Scène VI
Médée,Jason
Médée,en haut sur un balcon.
Lâche, ton désespoir encore endélibère ?
Lève les yeux, perfide, et reconnais cebras
Qui t’a déjà vengé de ces petitsingrats ;
Ce poignard que tu vois vient de chasser leursâmes,
Et noyer dans leur sang les restes de nosflammes.
Heureux père et mari, ma fuite et leurtombeau
Laissent la place vide à ton hymennouveau.
Réjouis-t’en, Jason, va posséderCréuse :
Tu n’auras plus ici personne quit’accuse ;
Ces gages de nos feux ne feront plus pourmoi
De reproches secrets à ton manque de foi.
Jason
Horreur de la nature, exécrabletigresse !
Médée
Va, bienheureux amant, cajoler tamaîtresse :
À cet objet si cher tu dois tous tesdiscours ;
Parler encore à moi, c’est trahir tesamours.
Va lui, va lui conter tes rares aventures,
Et contre mes effets ne combats pointd’injures.
Jason
Quoi ! tu m’oses braver, et tabrutalité
Pense encore échapper à mon brasirrité ?
Tu redoubles ta peine avec cetteinsolence.
Médée
Et que peut contre moi ta débilevaillance ?
Mon art faisait ta force, et tes exploitsguerriers
Tiennent de mon secours ce qu’ils ont delauriers.
Jason
Ah ! c’est trop en souffrir ; ilfaut qu’un prompt supplice
De tant de cruautés à la fin te punisse.
Sus, sus, brisons la porte, enfonçons lamaison ;
Que des bourreaux soudain m’en fassent laraison.
Ta tête répondra de tant de barbaries.
Médée,en l’air dans un char tiré par deux dragons.
Que sert de t’emporter à ces vainesfuries ?
Épargne, cher époux, des efforts que tuperds ;
Vois les chemins de l’air qui me sont tousouverts ;
C’est par là que je fuis, et que jet’abandonne
Pour courir à l’exil que ton changem’ordonne.
Suis-moi, Jason, et trouve en ces lieuxdésolés
Des postillons pareils à mes dragonsailés.
Enfin je n’ai pas mal employé la journée
Que la bonté du roi, de grâce, m’adonnée ;
Mes désirs sont contents. Mon père et monpays,
Je ne me repens plus de vous avoirtrahis ;
Avec cette douceur j’en accepte le blâme.
Adieu, parjure : apprends à connaître tafemme,
Souviens-toi de sa fuite, et songe, une autrefois,
Lequel est plus à craindre ou d’elle ou dedeux rois.