Les Aventures prodigieuses de Tartarin de Tarascon

X – Avant le départ

Pendant que Tartarin s’entraînait ainsi partoutes sortes de moyens héroïques, tout Tarascon avait les yeux surlui ; on ne s’occupait plus d’autre chose. La chasse à lacasquette ne battait plus que d’une aile, les romances chômaient.Dans la pharmacie Bézuquet, le piano languissait sous une housseverte, et les mouches cantharides séchaient dessus le ventre enl’air… L’expédition de Tartarin avait arrêté tout…

Il fallait voir le succès du Tarasconnais dansles salons. On se l’arrachait, on se le disputait, on sel’empruntait, on se le volait. Il n’y avait pas de plus grandhonneur pour les dames que d’aller à la ménagerie Mitaine au brasde Tartarin, et de se faire expliquer devant la cage au lioncomment on s’y prenait pour chasser ces grandes bêtes, où ilfallait viser, à combien de pas, si les accidents étaient nombreux,etc., etc.

Tartarin donnait toutes les explications qu’onvoulait. Il avait lu Jules Gérard et connaissait la chasse au lionsur le bout du doigt, comme s’il l’avait faite. Aussi parlait-il deces choses avec une grande éloquence.

Mais où il était le plus beau, c’était le soirà dîner chez le président Ladevèze ou le brave commandant Bravida,ancien capitaine d’habillement, quand on apportait le café et que,toutes les chaises se rapprochant, on le faisait parler de seschasses futures…

Alors, le coude sur la nappe, le nez dans sonmoka, le héros racontait d’une voix émue tous les dangers quil’attendaient là-bas. Il disait les longs affûts sans lune, lesmarais pestilentiels, les rivières empoisonnées par la feuille dulaurier-rose, les neiges, les soleils ardents, les scorpions, lespluies de sauterelles ; il disait aussi les mœurs des grandslions de l’Atlas, leur façon de combattre, leur vigueur phénoménaleet leur férocité au temps du rut…

Puis, s’exaltant à son propre récit, il selevait de table, bondissait au milieu de la salle à manger, imitantle cri du lion, le bruit d’une carabine, pan ! pan ! lesifflement d’une balle explosive, pfft ! pfft !gesticulait, rugissait, renversait les chaises…

Autour de la table, tout le monde était pâle.Les hommes se regardaient en hochant la tête, les dames fermaientles yeux avec de petits cris d’effroi, les vieillards brandissaientleurs longues cannes belliqueusement, et, dans la chambre à côté,les petits garçonnets qu’on couche de bonne heure, éveillés ensursaut par les rugissements et les coups de feu, avaientgrand-peur et demandaient de la lumière.

En attendant, Tartarin ne partait pas.

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