Scène V
Égée,Médée
Égée
Mais d’où vient ce bruit sourd ? quellepâle lumière
Dissipe ces horreurs et frappe mapaupière ?
Mortel, qui que tu sois, détourne ici tespas,
Et de grâce m’apprends l’arrêt de montrépas,
L’heure, le lieu, le genre ; et si toncœur sensible
À la compassion peut se rendre accessible,
Donne-moi les moyens d’un généreux effort
Qui des mains des bourreaux affranchisse mamort.
Médée
Je viens l’en affranchir. Ne craignez plus,grand prince ;
Ne pensez qu’à revoir votre chèreprovince ;
(Elle donne un coup de baguette surla porte de la prison, qui s’ouvre aussitôt ; et en ayant tiréÉgée, elle en donne encore un sur ses fers, quitombent.)
Ni grilles ni verrous ne tiennent contremoi.
Cessez, indignes fers, de captiver unroi ;
Est-ce à vous à presser les bras d’un telmonarque ?
Et vous, reconnaissez Médée à cettemarque,
Et fuyez un tyran dont le forcènement
Joindrait votre supplice à monbannissement ;
Avec la liberté reprenez le courage.
Égée
Je les reprends tous deux pour vous en fairehommage,
Princesse, de qui l’art propice auxmalheureux
Oppose un tel miracle à mon sortrigoureux ;
Disposez de ma vie, et du sceptred’Athènes ;
Je dois et l’une et l’autre à qui brise meschaînes.
Si votre heureux secours me tire dedanger,
Je ne veux en sortir qu’afin de vousvenger ;
Et si je puis jamais avec votre assistance
Arriver jusqu’aux lieux de mon obéissance,
Vous me verrez, suivi de mille bataillons,
Sur ces murs renversés planter mespavillons,
Punir leur traître roi de vous avoirbannie,
Dedans le sang des siens noyer satyrannie,
Et remettre en vos mains et Créuse etJason,
Pour venger votre exil plutôt que maprison.
Médée
Je veux une vengeance et plus haute et plusprompte ;
Ne l’entreprenez pas, votre offre me faithonte :
Emprunter le secours d’aucun pouvoirhumain,
D’un reproche éternel diffamerait ma main.
En est-il, après tout, aucun qui ne mecède ?
Qui force la nature, a-t-il besoin qu’onl’aide ?
Laissez-moi le souci de venger mes ennuis,
Et par ce que j’ai fait, jugez ce que jepuis ;
L’ordre en est tout donné, n’en soyez point enpeine :
C’est demain que mon art fait triompher mahaine ;
Demain je suis Médée, et je tire raison
De mon bannissement et de votre prison.
Égée
Quoi ! madame, faut-il que mon peu depuissance
Empêche les devoirs de mareconnaissance ?
Mon sceptre ne peut-il être employé pourvous ?
Et vous serai-je ingrat autant que votreépoux ?
Médée
Si je vous ai servi, tout ce que j’ensouhaite,
C’est de trouver chez vous une sûreretraite,
Où de mes ennemis menaces ni présents
Ne puissent plus troubler le repos de mesans.
Non pas que je les craigne ; eux et toutela terre
À leur confusion me livreraient laguerre ;
Mais je hais ce désordre, et n’aime pas àvoir
Qu’il me faille pour vivre user de monsavoir.
Égée
L’honneur de recevoir une si grandehôtesse
De mes malheurs passés efface latristesse.
Disposez d’un pays qui vivra sous voslois,
Si vous l’aimez assez pour lui donner desrois ;
Si mes ans ne vous font mépriser mapersonne,
Vous y partagerez mon lit et macouronne :
Sinon, sur mes sujets faites état d’avoir,
Ainsi que sur moi-même, un absolu pouvoir.
Allons, madame, allons ; et par votreconduite
Faites la sûreté que demande ma fuite.
Médée
Ma vengeance n’aurait qu’un succèsimparfait :
Je ne me venge pas, si je n’en voisl’effet ;
Je dois à mon courroux l’heur d’un si douxspectacle.
Allez, prince, et sans moi ne craignez pointd’obstacle.
Je vous suivrai demain par un cheminnouveau.
Pour votre sûreté conservez cetanneau ;
Sa secrète vertu, qui vous fait invisible,
Rendra votre départ de tous côtéspaisible.
Ici, pour empêcher l’alarme que le bruit
De votre délivrance aurait bientôtproduit,
Un fantôme pareil et de taille et de face,
Tandis que vous fuirez, remplira votreplace.
Partez sans plus tarder, prince chéri desdieux,
Et quittez pour jamais ces détestableslieux.
Égée
J’obéis sans réplique, et je pars sansremise.
Puisse d’un prompt succès votre grandeentreprise
Combler nos ennemis d’un mortel désespoir,
Et me donner bientôt le bien de vousrevoir !