Les Dents du tigre

Chapitre 5L’homme à la canne d’ébène

Sur le boulevard Richard-Wallace, le sous-chef Weber,l’inspecteur principal Ancenis, le brigadier Mazeroux, troisinspecteurs et le commissaire de police de Neuilly, étaient groupésdevant la grille du numéro huit.

Mazeroux surveillait l’avenue de Madrid par laquelle don Luisdevait venir, mais il commençait à s’étonner, car une demi-heures’était écoulée depuis qu’ils avaient échangé un coup de téléphone,et Mazeroux ne trouvait plus de prétexte pour reculerl’opération.

« Il est temps, dit le sous-chef Weber, la femme de ménage nousa fait signe d’une fenêtre : le type s’habille.

– Pourquoi ne pas l’empoigner quand il sortira ? objectaMazeroux. En un tour de main il sera pris.

– Et s’il se trotte par une autre issue que nous ne connaissonspas ? dit le sous-chef. C’est qu’il faut se méfier de pareilsbougres. Non, attaquons-le au gîte. Il y a plus de certitude.

– Cependant…

– Qu’est-ce que vous avez donc, Mazeroux ? dit le sous-chefen le prenant à part. Vous ne voyez donc pas que nos hommes sontnerveux ? Ce type-là les inquiète.

Il n’y a qu’un moyen, c’est de les lancer dessus, comme sur unebête fauve. Et puis il faut que l’affaire soit dans le sac quand lepréfet viendra.

– Il vient donc ?

– Oui. Il veut se rendre compte par lui-même. Toute cettehistoire-là le préoccupe au plus haut point. Ainsi donc, enavant ! Vous êtes prêts, les gars ? Je sonne. »

Le timbre retentit en effet, et, tout de suite, la femme deménage accourut et entrebâilla la porte.

Bien que la consigne fût de garder le plus grand calme afin dene pas effaroucher trop tôt l’adversaire, la crainte qu’ilinspirait était telle qu’il y eut une poussée et que tous lesagents se ruèrent dans la cour, prêts au combat… Mais une fenêtres’ouvrit et quelqu’un cria, du second étage :

« Qu’y a-t-il ? »

Le sous-chef ne répondit pas. Deux agents, l’inspecteurprincipal, le commissaire et lui, envahissaient la maison, tandisque les deux autres, restés dans la cour, rendaient toute fuiteimpossible.

La rencontre eut lieu au premier étage. L’homme était descendu,tout habillé, le chapeau sur la tête, et le sous-chef proférait:

« Halte ! Pas un geste ! C’est bien vous, HubertLautier ? »

L’homme sembla confondu. Cinq revolvers étaient braqués sur lui.Pourtant, aucune expression de peur n’altéra son visage, et il ditsimplement :

« Que voulez-vous, monsieur ? Que venez-vous faireici ?

– Nous venons au nom de la loi. Voici le mandat qui vousconcerne, un mandat d’arrêt.

– Un mandat d’arrêt contre moi !

– Contre Hubert Lautier, domicilié au huit, boulevardRichard-Wallace.

– Mais c’est absurde !… dit-il, c’est incroyable… Qu’est-ceque cela signifie ! Pour quelle raison ?… »

Sans qu’il opposât la moindre résistance, on l’empoigna par lesdeux bras et on le fit entrer dans une pièce assez grande où il n’yavait que trois chaises de paille, un fauteuil, et une tableencombrée de gros livres.

« Là, dit le sous-chef, et ne bougez pas. Au moindre geste, tantpis pour vous… »

L’homme ne protestait pas. Tenu au collet par les deux agents,il paraissait réfléchir, comme s’il eût cherché à comprendre lesmotifs secrets d’une arrestation à laquelle rien ne l’eût préparé.Il avait une figure intelligente, une barbe châtaine à reflets unpeu roux, des yeux d’un bleu gris dont l’expression devenait parinstants, derrière le binocle qu’il portait, d’une certaine dureté.Les épaules larges, le cou puissant dénotaient la force.

« On lui passe le cabriolet ? dit Mazeroux ausous-chef.

– Une seconde… Le préfet arrive, je l’entends… Vous avez fouilléles poches ? Pas d’armes ?

– Non.

– Pas de flacon ? pas de fiole ? Riend’équivoque ?

– Non, rien. »

Dès son arrivée, M. Desmalions, tout en examinant la figure duprisonnier, s’entretint à voix basse avec le sous-chef et se fitraconter les détails de l’opération.

« Bonne affaire, dit-il, nous avions besoin de cela. Les deuxcomplices arrêtés, il faudra bien qu’ils parlent, et touts’éclaircira. Ainsi, il n’y a pas eu de résistance ?

– Aucune, monsieur le préfet.

– N’importe ! restons sur nos gardes. »

Le prisonnier n’avait pas prononcé une parole, et il conservaitle visage pensif de quelqu’un pour qui les événements ne se prêtentà aucune explication. Cependant, lorsqu’il eut compris que lenouveau venu n’était autre que le préfet de police, il releva latête, et M. Desmalions lui ayant dit :

« Inutile, n’est-ce pas, de vous exposer les motifs de votrearrestation ? »

Il répliqua d’une voix déférente :

« Excusez-moi, monsieur le préfet, je vous demande au contrairede me renseigner. Je n’ai pas la moindre idée à ce sujet : Il y alà, chez vos agents, une erreur formidable qu’un mot sans doutepeut dissiper. Ce mot, je le désire… je l’exige… »

Le préfet haussa les épaules et dit :

« Vous êtes soupçonné d’avoir participé à l’assassinat del’ingénieur Fauville et de son fils Edmond.

– Hippolyte est mort ! »

Il répéta, la voix sourde, avec un tremblement nerveux :

« Hippolyte est mort ? Qu’est-ce que vous dites là ?Est-ce possible qu’il soit mort ? Et comment ?Assassiné ? Edmond également ? »

Le préfet haussa de nouveau les épaules.

« Le fait même que vous appeliez M. Fauville par son prénommontre que vous étiez dans son intimité. Et en admettant que vousne soyez pour rien dans son assassinat, la lecture des journauxdepuis quinze jours eût suffi à vous l’apprendre.

– Pour ma part, je ne lis jamais de journaux, monsieur lepréfet.

– Hein ! vous allez prétendre…

– Cela peut être invraisemblable, mais c’est ainsi.

Je vis une existence de travail, m’occupant exclusivement derecherches scientifiques en vue d’un ouvrage de vulgarisation, etsans prendre la moindre part ni le moindre intérêt aux choses dedehors. Je défie donc qui que ce soit au monde de prouver que j’aielu un seul journal depuis des mois et des mois. Et c’est pourquoij’ai le droit de dire que j’ignorais l’assassinat d’HippolyteFauville. Je l’ai connu autrefois, mais nous nous sommesfâchés.

– Quelles raisons ?

– Des affaires de famille…

– Des affaires de famille ! Vous étiez doncparents ?

– Oui, Hippolyte était mon cousin.

– Votre cousin ! M. Fauville était votre cousin ?Mais… mais alors… Voyons, précisons. M. Fauville et sa femmeétaient les enfants de deux sœurs, Elisabeth et Armande Roussel.Ces deux sœurs avaient été élevées avec un cousin germain du nom deVictor.

– Oui, Victor Sauverand, issu du grand-père Roussel, VictorSauverand s’est marié à l’étranger et il a eu deux fils. L’un estmort il y a quinze ans. L’autre, c’est moi. »

M. Desmalions tressaillit. Son émotion était visible. Si cethomme disait vrai, s’il était réellement le fils de ce Victor dontla police n’avait pas encore pu reconstituer l’état civil, on avaitarrêté par là même, puisque M. Fauville et son fils étaient mortset Mme Fauville pour ainsi dire convaincue d’assassinat et déchuede ses droits, on avait arrêté l’héritier définitif de l’AméricainCosmo Mornington.

Mais par quelle aberration donnait-il contre lui, sans y êtreobligé, cette charge écrasante ?

Il reprit :

« Mes révélations, monsieur le préfet, semblent vous étonner.Peut-être vous éclairent-elles sur l’erreur dont je suisvictime ? »

Il s’exprimait sans aucun trouble, avec une grande politesse etune distinction de voix remarquable, et il n’avait nullement l’airde se douter que ses révélations confirmaient au contraire lalégitimité des mesures prises à son égard.

Sans répondre à sa question, le préfet de police lui demanda:

« Ainsi, votre nom véritable, c’est ?…

– Gaston Sauverand, dit-il.

– Pourquoi vous faites-vous appeler Hubert Lautier ? »

L’homme eut une petite défaillance qui ne pouvait échapper à unobservateur aussi perspicace que M. Desmalions. Il fléchit sur sesjambes, ses yeux papillotèrent, et il dit :

« Cela ne regarde pas la police, cela ne regarde que moi. »

M. Desmalions sourit :

« L’argument est médiocre. M’opposerez-vous le même si je veuxsavoir pourquoi vous vous cachez, pourquoi vous avez quitté votredomicile de l’avenue du Roule sans laisser d’adresse et pourquoivous recevez votre correspondance à la poste, sous desinitiales ?

– Oui, monsieur le préfet, ce sont là des actes d’ordre privé,qui relèvent de ma seule conscience. Vous n’avez pas à m’interrogerlà-dessus.

– C’est l’exacte réponse que nous oppose à tout instant votrecomplice.

– Mon complice ?

– Oui, Mme Fauville.

– Mme Fauville ? »

Gaston Sauverand avait poussé le même cri qu’à l’annonce de lamort de l’ingénieur, et ce fut une stupeur plus grande encore, uneangoisse qui rendit ses traits méconnaissables.

« Quoi ?… Quoi ?… Qu’est-ce que vous dites ?Marie-Anne… Non, n’est-ce pas ? Ce n’est pas vrai ? »

M. Desmalions jugea inutile de répondre, tellement cetteaffectation d’ignorer tout ce qui concernait le drame du boulevardSuchet était absurde et puérile.

Hors de lui, les yeux effarés, Gaston Sauverand murmura :

« C’est vrai ? Elle est victime de la même méprise quemoi ? On l’a peut-être arrêtée ? Elle ! elle !Marie-Anne en prison ! »

Ses poings crispés s’élevèrent dans un geste de menace quis’adressait à tous les ennemis inconnus dont il était entouré, àceux qui le persécutaient et qui avaient assassiné HippolyteFauville et livré Marie-Anne.

Mazeroux et l’inspecteur Ancenis l’empoignèrent brutalement… Ileut un mouvement de révolte comme s’il allait repousser sesagresseurs. Mais ce ne fut qu’un éclair, et il s’abattit sur unechaise en cachant sa figure entre ses mains.

« Quel mystère ! balbutia-t-il !… Je ne comprends pas…je ne comprends pas… »

Il se tut.

Le préfet de police dit à Mazeroux :

« C’est la même comédie qu’avec Mme Fauville, et jouée par uncomédien de la même espèce qu’elle et de la même force. On voitqu’ils sont parents.

– Il faut se méfier de lui, monsieur le préfet. Pour l’instant,son arrestation l’a déprimé, mais gare au réveil ! »

Le sous-chef Weber, qui était sorti depuis quelques minutes,rentra. M. Desmalions lui dit :

« Tout est prêt ?

– Oui, monsieur le préfet, j’ai fait avancer le taxi jusqu’à lagrille, à côté de votre automobile.

– Combien êtes-vous ?

– Huit. Deux agents viennent d’arriver du commissariat.

– Vous avez fouillé la maison ?

– Oui. D’ailleurs, elle est presque vide. Il n’y a que lesmeubles indispensables et, dans la chambre, des liasses depapiers.

– C’est bien, emmenez-le et redoublez de surveillance. »

Gaston Sauverand se laissa faire docilement et suivit lesous-chef et Mazeroux.

Sur le seuil de la porte, il se retourna :

« Monsieur le préfet, puisque vous perquisitionnez, je vousadjure de prendre soin des papiers qui encombrent la table de machambre : ce sont des notes qui m’ont coûté bien des veilles. Enoutre… »

Il hésita, visiblement embarrassé.

« En outre ?

– Eh bien, Monsieur le préfet, je vais vous dire… certaineschoses… »

Il cherchait ses mots et paraissait en craindre lesconséquences, tout en les prononçant. Mais il se décida d’un coup:

« Monsieur le préfet, il y a ici… quelque part… un paquet delettres auxquelles je tiens plus qu’à ma vie. Peut-être ceslettres, si on les interprète dans un mauvais sens, donneront-ellesdes armes contre moi… mais n’importe… Avant tout, il faut… il fautqu’elles soient à l’abri… Vous verrez… Il y a là des documentsd’une importance extrême… Je vous les confie… à vous seul, monsieurle préfet.

– Où sont-elles ?

– La cachette est facile à trouver. Il suffit de monter dans lamansarde au-dessus de ma chambre et d’appuyer, à droite de lafenêtre, sur un clou… un clou inutile en apparence, mais quicommande une cachette située au-dehors, sous une des ardoises, lelong de la gouttière. »

Il se remit en marche, encadré par les deux hommes. Le préfetles retint.

« Une seconde… Mazeroux, montez dans la mansarde. Vousm’apporterez les lettres. »

Mazeroux obéit et revint au bout de quelques minutes. Il n’avaitpu faire jouer le mécanisme.

Le préfet ordonna à l’inspecteur principal Ancenis de monter àson tour avec Mazeroux et d’emmener le prisonnier, qui leur feraitvoir le fonctionnement de sa cachette.

Lui-même, il demeura dans la pièce avec le sous-chef Weber,attendant le résultat de la perquisition, et il se mit à examinerles titres des livres qui s’empilaient sur la table.

C’étaient des volumes de science, parmi lesquels il remarqua desouvrages de chimie : La chimie organique, La chimiedans ses rapports avec l’électricité. Tous ils étaient chargésde notes, en marge. Il feuilletait l’un d’eux lorsqu’il crutentendre des clameurs. Il se précipita. Mais il n’avait pas franchile seuil de la porte qu’une détonation retentit au creux del’escalier et qu’il y eut un hurlement de douleur.

Et aussitôt, deux autres coups de feu. Et puis des cris, unbruit de lutte et une détonation encore…

Par bonds de quatre marches, avec une agilité qu’on n’eût pasattendue d’un homme de sa taille, le préfet de police, suivi dusous-chef, escalada le second étage et parvint au troisième, quiétait plus étroit et plus abrupt.

Quand il eut gagné le tournant, un corps qui chancelaitau-dessus de lui s’abattit dans ses bras : c’était Mazerouxblessé.

Sur les marches gisait un autre corps inerte, celui del’inspecteur principal Ancenis.

En haut, dans l’encadrement d’une petite porte, GastonSauverand, terrible, la physionomie féroce, avait le bras tendu. Iltira un cinquième coup au hasard. Puis, apercevant le préfet depolice, il visa, posément.

Le préfet eut la vision foudroyante de ce canon braqué sur sonvisage, et il se crut perdu. Mais, à cette seconde précise,derrière lui, une détonation claqua, l’arme de Sauverand tomba desa main avant qu’il eût pu tirer, et le préfet aperçut, comme dansune vision, un homme, celui qui venait de le sauver de la mort, etqui enjambait le corps de l’inspecteur principal, repoussaitMazeroux contre le mur, et s’élançait, suivi des agents.

Il le reconnut. C’était don Luis Perenna.

Don Luis entra vivement dans la mansarde où Sauverand avaitreculé, mais il n’eut que le temps de l’aviser, debout sur lerebord de la fenêtre, et qui sautait dans le vide, du haut destrois étages.

« Il s’est jeté par là ? cria le préfet en accourant. Nousne l’aurons pas vivant !

– Ni vivant ni mort, monsieur le préfet. Tenez, le voilà qui serelève. Il y a des miracles pour ces gens-là… Il file vers lagrille… C’est à peine s’il boite un peu.

– Mais mes hommes ?

– Eh ! ils sont tous dans l’escalier, dans la maison,attirés par les coups de feu, soignant les blessés…

– Ah ! le démon, murmura le préfet, il a joué sa partie enmaître ! »

De fait, Gaston Sauverand prenait la fuite sans rencontrerpersonne.

« Arrêtez-le ! Arrêtez-le ! » vociféra M.Desmalions.

Il y avait deux automobiles le long du trottoir, qui à cetendroit est fort large, l’automobile du préfet de police et celleque le sous-chef avait fait venir pour le prisonnier. Les deuxchauffeurs, assis sur leurs sièges, n’avaient rien perçu de labataille. Mais ils virent le saut, dans l’espace, de GastonSauverand, et le chauffeur de la préfecture, sur le siège duquel onavait déposé un certain nombre de pièces à conviction, prenant dansle tas et au hasard la canne d’ébène, seule arme qu’il eût sous lamain, se précipita courageusement au-devant du fugitif.

« Arrêtez-le ! arrêtez-le ! » criait M.Desmalions.

La rencontre se produisit à la sortie de la cour. Elle futbrève. Sauverand se jeta sur son agresseur, lui arracha la canne,fit un bond en arrière et la lui cassa sur la figure. Puis, sanslâcher la poignée, il se sauva, poursuivi par l’autre chauffeur etpar trois agents qui surgissaient enfin de la maison.

Il avait alors trente pas d’avance sur les agents.

L’un d’eux tira vainement plusieurs coups de revolver.

Lorsque M. Desmalions et le sous-chef Weber redescendirent, ilstrouvèrent au second étage, dans la chambre de Gaston Sauverand,l’inspecteur principal étendu sur le lit, le visage livide.

Frappé à la tête, il agonisait.

Presque aussitôt il mourut.

Le brigadier Mazeroux, dont la blessure était insignifiante,raconta, tandis qu’on le pansait, que Sauverand les avait,l’inspecteur principal et lui, conduits jusqu’à la mansarde, etque, devant la porte, il avait plongé vivement la main dans unesorte de vieille sacoche accrochée au mur entre des tabliers dedomestique et des blouses hors d’usage. Il en tirait un revolver etfaisait feu à bout portant sur l’inspecteur principal, qui tombaitcomme une masse. Empoigné par Mazeroux, le meurtrier se dégageaitet envoyait trois balles dont la troisième atteignait le brigadierà l’épaule.

Ainsi, dans la bataille où la police disposait d’une trouped’agents exercés, où l’ennemi, captif, semblait n’avoir aucunechance de salut, cet ennemi, par un stratagème d’une audace inouïe,emmenait à l’écart deux de ses adversaires, les mettait hors decombat, attirait les autres dans la maison et, la route devenuelibre, s’enfuyait.

M. Desmalions était pâle de colère et de désespoir. Il s’écria:

« Il nous a roulés… Ses lettres, sa cachette, le clou mobile…autant de trucs… Ah ! le bandit ! »

Il gagna le rez-de-chaussée et passa dans la cour. Sur leboulevard, il rencontra un des agents qui avaient donné la chasseau meurtrier, et qui revenait à bout de souffle.

« Eh bien ? dit-il anxieusement.

– Monsieur le préfet, il a tourné par la rue voisine… Là, uneautomobile l’attendait… Le moteur devait être sous pression, cartout de suite notre homme nous a distancés.

– Mais mon automobile, à moi ?

Le temps de se mettre en marche, monsieur le préfet, vouscomprenez…

– La voiture qui l’a emporté était une voiture delouage ?

– Oui… un taxi…

– On la retrouvera alors. Le chauffeur viendra de lui-même quandil connaîtra par les journaux… »

Weber hocha la tête :

« À moins, monsieur le préfet, que ce chauffeur ne soit uncompère également. Et puis, quand bien même on retrouverait lavoiture, peut-on admettre qu’un gaillard comme Gaston Sauverandignore les moyens d’embrouiller une piste ? Nous aurons dumal, monsieur le préfet. »

« Oui, murmura don Luis qui avait assisté sans mot dire auxpremières investigations, et qui resta seul un instant avecMazeroux, oui, vous aurez du mal, surtout si vous laissez prendrela poudre d’escampette aux gens que vous tenez. Hein, Mazeroux,qu’est-ce que je t’avais dit hier soir ? Mais, tout de même,quel bandit ! Et il n’est pas seul, Alexandre. Je te répondsqu’il a des complices… et pas plus loin que chez moi encore… tuentends, chez moi ! »

Après avoir interrogé Mazeroux sur l’attitude de Sauverand etsur les incidents de l’arrestation, don Luis regagna son hôtel dela place du Palais-Bourbon.

L’enquête qu’il avait à faire se rapportait, certes, à desévénements aussi étranges, et, si la partie que jouait GastonSauverand dans la poursuite de l’héritage Cosmo Mornington méritaittoute son attention, la conduite de Mlle Levasseur ne l’intriguaitpas moins vivement.

Il lui était impossible d’oublier le cri de terreur qui avaitéchappé à la jeune fille pendant qu’il téléphonait avec Mazeroux,impossible aussi d’oublier l’expression effarée de son visage. Or,pouvait-il attribuer ce cri de terreur et cet effarement à autrechose qu’à la phrase prononcée par lui en réponse à Mazeroux : «Qu’est-ce que tu dis ? Mme Fauville a voulu se tuer ? »Le fait était certain, et il y avait entre l’annonce du suicide etl’émotion extrême de Mlle Levasseur un rapport trop évident pourque Perenna n’essayât pas d’en tirer des conclusions.

Il entra directement dans son bureau, et aussitôt examina labaie qui ouvrait sur la cabine téléphonique. Cette baie, en formede voûte, large de deux mètres environ et très basse, n’étaitfermée que par une portière de velours qui, presque toujoursrelevée, la laissait à découvert. Sous la portière, parmi lesmoulures de la cimaise, don Luis trouva un bouton mobile sur lequelil suffisait d’appuyer pour que tombât le rideau de fer auquel ils’était heurté deux heures auparavant.

Il fit jouer le déclenchement à trois ou quatre reprises. Cesexpériences lui prouvèrent de la façon la plus catégorique que lemécanisme était en parfait état et ne pouvait fonctionner sans uneintervention étrangère. Devait-il donc conclure que la jeune filleavait voulu le tuer, lui, Perenna ? Mais pour quelsmotifs ?

Il fut sur le point de sonner et de la faire venir afin d’avoiravec elle l’explication qu’il était résolu à lui demander.Cependant le temps passait, et il ne sonna pas. Par la fenêtre, illa vit qui traversait la cour. Elle avait une démarche lente, etson buste se balançait sur ses hanches avec un rythme harmonieux.Un rayon de soleil alluma l’or de sa chevelure.

Tout le reste de la matinée, il resta sur un divan, à fumer descigares… Il était mal à l’aise, mécontent de lui et des événementsdont aucun ne lui apportait la moindre lueur de vérité, et qui,tous, au contraire, s’entendaient de manière à verser plus d’ombreencore dans les ténèbres où il se débattait. Avide d’agir, aussitôtqu’il agissait il rencontrait de nouveaux obstacles quiparalysaient sa volonté d’agir, et rien, dans la nature de cesobstacles, ne le renseignait sur la personnalité des adversairesqui les suscitaient. Mais à midi, comme il venait de donner l’ordrequ’on lui servît à déjeuner, son maître d’hôtel pénétra dans lecabinet de travail, un plateau à la main, et s’écria avec uneagitation qui montrait que le personnel de la maison n’ignorait pasla situation équivoque de don Luis :

« Monsieur, c’est le préfet de police.

– Hein ? fit Perenna. Où se trouve-t-il ?

– En bas, monsieur. Je ne savais pas d’abord… et je voulaisavertir Mlle Levasseur. Mais…

– Vous êtes sûr ?

– Voici sa carte, monsieur. »

Perenna lut, en effet, sur le bristol :

GUSTAVE DESMALIONS

Il alla vers la fenêtre, qu’il ouvrit, et, à l’aide du miroirsupérieur, observa la place du Palais-Bourbon… Une demi-douzained’individus s’y promenaient. Il les reconnut. C’étaient sessurveillants ordinaires, ceux qu’il avait « semés » le soirprécédent et qui venaient de reprendre leur faction.

« Pas davantage ? se dit-il. Allons, il n’y a rien àcraindre, et le préfet de police n’a que de bonnes intentions à monégard. C’est bien ce que j’avais prévu, et je crois que je n’ai pasété trop mal inspiré en lui sauvant la vie. »

M. Desmalions entra sans dire un seul mot. Tout au plusinclina-t-il légèrement la tête, d’un geste qui pouvait êtreinterprété comme un salut. Weber, qui l’accompagnait, ne prit mêmepas la peine, lui, de masquer les sentiments qu’un homme commePerenna pouvait lui inspirer…

Don Luis parut ne pas s’en apercevoir, et, en revanche, affectade n’avancer qu’un fauteuil. Mais M. Desmalions se mit à marcherdans la pièce, les mains au dos, et comme s’il eût voulu poursuivreses réflexions avant de prononcer une seule parole.

Le silence se prolongea. Don Luis attendait, paisiblement. Puis,soudain, le préfet s’arrêta et dit :

« En quittant le boulevard Richard-Wallace, êtes vous rentrédirectement chez vous, monsieur ? »

Don Luis accepta la conversation sur ce mode interrogatoire, etil répliqua :

« Oui, monsieur le préfet.

– Dans ce cabinet de travail ?

– Dans ce cabinet de travail. »

M. Desmalions fit une pause et reprit :

« Moi, je suis parti trente ou quarante minutes après vous, etmon automobile m’a conduit à la Préfecture.

J’y ai reçu ce pneumatique que vous pouvez lire. Vousremarquerez qu’il fut mis à la Bourse à neuf heures et demie. »

Don Luis prit le pneumatique et il lut ces mots, écrits enlettres capitales :

« Vous êtes averti que Gaston Sauverand, après sa fuite, aretrouvé son complice, le sieur Perenna, qui n’est autre, commevous le savez, qu’Arsène Lupin. Arsène Lupin vous avait fournil’adresse de Sauverand pour se débarrasser de lui et toucherl’héritage Mornington. Ils se sont réconciliés ce matin, et ArsèneLupin a indiqué à Sauverand une retraite sûre. La preuve de leurrencontre et de leur complicité est facile. Par prudence, Sauveranda remis à Lupin le tronçon de canne qu’il avait emporté à son insu.Vous le trouverez sous les coussins qui ornent un divan placé entreles deux fenêtres du cabinet de travail du sieur Perenna. »

Don Luis haussa les épaules. La lettre était absurde, puisqu’iln’avait pas quitté son cabinet de travail. Il la repliatranquillement et la rendit au préfet de police, sans ajouter aucuncommentaire. Il était résolu à laisser M. Desmalions maître del’entretien.

Celui-ci demanda :

« Que répondez-vous à l’accusation ?

– Rien, monsieur le préfet.

– Elle est précise pourtant et facile à contrôler.

– Très facile, monsieur le préfet, le divan est là, entre cesdeux fenêtres. »

M. Desmalions attendit deux ou trois secondes, puis ils’approcha du divan et dérangea les coussins.

Sous l’un d’eux le tronçon de la canne apparut.

Don Luis ne put réprimer un geste de stupeur et de colère. Pasune seconde il n’avait envisagé la possibilité d’un tel miracle, etl’événement le prenait au dépourvu. Cependant il se domina. Aprèstout, rien ne prouvait que cette moitié de canne fût bien celle quel’on avait vue dans les mains de Gaston Sauverand et que celui-ciavait emportée par mégarde.

« J’ai l’autre moitié sur moi, dit le préfet de police,répondant ainsi à l’objection. Le sous-chef Weber l’a ramasséelui-même sur le boulevard Richard-Wallace. La voici. »

Il la tira de la poche intérieure de son pardessus et fitl’épreuve.

Les extrémités des deux bâtons s’adaptaient exactement l’une àl’autre.

Il y eut un nouveau silence. Perenna était confondu, commedevaient l’être, comme l’étaient toujours ceux auxquels, lui-même,il infligeait des défaites et des humiliations de ce genre. Il n’enrevenait pas. Par quel prodige Gaston Sauverand avait-il pu, en cecourt espace de vingt minutes, s’introduire dans cette maison etpénétrer dans cette pièce ? C’est à peine si l’hypothèse d’uncomplice attaché à l’hôtel rendait le phénomène moinsinexplicable.

« Voilà qui démolit mes prévisions, pensa-t-il, et cette fois ilfaut que j’y passe. J’ai pu échapper à l’accusation de Mme Fauvilleet déjouer le coup de la turquoise. Mais jamais M. Desmalionsn’admettra qu’il y ait là, aujourd’hui, une tentative analogue, etque Gaston Sauverand ait voulu, comme Marie-Anne Fauville,m’écarter de la bataille en me compromettant et en me faisantarrêter. »

« Eh bien, s’écria le préfet de police impatienté, répondezdonc ! Défendez-vous !

– Non, monsieur le préfet, je n’ai pas à me défendre. »

M. Desmalions frappa du pied et bougonna :

« En ce cas… en ce cas… puisque vous avouez… puisque… »

Il saisit la poignée de la fenêtre, prêt à l’ouvrir. Un coup desifflet : les agents faisaient irruption, et l’acte étaitaccompli.

« Dois-je faire appeler vos inspecteurs monsieur lepréfet ? » demanda don Luis.

M. Desmalions ne répliqua pas. Il lâcha la poignée de lafenêtre, et il recommença à marcher dans la pièce. Et soudain,alors que Perenna cherchait les motifs de cette hésitation suprême,pour la seconde fois il se planta devant son interlocuteur etprononça :

« Et si je considérais l’incident de cette canne d’ébène commenon avenu, ou plutôt comme un incident qui, prouvant sans nul doutela trahison d’un de vos domestiques, ne saurait vous compromettre,vous ? Si je ne considérais que les services que vous nousavez déjà rendus ? En un mot si je vous laissais libre ?»

Perenna ne put s’empêcher de sourire. Malgré l’incident de lacanne, bien que toutes les apparences fussent contre lui, leschoses prenaient, au moment où tout semblait se gâter, la directionqu’il avait envisagée dès le début, celle même qu’il avait indiquéeà Mazeroux pendant l’enquête du boulevard Suchet. On avait besoinde lui.

« Libre ? dit-il… Plus de surveillance ? Personne àmes trousses ?

– Personne.

– Et si la campagne de presse continue autour de mon nom, sil’on réussit, par suite de certains racontars et de certainescoïncidences, à créer un mouvement d’opinion, si l’on demandecontre moi des mesures ?…

– Ces mesures ne seront pas prises.

– Je n’ai donc rien à craindre ?

– Rien.

– M. Weber renoncera aux préventions qu’il entretient à monégard ?

– Il agira du moins comme s’il y renonçait, n’est-ce pas,Weber ? »

Le sous-chef poussa quelques grognements que l’on pouvaitprendre, à la rigueur, pour un acquiescement, et don Luis aussitôts’écria :

« Alors, monsieur le préfet, je suis sûr de remporter lavictoire et de la remporter selon les désirs et les besoins de lajustice. »

Ainsi, par un changement subit de la situation, après une sériede circonstances exceptionnelles, la police elle-même, s’inclinantdevant les qualités prodigieuses de don Luis Perenna, reconnaissanttout ce qu’il avait déjà fait et pressentant tout ce qu’il pouvaitfaire, décidait de le soutenir, sollicitait son concours, et luioffrait, pour ainsi dire, la conduite des opérations.

L’hommage était flatteur. S’adressait-il seulement à don LuisPerenna ? et Lupin, le terrible, l’indomptable Lupin,n’avait-il pas droit d’en réclamer sa part ? Était-il possiblede croire que M. Desmalions, au fond de lui-même, n’admît pasl’identité des deux personnages ?

Rien dans l’attitude du préfet de police n’autorisait la moindrehypothèse sur sa pensée secrète. Il proposait à don Luis Perenna unde ces pactes comme la justice est souvent obligée d’en conclurepour atteindre son but.

Le pacte était conclu. Il n’en fut pas dit davantage à cesujet.

« Vous n’avez pas de renseignements à me demander ?fit-il.

– Si, monsieur le préfet. Les journaux ont parlé d’un calepinqu’on aurait trouvé dans la poche du malheureux inspecteur Vérot.Ce calepin contenait-il une indication quelconque ?

– Aucune. Des notes personnelles, des relevés de dépenses, c’esttout. Ah ! j’oubliais, une photographie de femme… unephotographie à propos de laquelle je n’ai encore pu obtenir lemoindre renseignement… Je ne suppose pas d’ailleurs qu’elle aitrapport à l’affaire, et je ne l’ai pas communiquée aux journaux.Tenez, la voici. »

Perenna prit le carton qu’on lui tendait et il eut untressaillement qui n’échappa pas à M. Desmalions.

« Vous connaissez cette femme ?

– Non… non, monsieur le préfet, j’avais cru… mais non… unesimple ressemblance… un air de famille peut-être, que je vérifieraid’ailleurs s’il vous est possible de me laisser cette photographiejusqu’à ce soir.

– Jusqu’à ce soir, oui. Vous la rendrez au brigadier Mazeroux,auquel, d’ailleurs, je donnerai l’ordre de se concerter avec vouspour tout ce qui concerne l’affaire Mornington. »

Cette fois, l’entretien était fini. Le préfet se retira. DonLuis le reconduisit jusqu’à la porte du perron.

Mais, sur le seuil, M. Desmalions se retourna et dit simplement:

« Vous m’avez sauvé la vie ce matin. Sans vous, ce bandit deSauverand…

– Oh ! monsieur le préfet, protesta don Luis.

– Oui, je sais, ce sont là des choses dont vous êtes coutumier.Tout de même, vous accepterez mes remerciements. »

Et le préfet de police salua, comme s’il eût réellement saluédon Luis Perenna, noble Espagnol, héros de la Légion étrangère.Quant à Weber, il mit les deux mains dans ses poches et passa avecun air de dogue muselé, en lançant à l’ennemi un regard de haineatroce.

« Fichtre ! pensa don Luis. En voilà un qui ne me raterapas quand l’occasion s’en présentera ! »

D’une fenêtre, il aperçut l’automobile de M. Desmalions quidémarrait. Les agents de la Sûreté emboîtèrent le pas du sous-chefet quittèrent la place du Palais-Bourbon. Le siège était levé.

« À l’œuvre, maintenant ! fit don Luis, j’ai les coudéesfranches. Ça va ronfler. »

Il appela le maître d’hôtel.

« Servez-moi, et vous direz à Mlle Levasseur qu’elle vienne meparler aussitôt après le repas. »

Il se dirigea vers la salle à manger et se mit à table. Près delui, il avait posé la photographie laissée par M. Desmalions et,penché sur elle, il l’examinait avec une attention extrême.

Elle était un peu pâlie, un peu usée, comme le sont lesphotographies qui ont traîné dans des portefeuilles ou parmi despapiers, mais l’image n’en paraissait pas moins nette. C’étaitl’image rayonnante d’une jeune femme en toilette de bal, auxépaules nues, aux bras nus, coiffée de fleurs et de feuilles, etqui souriait.

« Mlle Levasseur, murmura-t-il à diverses reprises… Est-cepossible ? »

Dans un coin il y avait quelques lettres effacées à peinevisibles. Il lut « Florence », le prénom de la jeune fille, sansdoute.

Il répéta :

« Mlle Levasseur… Florence Levasseur… Comment sa photographie setrouvait-elle dans le portefeuille de l’inspecteur Vérot ? Etpar quel lien la lectrice du comte hongrois dont j’ai pris lasuccession dans cette maison se rattache-t-elle à toute cetteaventure ? »

Il se rappela l’incident du rideau de fer. Il se rappelal’article de l’Echo de France, article dirigé contre luiet dont il avait trouvé le brouillon dans la cour même de sonhôtel. Surtout il évoqua l’énigme de ce tronçon de canne apportédans son cabinet de travail.

Et tandis que son esprit tâchait de voir clair en cesévénements, tandis qu’il essayait de préciser le rôle joué par MlleLevasseur, ses yeux demeuraient fixés sur la photographie, etdistraitement il contemplait le joli dessin de la bouche, la grâcedu sourire, la ligne charmante du cou, l’épanouissement admirabledes épaules nues.

La porte s’ouvrit brusquement. Mlle Levasseur fit irruption dansla pièce.

À ce moment, Perenna, qui était seul, portait à ses lèvres unverre qu’il avait rempli d’eau. Elle bondit, lui saisit le bras,arracha le verre et le jeta sur le tapis où il se brisa.

« Vous avez bu ? Vous avez bu ? » proféra-t-elle d’unevoix étranglée.

Il affirma :

« Non, je n’avais pas encore bu. Pourquoi ? »

Elle balbutia :

« L’eau de cette carafe… l’eau de cette carafe…

– Eh bien ?

– Cette eau est empoisonnée. »

Il sauta de sa chaise, et, à son tour, lui agrippa le bras avecune violence terrible.

« Empoisonnée ! Que dites-vous ? Parlez ! Vousêtes certaine ? »

Malgré son empire sur lui-même, il s’effrayait après coup.Connaissant les effets redoutables du poison employé par lesbandits auxquels il s’attaquait, ayant vu le cadavre del’inspecteur Vérot, les cadavres d’Hippolyte Fauville et de sonfils, il savait que, si entraîné qu’il fût à supporter des dosesrelativement considérables de poison, il n’aurait pu échapper àl’action foudroyante de celui-là. Celui-là ne pardonnait pas.Celui-là tuait, sûrement, fatalement.

La jeune fille se taisait. Il ordonna :

« Mais répondez donc ! Vous êtes certaine ?

– Non… c’est une idée que j’ai eue… un pressentiment… certainescoïncidences… »

On eût dit qu’elle regrettait ses paroles et qu’elle cherchait àles rattraper.

« Voyons, voyons, s’écria-t-il, je veux pourtant savoir… Vousn’êtes pas certaine que l’eau de cette carafe soitempoisonnée ?

– Non… il se peut…

– Cependant, tout à l’heure…

– J’avais cru en effet… mais non… non…

– Il est facile de s’en assurer », dit Perenna qui voulutprendre la carafe.

Elle fut plus vive que lui, la saisit et la cassa d’un coup surla table.

« Qu’est-ce que vous faites ? dit-il exaspéré.

– Je m’étais trompée. Par conséquent, il est inutile d’attacherde l’importance… »

Rapidement don Luis sortit de la salle à manger. D’après sesordres, l’eau qu’il buvait provenait d’un filtre placé dans unearrière-office, à l’extrémité du couloir qui menait de la salle auxcuisines, et plus loin que les cuisines.

Il y courut et prit sur une planchette un bol où il versa del’eau du filtre. Puis, continuant de suivre le couloir quibifurquait à cet endroit pour aboutir à la cour, il appela Mirza,la petite chienne. Elle jouait à côté de l’écurie.

« Tiens », dit-il en lui présentant le bol.

La petite chienne se mit à boire.

Mais presque aussitôt elle s’arrêta et demeura immobile, lespattes tendues, toutes raides. Un frisson la secoua. Elle eut ungémissement rauque, tourna deux ou trois fois sur elle ettomba.

« Elle est morte », dit-il après avoir touché la bête.

Mlle Levasseur l’avait rejoint. Il se tourna vers la jeune filleet lui jeta :

« C’était vrai, le poison… et vous le saviez… Mais comment lesaviez-vous ? »

Tout essoufflée, elle comprima les battements de son cœur etrépondit :

« J’ai vu l’autre petite chienne en train de boire, dansl’office. Elle est morte… J’ai averti le chauffeur et le cocher…Ils sont là dans l’écurie… Et j’ai couru pour vous prévenir.

– Alors, il n’y avait pas à douter. Pourquoi disiez-vous quevous n’étiez pas certaine qu’il y eût du poison, puisque… »

Le cocher, le chauffeur, sortaient de l’écurie. Entraînant lajeune fille, Perenna lui dit :

« Nous avons à parler. Allons chez vous. »

Ils regagnèrent le tournant du couloir. Près de l’office où lefiltre était installé, se détachait un autre corridor terminé partrois marches.

Au haut de ces marches, une porte.

Perenna la poussa.

C’était l’entrée de l’appartement réservé à Mlle Levasseur. Ilspassèrent dans un salon. Don Luis ferma la porte de l’entrée, fermala porte du salon.

Et maintenant, expliquons-nous », dit-il d’un ton résolu.

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