Scène première
Nérine
Malheureux instrument du malheur qui nouspresse,
Que j’ai pitié de toi, déplorableprincesse !
Avant que le soleil ait fait encore untour,
Ta perte inévitable achève ton amour.
Ton destin te trahit, et ta beauté fatale
Sous l’appas d’un hymen t’expose à tarivale ;
Ton sceptre est impuissant à vaincre soneffort ;
Et le jour de sa fuite est celui de tamort.
Sa vengeance à la main elle n’a qu’àrésoudre,
Un mot du haut des cieux fait descendre lefoudre,
Les mers, pour noyer tout, n’attendent que saloi ;
La terre offre à s’ouvrir sous le palais duroi ;
L’air tient les vents tout prêts à suivre sacolère,
Tant la nature esclave a peur de luidéplaire ;
Et si ce n’est assez de tous les éléments,
Les enfers vont sortir à sescommandements.
Moi, bien que mon devoir m’attache à sonservice,
Je lui prête à regret un silencecomplice ;
D’un louable désir mon cœur sollicité
Lui ferait avec joie une infidélité :
Mais loin de s’arrêter, sa ragedécouverte,
À celle de Créuse ajouterait maperte ;
Et mon funeste avis ne servirait de rien
Qu’à confondre mon sang dans les bouillons dusien.
D’un mouvement contraire à celui de monâme,
La crainte de la mort m’ôte celle dublâme ;
Et ma timidité s’efforce d’avancer
Ce que hors du péril je voudraistraverser.