Scène II
Médée
Est-ce assez, ma vengeance, est-ce assez dedeux morts ?
Consulte avec loisir tes plus ardentstransports.
Des bras de mon perfide arracher unefemme,
Est-ce pour assouvir les fureurs de monâme ?
Que n’a-t-elle déjà des enfants de Jason,
Sur qui plus pleinement venger satrahison !
Suppléons-y des miens ; immolons avecjoie
Ceux qu’à me dire adieu Créuse merenvoie :
Nature, je le puis sans violer taloi ;
Ils viennent de sa part, et ne sont plus àmoi.
Mais ils sont innocents ; aussi l’étaitmon frère ;
Ils sont trop criminels d’avoir Jason pourpère ;
Il faut que leur trépas redouble sontourment ;
Il faut qu’il souffre en père aussi bien qu’enamant.
Mais quoi ! j’ai beau contre eux animermon audace,
La pitié la combat, et se met en saplace :
Puis, cédant tout à coup la place à mafureur,
J’adore les projets qui me faisaienthorreur :
De l’amour aussitôt je passe à la colère,
Des sentiments de femme aux tendresses demère.
Cessez dorénavant, pensers irrésolus,
D’épargner des enfants que je ne verraiplus.
Chers fruits de mon amour, si je vous ai faitnaître,
Ce n’est pas seulement pour caresser untraître :
Il me prive de vous, et je l’en vaispriver.
Mais ma pitié renaît, et revient mebraver ;
Je n’exécute rien, et mon âme éperdue
Entre deux passions demeure suspendue.
N’en délibérons plus, mon bras enrésoudra.
Je vous perds, mes enfants ; mais Jasonvous perdra ;
Il ne vous verra plus… Créon sort tout enrage ;
Allons à son trépas joindre ce tristeouvrage.