Scène II
Jason,Nérine
Jason
Nérine, eh bien, que dit, que fait notreexilée ?
Dans ton cher entretien s’est-elleconsolée ?
Veut-elle bien céder à la nécessité ?
Nérine
Je trouve en son chagrin moinsd’animosité ;
De moment en moment son âme plus humaine
Abaisse sa colère, et rabat de sahaine :
Déjà son déplaisir ne vous veut plus demal.
Jason
Fais-lui prendre pour tous un sentimentégal.
Toi, qui de mon amour connaissais latendresse,
Tu peux connaître aussi quelle douleur mepresse.
Je me sens déchirer le cœur à sondépart :
Créuse en ses malheurs prend même quelquepart,
Ses pleurs en ont coulé ; Créon mêmesoupire,
Lui préfère à regret le bien de son empire
Et si dans son adieu son cœur moins irrité
En voulait mériter la libéralité ;
Si jusque-là Médée apaisait ses menaces,
Qu’elle eût soin de partir avec ses bonnesgrâces,
Je sais (comme il est bon) que ses trésorsouverts
Lui seraient sans réserve entièrementofferts,
Et malgré les malheurs où le sort l’aréduite,
Soulageraient sa peine et soutiendraient safuite.
Nérine
Puisqu’il faut se résoudre à cebannissement,
Il faut en adoucir le mécontentement.
Cette offre y peut servir ; et par ellej’espère,
Avec un peu d’adresse, apaiser sa colère
Mais, d’ailleurs, toutefois n’attendez rien demoi,
S’il faut prendre congé de Créuse et duroi ;
L’objet de votre amour et de sa jalousie
De toutes ses fureurs l’aurait tôtressaisie.
Jason
Pour montrer sans les voir son courageapaisé,
Je te dirai, Nérine, un moyen fortaisé ;
Et de si longue main je connais taprudence,
Que je t’en fais sans peine entièreconfidence.
Créon bannit Médée, et ses ordres précis
Dans son bannissement enveloppaient sesfils :
La pitié de Créuse a tant fait vers sonpère,
Qu’ils n’auront point de part au malheur deleur mère.
Elle lui doit par eux quelqueremerciement ;
Qu’un présent de sa part suive leurcompliment :
Sa robe, dont l’éclat sied mal à safortune,
Et n’est à son exil qu’une chargeimportune,
Lui gagnerait le cœur d’un prince libéral,
Et de tous ses trésors l’abandon général.
D’une vaine parure, inutile à sa peine,
Elle peut acquérir de quoi faire lareine :
Créuse, ou je me trompe, en a quelquedésir,
Et je ne pense pas qu’elle pût mieuxchoisir.
Mais la voici qui sort ; souffre que jel’évite :
Ma rencontre la trouble, et mon aspectl’irrite.