L’Effrayante aventure

VII – L’invasion de Paris

 

C’était un dimanche, fin avril, un de cesbeaux jours qui sont les hérauts du mois de mai.

Huit heures du matin : la villeparesseuse avait fait la grasse matinée. Avant de partir pourquelque partie de campagne, les hommes, languissamment, sereposaient au lit des levers matinaux de la semaine.

En ces quartiers populaires desButtes-Chaumont, des rues Secrétan, Bolivar, Botzaris, lesménagères sont complaisantes aux ouvriers qui ont peiné toute lasemaine : elles se lèvent les premières et, s’étant assuréesque le bébé, bien endormi, n’éveillera pas son père, elles seglissent bien vite dehors pour les provisions du matin, courant lesboutiques, attentives à la qualité des légumes et à la fraîcheur dela viande, préoccupées de ne pas trop écorner la paie du samedi,gaies, alertes, vivaces, bavardes, échangeant aux coins destrottoirs de rapides causettes, impatientes elles aussi, ellessurtout, de s’évader vers quelque coin de banlieue où on boira del’air – et d’autre chose – le petit riant et chantant sur lesépaules de papa.

Le temps avait été mauvais dans cette dernièrequinzaine ; c’était, par ce beau matin de soleil, unerésurrection de lumière. Les visages et les cœurs s’épanouissaient.Il faisait bon vivre !…

Un de ces groupes de braves Parigotes s’étaitarrêté au coin de la rue Pradier et du square Boucher de Perthes,les papotages allaient leur train, sans malignité, tant lebien-être adoucit les caractères !

Tout à coup, la fruitière, campée sur le pande sa porte et débitant une motte de beurre, resta hébétée,tendant, à bout de bras, son couteau de travail, et poussant un crihorrible, tourna sur elle-même, se précipitant à travers sa porteet la refermant d’un coup de pied.

Les femmes se retournèrent et desglapissements de terreur jaillirent de tous les gosiers…

Une forme noire, énorme, obstruait le fond dusquare, apparition démoniaque qui mettait sur l’horizon bleuté unecolossale tache d’encre…

Et soudainement, sans qu’un seul mot fûtéchangé, les femmes s’enfuirent, se poussant, se bousculant, lesjambes coupées, les gorges sèches, gloussant des appels éperdus…elles atteignirent la rue Bolivar, là se heurtèrent à d’autresgroupes calmes, mais qu’elles affolèrent… là, derrière elles, unépouvantable monstre… le diable, hurlait une vieille en sesignant.

Le diable ! d’autres riaient.

Elles étaient donc folles ! Justementdeux sergents de ville passaient, placides. On se jeta sur eux, lesmains agrippaient leurs pèlerines… indulgents, ils écoutaient,interrogeaient… c’était là, au square…

Eux aussi crurent avoir affaire à des folles…mais comment si nombreuses ! C’est qu’il y avait quelquechose… Voyons voir !…

Du reste, la preuve qu’il se passait un faitanormal, c’est que toutes les fenêtres de la rue Laugier s’étaientouvertes et que, dans leurs cadres, des êtres apparaissaient, têteseffarées, bras battant l’air en des convulsions d’horreur, lesbouches grandes ouvertes et clamant…

Et au moment précis où les deux agentsatteignaient le coin du square, apparut, frôlant la maison dont sondos atteignait le second étage…

Le mammouth, lourd, solennel, balançant satête monstrueuse, au front plat et large, en labourant le pavé deses défenses recourbées, ses yeux à peine visibles sous les vastesloques de ses oreilles, arrivant, sans hâte, monumental, posantl’un après l’autre sur le sol qui s’ébranlait, les quatremarteaux-pilons qui étaient ses pieds…

Les deux représentants de la loi étaientrestés cloués sur place, sans arrogance d’ailleurs, les yeuxdésorbités… le plus jeune, en un élan de vaillance, eut au poingson revolver d’ordonnance et à quatre mètres tira…

La balle ricocha, alla casser la glace d’uneboutique…

L’autre, plus calme, dit simplement :

– Allons prévenir le poste !

Et pour qu’on n’oubliât pas qu’il étaitl’autorité :

– Circulez, cria-t-il à la foule des femmesqui, terrifiées, mais encore plus curieuses, obstruaient le coin dela rue Bolivar, rentrez toutes chez vous et que nulle ne sorteavant que M. le commissaire soit arrivé.

Le mammouth marchait toujours, dodelinant dela croupe, jouant de sa queue poilue qui battait l’air comme ungigantesque blaireau.

À la voix des agents, les femmes s’enfuirent,entraînant les curieux qui, peu à peu, s’étaient amassés, tous prisd’une panique folle : les uns courant vers la rue Manin oucherchant à franchir la grille du parc, les autres lancés à fond detrain dans la direction de la rue de Crimée… Mais ces derniersn’allèrent pas loin : car voici qu’au coin de la rue duPlateau, une silhouette terrifiante se dessina… le mégathérium,tatou gigantesque, de quatre mètres de hauteur, avec ses mâchoiresbizarres, sa lèvre pendante… celui-là, fortement campé sur sesjambes de derrière, s’avançait par bonds, les membres antérieursau-dessus de terre, jambes très courtes armées d’onglesformidables… le masque était horrible, diabolique – les yeux trèsproéminents roulaient en une alternative de blanc et de noir, d’uncaractère effrayant…

Devant cette apparition nouvelle la ruées’arrêta, fit volte-face, et la galopade reprit, en sens contraire,vers le grand Paris… et les deux monstres les suivirent, mais àdistance, sans paraître pressés, allant au pas…

À ce moment, arrivaient au pas de course lesagents requis, le sabre-baïonnette en main, prêts a tout combat –comme s’il s’agissait d’une grève – et avec eux, le commissaire depolice, un petit gros, plein de dignité, qui avait ceint sonécharpe pour être plus imposant.

Mais les deux compères – d’avant le déluge –descendaient maintenant la rue Botzaris, et, comme si les dédalesdu quartier n’avaient pas de secrets pour eux, enfilaient la rue del’Atlas… descendant vers le boulevard de la Villette… Le magistrat,correct, très pâle, reculait pour ne point les gêner… sans savoirque faire ; l’autorité cependant gardait bonne contenance…

Quand soudain, de toutes les rues avoisinantle square Boucher-de-Perthes – et en vérité n’y avait-il pas là unhommage discret à celui qui le premier révéla l’importance au tempsquaternaire de l’homme sur la terre – d’autres monstres, d’autresgéants, d’autres colosses surgissaient, l’hipparion, ancêtre denotre cheval, et d’une hauteur double ; le mastodonte, masseinforme, véritable bloc de chair de quatre mètres de longueur, d’oùjaillissaient comme des glaives quatre défenses menaçantes…d’autres encore que la science n’avait pas catalogués, ébauches maléquarries de rhinocéros géants, enveloppés de leurs carapaces commed’une armure, avec sur le sommet du crâne de triples cornes acéréeset dardées en piques, ondulations gigantesques de croupes, decuisses gainées de cuir, d’épaules d’où saillaient des os pareils àdes bielles de machines transatlantiques, tous, brontosaures,tricératops, reptiles marchant sur leurs pattes de derrière à lafaçon des kangourous.

Au-dessus de ces mamelons mouvants, quelquechose oscillait, un petit amas d’os qui figurait une tête, fichéeau bout d’un cou maigre et long de deux mètres et faisant comme unguidon de ralliement au troupeau de cauchemar : c’étaitl’iguanodon, mesurant plus de cinq mètres, équilibré sur sontrépied, deux jambes postérieures et une queue sans fin, tandis quede ses membres antérieurs, ridiculement courts et armés d’un ergotredoutable, il semblait s’avancer hâtivement vers quelque luttedésirée, de se frayer un passage à travers les derrières qui sepressaient en muraille…

Tandis qu’après avoir vingt foismaladroitement essayé de prendre son essor, gêné pour l’éploiementde ses ailes nues de plumes ou d’écailles, un monstrueuxptérodactyle – de dix mètres d’envergure – enfin surmontant lesmaisons et lourdement, gigantesque aéroplan, volait au-dessus deParis…

C’était l’invasion des prodigieux aïeuls,évadés de leurs tombes !

La troupe dévalait vers les boulevardsextérieurs, suivant la pente déclive du terrain. Au coin de la ruede l’Atlas, le mammouth avait heurté une colonne d’affiches quis’était abattue d’un bloc ; au boulevard de la Villette, lemastodonte était entré en conflit avec le bureau des omnibus quiavait oscillé, puis s’était écroulé… un tramway arrivant à toutevitesse, le brontosaure qu’il avait frôlé eut un brusque mouvementqui jeta hors de ses rails la lourde voiture, bondée de voyageurs…le trolley se brisa, tomba sur l’ancêtre, déchargeant sur lui unmillier de volts… cela le mit en colère, et allongeant le pas, ils’enfila dans le faubourg du Temple…

On ne comprenait pas, on fuyait, on hurlait…c’était la panique universelle dans toute son horreur… un gaminaffolé criait :

– En voilà des sales bêtes… ils ont des poilsaux pattes…

Devant cette inondation de chairs et d’os, quenulle digue ne pouvait tenter d’arrêter, c’était la fuiteirraisonnée, en un tourbillon d’épouvante.

L’iguanodon, plus actif que les autres, passaà toute volée, dépassant la troupe ; parfois il s’arrêtait, etpar une des fenêtres ouvertes au second étage passait la tête,regardant par simple curiosité, sans doute, et c’était dans unménage surpris des ululations terrifiées… sans s’émouvoir, ilcontinuait son chemin, comme sachant où il allait… et comme,pendant quelques instants, il resta, place de la République, nez ànez avec la monumentale effigie de Marianne, ceux qui dans la fouleeurent le courage de regarder virent, accroché à son cou, véritableloque, quelque chose qui ressemblait à un homme…

L’iguanodon repartit… les autresapparaissaient au carrefour du funiculaire de Belleville… Là, unehésitation, d’où une collision, la voie étant trop étroite pour lesmouvements de ces reins étonnants qui cherchaient à fairevolte-face et, bousculés, cognaient les deux côtés de la rue,défonçant ici une boutique, là une vespasienne qui dégringolaitavec fracas. Pour un peu, ils eurent renversé la caserne.

De se sentir aussi gênés, cela les enragea,et, s’arrachant à l’étau de leur pression mutuelle, ils selancèrent : les uns par le boulevard Saint-Martin, d’autresvers la Bastille ; d’autres, ayant suivi l’iguanodon,s’engagèrent dans la rue Turbigo ou la rue du Temple… et toujoursla foule fuyait éperdue, les chevaux entraînaient à grande voléeles omnibus subitement vidés, les cochers dévalaient de leur siège,les wattmen lâchaient les autos ; on baissait à toute vitesseles volets de fer des magasins… c’était un désordre indescriptible,avec, dominant les grondements des thérions, les clameurs deshommes, les glapissements aigus des voix de femmes… et la nouvellede cette invasion infernale éclatait à travers Paris, lestéléphones, les télégraphes, les pneumatiques emportaient de tousles côtés ces invraisemblables informations qui, d’abord,semblaient une colossale mystification…

On mobilisait les troupes, on lançait la garderépublicaine, les conseillers municipaux avaient voulu courir àl’Hôtel de Ville… toutes les issues étaient encombrées… une sorted’ornithorynque avait bloqué la station du Métro, place de laRépublique, et dans les souterrains, les voyageurs refouléss’exaspéraient et réclamaient leur argent !

Justement, ce matin-là, M. Lépine avaitété appelé en banlieue par une affaire urgente. M. Davaine, lechef de la Sûreté ; M. Larmion, le chef de la policemunicipale ; M. Ostriot, le secrétaire général,attendaient des ordres du ministère de l’Intérieur. Les avis secroisaient, contradictoires.

Enfin le préfet arriva et entra dans soncabinet dont les fenêtres, grandes ouvertes pour aspirer lespremières bouffées de printemps, donnaient sur le quai.

Ne sachant rien, venant de la rive gauche, ilne comprenait pas pourquoi tous ces fonctionnaires étaient groupéslà, frémissants :

– Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-il desa voix brève, autoritaire.

Tous voulurent répondre à la fois ; etsuccessivement les informations manquaient de clarté.

– Quoi ? demandait-il, une ménagerie quis’est échappée !… Des lions, des ours, des tigres !…

– Pis que cela ! des animaux monstrueux,inconnus, qui dévastent Paris, qui massacrent la population…

Le téléphone appela. M. Lépine s’yprécipita.

– Allô ! monsieur le ministre del’Intérieur !… des renseignements !… je procède àl’enquête !… Comment ? sur les boulevards ?… Unserpent de vingt mètres de long dans le passage desPanoramas ?… Bien ! j’y cours !… Ne serait-il pasurgent d’avertir M. le ministre de la Guerre… le gouverneur deParis !… Hein ! oui ! monsieur le ministre, jeréponds de tout !… À tout à l’heure !…

Il replaça le cornet, puis se tournant versson personnel :

– Moins on comprend, dit-il, plus il convientde déployer d’énergie… il doit y avoir, comme toujours, uneexagération folle… des monstres !… est-ce qu’il y a desmonstres ?…

Une clameur éclata :

– Là, là ! derrière vous, monsieur lepréfet ?…

M. Lépine tournait le dos à la fenêtreouverte. Il sentit que quelque chose se posait sur son épaule etlui frôlait l’oreille. Il se retourna précipitamment… et son nezheurta celui de l’iguanodon.

L’horrible bête, par la rue du Temple et leboulevard Sébastopol, avait atteint le boulevard du Palais, s’étaitarrêtée – sans raison appréciable – devant la préfecture de policeet, trouvant à hauteur de sa tête une fenêtre ouverte, y avaitengagé la moitié de son cou… et balançait sa tête que terminait unbec corné, dans le cabinet préfectoral.

– Qu’est-ce que c’est que ça ? cria lepréfet, en se jetant en arrière.

– C’est l’invasion des monstres !répliqua le chef de la Sûreté, qui savait tout.

La bête, d’ailleurs, n’était pasmenaçante : d’un air abruti, elle exécutait un mouvementd’oscillation, stupide et sans but. Et pas d’armes pour sedéfendre !… Le préfet courut à la porte et avisant dans lecouloir un agent qui somnolait dans la douce ignorance de lacatastrophe :

– Brigadier, cria-t-il, venez…

L’autre fit un bond et s’élança.

– Tirez votre sabre, commanda M. Lépine,et coupez-moi ça !

Ça, c’était le cou de l’iguanodon.

Le brigadier fit tournoyer son arme, la lançad’une main sûre – et ne coupa rien. La lame rebondit sur le cuirépidermique et sauta en l’air.

Au même instant apparut, s’accrochant aubalcon, quelque chose qui était peut-être un homme et qui sehissait au cou de la bête… et ce quelque chose roula avec un bruitflasque sur le tapis.

C’était bien un homme, oui, mais si dévasté,si chaviré, si affalé que cela n’avait plus de forme. Tandis que latête – d’un mouvement monotone, oscillait toujours, touchantpresque le plafond ; on releva le malheureux, on le dressa surses pieds, on lui soutint la tête, et M. Lépines’écria :

– Mais je connais ce bonhomme-là ! C’estle détective Bobby !…

Il fallait le ranimer à tout prix : on legava de kirsch. Ce n’était pas le whisky national, mais çagalvanisait quand même… et soudain M. Bobby se dressa,reconnut le préfet, se mit au port d’armes et dit :

– By god, it is an awfulaffair !

– Quelle affaire ?

– Je n’en sais rien… un trou, des trous, de laglace, des rochers, des formes noires qui remuent… et puisl’écroulement, un cou qui passe auquel je me suspends et quim’emporte !…

– Expliquez-vous ! Qu’est-ilarrivé ?…

L’iguanodon sembla regarder Bobby et d’unhochement de tête approuver son récit… puis le cou disparut par lafenêtre comme un tuyau qu’on tire en arrière…

Bobby eut un long soupir : c’étaitl’évanouissement du cauchemar, pour un instant du moins. Et ils’expliqua plus clairement…

Incroyable, inexplicable, l’aventure n’enétait pas moins réelle.

M. Lépine prit son chapeau et s’adressantà son personnel :

– Suivez-moi, messieurs ! Paris est endanger… Faisons notre devoir…

……………………………

Il se passait dans la grande ville des chosesstupéfiantes.

Le tricératops s’était arrêté devant laPorte-Saint-Denis et ayant essayé d’y entrer, la trouvant tropétroite, s’était reculé et à la façon d’un bélier antique ; ilse ruait contre les pierres, les cornes en avant, faisant jailliren débris les pierres glorieuses de Louis XIV.

Le mammouth, plus calme, passait au petittrot, emplissant toute la chaussée, devant le Gymnase, stoppait uninstant en face de la Maison Rouge ; il semblait las,maintenant, son pas devenait lourd et, arrivé devant Brébant, ilplia les jarrets et se coucha, obstruant l’entrée du faubourgMontmartre.

Un brontosaure, qui mesurait vingt mètres delong, avait voulu à toute force entrer dans le passage desPanoramas ; mais, à mi-corps, il avait été arrêté parl’exiguïté de l’arcade et restait là, la tête à la galerie desVariétés – côté des artistes – tandis que sa queue enguirlandait laterrasse du café Véron…

Sur les marches de l’Opéra, le mégathériums’était dressé, comme un orateur qui veut parler au peuple, puiss’était appuyé contre les portes basses, en gardien vigilant prêt àaccueillir les abonnés.

Le ptérodactyle, dont le vol était lourd,s’était juché, peut-être pour prendre haleine, sur une descorniches de la Madeleine… sa queue pendait, agitée, caressant del’autre côté la statue de Jules Simon.

Déjà, trois heures s’étaient passées. Il étaitmidi.

Enfin, l’autorité, convaincue de la réalité dupéril, avait pris des mesures. Par les avenues désertées,l’artillerie arrivait au galop des chevaux aux reins trapus,amenant des canons, des mitrailleuses… dût-on bombarder la moitiéde Paris, l’action devait être prompte et énergique.

Toute la population de la rive droite s’étaitrenfermée dans les maisons, haletante, ayant perdu jusqu’au désirde la fuite…

En tenue de combat, les troupes avançaientprudemment, l’arme à magasin toute prête. Les obus dormaient dansles canons, impatiente du réveil ; les batteries s’étaientplacées en l’enfilade des Boulevards, tandis que M. Lépinemarchait, à la tête d’un corps d’agents, en avant-garde…

Et il se passa alors un fait non moins étrangeque les précédents.

À mesure qu’on avançait, on voyait lesmonstres chanceler, tituber sur leur jambes monstrueuses, puiss’abattre… L’un d’eux, de sa masse énorme, remplit l’Olympia… unautre, celui de l’Opéra, se traînait jusqu’au groupe de Carpeauxet, ayant levé la tête pour savourer les lignes des danseuses, lalaissait retomber…

Le gigantesque oiseau de la Madeleine semblaits’aplatir sur les pierres, puis glissait, et de sa masse flasque,comme vidée, qui tombait, engloutissait les baraques du marché auxfleurs.

L’énorme saurien des Variétés s’écrasait surles dalles du passage, ayant le long de l’épine dorsale unefluctuation qui à chaque instant diminuait d’intensité… L’iguanodonde la préfecture, se traînant jusqu’au parapet qu’il essayait defranchir, tournait sur lui-même et tombait dans la Seine, où ilécrasait une péniche dont les habitants avaient tout juste le tempsde se jeter à l’eau…

Et, de tous côtés, le même phénomène seproduisait…

Ces dégelés du Quaternaire ne s’étaientréveillés que mus par une vie factice, provisoire… ils portaientquand même la tare de leur vieillesse, de leur décrépitude, et, unà un, sous la pression de l’air ambiant, sous le soleil duprintemps, inaptes à vivre en cette atmosphère de quelquescentaines de siècles plus jeune que celle qu’ils avaient respiréenaguère… ils mouraient, revenus trop anciens dans un monde tropnouveau. Et, à une heure de l’après-midi, Paris était sauvé…

Rayonnant, M. Perrier, le directeur duMuséum, examinait les cadavres de ces ancêtres et parlaitjoyeusement de faire construire de nouvelles galeries pour lareconstitution de ces témoins des temps Paléozoïques…

Oubliant ses projets de promenade campagnarde,la population entière de Paris se pressait autour de ces corpsénormes, dont on riait parce qu’ils étaient inanimés : et lesterrasses des cafés, et les débits de boissons se remplissaient…joueurs de bridge et de manille faisaient claquer les cartes surles tables de marbre…

Mais qu’advint-il des acteurs de cetteeffrayante aventure ?

Hélas ! sir Athel Random ne reparut pas.Dans quel abîme avait-il disparu ? Sous quelle masse de rochesavait-il été englouti !…

Et cependant qui sait ? On en a vuressusciter qui étaient plus morts que lui…

Pauvre Mary Redmore ! Cette fois, toutespoir était perdu… et, pleurant, sous de longs voiles de deuil,elle retourna en Angleterre. M. Redmore eut bien l’idéed’intenter un procès à la Ville de Paris en un million dedommages-intérêts – de sages conseils le détournèrent de ce projet,au grand regret des hommes de loi qui s’y seraient enrichis.

Sir Athel avait emporté avec lui le secret duvrilium ! Et les débris du vriliogène étaient enfouis dans lesprofondeurs de la planète !

Mais Labergère !

Comment s’était-il évadé de ce pandémonium depierre et de glace !

Quand le soir il reparut dans les bureaux duNouvelliste pour rédiger le compte rendu de son excursionsouterraine, il raconta qu’il s’était trouvé, sans savoir comment,dans un des souterrains du Nord-Sud, inachevé bien entendu… Sortide là, il était allé prendre le bock si longtemps désiré etrevenait réclamer sa place au grand soleil du journalisme…

Un banquet fut organisé en l’honneur de Bobby,qui y prit la parole en un discours qui rappelait quelque peu celuide Roosevelt et que Mrs. Bobby, très fêtée, écouta en pleurant…

Et ainsi se termina l’aventure la plusfantastique, la plus étonnante – et la plus navrante à la fois – dela première moitié du XXe siècle. Il se trouva même desgens pour dire que ce n’était pas arrivé.

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