Scène IV
Égéeen prison.
Demeure affreuse des coupables,
Lieux maudits, funeste séjour,
Dont jamais avant mon amour
Les sceptres n’ont été capables.
Redoublez puissamment votre mortel effroi,
Et joignez à mes maux une si viveatteinte,
Que mon âme chassée, ou s’enfuyant decrainte,
Dérobe à mes vainqueurs le supplice d’unroi.
Le triste bonheur où j’aspire !
Je ne veux que hâter ma mort,
Et n’accuse mon mauvais sort
Que de souffrir que je respire.
Puisqu’il me faut mourir, que je meure à monchoix ;
Le coup m’en sera doux, s’il est sansinfamie :
Prendre l’ordre à mourir d’une mainennemie,
C’est mourir, pour un roi, beaucoup plus d’unefois.
Malheureux prince, on te méprise
Quand tu t’arrêtes à servir :
Si tu t’efforces de ravir,
Ta prison suit ton entreprise.
Ton amour qu’on dédaigne et ton vainattentat
D’un éternel affront vont souiller tamémoire :
L’un t’a déjà coûté ton repos et tagloire ;
L’autre te va coûter ta vie et ton État.
Destin, qui punis mon audace,
Tu n’as que de justes rigueurs ;
Et s’il est d’assez tendres cœurs
Pour compatir à ma disgrâce,
Mon feu de leur tendresse étouffe lamoitié,
Puisqu’à bien comparer mes fers avec maflamme,
Un vieillard amoureux mérite plus de blâme
Qu’un monarque en prison n’est digne depitié.
Cruel auteur de ma misère,
Peste des cœurs, tyran des rois,
Dont les impérieuses lois
N’épargnent pas même ta mère,
Amour, contre Jason tourne ton traitfatal ;
Au pouvoir de tes dards je remets mavengeance :
Atterre son orgueil, et montre tapuissance
À perdre également l’un et l’autre rival.
Qu’une implacable jalousie
Suive son nuptial flambeau ;
Que sans cesse un objet nouveau
S’empare de sa fantaisie ;
Que Corinthe à sa vue accepte un autreroi ;
Qu’il puisse voir sa race à ses yeuxégorgée ;
Et, pour dernier malheur, qu’il ait le sortd’Égée,
Et devienne à mon âge amoureux commemoi !