L’Effrayante aventure

VI – Écroulement

 

Bobby s’éveilla le premier : dans sondemi-sommeil, il se voyait, au bord de la mer, aux environsd’Hastings, dans le petit cottage du village d’Inverstead,délicieuse maison de quatre pièces – avec basement – que Mrs. Bobbyavait héritée d’un oncle, et dans laquelle ils avaient rêvé definir leurs jours.

Il eut un tressaillement subit : quelquechose venait de lui tomber sur l’œil. Il se secoua : la mêmeimpression se renouvela d’une pichenette sur le nez… cette fois, iléternua, puis s’ébroua, ouvrit les yeux… Sa tige vrilienne étaitfichée un peu loin de lui : il ne vit rien de spécial etencore reçut une nasarde.

Décidément, il se passait un faitbizarre : il porta la main à son visage et la sentit mouillée.Puis, descendant à son collet, il constata la fâcheuse vérité… sonvêtement, son gilet, sa chemise étaient littéralement trempés… ilpleuvait !…

Il bondit sur ses pieds qui claquèrent sur uneflaquette d’eau…

– Hé ! messieurs, cria-t-il,alerte !… nous sommes inondés…

À sa voix, Labergère et Athel s’étaientbrusquement éveillés… et tous deux, éprouvant la même sensationd’humidité, poussèrent des exclamations de surprise…

– Une inondation ! fit Labergère. Ça merappelle Ivry !…

Mais sir Athel n’avait nul désir deplaisanter : bien vite, il s’était aperçu que cette pluie degouttelettes provenait de la fonte des stalactites qui pendaient dela voûte… et en même temps, prêtant l’oreille, il lui semblapercevoir le bruit doux et persistant de ruissellements… en mêmetemps, il n’était pas douteux que la roche sur laquelle ils étaientréfugiés avait perdu la plus grande partie de son revêtement deneige et de glace, et qu’ainsi disparaissaient peu à peu lessaillies ou anfractuosités dont il s’était aidé dans son expéditionnocturne.

– C’est le dégel, dit-il. L’issue que nousavons pratiquée dans la muraille close de la caverne a donnépassage à un courant d’air chaud…

– Bon ! fit Labergère. On va pouvoirsortir le veston d’été…

Mais Athel se pencha vivement verslui :

– Ne riez pas, lui dit-il à voix basse… c’estpeut-être la débâcle, c’est-à-dire la catastrophe finale… qui saitsi ces énormes quartiers de roche, retenus par la glace qui faitl’office de ciment, ne s’écrouleront pas sur nous…

– Diable ! voilà les bêtises quirecommencent… je demande à m’en aller…

– C’est ce qu’encore une fois nous allonsessayer… mais ne nous dissimulons pas que la situation est pluscritique que jamais…

Il s’interrompit tout à coup et, malgré sonempire sur lui-même, sa physionomie exprima une angoisse siprofonde que Labergère, en dépit de son insouciance, eut unmouvement d’inquiétude…

– Hein ? Qu’est-ce qui vousprend ?…

Athel s’était avancé sur l’extrême bord de laroche :

– Écoutez ! fit-il. Dites-moi, tous deux,si mes oreilles tintent, si je deviens fou… ou bien siréellement…

– J’entends quelque chose, dit Bobby d’unevoix qui chevrota, on dirait qu’on remue là-dedans…

– Mais c’est vrai, cria Labergère. Ça grouilleici !… Regardez !… est-ce qu’il ne vous semble pas queces énormes taches noires, remarquées à notre arrivée, se déplacentpeu à peu…

Ils avaient rallumé leurs torches et sepenchaient en avant, avivant la flamme pour qu’elle portât lalumière jusqu’aux profondeurs… et dans les masses de granit et debasalte, il y avait une sorte d’oscillation…

– Ces pierres sont donc vivantes ! Que sepasse-t-il ? articula Labergère d’une voix étranglée…

– Il se passe, s’écria sir Athel avecdésespoir, que nous assistons en ce moment au plus étonnantphénomène qui se soit produit depuis les premières formations de laterre… il se passe que, là, au-dessous de nous, autour de nous, descolosses monstrueux, engourdis depuis la période glaciaire,c’est-à-dire depuis des époques dont nous ne pouvons calculerl’éloignement ; aujourd’hui, sous l’influence de lasurélévation de la température – que nous avons déterminée, nous,moi surtout, imprudent et stupide ! – soudain se réveillent,ressuscitent de leur sommeil séculaire…

« Que va-t-il se passer ? Nulleintelligence humaine ne peut le prévoir !

Bobby, comme frappé d’une idée subite, serappelant des mots entendus à l’école :

– Ce sont des animaux antédiluviens !…s’écria-t-il.

– Ni plus ni moins, mon petit père, fit lereporter qui s’efforçait de retrouver sa gouaillerie parisienne.Quelque chose comme le diplodocus du généreux M. Carnegie,que, si nous vivions encore demain, nous pourrions aller voirensemble au Jardin des Plantes… quand ça vous marche sur un cor, çafait mal, je t’en donne mon billet !…

Et, dans les profondeurs de la grotte, lesmouvements s’accentuaient… C’était comme un froissement de lourdesétoffes, puis des coups sourds comme de lourdes poutres qui seseraient dressées de soi-même et se fussent, avec effort,arc-boutées sur le sol…

Il y eut un affreux craquement : de lavoûte une masse se détacha, tomba avec un fracas effroyable,abattant les icebergs, rebondissant sur les roches, tandis querauquaient, sinistres et jamais entendus par une oreille humaine,des barrissements d’épouvante et de douleur…

L’œuvre du dégel s’opérait avec une rapiditéfoudroyante : autour du môle sur lequel se tenaient les troisamis, terrés en un groupe, paralysés par l’horreur du spectacle malentrevu dans les fonds ténébreux, ce n’étaient plusqu’écroulements, les blocs de glace se désagrégeaient, entraînantdans leur chute des blocs énormes qui rebondissaient…

– Le vrilium ! Le vrilium ! criaBobby.

Ah ! oui, le vrilium ! si puissantqu’il fût, est-ce qu’il pouvait lutter contre ce déchaînementtumultueux et colossal des forces naturelles !… est-ce qu’ilpouvait soulever une montagne…

Pourtant, au milieu de ce désordre atroce, desanimaux se dressaient, dont l’échine énorme secouait des quartiersde roches, glissant sur la peau épaisse et se brisant à leurspieds… les voix formidables se répondaient, les pieds battaient lesol… ces évadés de l’âge tertiaire n’avaient-ils pas assisté déjà àdes bouleversements identiques, alors que l’eau, la terre, le feuse livraient l’inimaginable combat des éléments non équilibrés… ilsreprésentaient la force brute, l’instinct aveugle et tout puissantde la conservation, la persistance de la vie en des longévitésfabuleuses, la cohésion des énergies premières en qui bouillaitl’avenir des mondes.

Les hommes ! Ah, qu’étaient-ils en facede ces agrégats de muscles et de tendons, de ces Léviathans que lafable avait à peine osé décrire !

En vain, Labergère et Bobby – qui n’étaientrien moins que des lâches – essayaient de tendre leurs nerfs ;en vain sir Athel, éperdu, faisait appel à l’intelligence par quil’être pensant a vaincu la force…

Ils se sentaient amoindris, contractés,atténués jusqu’à n’avoir plus la notion de la résistance… ils neparlaient plus, à peine s’ils pensaient : dans leur cerveau,qui s’anémiait, les choses perdaient leurs formes, leursreliefs ; les idées chevauchaient sans plus se fixer ; lesens de la mémoire, de la comparaison, du jugements’atrophiait…

L’eau tombait toujours, clapotante maintenantcomme une pluie d’orage : les flambeaux de vrilium s’étaientéteints, et rien ne subsistait plus que les bruits fantastiques queproduisait cette faune, évoquée tout à coup dans une palingénésieprodigieuse…

Et tandis qu’ils étaient ainsi, hypnotisés parle mystère, étouffés par l’inconnu, voici que la catastrophe finales’acheva… dans le tumulte de fracas tonitruante, la grotte toutentière creva, se disjoignit… les roches trépidantes s’abattirent,les aiguilles de glace coupèrent l’espace comme des glaivesd’argent.

Tout s’effondra, se disloqua, en undémembrement effroyable… les monstres hurlèrent des clameurs, desrugissements… et comme si l’invraisemblable voulait encore défierle possible, une partie de la voûte se déchira, d’énormes fissuress’ouvrirent.

Et la lumière du soleil entra, éclatante, enune ruée triomphale…

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