L’Effrayante aventure

VI – La revanche du« Nouvelliste »

 

À vrai dire, Paris – pour employer uneexpression familière – n’en menait pas large, d’autant que denouveaux phénomènes étaient survenus.

La nuit précédente on avait vu des lueurssingulières se dégager de l’appareil qui s’enfouissait à chaqueinstant davantage, et d’où il semblait qu’une intarissable sourceélectrique lançât de continuelles effluves.

Les journaux faisaient rage. Naturellement lesfeuilles hostiles aux progrès clamaient à la faillite de lascience.

Que faisait cette Commission qui comportaitdans son sein toutes nos notoriétés académiques et qui siégeait enpermanence ? En fait, il semblait que les discussionsdégénéraient en papotages incohérents et inutiles.

L’illustre M. Verloret, le roi del’Aviation, comme on l’avait surnommé depuis son invention duparachute à roulettes, avait seul émis un avis assez sensé pourrallier tous les suffrages.

Selon lui, l’appareil de Ménilmontant étaitune sorte d’hélicoptère, basée sur le principe exposé en 1784 parLaunay et Bienvenu devant l’Académie des Sciences et que renouvelaPonaud en 1870, en utilisant le ressort à caoutchouc. Il rappelaitensuite les magnifiques expériences de M. Marey avec sesinsectes mécaniques.

Tout indiquait qu’on se trouvait en présenced’un appareil de cette nature, et où la démonstration de cettehypothèse s’affirmait dans les palettes d’hélice qui avaient étédécouvertes dans le terrain vague.

Ce premier point semblant acquis,M. Verloret passait à la question du moteur dont la puissancelui paraissait être énorme, et qui, très probablement, étaitactionné par l’électricité.

– Soit, répliquait M. Alavoine, le génialrégénérateur de l’automobilisme. Ceci est un fait constaté ;mais il ne faut pas être grand clerc pour formuler une hypothèseque nul ne songe à combattre. Moteur électrique, fort bien. Maiscomment se peut-il que le moteur ne soit pas encore épuisé ?Comment expliquer son action continue qui, à l’heure actuelle,s’exerce même sur le terrain dans lequel l’appareil menace dedisparaître, comme si un mécanisme invisible agissait en manière deperforation.

« Qui de nous connaît une pile qui ait uneffet perpétuel, avec une pareille puissance ?

« L’explication de l’honorableM. Verloret n’est qu’une question qui s’ajoute à une autrequestion. Électrique, d’accord. Mais quelle est la source de cetteélectricité ? Comment pouvons-nous tarir cette source ?C’est pour résoudre ce problème que nous sommes ici, et il nesemble pas que nous ayons fait encore le moindre pas vers sasolution. »

Sur cette constatation pessimiste, ladiscussion s’était envenimée, et les observations aigres-doucesavaient corsé outre mesure les argumentations qui dégénérèrent bienvite en querelles personnelles. On vit même deux de ces illustreschauves prêts à se prendre à ce qui pouvait leur rester decheveux.

Le grave journal, Le Temps, ayantparu à cinq heures, ne pouvait s’empêcher, en donnant un compterendu humoristique de cette séance mouvementée, de terminer sonspirituel article par la phrase proverbiale : « Et voilàpourquoi votre fille est muette. »

Paris eût bien voulu s’égayer. Mais en véritéune étrange inquiétude régnait. Un véritable malaise serrait toutesles poitrines et les plaisanteries se figeaient sur les lèvres.

Certes, les terrasses des cafés étaientpleines ; mais il n’y régnait pas cette insouciance de bonaloi qui fait si légère et si douce l’atmosphère de notre pays. Lescauseurs se taisaient soudain, comme s’ils avaient entendu –là-bas, on ne sait où – quelque rumeur menaçante. C’était autrechose, qu’aux jours du siège de Paris. Le caractère mystérieux,inexplicable de l’événement réveillait au fond des âmes une sortede mysticisme apeuré. Il subsiste en chacun de nous un sentiment dedéfiance contre le surnaturel.

Le Reporter parut le premier, verssix heures du soir. Il était prolixe en détails sur les incidentsqui avaient marqué, dans la journée, le travail lent, maisinarrêté, qui semblait s’opérer dans l’appareil mystérieux et aussidans le terrain où il s’enfouissait.

Bien entendu, la fameuse commission étaitvitupérée à souhait. Nos savants étaient habillés, comme on dit, depapier à six liards, et ces critiques virulentes n’étaient pasfaites pour rassurer le public. Les Parisiens avaient supportébeaucoup plus gaillardement le passage de la comète de Halley qui,finalement, ne leur avait donné que le spectacle d’une magnifiqueaurore boréale.

Ici le danger semblait plus proche, plustangible, en quelque sorte.

Chacun donnait son idée, toujoursimpraticable, sur les moyens d’en finir. Il fallait amener du canonet pulvériser l’appareil, ou bien apporter des tonnes de matériauxpour l’ensevelir.

Soit. Mais qui pouvait affirmer que le chocd’un obus, que l’écrasement sous des pierres ou du sable,n’amènerait pas une explosion épouvantable ?

Le Reporter n’eut aucun succès, etmême comme il avait affecté, à la fin de son article, de prendre unton de plaisanterie goguenarde, il y eut dans la foule un mouvementd’irritation qui se manifesta par les pires violences contre lepapier innocent, dont on fit un autodafé au carrefourMontmartre.

Comme le Nouvelliste était un peu enretard, des groupes compacts stationnaient devant la maison, toutepeinte en vert cru, que le journal a élevé au coin de la rueDrouot.

C’étaient des cris, de véritablesvociférations. On ne sait quels caprices peuvent secouer lesfoules ; déjà des enragés se jetaient sur les cadres de verreoù, d’ordinaire, s’affichait le journal, et les brisaient à coupsde canne.

On levait les poings vers l’énorme transparentqui, à la hauteur du deuxième étage, servait d’ordinaire à afficherles nouvelles sensationnelles, et qui restait immaculé.

Tout à coup, un éclair de magnésium illuminala façade : il était sept heures et demie et le jour baissait.En même temps, toutes les lampes électriques s’allumèrent… et delarges lettres noires apparurent sur le fond blanc dutransparent.

Poussant des acclamations frénétiques, lafoule lut :

SAUVÉS ! ! !

Le mystère est connu !

Tout danger sera conjuré cette nuit même.

Dans un quart d’heure,

LE NOUVELLISTE

Dira toute la vérité !

COXWARD ÉTAIT BIEN COXWARD.

Et ce fut alors sur le boulevard, au moment oùparurent les porteurs, une véritable émeute dans laquelle une foisde plus apparut la sauvagerie atavique. On s’arracha littéralementles journaux, on se battit, des paquets entiers jonchaient le sol,sur lesquels se ruaient les gens, les déchirant de leurs onglesimpatients.

Mais qu’importait aux porteurs grassementpayés ! au journal lui-même qui reconquérait du coup toute sapopularité et portait au Reporter un coup d’assommage dontil se relèverait difficilement.

C’était d’ailleurs pour le lui mieux assénerque le Nouvelliste avait retardé son apparition, quoiqu’il fût nanti depuis trois heures de la dépêche que Labergère luiavait adressée avant son départ de Londres et qui figurait en groscaractères en tête du numéro.

Elle était ainsi conçue :

« J’ai découvert la clef du mystère.L’appareil en question est un engin d’aviation mû par une pile denouvelle invention et d’une incroyable énergie. L’inventeur, qui senomme sir Athel Random, part à l’instant pour Paris où nousarriverons dans la soirée, accompagnés de M. Bobby, ledétective anglais qui fut si fort vilipendé par certain de nosconfrères et qui, en reconnaissant le boxeur Coxward dans le mortde l’Obélisque, disait l’exacte vérité. Coxward était venu en uneheure de Londres à Paris par l’appareil de sir Random qu’il abaptisé du nom de vriliogire.

« Toutes explications, toutes preuvesseront données par l’inventeur qui comparaîtra ce soir même devantla commission scientifique, si elle daigne se réunir. Une heureaprès, l’appareil aura été neutralisé. Donc plus d’inquiétude. Nuldanger ne menace Paris. »

Et, après un blanc d’un demi-centimètre, unenouvelle dépêche :

« Serons à Paris à neuf heuresquinze.

« Signé : LABERGÈRE. »

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