Scène II
Créon,Pollux,soldats
Créon
Nous devons bien chérir cette valeurparfaite
Qui de nos ravisseurs nous donne ladéfaite.
Invincible héros, c’est à votre secours
Que je dois désormais le bonheur de mesjours ;
C’est vous seul aujourd’hui dont la mainvengeresse
Rend à Créon sa fille, à Jason samaîtresse,
Met Égée en prison et son orgueil à bas,
Et fait mordre la terre à ses meilleurssoldats,
Pollux
Grand roi, l’heureux succès de cettedélivrance
Vous est beaucoup mieux dû qu’à mon peu devaillance :
C’est vous seul et Jason, dont les brasindomptés
Portaient avec effroi la mort de touscôtés ;
Pareils à deux lions dont l’ardente furie
Dépeuple en un moment toute une bergerie.
L’exemple glorieux de vos faits plusqu’humains
Échauffait mon courage et conduisait mesmains :
J’ai suivi, mais de loin, des actions sibelles,
Qui laissaient à mon bras tant d’illustresmodèles.
Pourrait-on reculer en combattant sousvous,
Et n’avoir point de cœur à seconder voscoups ?
Créon
Votre valeur, qui souffre en cetterepartie,
Ôte toute croyance à votre modestie :
Mais puisque le refus d’un honneur mérité
N’est pas un petit trait de générosité,
Je vous laisse en jouir. Auteur de lavictoire,
Ainsi qu’il vous plaira, départez-en lagloire ;
Comme elle est votre bien, vous pouvez ladonner.
Que prudemment les dieux savent toutordonner !
Voyez, brave guerrier, comme votre arrivée
Au jour de nos malheurs se trouveréservée,
Et qu’au point que le sort osait nousmenacer,
Ils nous ont envoyé de quoi le terrasser.
Digne sang de leur roi, demi-dieumagnanime,
Dont la vertu ne peut recevoir tropd’estime,
Qu’avons-nous plus à craindre ? et queldestin jaloux,
Tant que nous vous aurons, s’osera prendre ànous ?
Pollux
Appréhendez pourtant, grand prince,
Créon
Et quoi ?
Pollux
Médée,
Qui par vous de son lit se voitdépossédée.
Je crains qu’il ne vous soit malaiséd’empêcher
Qu’un gendre valeureux ne vous coûte biencher.
Après l’assassinat d’un monarque et d’unfrère,
Peut-il être de sang qu’elle épargne ourévère ?
Accoutumée au meurtre, et savante enpoison,
Voyez ce qu’elle a fait pour acquérirJason ;
Et ne présumez pas, quoi que Jason vousdie,
Que pour le conserver elle soit moinshardie.
Créon
C’est de quoi mon esprit n’est plusinquiété ;
Par son bannissement j’ai fait masûreté ;
Elle n’a que fureur et que vengeance enl’âme,
Mais, en si peu de temps, que peut faire unefemme ?
Je n’ai prescrit qu’un jour de terme à sondépart.
Pollux
C’est peu pour une femme, et beaucoup pour sonart ;
Sur le pouvoir humain ne réglez pas lescharmes.
Créon
Quelques puissants qu’ils soient, je n’en aipoint d’alarmes ;
Et quand bien ce délai devrait touthasarder,
Ma parole est donnée, et je la veuxgarder.