Scène IV
Médée
Souverains protecteurs des lois del’hyménée,
Dieux garants de la foi que Jason m’adonnée,
Vous qu’il prit à témoin d’une immortelleardeur
Quand par un faux serment il vainquit mapudeur,
Voyez de quel mépris vous traite sonparjure,
Et m’aidez à venger cette communeinjure :
S’il me peut aujourd’hui chasserimpunément,
Vous êtes sans pouvoir ou sansressentiment.
Et vous, troupe savante en noiresbarbaries,
Filles de l’Achéron, pestes, larves,Furies,
Fières sœurs, si jamais notre commerceétroit
Sur vous et vos serpents me donna quelquedroit,
Sortez de vos cachots avec les mêmesflammes
Et les mêmes tourments dont vous gênez lesâmes ;
Laissez-les quelque temps reposer dans leursfers ;
Pour mieux agir pour moi faites trêve auxenfers.
Apportez-moi du fond des antres de Mégère
La mort de ma rivale, et celle de sonpère,
Et si vous ne voulez mal servir moncourroux,
Quelque chose de pis pour mon perfideépoux :
Qu’il coure vagabond de province enprovince,
Qu’il fasse lâchement la cour à chaqueprince ;
Banni de tous côtés, sans bien et sansappui,
Accablé de frayeur, de misère, d’ennui,
Qu’à ses plus grands malheurs aucun necompatisse ;
Qu’il ait regret à moi pour son derniersupplice ;
Et que mon souvenir jusque dans le tombeau
Attache à son esprit un éternel bourreau.
Jason me répudie ! et qui l’aurait pucroire ?
S’il a manqué d’amour, manque-t-il demémoire ?
Me peut-il bien quitter après tant debienfaits ?
M’ose-t-il bien quitter après tant deforfaits ?
Sachant ce que je puis, ayant vu ce quej’ose,
Croit-il que m’offenser ce soit si peu dechose ?
Quoi ! mon père trahi, les élémentsforcés,
D’un frère dans la mer les membresdispersés,
Lui font-ils présumer mon audaceépuisée ?
Lui font-ils présumer qu’à mon tourméprisée,
Ma rage contre lui n’ait par oùs’assouvir,
Et que tout mon pouvoir se borne à leservir ?
Tu t’abuses, Jason, je suis encormoi-même.
Tout ce qu’en ta faveur fit mon amourextrême,
Je le ferai par haine ; et je veux pourle moins
Qu’un forfait nous sépare, ainsi qu’il nous ajoints ;
Que mon sanglant divorce, en meurtres, encarnage,
S’égale aux premiers jours de notremariage,
Et que notre union, que rompt tonchangement,
Trouve une fin pareille à soncommencement.
Déchirer par morceaux l’enfant aux yeux dupère
N’est que le moindre effet qui suivra macolère ;
Des crimes si légers furent mes coupsd’essai :
Il faut bien autrement montrer ce que jesai ;
Il faut faire un chef-d’œuvre, et qu’undernier ouvrage
Surpasse de bien loin ce faibleapprentissage.
Mais pour exécuter tout ce quej’entreprends,
Quels dieux me fourniront des secours assezgrands ?
Ce n’est plus vous, enfers, qu’ici jesollicite :
Vos feux sont impuissants pour ce que jemédite.
Auteur de ma naissance, aussi bien que dujour,
Qu’à regret tu dépars à ce fatal séjour,
Soleil, qui vois l’affront qu’on va faire à tarace,
Donne-moi tes chevaux à conduire en taplace :
Accorde cette grâce à mon désir bouillant.
Je veux choir sur Corinthe avec ton charbrûlant :
Mais ne crains pas de chute à l’universfuneste ;
Corinthe consumé garantira le reste ;
De mon juste courroux les implacables vœux
Dans ses odieux murs arrêteront tes feux.
Créon en est le prince, et prend Jason pourgendre :
C’est assez mériter d’être réduit encendre,
D’y voir réduit tout l’isthme, afin de l’enpunir,
Et qu’il n’empêche plus les deux mers des’unir.