Les Étranges noces de Rouletabille

XXIX – Les joies de la noceinterrompues.

 

Dans le logement du concierge, La Candeur etVladimir, remis un peu de leur terrible émoi, faisaient subir unsérieux interrogatoire à M. Priski et au groom.

Rouletabille était resté près d’Ivana quiavait perdu ses sens.

M. Priski, encore sous le coup de lafurieuse bousculade que lui avait imposée La Candeur et tout étonnéd’être sorti vivant de sa terrible poigne, s’appliquait autant quepossible, par ses réponses, à ne point déchaîner à nouveau lacolère du bon géant.

Et il disait tout ce qu’il savait. C’était luien effet qui avait rapporté de Kirk-Kilissé le coffret byzantinabandonné dans le kiosque par Rouletabille et Ivana dans lebrouhaha de leur rapide départ pour Stara-Zagora, où les attendaitle général Stanislawoff.

Devenu premier concierge à l’hôtel deBellevue, M. Priski s’était servi de cette précieuse mallecomme d’un coffre particulier dans lequel il enfermait les objetsque lui confiaient les voyageurs, et plus d’un qui était entré dansson logement avait admiré le vieux travail et les curieusespeintures du fameux coffret byzantin ; plus d’un aussi avaitvoulu le lui acheter, mais personne n’y avait encore mis le prixjusqu’à ce jour-ci, justement où M. Priski l’avait vendu.

Cette vente s’était faite dans des conditionsassez spéciales et pendant que M. Priski n’était pas là, parl’entremise du groom qui remplaçait M. Priski, envoyé encourse, par son patron.

Le groom avait vu arriver, vers deux heures del’après-midi, en auto, deux individus de mise correcte quis’étaient enquis tout de suite du dîner offert par les reporters àJoseph Rouletabille. Le groom leur avait fourni tous les détailsqu’ils lui avait demandés sur l’heure, sur le service et leur avaitfait même visiter les salons où la petite fête devait sepasser.

C’est en sortant et dans le moment qu’ils sedisposaient à repartir que les deux voyageurs étaient entrés, pourse faire donner un coup de brosse, dans le logement du concierge etque, là, ils avaient remarqué le coffret byzantin.

Ils avaient montré un grand étonnement detrouver cet objet en cet endroit, et le groom se mit à leurexpliquer que c’était un coffret bulgare rapporté de Sofia par leconcierge, qui était un homme de par là-bas. Ils avaient demandétout de suite à l’acheter. Le groom avait répondu que le conciergeen voulait cinq cents francs.

« Les voilà ! avait dit l’un desdeux hommes, mais je le veux tout de suite, c’est pour faire unesurprise justement à notre ami Rouletabille. »

Là-dessus, le groom qui savait où l’on avaitenvoyé M. Priski, lui avait téléphoné et M. Priski avaitrépondu que l’on pouvait emporter tout de suite le coffret si l’onversait immédiatement les cinq cents francs !

Les interrogatoires de M. Priski et dugroom se complétaient si bien l’un par l’autre, que La Candeur etVladimir ne doutèrent point de leur récit.

« C’est dommage, exprima Vladimir, queM. Priski n’ait pas été là, sans quoi il eût pu nous direcomment ces hommes avaient le nez fait !… Je me rappelle trèsbien le nez d’Athanase, moi !

– Athanase ! s’écria La Candeur. Tu esfou, Vladimir !… J’ai tué Athanase de ma propre main et je necrois point qu’il ressuscitera, celui-là !…

– Euh !… fit Vladimir… je ne l’ai pas vumort, moi ! et tout cela sent si bien l’Athanase !… quidonc aurait eu la délicatesse, si Athanase n’est vraiment plus dece monde, de nous envoyer la tête de Gaulow au dessert, la têtede Gaulow qui devait être le prix du mariage d’Athanase avec IvanaVilitchkov ?… »

Les deux reporters étaient maintenant aucourant des conditions du mariage de Rouletabille, et celui-ciavait eu l’occasion de leur expliquer, depuis Constantinople, cequi était toujours resté un peu obscur pour eux… Ils savaientmaintenant pourquoi Athanase avait tant poursuivi Gaulow etpourquoi Gaulow avait été relâché par Rouletabille… Aussi Vladimirétait-il beaucoup moins tranquille que La Candeur, car lui, n’avaitpas vu Athanase mort !… Il insistait auprès du groom pourqu’il lui fit une description très nette des deux voyageurs, maishélas ! cette description restait floue et il était difficiled’en conclure quelque chose.

Le groom avait pris les visiteurs pour desjournalistes, amis du marié. Une chose cependant l’avait intrigué,c’est que ces deux hommes, dont l’un paraissait fort agité,exprimaient assez souvent le regret d’avoir éprouvé pendant levoyage un retard de quelques heures, à cause d’une panne dont ilsparlaient avec fureur ! Ils semblaient regretter pardessustout de n’être pas arrivés avant la noce !

– Tu vois ! fit Vladimir en emmenant LaCandeur… tu vois !… Ça ne fait pas de doute !… Nous avonsaffaire à Athanase !… Athanase voulait arriver avec latête, avant le mariage, pour empêcher le mariage !

– Ah ! tu me rends malade avec tonAthanase !… » répliqua La Candeur qui tenait à sonmort.

Mais Rouletabille, dont la figure défaitefaisait mal à voir, survint sur ces entrefaites. Il s’était arrachédes bras d’Ivana pour venir interroger Priski.

Les deux reporters répétèrent à Rouletabilletout ce qu’ils savaient.

Et Rouletabille fut de l’avis deVladimir : on avait affaire à Athanase ! Il était tout àfait inutile de perdre son temps ; Athanase était arrivé enretard, mais il avait livré la tête de Gaulow tout demême !…

Et maintenant, qu’est-ce qu’il leurpréparait ?…

Il fallait fuir ! fuir sans perdre uneseconde !

Ivana, s’étant libérée brutalement des femmesqui l’accablaient de leurs soins, accourait à son tour. MaisRouletabille avait fait signe aux deux reporters et tous deuxprotestèrent quand la jeune femme laissa tomber le nomd’Athanase.

Athanase était mort !… bien mort !Malheureusement, à ce moment critique, La Candeur, pour finir derassurer Madame Rouletabille,eut le tort d’ajouter.

« Je le sais mieux que personne, allez,madame !… c’est moi qui l’ai tué !… »

Ivana regarda La Candeur comme une folle etpuis, sans rien dire, se serra en frissonnant contre Rouletabille,qui eût bien giflé La Candeur s’il en avait eu le temps ; maisil estima qu’il était plus pressant de prendre Ivana dans ses braset de la transporter dans l’auto, qui démarra aussitôt, saluée parles gestes obséquieux de M. Priski et par les protestations dedévouement de La Candeur et de Vladimir ! Elle partit à touteallure, dans la nuit, pour un pays inconnu, où les jeunes mariésespéraient bien ne pas rencontrer Athanase.

En attendant, son ombre les poursuivait et ilsne pensaient qu’à lui.

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