers…

– C’est possible ! fit évasivement sirAthel. J’irai examiner cela…

– Nous irons ensemble…

– J’irai, si vous me le permettez, j’iraiseul…

Le ton péremptoire, presque autoritaire de sirAthel étonna quelque peu Labergère ; mais il commençait à lerespecter profondément et ne répliqua pas.

– Occupons-nous d’abord de reprendre desforces, reprit sir Athel, de son ton redevenu naturel. Nous avonsbesoin de sommeil et il nous faudrait trouver un coin où nousn’eussions pas trop froid…

– Nous pouvons rentrer chez nous, hasardaBobby, désignant de la main l’ouverture par laquelle ils avaientpénétré dans la grotte…

– Je crois que ce nous serait impossible,répondit Athel.

– Pourquoi ?

– Regardez vous-même ; l’aiguille surlaquelle nous sommes est revêtue d’une couche de neige durcie…Examinez bien, et vous verrez que le courant d’air chaud qui vientde l’ouverture a déjà désagrégé la partie glacée qui le reçoitdirectement… elle ne serait pas assez dure pour nous servir depoint d’appui… elle se déroberait sous nos pieds et nous nousbriserions dans le vide…

– C’est pardieu, vrai ! dit Labergère.Mais alors, peut-être en déblayant la place avec le vrilium – cardécidément il est bon à tout – nous pourrions, profitant de ce peude calorique, installer ici notre chambre à coucher…

– Essayons ! dit sir Athel.

La flamme de vrilium fit merveille, cette foisencore. Sur un périmètre de quatre mètres, la glace et la neigefurent écartées, puis la roche fut séchée et les trois hommess’installèrent, sans grand souci de l’heure future.

Labergère et Bobby, épuisés, s’endormirentprofondément.

Mais sir Athel veillait.

Certes, il savait bien que, sur cetteplate-forme qui les isolait, lui et ses camarades ne couraientaucun danger immédiat. Mais une idée vague, obscure, le hantait etlui inspirait la crainte de complications nouvelles, plus terriblesencore que celles qu’ils avaient surmontées…

Il attendit patiemment. Labergère ronfla,Bobby susurra. Ils dormaient profondément… il était libred’agir.

Avec des précautions infinies, il se glissavers la partie déclive de la plate-forme : ayant attaché à sonfront un bandeau métallique auquel était fixée une lampe vrilienne,il se mit à descendre.

Rompu comme tous les Anglais aux exercices ducorps, à tous les jeux d’agilité et d’adresse, et de plusexceptionnellement robuste, sir Athel utilisa à merveille lesmoindres anfractuosités du roc et de la glace. Bientôt, ilatteignit une sorte de corniche qui lui permit de prendre quelquesinstants de repos : il aspira largement l’air frais quidonnait à ses poumons une nouvelle activité. Bien qu’il ne pût seflatter d’être sorti, avec ses amis, de la passe effroyable où lafatalité les avait engagés, pourtant il ne s’était jamais sentil’esprit plus libre ni de vaillance plus active. Il avait acceptéla lutte, il était certain de ne pas faiblir.

Il reprit la descente. Maintenant, ilcommençait à apercevoir le fond de la grotte, fait de stratescongelées qui se chevauchaient les unes les autres, comme si leflot d’une rivière s’était tout à coup figé, en une brusquecongélation qui avait arrêté ses mouvements pendant qu’ilss’accomplissaient encore.

Au pied de l’aiguille qu’il abandonnait, unlarge espace s’étendait, formant une sorte de mamelon, de teintenoire, comme les taches qu’il avait aperçues d’en haut avecLabergère. Cependant une couronne de glace entourait la base detoute cette partie, d’une blancheur éclatante, ne faisant que mieuxressortir la noirceur du bloc qui gisait au-dessous. Sir Athel posaenfin ses pieds sur cette galerie : il avait accompli la plusdure partie de sa tâche. Mais c’était maintenant surtout qu’il sesentait saisi par une curiosité si intense que son cœur battait àlui rompre la poitrine.

Avec une prudence que doublait la crainte decompromettre le succès de l’enquête qui s’imposait à lui, le jeuneAnglais fit d’abord le tour de la couronne de glace, projetant lalumière aussi loin qu’il lui était possible.

Il aperçut encore des taches noires, mais dedimensions plus petites que celles déjà remarquées. Il sentitquelque chose craquer sous ses pieds : il détacha sa lampe, sepencha, regarda : il venait de marcher sur un objet qu’ilavait écrasé à moitié et, l’ayant ramassé, il eut un cri desurprise.

Très versé dans la science paléontologique, ilvenait de reconnaître les os d’une aile qu’il reconnut aussitôtpour avoir appartenu à un Ptérodactyle, cet animal à jamaisdisparu, et dont le crâne avait suggéré au grand anatomiste RichardOwen cette pensée, que jamais organe de vertébré n’avait étéconstruit avec plus d’économie de matériaux, pour allier lalégèreté à la force.

Alors, comme si cette découverte avaitcorroboré certaine pensée qu’il n’osait pas, dans sa modestie desavant, s’avouer à lui même, il descendit résolument de l’îlot deglace et marcha vers l’énorme tache noire qui avait attiré sonattention.

Et bien vite il reconnut que ce n’était là niun bloc de basalte, ni une masse de granit, mais bien le corpsentier d’un animal gigantesque, le mammouth, disparu, depuis descentaines de siècles, et qui ne nous est connu que par dessquelettes ou parties de squelettes trouvés dans les profondeursdes couches paléozoïques.

Oui, c’était bien cette masse gigantesque,lourde, véritable ébauche de la nature dont l’éléphant actuel estla descendante réduite au tiers. Et, avec une fièvre passionnée,sir Athel voyait, reproduit sous ses yeux, le prodige naguère déjàconstaté en Sibérie : la conservation entière, absolue, par lefroid, d’un animal colossal, avec sa peau, sa chair. Il se hissasur les épaules du monstre pour considérer de plus près cette têteénorme avec ses deux défenses recourbées sur elles-mêmes ; iltâta de ses mains le poil raidi par le froid, il descendit jusqu’àses pieds immenses qui semblaient taillés dans un bloc demarbre.

Oh ! il ne pensait plus alors au dangerqu’il courait avec ses compagnons : il vivait son rêve desavant, palpant ces membres que nulle force humaine n’aurait pusoulever… quel triomphe pour un chercheur !… quelle réponsevictorieuse aux adversaires de l’évolution !…

Et pris d’une sorte de folie, sir Athel grimpasur le corps du mammouth, pour mieux examiner les autres tachesnoires qui – il n’en doutait plus – étaient des animauxpréanthropiques, antérieurs à l’apparition de l’homme… et unpremier examen ayant confirmé son hypothèse, il redescendit et semit à courir à travers la grotte…

Ici, il retrouvait intact, dans sonimmobilité, séculaire, le megathérium, avec son train de derrièremassif, avec ses pattes projetées en avant et armées de griffespareilles à des sabres et qui saisissaient la proie en lalacérant.

Plus loin, c’était, couché sur le flanc, commeendormi, le mastodonte, le proboscidien gigantesque, le géant desmammifères des temps primitifs, avec six mètres de hauteur, huitmètres de long, la trompe non comprise !

Là, surpris sans doute et immobilisé par lefroid, le mégacéros, l’ancêtre de notre cerf, avec des cornesénormes se déployant en éventail et trouant l’air à une hauteur dequatre mètres ! Celui-là, penché sur ses jambes de devant,repliées vers le sol, semblait prêt à achever un saut interrompupar le cataclysme.

Il faillit tomber, s’embarrassant les piedsdans les écailles d’un crocodile monstrueux, mesurant plus de deuxmètres, affalé sur son ventre, avec la gueule ouverte comme pour lecombat.

Enfin, les deux chefs-d’œuvre de cettecollection – le seul terme qui pût caractériser cette étonnanteagglomération de monstres – c’était un brontausaure, le géant desdinosauriens, d’une longueur d’au moins quinze mètres, d’un poidsde quinze tonnes !… il était étendu, son long cou relevé etdardant en l’air sa tête minuscule – et enfin la tache noire queLabergère avait aperçue, dressée sur la paroi d’un bloc de roche oude glace, c’était le dinornis, l’énorme oiseau, prototype de nosautruches, et qui, du pied au crâne, mesurait plus de trois mètres…l’animal était resté debout, accoté contre la masse qui lesoutenait… étonnamment conservé, avec ses plumes longues et raides,encore luisantes…

Quelle commotion terrestre avait pu déterminerce stupéfiant phénomène !… Évidemment une vague de froids’était abattue sur la région, si terrible, si foudroyante,pourrait-on dire, que devant elle un groupe d’animaux avait tentéde fuir, oubliant, en cette évasion terrible, les rivalités et leshaines… et par l’afflux soudain des neiges et des glaces, ilsavaient été bloqués dans cette caverne où le froid les avaitcloués, glaçant instantanément leur sang et leur moelle… puisl’abîme s’était refermé sur eux… les enterrant dans cettetempérature glaciale et à jamais conservatrice…

Les siècles et les siècles avaient passé, etéternellement ces spécimens formidables des premiers efforts de lanature créatrice devaient rester ignorés… et il avait fallu, pourque ce repos fût troublé… que John Coxward, le boxeur, ayant voléune montre, vint, pour échapper à ceux qui le poursuivaient, sauterpar-dessus le mur de sir Athel Random, et se réfugier, ivrogneaffolé, dans le vriliogire !…

À quoi tiennent les destinées !…

De sa longue course à travers la grotte, sirAthel était exténué ; mais il ne pouvait abandonner sescompagnons qui, ne le trouvant pas auprès d’eux à leur réveil,auraient pu s’épouvanter et commettre quelque imprudence…

Le courageux Anglais – à qui la joie de sadécouverte rendait d’ailleurs des forces nouvelles – remonta, à laforce des poignets et des reins, sur la plate-forme où il avaitlaissé Labergère et Bobby…

Il les retrouva, calmes, immobiles, ronflantet susurrant…

Et, s’étant laissé tomber sur le sol, ils’endormit profondément.

Hélas ! son sommeil eût-il été aussipaisible, s’il avait pu deviner l’effroyable catastrophe qui allaitse déchaîner sur Paris !

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