Les Étranges noces de Rouletabille

X – Où l’on reparle du coffretbyzantin.

 

Dans un faubourg de Kirk-Kilissé, sur le bordde la route qui conduit vers l’Ouest, au fond d’un bosquet,Rouletabille avait trouvé pour Ivana et pour ses compagnons unpetit kiosque du haut duquel il leur serait possible d’observer lesenvirons et où ils pourraient se reposer sans être gênés par lemouvement des troupes.

Chose curieuse, c’est sur la demande même dela jeune fille que Rouletabille avait cherché cette retraite. Ivanasemblait se désintéresser de l’armée, même la fuir, dans un momentoù sa présence eût pu être utile dans les ambulances. Enfin, elleavait recommandé à Rouletabille de ne point donner son adresse augénéral Savof si celui-ci ne la lui demandait pas. S’il la luidemandait, il ne pourrait la lui refuser, mais alors il devrait enavertir Ivana sur-le-champ.

« Pour changer de domicile ?

– Oui, avait-elle répondu nerveusement, pourchanger de domicile ! »

Sur quoi elle s’était mise à se promener avecune agitation telle dans la petite salle qui lui avait étéréservée, que Rouletabille, la plaignant et la croyant en toutesincérité sur le point de devenir folle, ne voulut pas laquitter.

Il resta pour la surveiller et pour rédigerses télégrammes, et il envoya Tondor chercher Vladimir et LaCandeur, lesquels arrivèrent la figure fort allumée et reçurent lamission de trouver le général Dimitri Savof.

À la tombée de la nuit, Rouletabille sepromenait, le front soucieux, devant la porte du kiosque d’où Ivanan’était pas sortie de toute la journée. Il n’avait échangé avecelle que des paroles insignifiantes et s’était replongé dans unecorrespondance qu’il lui avait été du reste impossible d’expédier,le général Dimitri ayant répondu à Vladimir qu’il avait reçu desordres supérieurs lui recommandant de garder le plus grand secretautour des batailles de Pétra, Seliolou et Demir-Kapou, victoiresqui ne devaient être connues, dans leur détail, que plus tard.

À cause de cela et de bien d’autres choses,Rouletabille était donc fort morose quand il fut abordé par l’ombreénorme du bon La Candeur qui le prit amicalement sous le bras.

« Viens, lui dit le géant, je vais temontrer quelque chose…

– Quoi ?

– Tu vas voir… c’est très curieux !…

– Si je m’éloigne, il n’y aura personne pourveiller sur Ivana et son attitude, de plus en plus bizarre, medonne de gros sujets d’inquiétude…

– C’est tout près d’ici…

– Qu’est-ce que tu veux me montrer ?…

– Tu vas voir !…

– Eh bien, appelle Vladimir qui surveillera lekiosque pendant que tu me montreras ce que tu veux me fairevoir !

– C’est justement Vladimir que je veux temontrer.

– Je le connais, ça n’est pas lapeine !

– Oui, mais tu ne sais pas ce qu’ilfait !

– Qu’est-ce qu’il fait ?…

– Il est là, au bord d’un bosquet, en train deparler à quelqu’un qui est mort !…

– Es-tu ivre, La Candeur ?…

– Je ne suis pas ivre. J’ai bien déjeuné, maisje ne suis pas ivre !

– Alors qu’est-ce que c’est que cettehistoire ?

– C’est une histoire de revenant, viensdonc !… »

Et il attirait Rouletabille qui peu à peucédait et le suivait sous les arbres.

« Figure-toi que Vladimir cause avecM. Priski ou avec son ombre !…

– Le majordome de la Karakoulé !

– Lui-même !… ma balle, après tout, nel’a peut-être pas tout à fait tué ; et je n’en serais pas plusfâché, car, entre nous, nous ne nous étions pas très bien conduitsavec ce cher M. Priski… Mais avance donc ; qu’est-ce quetu fais ?…

– Comment M. Priski se trouve-t-ilici ?

– Je n’en sais rien ! Nous allons allerle lui demander, viens !… (Ce disant, il avait fait tournerRouletabille du côté opposé à la porte du kiosque…) Il faut savoirce qu’il veut à Vladimir !

– Eh bien, quand il aura fini de causer avecVladimir, tu iras chercher Vladimir, et Vladimir nous dira ce queM. Priski a dit, mais je ne fais pas un pas de plus… je neveux pas laisser Mlle Vilitchkov toute seule, sans défense, aumilieu de toute cette soldatesque qui court les routes… »

Et il s’assit sur un tertre d’où il pouvaitapercevoir encore les derrières du kiosque et entendre au besoin uncri ou un appel.

« Tu seras donc toujours aussibête !… Je veux dire aussi amoureux… fit La Candeur d’une voixde rogomme en s’asseyant à côté du reporter de façon à lui cacher àpeu près le kiosque.

– La Candeur, tu sens le vin, fit Rouletabilledégoûté, en s’éloignant un peu.

– C’est ma foi bien possible, répondit LaCandeur car j’en ai bu un peu. J’ai fait un excellent déjeuner à latable d’hôte de l’auberge du Grand-Turc. Vladimir et moi avonsbeaucoup regretté ton absence… Ah ! justement le voilà,Vladimir… Tiens ! maintenant il est seul !… Bonsoir,Vladimir… j’étais en train de raconter à Rouletabille que tu étaisen grande conversation avec l’ombre de M. Priski…

– Ah ! Ah ! vous m’avez vu, fitVladimir… Eh bien, il ne s’agit pas d’une ombre du tout et ce bonM. Priski n’est pas mort !… (Et il s’assit de l’autrecôté de Rouletabille.) Entre nous, j’ai été un peu étonné de levoir réapparaître !…

– Qu’est-ce qu’il vient faire par ici ?Que veut-il ? demanda Rouletabille.

– Oui, fit La Candeur, que veut-il ?

– Ma foi je n’en sais trop rien !… ditVladimir, et je vous avouerai, entre nous, que j’ai trouvé sesquestions bizarres.

– Ah ! il vous a posé desquestions ?…

– Oui, il m’a demandé des tas de détails surMlle Vilitchkov… sur la façon dont nous nous étions sauvés dudonjon… etc., enfin comme tout cela me paraissait assez louche jerépondais le moins possible. Et il a fini par s’en aller, voyantqu’il n’avait rien à tirer de moi… »

Rouletabille s’était levé :

« Où est-il ? Je veux lui parlertout de suite…

– Eh ! il n’est pas loin, réponditVladimir. Il n’est peut-être pas à cinquante pas d’ici, dans cesentier, sous les arbres… »

Et Vladimir lui montrait une direction opposéeà celle du kiosque.

Rouletabille s’élança.

Quand ils furent seuls, La Candeur dit àVladimir avec un léger tressaillement dans la voix :

« Comme ça, Rouletabille n’aura rien ànous reprocher ! Nous l’avons assez averti que M. Priskirôdait autour d’Ivana !

– Parfaitement ! répliqua Vladimir, et ilne pourra s’en prendre qu’à lui-même si ce M. Priski la luienlève.

– Crois-tu que M. Priski soit déjà dansle kiosque ? demanda La Candeur avec un soupir.

– Je le pense !…

– Eh bien, qu’il se dépêche !… fit LaCandeur d’une voix sourde !

– Oui ! il fera bien de se dépêcher,répéta Vladimir, car Rouletabille, ne le trouvant pas dans lesentier, va revenir !

– Et moi, ajouta La Candeur, je sens que leremords me gagne !…

– Le remords !…

– Oh ! gémit La Candeur, il déborde déjà,j’ai grand-peine à le retenir… Ce que nous faisons là est peut-êtreabominable ?

– Mais c’est pour le bien deRouletabille !…

– C’est la première fois que je le trompe etje me le reproche comme un crime…

– Il ne le saura jamais !

– Parce qu’à côté de son esprit subtil, il aun cœur confiant ! Mais est-ce à moi d’en abuser ?…

– Il vaut mieux que ce soit toi qui le trompesque cette Ivana dont il veut faire sa femme… fit Vladimir.

– Mon Dieu ! le voilà !… je n’oseraiplus le regarder… »

Rouletabille revenait en effet.

« C’est drôle, dit-il, je n’ai rien vu,ni Priski ni personne !… Rentrons vite au kiosque !…

– Mlle Ivana va mieux ? S’est-ellebien reposée ?… demanda hypocritement Vladimir.

– Très bien ! je vous remercie »,répondit Rouletabille, pensif. Puis tout à coup, s’adressant à LaCandeur et lui prenant les deux revers de sa redingote :

« La Candeur ! tu sais ce que tum’as promis ! de veiller sur elle comme sur moi ! Tu nevoudrais pas me faire de la peine, hein ?… Je sais que tu nel’aimes pas, mais tu ne voudrais pas me faire de la peine !…Réponds donc, mais réponds donc !…

– Non ! pas de la peine ! réponditLa Candeur, qui suffoquait.

– C’est que, vois-tu, je vous trouve une drôlede figure à tous les deux, des drôles de manières… Qu’est-ce quec’est que cette histoire de M. Priski !… deM. Priski qui vient vous parler d’Ivana !… Serait-elleencore menacée de ce côté-là ?… Il faudrait me ledire !…

– Ah ! mon Dieu !… souffla LaCandeur, tu me fais peur de te voir dans des états pareils !…C’est vrai que ce M. Priski ne m’a pas l’air naturel dutout !…

– Tu vois !… Ah ! je voudrais biensavoir où il est passé pour avoir disparu si vite !… S’ilarrivait malheur à Ivana, ajouta-t-il, en se hâtant vers lekiosque, je vous accuserais tous les deux pour ne pas m’avoir amenéce M. Priski !

– Rouletabille ! grelotta la voix de LaCandeur, ce Priski nous a peut-être trompés !… Il nous a faitcroire qu’il s’éloignait par ce sentier, mais peut-être que…

– Peut-être que ?…

– Peut-être qu’il est dans lekiosque ?…

– Si c’est vrai, malheur à vous !… »jeta Rouletabille dans la nuit, et il bondit vers le kiosque.

Les fenêtres en étaient suffisamment éclairéespour que La Candeur et Vladimir, restés prudemment en arrière,vissent, dans l’embrasure d’une fenêtre, une ombre, qui était cellede Rouletabille, se jeter sur une autre ombre, qui était celle deM. Priski.

« Voilà ton ouvrage… fit Vladimir à LaCandeur.

– Priski est une crapule, déclara La Candeuravec un grand soupir de soulagement, et je ne regretterai pointd’avoir dénoncé Priski à Rouletabille s’il a eu le temps deremettre la lettre à Ivana !…

– J’en doute, dit Vladimir.

– On va bien voir… »

Ils entrèrent à leur tour dans le kiosque eteurent immédiatement la preuve que M. Priski n’avait pas eu letemps de remettre son message à Mlle Vilitchkov, qui survenaitsur le seuil de sa chambre, surprise par tout ce bruit.

M. Priski se relevait cependant queRouletabille le menaçait d’un revolver.

« Qu’y a-t-il encore, mon ami ?demanda Ivana d’une voix fatiguée, qui trahissait un grandabattement, une immense lassitude de tout.

– Je n’en sais rien ! réponditRouletabille, mais peut-être bien que ce monsieur, que vous neconnaissez peut-être point, mais qui s’appelle M. Priski, etqui était naguère majordome à la Karakoulé, voudra nous dire laraison de sa présence insolite près de vous ? »

M. Priski brossa son habit avec un grandsang-froid, pria Rouletabille de ranger son revolver, saluaMlle Vilitchkov, et dit :

« Je désirais voir Ivana Hanoum :ayant appris en suivant ces messieurs (il désignait Vladimir et LaCandeur qui ne savaient trop quelle contenance tenir) qu’ellehabitait ici, je me suis donc dirigé vers ce kiosque et ai pénétrédans cette première pièce, sans aucune méchante intention, je vousassure.

– Que voulez-vous ? demanda encore Ivanaavec accablement, cependant qu’au titre matrimonial ottoman énoncépar l’ex-concierge du Château noir, Rouletabille avait froncé lessourcils.

– Madame, je suis envoyé près de vous par unami de Kara-Selim, par le seigneur Kasbeck, honorablement connu àConstantinople et en d’autres lieux et qui vous veut dubien ! »

Du coup, Rouletabille, se rappelant l’étrangeconversation qu’il avait surprise au Château noir entre ce Kasbecket Gaulow, devint écarlate et secoua d’importance le pauvrePriski.

« Voilà une bien singulièrerecommandation, s’écria-t-il, et vous avez une belle effronterie devenir ici nous parler de ce misérable Kasbeck et cela devantMlle Vilitchkov !

– Madame, messieurs, ne voyez en moi qu’unhumble émissaire, émit modestement M. Priski, et si j’ai étémaladroit en vous disant toute la vérité, n’accusez de mamaladresse que ma franchise… »

Ivana était devenue aussi pâle queRouletabille était rouge ; cependant elle ne disait mot etattendait avec une certaine inquiétude que l’autre s’expliquât toutà fait. Il continuait :

« Vous comprenez, moi, je ne suis aucourant de rien. Le seigneur Kasbeck m’a chargé d’une commission endisant que je serais certainement auprès de vous le bienvenu… jecommence à en douter… (et il se frotta encore les côtes et rebrossason habit…)

– Quelle commission ? demanda brutalementRouletabille.

– Il paraît, dit M. Priski, que madametenait beaucoup à certain coffret byzantin qui se trouvait, lors dupillage de la Karakoulé par les troupes mêmes de Kara-Selim, dansl’appartement nuptial.

– C’est vrai ! dit Ivana en retrouvantdes couleurs, c’est vrai… j’y tenais beaucoup : c’est unsouvenir de famille !

– C’est bien cela… Eh bien, ce coffret esttombé entre les mains du seigneur Kasbeck, qui, m’a-t-il dit, estau courant de vos malheurs et vous plaint beaucoup !… Il apensé que ce serait pour vous un grand soulagement de retrouver cetobjet !…

– C’est juste, dit Ivana.

– Et il m’a chargé de vous le remettre telqu’il l’a retrouvé…

– Et comment l’a-t-il retrouvé ? demandaRouletabille.

– Il l’a retrouvé dans la chambresaccagée : le coffret était malheureusement vide des bijoux etsouvenirs qui, paraît-il, y avaient été enfermés.

– Alors, nous ne tenons plus au coffret, siles souvenirs n’y sont plus !… déclara Rouletabille.

– Pardon, fit Ivana, vous n’y tenez pas, maismoi, j’y tiens… »

Rouletabille entraîna la jeune fille dans uncoin :

« Pourquoi ?… Je me défie de cethomme. Je me méfie de Kasbeck… Pourquoi y tenez-vous ? Voussavez bien que tous les documents du tiroir secret sur lamobilisation ont perdu toute leur valeur maintenant que lesBulgares victorieux occupent Kirk-Kilissé !

– Ce coffret est en lui-même un souvenir defamille, dit-elle, et cela est suffisant pour que j’ytienne !… »

Et se tournant vers Priski :

« Où est ce coffret ? »demanda-t-elle.

Mais Rouletabille ne s’avoua pasvaincu :

« Cette histoire ne me dit rien quivaille, insista-t-il encore. Ivana ! Ivana !…rappelez-vous le rôle que ce Kasbeck aurait joué dans ladisparition de votre sœur Irène !…

– Justement, je voudrais voir où il veut envenir avec moi, fit-elle avec un pauvre sourire. Quel dangervoyez-vous à ce que cet homme m’apporte ici le coffretbyzantin ?… Pouvez-vous l’apporter tout de suite, monsieurPriski ?…

– Madame, dans une demi-heure, vousl’aurez !…

– Eh bien, proposa Rouletabille, voilà ce quenous allons faire ; moi, je ne vous quitte pas, Ivana, cartout ceci ne me paraît pas clair ; mais La Candeur et Vladimirvont accompagner M. Priski jusqu’à l’endroit où se trouve lecoffret, et ils reviendront avec l’objet nous retrouverici !…

– Eh ! monsieur, je n’y vois aucuninconvénient, déclara M. Priski, à condition toutefois que jerevienne moi-même avec l’objet.

– Croyez-vous que ce soit absolumentnécessaire ?

– Absolument ! Qu’est-ce que je désire,moi ?… Remettre l’objet, en main propre, à son destinataire,comme il m’a été recommandé, puis disparaître. J’aurai fait macommission !… Vous voyez qu’il n’y avait pas de quoi tant mebousculer pour cela !…

– Qu’en dites-vous ? demandaRouletabille, fort perplexe, en regardant Ivana.

– C’est un mystère à éclaircir, dit-elle d’unevoix glacée ; puisque M. Priski consent à suivre le planque vous avez tracé vous-même, que ces messieurs aillent doncchercher le coffret ! »

Pendant tout le temps de cette discussion,celui qui eût examiné La Candeur eût pris en pitié le pauvregarçon, tant il était visible que se livrait en lui un combatdéchirant, entre sa conscience d’une part et la détestation qu’ilavait d’Ivana de l’autre.

Enfin, sur l’ordre de Rouletabille, il partitavec Vladimir et M. Priski. Une demi-heure plus tard, toustrois étaient de retour. Ils portaient avec précaution le fameuxcoffret byzantin, mais La Candeur tenait à peine sur sesjambes.

M. Priski dit :

« Madame, voici votre coffret, j’ai bienl’honneur de vous saluer. »

Et il sortit.

Aussitôt La Candeur se jeta devant le coffretet s’écria :

« Ne l’ouvrez pas ! »

Son émotion était telle que Rouletabille enfut tout secoué.

« Qu’est-ce qu’il y a ? Tu saisquelque chose !…

– Je ne sais rien : mais ne l’ouvrez pas.Il peut y avoir une bombe là-dedans !… Ce Priski est capablede tout !…

– Eh bien, courez après lui etramenez-le ! On l’ouvrira devant lui ! »

Vladimir et La Candeur sortirent encriant :

« Monsieur Priski ! MonsieurPriski !… »

Mais ils n’eurent garde de revenir avec lui,car s’ils l’accusaient, eux, lui pouvait bien les dénoncer commeses complices. La Candeur préférait l’accuser quand il n’était paslà !… La Candeur revint, affichant un grand désespoir de nepas avoir retrouvé M. Priski.

« Il est parti, envolé ! Ce coffretcache certainement un mauvais coup !… Il faut te dire,Rouletabille, que, depuis ce matin, M. Priski nouspoursuit !…

– Pourquoi ne m’en parles-tu quemaintenant ?

– Parce que nous n’avons pas voulut’inquiéter… Mais il m’a offert à moi mille francs auxquels je n’aipas voulu toucher… ajouta à bout de souffle le pauvre La Candeur,étouffé par le remords.

– Et à moi, dit Vladimir, il a voulu me passerune commission que j’ai refusée de faire.

– Quelle commission ? demandaRouletabille dont l’inquiétude était à son comble.

– Porter une lettre à Mlle Vilitchkov, encachette de vous, tout simplement ! Vous pensez si je l’aienvoyé promener ! » avoua tout de suite Vladimir quivoyait que La Candeur allait « manger le morceau ».

Rouletabille, extraordinairement impatienté deces jérémiades, bouscula La Candeur et Vladimir et ouvritbrusquement le coffret ; il était bien vide. Il le souleva surun des côtés, découvrit la Sophie à la cataracte, demanda uneaiguille que lui passa La Candeur qui en avait toujours uneprovision sur lui, l’enfonça dans la pupille de la sainte et fitjouer le ressort secret.[7]

Le tiroir s’ouvrit.

Comme le coffret lui-même, il était vide.

Cependant le reporter y plongea le bras toutentier et sa main revint avec une lettre : il ne la regardamême pas :

« Voici votre lettre, dit-il à Ivana enla lui tendant, la lettre que ces messieurs ont refusé de vousapporter ce matin ! »

Et il se releva :

« C’était sûr, ajouta-t-il d’une voixsourde. Le coffret n’était qu’un prétexte et le seigneur Kasbeckavait pris toutes ses précautions pour que cette lettre, même sison émissaire ne pouvait vous approcher, pût vousparvenir ! »

Ivana décachetait en tremblant la lettre aprèsavoir lu la suscription : « À IvanaHanoum », et commençait à lire.

Pendant ce temps, La Candeur semblait nesavoir où se mettre. Il tournait d’une façon inquiétante autourd’Ivana. Il finit par aller s’assurer de la fermeture des fenêtreset poussa fortement la porte.

« Qu’est-ce que tu as encore ?Qu’est-ce que tu fais ?

– J’ai juré de veiller sur mademoiselle, râlale géant, alors je ferme les fenêtres et je pousse la porte.

– As-tu donc peur qu’elle nes’envole ?

– Est-ce que je sais, moi ? Ce Priski demalheur nous a dit qu’aussitôt qu’elle aurait lu cette lettre,mademoiselle te quitterait.

– Misérable ! rugit Rouletabille, etc’est pour cela que tu t’es fait son complice ! Ah ! jecomprends ton attitude maintenant, tes manières ! tesréticences ! tes remords !… La Candeur, tu n’es plus monami ! Il n’y a plus de La Candeur pour moi, je ne te connaisplus !…

– Grâce ! » sanglota La Candeuréperdu, en s’affalant sur le carreau !

Mais Ivana eut vite mis fin à cette scènepathétique. Elle tendit, toujours avec son désolé sourire, lalettre à Rouletabille.

« Mais cette lettre est en turc !dit Rouletabille ; traduisez donc, Vladimir… »

C’était une lettre de Kasbeck :

« Madame, j’ai su, par Kara-Selimlui-même, le prix que vous attachiez à votre coffret de famillepuisque, pour rentrer en sa possession, vous n’avez pas hésité àaccepter de vous unir au bourreau de votre père, de votre mère etde votre oncle… Ayant pu, moi-même, après la disparition deKara-Selim approcher le précieux objet, j’en ai découvert tout lemystère, je vous le renvoie vide ! Mais je conserve par-deversmoi tous les papiers que j’ai trouvés dans le tiroir. Je vous lesgarde intacts, dans leurs enveloppes et avec leurs cachets,persuadé que vous aurez une grande joie à les venir cherchervous-même. Je vous attends d’ici le 27 octobre au plus tard àDédéagatch. »

À cette lecture, Rouletabille éclata d’unfurieux éclat de rire qui faisait bien mal à entendre.

« Trop tard, le tonnerre !s’écria-t-il.

– Oui, » dit simplement Ivana, et elle rentradans sa chambre.

« Alors elle ne s’en va pas ! Onpeut ouvrir la porte, les fenêtres… s’écria joyeusement La Candeur.Tu me pardonnes, Rouletabille ?

– Non ! » répondit Rouletabille.

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