L’Effrayante aventure

IV – Le tout pour le tout

 

Sir Athel s’attendait si peu à entendre unevoix humaine répondant à la sienne, qu’il était resté un instantinterdit, comme suffoqué.

Mais, se ressaisissant aussitôt, il plaça sesdeux mains en porte-voix devant ses lèvres et cria à pleinspoumons :

– Qui a parlé ?…

Voilée, paraissant lointaine, la voixrépliqua :

– Moi, Eusèbe Labergère, rédacteur auNouvelliste.

– Et moi, je suis sir Athel Random…

– N. de D. ! (pardon del’exclamation ! mais avouons qu’elle était dans la note). Vouspouvez vous vanter d’être un joli coco et de nous avoir fourrésdans un beau pétrin !…

– Où êtes-vous ?

– Je n’en sais rien… là ou ailleurs, quelquepart ou nulle part, à deux ou trois cents pieds sousterre !…

– Êtes-vous blessé ?

– Je n’en sais rien… mais moulu, démoli, nepouvant remuer ni pieds ni pattes !… Oh ! ce que jedonnerais pour prendre un distingué au café deBoubouroche !

– Ne vous découragez pas ! On en sortira…C’est déjà beaucoup de n’être pas mort !… Voyons,écoutez-moi !… (il agita la flamme autour de lui). Voyez-vousune lueur, un reflet…

– Je ne vois rien… je suis trop abruti…

– Bon ! tenez-vous tranquille etattendez !…

Labergère gronda encore quelques mots qu’onn’entendit pas. Athel, qui avait recouvré toutes ses facultés delogique, se disait très justement que la grotte où il se trouvaitcommuniquait certainement avec quelque autre poche ou caverne, sansdoute celle dont le plancher de celle-ci formait le plafond.

Armé de sa lampe, il se mit donc à explorersoigneusement la caverne, se rapprochant peu à peu du vriliogirequi occupait l’une de ses extrémités.

Déjà il en avait fait deux fois le tour, trèssurpris de ne trouver aucune ouverture par laquelle Labergère eûtpu être précipité dans les sous-sols, si cette expression peut-êtreemployée à cette profondeur.

Soudain, il s’arrêta devant une masse noirâtrequ’il avait déjà frôlée en passant et qui lui avait produitl’impression d’être un bloc de pierre de nuance plus foncée que lesautres.

Mais cette fois, la heurtant volontairement dupied, il eut une surprise.

Cela n’avait pas la rigidité de la pierre,c’était mou et élastique.

Il se pencha vivement et tâta de sa main largeouverte.

– Mais c’est un tas d’étoffes, murmura-t-il. Àmoins que…

Il palpa cette fois plus vigoureusement :sous l’étoffe, il y avait de la chair. C’était un corpsorganique !…

Mais en vain, il s’efforçait – à la lueur desa lampe – de reconnaître la forme, la nature de l’objet. Il nevoyait qu’une sorte de rotondité, sur laquelle était tendue commeune gaine de drap noir.

Tout à coup, il poussa un cri : c’étaitun corps humain, mais si étroitement encastré dans un cadre depierre qu’il semblait impossible de l’en arracher.

Vivant ? Mort ? il ne bougeait pas,n’avait pas un frisson, pas un tressaillement… pourtant posant samain bien à plat sur l’étoffe, Athel constatait que la chaleuranimale n’avait pas disparu. Il s’agenouilla, posa son oreille surla partie qui saillait et écouta attentivement.

Cela respirait. Cela vivait !… le drapétait celui d’une redingote, d’une redingote anglaise… d’où enconclusion ce nom qui jaillit des lèvres d’Athel Random :Bobby !

Et quand il l’eut crié, il se fit dans le dosen question comme un léger remous. Donc quelque part, sous ce dos,il y avait une tête, avec des oreilles.

Pourtant Athel considérait cette chose avecinquiétude : certes, il semblait fort simple d’empoigner cedos, à pleine main, par l’étoffe, et de l’enlever, en attirant aveclui le reste du corps.

Mais la pierre formait autour de lui unebordure si étroitement adaptée qu’il semblait impossible que cereste suivit l’impulsion. Heureusement, sir Athel n’était pas hommeà abandonner la partie. À force d’efforts, il parvint à introduireses deux mains entre la bordure de pierre et le cadre, et lesjambes écartées, tirant en haut de toute sa vigueur, il arriva àdesserrer l’étau qui comprimait le thorax du malheureux.

Il eut alors une autre crainte : ilsentit que le corps, dégagé de l’étreinte qui le retenait, tendaità tomber dans l’espace vide qui s’étendait au-dessous de lui. Ilfallut que sir Athel fît appel à toute sa vigueur, très supérieureà la moyenne d’ailleurs, pour que, soutenant le corps d’une seulemain, il pût user de l’autre pour le redresser…

Enfin le corps bascula légèrement, et lesépaules, puis la tête sortirent. Un dernier sursaut et Bobby, ouiBobby, émergeait de ce trou où il s’était encadré simaladroitement.

Mais dans quel état, hélas ! livide, lesyeux clos, avec une éraflure au front d’où perlaient des gouttes desang ?… Sir Athel, rapidement, le palpa, l’ausculta. Rien decassé. C’était miracle. Seulement un évanouissement, suite d’unechute. Le vrilium n’était-il pas là ! Le portefeuille dusavant était une véritable trousse, un arsenal médical… la petiteseringue fit son apparition et, ayant mis le mollet à nu, sir Athelfit une toute petite injection.

Puis, en attendant l’effet, il revint du côtéoù il avait entendu la voix de Labergère. Chose fort curieuse, illui était impossible de trouver une nouvelle fissure dans la pierrequi formait le plancher. Mais alors ! était-il d’aventurepassé tout entier par le trou à l’orifice duquel Bobby s’était simalencontreusement arrêté ?

C’était réel : il en eut la preuveimmédiate, car le reporter qui s’impatientait là-dessous, se mit àcrier :

– Hé ! là-haut ! est-ce que vousauriez la prétention de me laisser moisir dans cescatacombes ?

Cette fois, sa voix, tout à l’heure arrêtéepar le corps de Bobby qui faisait tampon, arriva claire etvibrante. Cela explique aussi comment la lumière du vrilium nepouvait parvenir jusqu’à lui. Maintenant, il la voyait, au-dessusde lui.

– Écoutez-moi, lui cria Athel. Nous ne pouvonsnous dissimuler que nous nous trouvons dans une situation plus quecritique. Apprenez d’abord que Bobby est vivant, là, près de moi,et que dans quelques minutes il sera parfaitement valide…

– Chouette ! clama Labergère d’un accentgamin. Il m’aurait manqué.

– Donc nous serons trois à unir nos effortspour sortir d’ici. Il s’agit de conserver notre sang-froid, defaire appel à toute notre ingéniosité. Commencez-vous à secouervotre accablement ?…

– Oui, oui !… si j’y voyais plus clair,je me remettrais tout à fait… mais vous savez, dans le noir d’unecave qu’on ne connaît pas, on n’en mène pas très large…

– Je vais vous éclairer aussi largement quepossible et vous répondrez à mes questions…

– Allez-y !

Sir Athel s’étendit sur le sol et, par le trouque l’extraction de Bobby avait laissé libre, il passa son tube àlumière.

– Parfait ! cria Labergère. Gaz à tousles étages ! Y a du mieux !

– Pouvez-vous vous dresser, regarder où vousêtes !

– Je suis sur pied. L’endroit n’est pas gai.Une cave, une grotte, ce qu’on voudra, mais énorme.

– Quelle est à votre avis la hauteur duplafond ?…

– Hum ! Je n’ai pas l’œil très juste ence moment… dans les cinq à six mètres…

– Voyez-vous quelque moyen de vous hisserjusqu’à l’orifice où est la lumière…

– Aucun ! pas la plus petiteéchelle ! des murs qui semblent d’un seul morceau, sansaspérité où poser le bout du pied ni accrocher un ongle.

– Si bien que vous ne pourriez remonterici…

– C’est de toute impossibilité… il faudrait aumoins trois hommes se faisant la courte échelle…

– Question à étudier !… vous allez pourun instant retomber dans le noir, il faut que je m’occupe deBobby…

– Faites donc, je vous prie. Je ne suis quepatience !…

Sir Athel avait entendu Bobby bouger derrièrelui : il se retourna. Bobby était maintenant assis par terre,les yeux écarquillés et l’air parfaitement ahuri. Il faisait desgestes incohérents comme s’il eût adressé un monologue muet à unepersonne invisible.

Évidemment, la terrible secousse qu’il avaitéprouvée avait quelque peu déséquilibré ses méninges ; etquand sir Athel s’approcha de lui, il eut un mouvement derecul.

Le jeune Anglais lui parla lentement,doucement, cherchant à imprimer dans son esprit la conviction qu’ilétait sauvé – affirmation dont, hélas ! à part lui, ilcontestait l’absolue vérité. Mais à mesure qu’il le rassurait,Bobby, peu à peu, reprenait sa physionomie normale.

Enfin il reconnut son interlocuteur ets’écria :

– By God !… Vivel’Angleterre !… Vive sa Majesté l’Empereur et Roi !…

Cette effusion de loyalisme acheva de leremettre d’aplomb.

– Tiens ! nous sommes vivants !fit-il. Ah ! c’est Mrs. Bobby qui sera contente. Je vais luitélégraphier tout de suite.

– Hum ! dit sir Athel, dites-vous bien,cher monsieur Bobby, qu’il nous faut d’abord sortir d’ici…

Bobby promena autour de lui des regardslégèrement hagards :

– Ah çà ! où sommes-nous ?

– À quelques centaines de pieds sous terre,tout simplement…

– Haô ! fit le détective. C’estbeaucoup ! alors nous sommes perdus !…

– Tant que le sang circule dans nos veines,répliqua sir Athel, tant que la tête est saine et les musclesélastiques, il ne faut jamais désespérer. Vous n’avez rien decassé ?

– Rien !

– La tête est nette ?

– À peu près !…

– Eh bien, je vous dis, moi, sir Athel, quenous ne devons nous avouer vaincus qu’après tout avoir tenté pournous tirer d’affaire… Allons ! Bobby !… vous êtes citoyenanglais… il faut que vous et moi nous fassions honneur à notrepays… n’oubliez pas qu’il y a là-dessous un Français qui nousjugera.

– Un Français ! Qui cela ?

– Mais votre ami Labergère…

– Tiens ! c’est vrai !…Comment ! il n’est pas plus démoli que nous !…

– Penchez-vous sur ce trou et parlez-lui.

– Hé ! M. Labergère, howdo you do ?…

– Quite well, much obliged !répondit le reporter avec un bon rire.

– Où êtes-vous ?

– Je vous raconterai ça quand je le saurai.Pour le moment, je voudrais bien que sir Athel nous dise s’il a uneidée quelconque pour sauver nos carcasses.

– Écoutez-moi tous les deux, dit l’Anglais.Nous avons été précipités dans une espèce de gouffre dont nous nepouvons, malheureusement, connaître la profondeur. Par on ne saitquel miracle, le vriliogire a résisté au choc et nous a frayé lavoie dans une sorte de puits au fond duquel nous avons glissé.Comme vous étiez au-dessus de lui, peut-être soutenu par le toit,vous êtes arrivés jusqu’à l’endroit où, dans une des parois dupuits, une solution de continuité existait. Vous avez roulé dans lapoche où nous nous retrouvons M. Bobby et moi : là étaitune ouverture dans la paroi inférieure. Vous, monsieur Labergère,vous y êtes tombé et c’est chose surprenante que vous ne vous soyezpas brisé les os… M. Bobby s’est mal présenté et a été arrêtépar les contours de l’orifice où il était enchâssé comme un diamantdans l’or qui le sertit…

« Je l’ai tiré d’affaire. Je voudraisfaire mieux. Raisonnons donc. Il n’est aucun moyen humain deremonter dans le puits qui d’ailleurs doit être obstrué. Pour unepareille ascension, nous ne disposons d’aucun moyen, et le vriliumlui-même ne peut pas nous être d’utile secours.

« Conclusion, il nous faut trouver uneautre issue.

« Nous sommes parés pour certaineséventualités, contre l’obscurité, contre la faim et contre desobstacles matériels que le vrilium peut renverser. Nous nousfraierons notre chemin, et, la science aidant, nous parviendronspeut-être à remonter à la surface de la terre…

– Oh ! Paris ! les boulevards !gémit comiquement Labergère. Et un bock… bien tiré !

– Enfin, comme vous, Labergère, ne pouvezvenir à nous, il faut que nous descendions jusqu’à vous, et c’estde l’endroit où vous êtes que nous commencerons notre exploration…Monsieur Bobby, avez-vous quelque objection à présenter contre ceplan ?

– Aucune ! fit Bobby, bombant le torse.Avec le vrilium, j’irais au bout du monde !

– Par malheur, pour le moment, le monde pournous n’est pas très spacieux, et le bout n’en est pas éloigné…Agissons, monsieur Bobby, ne bougez pas. Je rentre dans levriliogire, pauvre épave que je me vois forcé d’abandonner… jeprends divers objets dont nous pouvons avoir besoin… MonsieurBobby, tenez la tige éclairante à bout de bras et laissez-moifaire…

D’un bond léger, sir Athel rentra dans lacabine. Cinq minutes après, il en ressortait muni d’une petitecaisse et d’un rouleau de cordelettes grosses comme le petitdoigt :

– Maintenant, mon cher monsieur Bobby, je vaisavoir l’honneur de vous attacher par les aisselles et de vousdescendre auprès de votre ami, M. Labergère. Vous n’y voyezpas d’objection ?

– Dès maintenant, je me considère comme enservice et je vous tiens pour mon chef…

– Perfectly well ! Goon !

En un instant, Bobby fut solidement amarrésous les bras : avec la meilleure volonté du monde, tenantdans ses bras la caisse qui lui était confiée, il se laissa glisserdans le trou en question, suffisamment large pour qu’un corps ensituation normale y passât tout entier, et la descentecommença.

Cinq mètres ! Labergère avait calculéjuste. L’affaire s’opéra sans encombre :

– J’ai Bobby dans mes bras ! criaLabergère. Mon cœur palpite. Ah çà, et vous, comment diableallez-vous nous rejoindre…

– Comme ceci ! dit sir Athel, qui, sesuspendant par les mains au rebord de la voûte, se laissa tomber,souple et habile, et se trouva sur pied.

Bien vite, il ralluma la lampe un instantéteinte.

– Prenez vite chacun une pilule Berthelot,dit-il. Il nous faut toute notre force.

– Ce n’est pas que ce soit mauvais, ditLabergère, mâchonnant l’aliment chimique, mais ça ne vaut pas unbifteck…

– Nous n’en sommes pas à faire de lagourmandise. La caisse, monsieur Bobby !

Il l’ouvrit et en tira deux tiges qu’il remità ses compagnons, après en avoir fait jaillir le fluidelumineux.

– Inspectons les lieux, dit-il.

Marchant l’un derrière l’autre, sir Athel enavant, ils se mirent à explorer l’énorme poche creuse dans laquelleils étaient emprisonnés.

Et soudain sir Athel poussa un cri dejoie.

– Il y a une issue…

C’est-à-dire qu’il venait de découvrir unefente, très haute, étroite, qui semblait avoir été tranchée dans leroc d’un coup de hache.

– Nous sommes sauvés ! fit Bobby quiétait d’humeur optimiste.

– À condition, rectifia sir Athel, que cecouloir, qui me paraît fort étroit, conduise quelque part.

– Ailleurs vaut mieux qu’ici !…

– Très vrai, approuva Labergère. Et direqu’au-dessus de nous, il y a de bons Parisiens qui vont, quitrottent, qui blaguent… peut-être dans l’axe de ma tête setrouve-t-il juste une brasserie ! Eh bien ! où diable estpassé notre Anglais ?…

En effet, sir Athel venait de s’engagerrésolument dans la fente et avait disparu.

– Attendez un peu, cria-t-il, à quoi bon nousrisquer tous trois dans cette exploration première ?…

Il y eut un long silence ; puis la voixreprit :

– Venez tous deux !… faites attention, ily a là une descente assez rapide…

– Une descente ! soupira le reporter.Ah ! nous n’aspirons guère à descendre, comme disait le vieuxCorneille. Enfin, mon vieux Bobby, qui sait, nous sortironspeut-être d’ici aux Antipodes, par quelque île ignorée de l’océanPacifique… Ça ne me ferait rien ! mais ça sera long !… etmoi qui avais un rendez-vous à deux heures rue Taitbout !…

Il s’engagea rapidement dans le souterraindont les parois à pic permettaient à peine à ses larges épaules dese déployer. Bobby, toujours obéissant, le suivait enserre-file.

– Eh bien ! demanda le reporter.Qu’est-ce que vous pensez de nos affaires, monsieur duvrilium ?…

Sir Athel, arc-bouté sur ses deux pieds,promenait la lueur de sa torche sur la hauteur de la paroi.

– Êtes-vous géologue ? demanda-t-il àLabergère.

– Hum ! j’ai quelques notions de ça,comme de tout. Un bon journaliste doit être bon à n’importe quoi,fut-ce à faire au pied levé une conférence à la Sorbonne, sur lesRévolutions du Globe…

– Bon ! vous me comprendrez, c’est toutce qu’il faut. Je suis, je vous l’avoue, profondément étonné.Ignorant aussi bien que vous à quelle profondeur nous noustrouvons, pourtant, je ne puis m’imaginer comment les sédimentssont composés, les roches qui nous enveloppent appartiennent à ladernière période de l’ère tertiaire – ce que nous appelons lemiocène, au moment où commence le pliocène… C’est à cette époqueque remonte la formation du terrain sur lequel aujourd’hui reposeParis…

– Alors, fit Labergère, en allumant unecigarette – hélas ! la dernière qu’il avait tenue en réserve,c’était avant 1830…

– Il doit y avoir de cela quelques centainesde mille ans…

– La pierre est bien conservée… elle ne paraîtpas son âge…

– Et cependant, que de secousses, que deperturbations le sol subit à cette époque ! s’écria sir Athel.Des phénomènes puissants, dont nous pouvons à peine nous former uneidée, modifiaient continuellement et avec une brusqueriestupéfiante, les conditions climatériques, qui passaient d’uneexcessive chaleur à un froid glacial… aux effluves du soleil dontles ardeurs tropicales peuvent à peine nous donner une idée,succédaient presque instantanément des rafales de neige et depluie, que des vents furieux et desséchants figeaient en glaciers –c’était le temps des éruptions volcaniques de l’Auvergne et lesroches microlithiques…

– Cher monsieur, interrompit doucement lereporter, excusez-moi de vous couper la parole : mais nepourriez-vous pas remettre ces explications à plus tard… le tempspasse et (il regarda sa montre) il est bientôt l’heure del’apéritif…

– Vous avez raison ! fit sir Athel enriant. Quand le démon scientifique s’empare de vous, on oublie toutle reste…

– Au moins, cette science – aux nomsrébarbatifs – nous indique-t-elle un moyen de salut ?…

– Hélas ! en aucune façon !Cependant les bouleversements qui eurent lieu à cette époque furentsi énormes qu’ils permettent toutes les hypothèses… qui sait si, aumoment où nous nous y attendrons le moins, nous ne trouverons pasune issue…

– À moins que nous n’en trouvions pas !Parfaitement, c’est compris. Enfin, je prends des notes pour leplus beau reportage qui ait jamais été perpétré… j’ai montitre : « Voyage à travers le Miocène !… » maisje vous avoue que je voudrais bien en être à l’heure où jetoucherai mes droits d’auteur…

Ils s’étaient remis en marche : la failles’était subitement élargie, puis le sol était devenu de plus enplus difficile, avec des saillies et des creux qui les faisaienttrébucher…

Soudain, une triple exclamation – faite desurprise et de désappointement – s’échappa de leurs poitrines…

Devant eux, fermant complètement le chemin,une muraille se dressait, haute, lisse, jointoyée avec autant deperfection que si elle eût été faite de ciment, sans une fissure,sans un interstice. Le long couloir dans lequel ils marchaientdepuis si longtemps était coupé…

Labergère avait laissé échapper un juron aussiénergique que peu parlementaire, le brave Bobby lui-même, malgré lacorrection de sa tenue et de son langage, avait lâché un équivalentdans sa langue.

Seul, sir Athel était resté muet, commesuffoqué : seulement, de grosses gouttes de sueur mouillaientson front.

Cette fois, c’était bien la fin, ladésespérance, la mort…

En admettant qu’ils revinssent sur leurs pas,ils se retrouveraient dans la caverne qu’ils avaient quittée, il yavait déjà plus de deux heures, et déjà ils savaient que, de là,nulle évasion n’était possible.

Ils étaient cernés, enterrés, séquestrés…

– Nous sommes f… dit laconiquementLabergère.

– Adieu, Mrs. Bobby, murmura douloureusementle détective.

– Et tout cela est mon œuvre ! s’écriasir Athel. Que la mort vienne donc pour me délivrer d’un immortelremords !…

– Voyons, mon vieux, dit Labergère, d’un tonconciliant, ne vous frappez pas comme ça !… il est vrai quenotre belle carrière est achevée, et je sais que ma mort est unevraie catastrophe pour le monde entier… Bah ! il s’enconsolera !… il ne nous reste qu’à prendre notre parti ;ce qui me taquine, c’est que j’avais toujours rêvé de mourir enbeauté… et c’est laid, c’est sale, de crever dans une cave…fût-elle pliocène !… Si encore on pouvait s’offrir un bonfrichti avec champagne, café et liqueurs variées… sherry-brandy ouFernet Branca !…

La voix de Bobby s’éleva, pleurarde commecelle d’un enfant :

– Moi ça me fait tout de même de la peine demourir… Voyons, sir Athel, essayez quelque chose… vous êtes savant…vous avez le vrilium…

À ce mot, sir Athel releva la tête. Mais oui,Bobby avait raison !… Cette force énorme dont il disposait,avait-il le droit de ne la point employer, fut-ce mêmeimprudemment, follement ! Puisque tout espoir semblait perdu,le moment n’était-il pas venu de tout risquer !…

– Écoutez, amis, dit-il d’une voix résolue.M. Bobby dit vrai, j’ai le vrilium : grâce aux appareilsque j’ai placés dans la caisse qui est là, je peux tenter depercer, de renverser la muraille qui nous fait obstacle et au-delàde laquelle, qui sait ? nous pouvons trouver le salut…

– Parfaitement, fit Labergère. Allez-y…

– Sachez bien ce que nous risquons… peut-êtrecette muraille fait-elle partie de l’assise sur laquelle repose lavoûte qui nous couvre… Cet appui lui manquant, elle peuts’écrouler… alors c’est l’écrasement, la mort immédiate…

– Eh bien, on mourra, voilà tout. Il estcertain que, si nous restions là à nous tourner les pouces, nousn’en viendrions pas moins au couic final, et peut-être très laid…nous serions capables de nous disputer, de nous battre… même denous manger les uns les autres !…

– Haô ! fit Bobby.

– Mais oui, mon petit !… Quand tu aurasperdu la tête, tu es parfaitement capable de vouloir me grignoterun bras… donc, M. Random, vous avez ma pleine autorisation…que votre aimable vrilium tape là-dedans, coupe, tranche,démolisse… quoi qu’il arrive, ça fera le compte… et puis,dites-vous bien, avant de commencer, que, moi, Labergère, je nevous en veux pas le moins du monde… Ça n’est pas votre faute si cetimbécile de Coxward est venu s’affaler dans votre avion, et jereconnais que vous avez tout tenté pour réparer le mal qu’il avaitcausé et sauver nos braves Parigots de la plus intense froussequ’ils aient jamais éprouvée… vous avez risqué votre peau… ça a maltourné… moi et Bobby, nous sommes ici en amateurs, c’est notreaffaire… donc voilà ma main, mettez-y la vôtre, et c’est un bonshake-hand d’amis qui aimeraient évidemment mieux trinqueravec un vermouth exportation, à la terrasse du café Cardinal… ouVéron au choix ; mais qui, au moins, prennent la chosephilosophiquement, en braves garçons qu’ils sont, et qu’ilsregrettent seulement de n’être pas plus longtemps…

Labergère, qui pourtant n’était passentimental, avait débité cette petite tirade d’une voix légèrementrauque, qui, venant du cœur, lui grattait le gosier.

Sir Athel prit la main qui lui étaittendue.

– Eh bien ! et moi, fit Bobby en avançantla sienne, je ne vous en veux pas non plus… ça m’ennuie, voilàtout.

Les trois hommes se serrèrent vigoureusementles mains.

– Le serment des Horaces… dessus dependule ! ricana l’incorrigible Labergère.

Sir Athel ne proféra pas une parole :pâle, mais très calme et de parfait sang-froid, il s’étaitagenouillé, avait ouvert la caisse que Bobby avait déposée sur lesol et s’était emparé de divers instruments qu’il adaptaitsoigneusement.

Quand il se redressa, il rayonnait.

Malgré les épouvantables risques qui lemenaçaient, lui et ses amis, la passion de la science leressaisissait… car il allait procéder à l’une des plusintéressantes expériences auxquelles le vrilium peut se prêter…

– Restez à quelques mètres de moi, dit-il, ilse peut que des éclats de pierre soient projetés qui pourraientvous blesser… mettons au moins toutes les chances de notrecôté…

Armé alors d’une sorte de tarière, emmanchéeau bout d’une forte tige de métal à laquelle était adaptée unepetite sphère contenant évidemment le vrilium, il l’appliqua contrela muraille…

Il fit jouer un ressort : une étincellejaillit, on entendit un grincement, comme d’un mouvement rotatoired’une vitesse énorme… la tarière désagrégeait la roche de gypse etune poussière infinitésimale tourbillonnait et retombait…

– Victoire ! cria Athel. Cette muraillen’a pas plus de trente pouces d’épaisseur. J’en aurai raison.

Il retira sa tarière qui laissa un largetrou : puis, patiemment, il recommença l’opération à côté.Ainsi font les cambrioleurs qui veulent détacher la porte blindéed’un coffre-fort. En quelques minutes, un cadre était formé, nelaissant plus entre les trous qu’un très petit intervalle.

Sir Athel alors modifia son appareil et à latarière, substitua une sorte de masse, de marteau, et de nouveau unressort joua. Cette fois, les étincelles furent plus fortes,crépitantes comme des coups de revolver. Et le panneau de pierre sefendit, se brisa, tomba… une ouverture était pratiquée, d’un mètrecarré… permettant largement le passage d’un homme.

La route, les murailles, rien n’avaitbougé.

Saisissant la torche, sir Athel se pencha àmi-corps par le panneau ouvert, et cria :

– Amis !… un prodige !… une grottede diamants !…

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