Les Étranges noces de Rouletabille

XI – Où Rouletabille reçoit des nouvellesde son journal.

 

« Joseph Rouletabille ! Ordre dugénéral-major Stanislawoff ! »

En même temps qu’il prononçait cette phrase enfrançais, un officier d’état-major sautait à bas de son cheval à laporte du kiosque et saluait les jeunes gens.

« Que me voulez-vous, monsieur ?demanda le reporter.

– C’est un ordre qui vient d’arriver duquartier général en même temps qu’une automobile d’état-major. Legénéral Stanislawoff désire vous voir immédiatement et j’ai missionde vous ramener ainsi que Mlle Vilitchkov, si elle se trouveavec vous.

– Elle est là, dit Rouletabille, et nous sommeprêts à vous suivre. Où se trouve le général ?

– À Stara-Zagora.

– Nous n’y sommes pas ! ditRouletabille.

– Nous y serons demain ! nous avonsl’auto.

– Les routes sont abominables, objectaVladimir.

– Si elles étaient bonnes, réponditl’officier, nous serions à Zagora cette nuit… Enfin nous y seronsle plus tôt possible. Messieurs, je reviens vous chercher avecl’auto dans une demi-heure. Vous préviendrezMlle Vilitchkov.

– C’est entendu, répondit Rouletabille, et ilfrappa à la porte de la jeune fille pendant que l’officiers’éloignait.

– Entrez », fit la voix d’Ivana.

Il la trouva debout, tout près de la porte,avec des yeux d’épouvante, se retenant au mur.

« Mon Dieu, qu’avez-vous encore ?demanda le reporter.

– J’ai entendu… fit-elle dans un souffle.

– Et c’est la perspective de retrouver legénéral-major qui vous met dans cet état ?

– Que me veut-il ?

– Ma foi, je n’en sais rien, mais mon avis estqu’après ce que vous avez fait pour votre pays, ajouta-t-il trèsénervé, vous n’avez pas à vous effrayer d’une pareilleentrevue !… »

Elle s’enveloppa dans un manteau, s’assit etattendit le retour de l’officier avec une tête de condamnée à mort.Elle frissonnait. Rouletabille lui demanda si elle avait froid.Elle ne lui répondit pas.

Quand on entendit la trompe de l’auto, elle seleva tout à coup, comme réveillée en sursaut, et elle fixal’officier qui entrait, de ses étranges yeux d’effroi. L’officierse présenta, salua, baisa la main d’Ivana et lui dit que tous lesamis de sa famille seraient heureux de la revoir. Elle nemanquerait point d’en trouver à Stara-Zagora. Il lui cita desnoms.

Elle l’écoutait plus morte que vive.Rouletabille dut lui offrir son bras pour monter dans la voiture.Les trois jeunes gens l’y suivirent. Ce fut un voyage horrible, desheures de fatigue sans nom… Elle ne se plaignit pas. Le lendemain,après avoir failli rester vingt fois en route, après avoir étéarrêtés à chaque instant par d’interminables mouvements de troupes,ils arrivaient à Stara-Zagora.

L’auto se rendit immédiatement à la gare, oùle général couchait dans son train pour être prêt à se rendreimmédiatement sur tel ou tel point de la frontière, selon lesévénements… Là, ils apprirent que le général-major était déjàsorti. Il devait être en ville, chez un notable commerçant, AnastasArghelof, où il tenait souvent conseil avec le général Savof et leprésident de la Chambre, Daneff, qui représentait le pouvoir civilauprès de l’état-major général.

Mais là on apprit que le général-major étaitmonté en auto avec M. Daneff et s’était fait conduire dans ladirection de Mustacha-Pacha où les troupes bulgares avaientremporté récemment un gros succès.

Cependant les jeunes gens virent le généralSavof, qui leur apprit que le général-major était fort impatient deles voir et qu’il les priait, s’ils étaient arrivés avant sonretour, de l’attendre à Stara-Zagora.

« Général, dit Rouletabille, je suisaussi pressé de présenter mes hommages au général Stanislawoffqu’il a hâte de nous voir, veuillez le croire. Et je regrette qu’ilne soit pas là, car j’ai une grande faveur à lui demander, celle delaisser mes lettres et télégrammes partir immédiatement pour laFrance.

– Ceci me regarde, répondit aimablement legénéral Savof. Je sais que je puis avoir confiance en vous. Legénéral Stanislawoff ne m’a rien caché de ce que nous vousdevons ! Aussi je me ferai un grand plaisir de vouséviter toutes les formalités de la censure. Donnez-moi tous vospapiers et je vais y apposer mon cachet.

– Merci, général ! »

Rouletabille chercha La Candeur, dépositairedes précieux reportages, mais La Candeur était déjà parti pour laposte, très pressé de retirer sa correspondance personnelle, luiapprit Vladimir.

« Général, je vais écrire encore quelqueslignes, et dans une heure j’arrive avec tous mes paquets ; jecompte sur vous.

– Entendu, répondit le général Savof ;pendant ce temps, je ferai donner ici même à Mlle Vilitchkovles soins dont elle me paraît avoir grand besoin.

– Nous vous en serons reconnaissants,général ! »

Rouletabille et Vladimir prirent congé et sedirigèrent aussitôt vers la porte.

« Vous trouverez là-bas tous vosconfrères », lui cria le général.

Vladimir sauta de joie :

« On va revoir les confrères !… etMarko le Valaque !… Ils vont nous en poser desquestions !… On m’a dit chez Anastas Arghelof qu’ils étaientcomme enragés, car on les tient serrés !… Ils ne peuvent rienenvoyer !…

– Tout de même ! j’ai hâte d’avoir desnouvelles du canard », avouait Rouletabille, préoccupé, et ilshâtaient le pas.

Stara-Zagora est une jolie petite ville aupied des collines. Ses longues rues cahoteuses ont tout lecaractère du Proche-Orient. Dans les cafés en plein vent, sous lesportiques garnis de vigne, des indigènes devisaient avec cetteplacidité qu’on ne voit qu’aux pays du soleil.

« On se croirait à cent mille lieues dela guerre… dit Vladimir. Si c’est tout ce qu’on permet auxcorrespondants de voir de la campagne de Thrace, je comprendsqu’ils ne doivent pas être contents ! »

Ils rencontrèrent justement un correspondantqu’ils reconnurent à son brassard rouge. Il était furieux.

« Rien… leur dit-il. Nous ne savons rien…On nous communique un bulletin de victoire sec comme un coup detrique, et c’est avec cela, du reste, que nous devons apporterchaque jour des milliers de mots aux employés du télégraphe, quis’affolent, comme vous devez le penser, avec leurs trois pauvresappareils Morse… Ils n’ont même pas de Hughes !… Quelmétier !… Aussi ce qu’on gémit !… Il n’y a que Marko leValaque qui soit content.

– Pourquoi donc ? demanda Vladimir, qui,comme nous le savons, n’aimait point Marko le Valaque.

– Eh ! mais parce qu’il a envoyé descorrespondances épatantes à son canard.

– Pas possible ! Et comment a-t-ilfait ?

– Ah ! ça, nous n’en savons rien.

– Eh bien, fit Rouletabille, il est plutôttemps d’expédier quelque chose de propre à L’Époque !Ils doivent fumer là-bas si la concurrence a reçu des articlesaussi étonnants que ça ! »

Ils arrivèrent au bureau de poste. Lesconfrères les accueillirent avec des cris de joie et de surprise.Qu’étaient ils devenus ? Qu’avaient-ils fait depuis quinzejours ?… Les confrères avaient été d’abord très inquiets, maiscomme dans les journaux envoyés de Paris ils n’avaient trouvéaucune correspondance intéressante de Rouletabille, ces messieurss’étaient rassurés.

Et encore :

« Il n’y a que Marko le Valaque qui a suse débrouiller !

– Il est extraordinaire, ce type-là,affirmèrent-ils tous. Et à cause de lui ce que nous avons étéeng… »

Rouletabille demanda son courrier et décachetad’abord les plis qui lui venaient de L’Époque avec unehâte fébrile. Il pâlit. Tous le regardaient lire :

« On n’est pas content, hein ?

– Non, on n’est pas content, s’écriaRouletabille, mais ça c’est incroyable ! »

Et il lut tout haut : « Votresilence est d’autant plus incompréhensible que vous ne pouvezinvoquer l’impossibilité d’envoyer la correspondance promise survotre voyage à travers l’Istrandja-Dagh, attendu que notre confrèreLa Nouvelle Presse en publie une du plus haut intérêt etqui a fait monter son tirage de plus de quatre cent mille. Cescorrespondances signées Marko le Valaque relatent des événements etdes faits qui, sans être historiques, n’en captivent pas moins lesesprits par leur originalité et aussi à cause du cadre dans lequelils se déroulent. Ils méritaient de retenir votre attention. Bref,c’est non seulement un coup raté de votre part, mais un prodigieuxsuccès pour notre confrère, et, pour nous, c’est la honte et ladésolation… Notre directeur ne s’en console point et il chargevotre rédacteur en chef de vous exprimer toute sasurprise. »

« Eh bien, mon vieux, tu es servi !…lui cria-t-on.

– Oui, il a aussi sonpaquet !… »

Vladimir, horriblement vexé, comme si cesreproches lui avaient été personnellement destinés, se mordait leslèvres jusqu’au sang. Rouletabille, très agité, se leva :

« Marko le Valaque est donc allé dansl’Istrandja-Dagh ? demanda-t-il.

– Dame ! répondirent les autres, onn’invente pas ce qu’il a écrit… C’est trop vécu, c’est tropépatant…

– Et il a été longtemps absent ?

– Une huitaine, pas plus ! Mais pendantces huit jours-là on peut dire qu’il n’a pas perdu son temps.

– Et ces correspondances de La NouvellePresse, vous les avez ?…

– Parfaitement, répondirent-ils tous. Tu n’asqu’à passer à l’hôtel du Lion-d’Or où nous sommes tous descendus…tu les verras, tu pourras les lire…

– Bien ! bien !… »

Rouletabille faisait peine à voir.

« Venez, Vladimir, fit-il. Où est LaCandeur ?

– La Candeur est à l’hôtel du Lion-d’Or !lui répondit-on. Aussitôt que nous lui avons parlé descorrespondances de Marko, lui aussi a voulu les lire, tupenses !

– Et où est-ce l’hôtel du Lion-d’Or ?

– Nous allons t’y conduire !… »

La mine déconfite de Rouletabille les amusaittrop pour qu’ils le lâchassent. Ils l’accompagnèrent tous àl’hôtel.

La première personne que Rouletabille aperçutdans le salon de lecture fut La Candeur.

Il était penché sur un paquet de journauxqu’il venait de parcourir et achevait de lire un article, les yeuxhors de la tête, toute la face congestionnée. Au bruit que lesreporters firent en entrant, il leva le front, vit Rouletabille, etl’on put craindre un instant que ce grand garçon ne tombât là,foudroyé, victime d’un coup de sang.

« Ah ! bien… », murmura-il.

Et c’est tout ce qu’il put dire. Rouletabillese jeta sur les journaux. Il ne fut pas longtemps à se rendrecompte du crime. C’étaient ses articles ! Les articles deRouletabille signés Marko le Valaque !

« Quand je vous disais, sous la tente,que notre visiteur nocturne était Marko ! s’écria Vladimir,triomphant. C’était lui qui tournait autour de nous pour nous volernos articles. Il n’est pas capable d’écrire dix lignes. Je leconnais bien, moi !… Tout de même, c’estrapide !… »

Rouletabille continuait de lire. Il y avait làtoute la première partie de leur voyage dans l’Istrandja-Dagh qu’ilavait dictée à La Candeur. Il n’y manquait pas un paragraphe, ni unpoint, ni une virgule.

Le reporter, blême de fureur contenue, dit àLa Candeur :

« Montre-moi laserviette ! »

C’était le premier mot qu’il lui adressaitdepuis la veille.

La Candeur ouvrit sa serviette et dit d’unevoix expirante :

« Je n’y comprends rien… Tous lesarticles sont encore là… »

Et il sortit les enveloppes numérotées etdatées contenant chacune l’article du jour.

« Montre-moi lesarticles ! »

La Candeur, de plus en plus tremblant, sortitles articles des enveloppes et les déplia : du papierblanc !… Parfaitement, du papier blanc ! Quant auxarticles de Rouletabille, ils étaient passés dans la poche de Markole Valaque !…

« Le bandit ! s’écria Vladimir, oùest-il ?…

– Oui ! qu’il vienne ! murmura LaCandeur en crispant ses terribles phalanges, j’ai besoin del’étrangler !

– Oh ! il n’est pas loin, luirépondit-on, il habite l’hôtel. »

Les confrères étaient dans la jubilation del’incident.

« Comment, toi, Rouletabille ! C’esttoi qui te laisses rouler ainsi !… »

Rouletabille leur ferma le bec :

« Oui, dit-il sur un ton glacé, et jem’en vante ! Je n’ai pas voulu croire qu’un homme qui se ditjournaliste, auquel vous serrez la main tous les jours et que voustraitez comme un confrère, fût un voleur et unassassin ! »

Ils s’exclamèrent. Alors, Rouletabille, enquelques mots, les mit au courant des faits. Marko le Valaque lesavait suivis à la piste dans l’Istrandja-Dagh, intrigué de les voirprendre des chemins aussi mystérieux lorsque tous lescorrespondants restaient à Sofia ; il avait pénétré nuitammentsous leur tente ; il s’était emparé des correspondances qu’ilavait expédiées à Paris sous son nom, et puis il avait fait pisencore que cela ! Pour se débarrasser de la concurrence dureprésentant de L’Époque, il n’avait pas hésité à dénoncerRouletabille et ses compagnons aux autorités turques comme espionsdu général Stanislawoff, au risque de les faire fusiller !

Le reporter raconta leur arrestation parl’agha. Quand il eut fini sur ce chapitre, un concert demalédictions s’éleva à l’adresse de Marko le Valaque.

« C’est un misérable. Il faut se venger,s’écriaient les uns.

– Il faut le dénoncer », menaçaient lesautres.

Soudain Vladimir dit :

« Attention, le voilà !

– Laissez-moi faire, pria Rouletabille, c’està moi qu’il appartient de le traiter comme il le mérite. Quant àtoi, La Candeur ! tu n’as plus « voix auchapitre » ! Je te prie de ne plus te mêler derien !… Mes affaires ne te regardent plus ! »

Ce disant il faisait disparaître les numérosde La Nouvelle Presse dans la serviette qu’il avaitreprise à La Candeur, lequel faisait vraiment peine à voir.

Marko le Valaque entra dans le salon, nesemblant se douter de rien. Tout à coup, il aperçut Rouletabille.Il pâlit un peu et puis, se forçant à faire bonne contenance, il sedirigea vers le reporter :

« Tiens ! Rouletabille, fit-il,qu’étiez-vous donc devenu ? Tout le monde ici était trèsinquiet de votre sort… »

Rouletabille lui serra la main avec un grandnaturel.

« C’est ce que mes confrères me disaient,répondit-il. Mais heureusement il ne nous est rien survenu dedésagréable. Nous avons fait un petit tour dans l’Istrandja-Daghet, après quelques aventures sans grande importance, nous avons eula chance d’assister à la prise de Kirk-Kilissé.

– En vérité ! s’écrièrent tous lesconfrères.

– Mes compliments ! fit Marko le Valaque,dont le front se rembrunit… ça a dû être une belle journée !J’ai entendu dire que la bataille avait été acharnée !

– Oh ! terrible ! proclamaRouletabille. Je n’ai encore assisté à rien de comparable ! Ons’est battu pendant plus de vingt-quatre heures dans cette villeavec une rage, un désespoir chez ceux-ci, un enthousiasme chezceux-là qui, à mon avis, n’a encore été atteint en aucune bataillemoderne !

– Oh ! raconte-nous ça ! s’écriaienttous les reporters. Tu peux bien nous donner ces quelques détails…ça ne t’empêchera pas d’avoir eu la primeur de la nouvelle…

– Je n’ai jamais été un mauvais confrère, ditRouletabille, et je n’ai jamais refusé un service à un camarade. Ehbien, sachez donc que les troupes de Mahmoud Mouktar pachas’étaient retranchées fortement derrière les ouvrages deKirk-Kilissé et qu’il a fallu aux Bulgares sacrifier des brigadesentières pour forcer les forts de Baklitza et de Skopos ! Cesplaces ont été prises après une lutte formidable qui a recommencédans les rues de Kirk-Kilissé ! Les Turcs, de rue en rue, sesont défendus de la façon la plus héroïque, transformant chaquemaison en une petite forteresse… Il a fallu emporter d’assaut lepalais du gouverneur… il a fallu… »

Rouletabille parla ainsi pendant plus d’unquart d’heure, imaginant une prise de Kirk-Kilissé qui n’avaitjamais existé et prenant le contre-pied, à chaque instant, de lavérité. Il donnait les plus précis et les plus significatifsdétails relatifs à une bataille qu’il inventait de toutes pièces,faisant mouvoir des régiments qui n’avaient même pas pris part auxcombats de Demir-Kapou et de Petra, mettant dans la bouche decertains généraux bulgares des paroles historiques qui devaient,plus tard, les faire bien rire et qui étaient destinées à couvrirde ridicule l’imbécile qui les avait rapportés. C’était magnifique,c’était coloré, c’était, comme on dit, bien vécu !…

« Ah ! bien, on croirait qu’on yest, disaient les confrères, qui prenaient tous des notes avec unehâte bien compréhensible.

– Et tu as déjà envoyé tout ça ! »demandèrent-ils à Rouletabille.

Rouletabille, qui avait enfin terminé sonrécit, regarda autour de lui, constata que Marko le Valaque s’étaitdéjà enfui avec son trésor de notes sur la prise de Kirk-Kilissé etdit :

« Non, messieurs !… je n’ai rienenvoyé de tout cela !… parce que tout cela est faux !parce que tout cela n’est jamais arrivé… Gardez-vous donc bien detélégraphier un mot de toutes ces calembredaines qui rempliront aumoins trois colonnes de La Nouvelle Presse sous lasignature de Marko le Valaque. La vérité que je vous engage àtélégraphier est celle-ci, que La Candeur va télégraphier lui-mêmeà L’Époque. « Kirk-Kilissé a été occupée par lestroupes bulgares sans coup férir. Les armées du général RadkoDimitrief n’ont trouvé âme qui vive dans la cité dont les Ottomanss’étaient enfuis en une incompréhensible panique dont il n’estpeut-être pas d’exemple dans l’Histoire ! »

Stupéfaits d’abord, les correspondantscomprirent que Rouletabille venait de se venger de Marko leValaque ! Et comment ! Ils applaudirent à cette répliquede bonne guerre que le Valaque n’avait pas volée.

« Il est fini !… dirent-ils. Il seradésormais considéré comme un menteur et un bluffeur ! Il nesera plus possible nulle part !… Aucun journal sérieux n’envoudra plus ! Nous en voilà débarrassés !…

– Et maintenant, nous autres, dit Rouletabilleà La Candeur et à Vladimir, il va falloir travailler etferme ! Y a-t-il encore une chambre libre ici ?

– Tu veux bien que je travaille encore avectoi ! s’écria La Candeur.

– Mais, oui ! idiot ! seulement,cette fois, laisse la serviette à Vladimir. Il est plus crapule quetoi, mais il est moins bête !

– Merci ! »

On leur trouva une chambre. Cinq minutes plustard, Rouletabille commençait à dicter un article à Vladimir,cependant qu’il envoyait La Candeur d’abord au télégraphe porterune dépêche succincte sur la prise de Kirk-Kilissé, puis chezAnastas Arghelov, pour avoir des nouvelles du généralStanislawoff.

L’article de L’Époque qu’il dictaitcommençait ainsi :

« Notre confrère La NouvellePresse a publié, sous la signature de Marko le Valaque, unesérie fort intéressante de correspondances relatant un voyage deson envoyé spécial et des secrétaires de celui-ci dansl’Istrandja-Dagh. Les lecteurs de La Nouvelle Presse ontregretté que cette série restât tout à coup suspendue sans qu’onleur en donnât la raison. Qu’ils se consolent ! Ils pourrontdésormais trouver, dans L’Époque, la suite de cesaventures si dramatiques de trois reporters dans un pays ravagé parune guerre terrible. Seulement ces articles seront signés désormaisJoseph Rouletabille, notre envoyé spécial ayant pris sesprécautions pour que Marko le Valaque ne les lui volât pas, cettefois, comme il y avait réussi une première !… »

Ayant achevé ce petit « chapeau »,Rouletabille entra dans le vif de la tragédie qu’ils avaient vécueau pays de Gaulow, et il commençait à faire la description dumajestueux hôtel des Étrangers[8], quand LaCandeur fit son entrée.

Il paraissait assez inquiet.

« Eh bien, lui demanda Rouletabille, etStanislawoff ?

– Il est revenu ! dit La Candeur ensoufflant. Il est arrivé quelques minutes après notre départ.

– Courons donc ! fit Rouletabille.

– Inutile, il est reparti !

– Comment, reparti ?

– Oui, il est reparti en auto. Il te faitsavoir qu’il te recevra ce soir ou cette nuit, sitôt sonretour.

– Ah ! mais en voilà une comédie !grogna le reporter. Il me fait venir parce qu’il a absolumentbesoin de me voir, et sitôt que je suis arrivé, il fiche lecamp ! S’il ne tient pas plus que ça à ma visite, qu’il melaisse donc tranquillement travailler ! Où en étions-nous,Vladimir ?

– Rouletabille, reprit La Candeur, quiparaissait de plus en plus ennuyé, le général-major n’est pasreparti tout seul.

– Qu’est-ce que tu veux que ça mefiche !

– Il est reparti avec IvanaVilitchkov !

– Hein ?

– Je te dis ce qu’on m’a dit.Mlle Vilitchkov n’est plus à l’hôtel de M. AnastasArghelov !

– Alors le général l’a emmenée ? Etpourquoi ? Et où ?…

– Mais je n’en sais rien,moi !… »

Rouletabille bondit hors de la chambre, horsde l’hôtel, courut chez Anastas Arghelov et là eut la chance derencontrer tout de suite le général Savof.

« Ivana Vilitchkov ?

– Partie avec le généralStanislawoff !… »

Et comme le général Savov voyait le reporterbouleversé, il le rassura tout de suite. Le général-major n’avaitfait que passer. Il avait eu un court entretien avecMlle Vilitchkov, et comme il repartait pour les avant-postes,Ivana l’avait supplié de l’emmener avec lui… Elle était curieuse devoir le théâtre de la guerre !…

« Voir le théâtre de la guerre !Mais elle en revient !

– Caprice de jeune fille… et puis je crois quele général-major avait besoin de causer avec elle…Tranquillisez-vous, il ne peut rien lui arriver de redoutable… Legénéral-major la considère comme sa pupille et l’aime comme safille. Il vous la ramènera saine et sauve avant ce soir… »ajouta Savof avec un sourire.

Rouletabille retourna à l’hôtel du Lion-d’Or,un peu tranquillisé… et il continua de dicter ses articles toute lajournée.

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