Mémoires de Vidocq – Tome III

CHAPITRE XXXIV.

 

Dieu vous bénisse ! – Les conciliabules. –L’héritage d’Alexandre. – Les cancans et les prophéties. – Le saluten spirale. – Grande conjuration. – Révélations au sujet d’unMonseigneur le dauphin. – Je suis innocent. – La fable souventreproduite. – Les Plutarque du pilier littéraire et l’imprimeurTiger. – L’histoire admirable et pourtant véridique du fameuxVidocq. – Sa mort, en 1875.

 

Une fois parvenu au poste de chef de la policede sûreté, je n’eus plus à me garantir des pièges dans lesquels onavait si souvent cherché à m’attirer. Le temps des épreuves étaitpassé ; mais il fallut me tenir en garde contre la bassejalousie de quelques-uns de mes subordonnés qui convoitaient monemploi, et mettaient tout en œuvre afin de parvenir à mesupplanter. Coco-Lacour fut notamment l’un de ceux qui sedonnèrent le plus de mal, pour me caresser et me nuire toutensemble. Au moment où ce patelin se détournait de cinquante pas,et aurait renversé toutes les chaises d’une église pour venir mesaluer d’un mielleux Dieu vous bénisse ! lorsque, parhasard, il m’avait entendu éternuer, j’étais bien sûr qu’il y avaitanguille sous roche. Personne moins que moi ne se méprenait sur cespetites attentions d’un homme qui se prosterne quand à peine il estbesoin de s’incliner. Mais, comme j’avais la conscience que jefaisais mon devoir, il m’importait peu que ces démonstrations d’unepolitesse outrée fussent vraies ou fausses. Il ne se passait guèrede jours que mes mouches ne vinssent m’avertir que Lacourétait l’âme de certains conciliabules où se tenaient toute espècede propos sur mon compte ; il projetait, disait-on, de mefaire tomber ; et il s’était formé un parti qui conspiraitavec lui : j’étais le tyran qu’il fallait abattre. D’abord,les conjurés se contentèrent de clabauder ; et comme ilsavaient sans cesse ma chute en perspective, pour se fairemutuellement plaisir, il se la prédisaient à l’envi, et chacund’eux se partageait d’avance l’héritage d’Alexandre.J’ignore si cet héritage est échu au plus digne ;mais ce que je sais bien, c’est que mon successeur ne se fit pasfaute de menées plus ou moins adroites pour réussir à se le faireadjuger avant mon abdication.

Des clabauderies et des cancans,Lacour et ses affidés passèrent à des trames plus réelles ; età l’approche des assises, pendant lesquelles devaient être jugésles nommés Peyrois, Leblanc, Bertheletet Lefebure, prévenus de vol avec effraction, à l’aided’une pince ou monseigneur le dauphin, ilsrépandirent le bruit que j’étais à la veille d’une catastrophe, etque vraisemblablement je ne m’en tirerais pas les chaussesnettes.

Cette prophétie, lancée chez tous lesmarchands de vin des environs du Palais de Justice, me futpromptement rapportée ; mais je ne m’en inquiétais pas plusque de tant d’autres qui ne s’étaient pas réalisées ;seulement, je crus m’apercevoir que Lacour redoublait à mon égardde souplesse et de petits soins ; il me saluait plusrespectueusement et plus affectueusement encore que decoutume ; ses yeux, à la faveur de ce mouvement en spiralequ’il imprime à sa tête, lorsqu’il vise à se donner les grâces del’homme comme il faut, évitaient de plus en plus la rencontre desmiens. À la même époque, je remarquais chez trois autres de mesagents, Chrestien, Utinet et Decostard,un redoublement d’ardeur pour le service et de complaisance quim’étonnait. J’étais instruit que ces messieurs avaient defréquentes conférences avec Lacour ; moi-même, sans songer lemoins du monde à épier leurs démarches, dans mon intérêt personnel,je les avais surpris chuchotant et s’entretenant de moi. Un soir,entr’autres, en passant dans la cour de la Sainte-Chapelle (car ilscomplotaient jusque dans le sanctuaire), j’avais entendu l’un d’euxse réjouir de ce que je ne parerais pas la botte qu’on allaitme porter. Quelle était cette botte ? je ne m’en faisaispas une idée, lorsque Peyois et ses co-accusés ayant été traduits,les débats judiciaires me révélèrent une machination atroce,tendant à établir que j’étais l’instigateur du crime qui les avaitamenés sur les bancs. Peyois prétendait que s’étant adressé àmoi, pour me demander si je connaissais un recruteur qui eut unremplaçant à fournir, je lui avais proposé de voler pour moncompte, et que même je lui avais donné trois francs pour acheter lapince avec laquelle il avait été pris faisant effraction chez lesieur Labatty. Berthelet et Lefebure confirmaient le dire dePeyois, et un marchand de vins, nommé Leblanc, qui, impliqué commeeux, paraissait avoir été le véritable bailleur de fonds pourl’acquisition de l’instrument, les encourageait à persévérer dansun système de défense qui, s’il était admis, devait avoirnécessairement pour effet de le faire absoudre. Les avocats quiplaidèrent dans cette cause ne manquèrent pas de tirer tout leparti possible de la prétendue instigation qui m’étaitimputée ; et comme ils parlaient d’après leur conviction,s’ils ne déterminèrent pas le jury à rendre une décision favorableà leurs clients, du moins parvinrent-ils à jeter dans l’esprit desjuges et du public de terribles préventions contre moi. Dès lors,je crus qu’il était urgent de me disculper et certain de moninnocence, je priai M. le préfet de police de vouloir bienordonner une enquête, dans le but de constater la vérité.

Peyois, Berthelet et Lefebure venaient d’êtrecondamnés ; j’imaginais que n’ayant plus désormais aucunintérêt à soutenir le mensonge, ils confesseraient qu’ils m’avaientcalomnié ; je présumais, en outre, que dans le cas où leurconduite aurait été le résultat d’une suggestion, ils ne feraientplus difficulté de donner les conseillers de l’imposture qu’ilsavaient audacieusement soutenue devant la justice. Le préfetordonna l’enquête que je sollicitai, et au moment où il confiait lesoin de la diriger à M. Fleuriais, commissaire depolice pour le quartier de la cité, un premier document, sur lequelje n’avais pas compté, préluda à ma justification : c’étaitune lettre de Berthelet au marchand de vins Leblanc, qui avait étédéclaré non-coupable ; je la transcris ici, parce qu’ellemontre à quoi se réduisent les accusations que l’on n’a cessé dediriger contre moi, tout le temps que j’ai été attaché à la police,et depuis que j’ai cessé de lui appartenir. Voici cette pièce, dontje reproduis jusqu’à l’orthographe :

ÀMONSIEUR

Monsieur le Blanc, maîtremarchand de vin, demeurant barrière du Combat, boulvard de laChopinette, au signe de la Crois, à proche Paris.

« Monsieur, je vous Écris Cette lettreCest pour m’enformer de l’état de votre santée Et an même tampspour vous prévenir que nous sommes pourvus an grace de notrejugement. Vous ne doutez pas de ma malheureuse position. C’estpourquoi que je vous previens que si vous mabandonné, je ferais denouvelle Révélation de la peince que vous avez fourny et qui adeplus été trouvé chés vous, dont vous n’ignorés pas ce que nousavons caché à la justice a cette Égard, et dont un chef de lapolice a été cités dans cette affaire qui était innocant Et qu’on acherché à rendre victime, vous n’ignorés pas les promesse que vousm’avés faite dans votre chambre pour vous soutenir dans letribunal, vous n’ignorés pas que j’ai vendu le suc et de lachandelle à votre femme C’est pourquoi si vous mabandonné je nevous regarderés pas pour un nomme daprés toutes vos bellespromesse

» Rappelés vous que la justice ne pertpas ces droit et que je pourés vous faire appellés en…

» Vous navés Rien a craindre cette apasser secréttement BERTHELET. »

Et plus bas : « japrouveLecriture ci desus. »

Suivant l’usage, cette lettre, qui devaitpasser si secrètement, fut remise au geôlier qui, en ayant prisconnaissance, la fit aussitôt parvenir à la préfecture de police.Leblanc n’ayant pu, par conséquent, ni répondre ni venir au secoursde Berthelet, ce dernier perdit patience, et, en exécution desmenaces qu’il avait faites, il m’écrivit, de la Conciergerie, uneautre lettre ainsi conçue :

Ce29 septembre 1823.

« Monsieur

» Daprès les debats de la cours dassiseEt le résumée du président qui porte a charge Daprès la Declaration du Nommé Peyois qui par une Fosse de claration faite parlui au tribunal d’un Ecul de 3 fr. que vous lui aviez donnés pouracheté linstrument qui a Cassés la porte à Monsieur Labbaty

» Moi Berthelet En présence desautoritées veux faire Reconnaître la véritée Et votre innoncence jedéclare 1° savoir ou la peince a eté achetée 2° de la maison doùelle est sorty 3° et le nom de celui qui la fourny avec véritée

« BERTHELET. »

Et plus bas : « japprouveLecriture ci Desus. »

Plus bas encore, le sceau de la maison dejustice, et cette mention de la main du chef des employés de laConciergerie … « lecriture cidessus et la signature estcelle de Berthelet. »

« ÉGLY. »

Berthelet, interrogé par M. Fleuriais,déclara que la pince avait coûté quarante-cinq sous ; qu’elleavait été achetée au faubourg du Temple, chez un marchand fripier,et que Leblanc, instruit de l’usage qu’on devait en faire, avaitavancé l’argent pour la payer. « Le marché conclu, poursuivitBerthelet, Leblanc, qui était resté un peu en arrière, medit : Si on te demande ce que tu veux faire de la pince,tu diras que tu es tailleur de cristaux, et que tu en as besoinpour serrer la roue de ton métier. Si on te demande tes papiers, tume feras venir et je dirai que tu es mon apprenti. J’allai lerejoindre ayant la pince à la main, et il me dit de la lui donner,pour la mettre sous sa redingotte ; dans la crainte que je nefusse rencontré par des agents. Leblanc me conduisit de suite chezlui. En arrivant, son premier soin fut de descendre à sa cave, poury déposer la pince. Je remontai au premier où je trouvai Lefebure,à qui je dis que j’avais acheté la pince. Le soir même, après avoirbu jusqu’à dix heures, Lefebure, Peyois et moi, nous allâmesrotonde du Temple, dans une petite rue dont je ne sais pas lenom ; Peyois, tandis que Lefebure et moi nous faisions leguet, pratiqua trente-trois trous au moyen d’une vrille, dans levolet d’une marchande lingère. Le couteau dont se servait Peyoispour couper l’entre deux des trous, ayant cassé, et notre coupayant manqué, nous nous retirâmes ; nous allâmes ensuite à lahalle, contre la pointe Saint-Eustache, où Peyois, se servant de lapince dont j’ai parlé, essaya de faire sauter la porte d’unmercier. Quelqu’un de l’intérieur ayant demandé ce qu’on voulait,nous prîmes la fuite ; il était alors deux heures et demie dumatin. Nous allâmes tous les trois à l’hôtel d’Angleterre, oùPeyois remit à la bourgeoise de la maison, qu’il connaissait, unparapluie qu’il avait avec lui.

» Avant d’y entrer, Peyois avait remis àune marchande de café qui était en plein air, près le Palais-Royal,la pince qui était enveloppée dans un sac. Nous sortîmes de l’hôteld’Angleterre à près de cinq heures du matin, et Peyois reprit à lamarchande de café la pince qu’il lui avait donnée à garder. Je doisdire que cette femme ignorait ce que c’était. Peyois s’en alla chezLeblanc, son bourgeois, et emporta la pince avec lui. Lefebure etmoi ne nous quittâmes plus, et nous retournâmes chez Leblanc à cinqheures du soir, où nous restâmes jusqu’à dix. Leblanc me remit unbriquet phosphorique pour nous servir au besoin, ainsi qu’un boutde chandelle. Je m’étais même amusé avec la pointe d’un couteau àtracer sur ce briquet, qui était en plomb, la lettre L qui commencele nom de Leblanc. Peyois, Lefebure et moi, nous sortîmes ensemble.Peyois ayant pris sur lui la pince, la passa à la barrière et nousla remit après. Il s’arrêta en chemin, pour aller dans une maisongarnie avec Victoire Bigan, et Lefebure et moi nous allâmescommettre chez Labbaty le vol par suite duquel nous avons étéarrêtés. La pince et une partie des effets qui avaient été volés,furent portés par Lefebure chez Leblanc.

» Leblanc, qui a été mis en jugementavec nous, m’avait engagé à ne pas le charger et à ne pas démentirPeyois, qui devait dire que c’était M. Vidocq qui lui avaitdonné trois francs pour acheter la pince ; et il m’avaitpromis de me donner une somme d’argent, si je voulais soutenir lamême chose ; j’y avais consenti, craignant qu’en disant lavérité mon affaire ne devint plus mauvaise. »(Déclaration du 3 octobre 1823.)

Lefebure, qui comparut ensuite, sansavoir pu communiquer avec Berthelet, confirma la déclaration de cedernier, en ce qui concernait Leblanc. « Si je n’ai pas dit,ajouta-t-il, que c’est lui qui a fourni à Berthelet l’argent pouracheter la pince, c’est que Peyois m’avait engagé a dire quec’était lui Peyois qui l’avait achetée. Peyois étant compromis dansce vol, n’avait pas voulu charger Leblanc qui lui faisait du bienet qui pouvait lui en faire davantage par la suite. »

Un sieur Égly, chef des employés dela Conciergerie, et les nommés Lecomte etVermont, détenus dans cette maison, ayant été entendus parM. Fleuriais, rapportèrent plusieurs conversations danslesquelles Berthelet, Lefebure et Peyois étaient convenus devanteux qu’ils m’avaient inculpé à tort. Dans leur témoignage, tous lescondamnés s’accordaient à dire que je les avais constammentdétournés de faire le mal. Vermont raconta, en outre, qu’un jourles ayant blâmés de ce qu’ils m’avaient compromis sans motif, ilslui répondirent : « Bah ! nous nous f… bien decela, nous aurions compromis le Père éternel, pour noussauver ; mais ça a mal réussi. »

Peyois, qui était le plus jeune des condamnés,mit moins de franchise dans ses réponses ; son amitié pourLeblanc le porta d’abord à cacher une partie de la vérité ;cependant il ne put s’empêcher de reconnaître que j’étais étrangerà l’achat de la pince.

« Pendant, dit-il, toute l’instructionqui a précédé ma mise en jugement, et devant la cour d’assises,j’ai affirmé et soutenu que c’était M. Vidocq qui m’avaitdonné trois francs, pour acheter la pince à l’aide de laquelle aété commis le vol qui m’a fait arrêter, ainsi que Berthelet,Leblanc, Lefebure et autres. J’ai persisté à dire toujours la mêmechose, espérant que cela pourrait ou diminuer ou alléger ma peine.J’avais pensé à ce moyen, parce que des prisonniers m’avaient ditqu’il pourrait me servir. Je dois à la vérité de déclareraujourd’hui que M. Vidocq ne m’a point donné l’argent enquestion pour acheter la pince ; que c’est moi qui l’aiachetée de mon argent : cette pince me coûta quarante-huitsous, et je l’ai achetée chez un ferrailleur en boutique, quidemeure dans la première rue à droite en entrant dans la rue desArcis, du côté du pont Notre-Dame. Je ne connais pas le nom de ceferrailleur ; mais je pourrais facilement faire connaître saboutique, qui, au surplus, est la deuxième à droite, en descendantdans cette rue. C’est le huit ou le neuf mars dernier que j’en fisl’achat ; le ferrailleur et sa femme étaient dans laboutique ; c’était la première fois que j’achetais quelquechose chez eux. »

Trois jours après, Peyois ayant été transféréà Bicêtre, écrivit au chef de la deuxième division de la préfecturede police une lettre dans laquelle il confessait qu’il en avaitconstamment imposé à la justice, et témoignait le désir de fairedes révélations sincères : cette fois, la vérité toute entièreallait être connue. Utinet, Chrestien,Decostard, Coco-Lacour, qui étaient venus àl’audience déposer dans le sens de l’imposture, furent tout à coupdévoilés : il devint évident que Chrestien avait fait jouerles ressorts de l’intrigue qui devait amener mon expulsion de lapolice. Une déclaration que reçut le maire de Gentilly, mit augrand jour toute l’infamie de cette machination, [3]

DÉCLARATIONS

Des nommés Peyois et Lefebure, relatives ausieur Vidocq faussement accusé d’avoir fourni de l’argent pouracheter une pince, à l’aide de laquelle un vol s’est commis.

(Deuxième division — Premier bureau — N°70,466.)

« Aujourd’hui treize octobre mil huitcent vingt-trois, à dix heures du matin, nous Guillaume Recodère,maire de la commune de Gentilly, d’après les ordres de M. leconseiller d’état préfet de police, nous sommes transporté en lamaison centrale de détention de Bicêtre, où étant, avons faitcomparaître par-devant nous, au greffe de ladite prison, AndréPeyois, détenu par suite d’un jugement qui le condamne à la peinedes fers, auquel, après avoir présenté une lettre adressée au chefde la deuxième division de la préfecture de police, commençant parces mots : pardonnez à la liberté, et finissant parceux-ci : dont ma mère m’a donné l’avertit, ladite lettredatée du dix du courant et signée Peyois, avons fait invitation denous dire s’il la reconnaissait pour avoir été par lui souscrite etsignée, et s’il en avouait tout le contenu.

» A répondu, qu’il connaît parfaitementcette lettre pour être la même que celle qu’il a adressée àM. Parisot, chef de la deuxième division à la préfecture depolice, elle est signée par lui. Le corps de cette lettre n’a pasété écrit par lui, il ne sait pas assez bien écrire pour cela, maisce qu’elle contient a été dicté à l’écrivain (le nommé Lemaitre,détenu en cette même prison), par lui déclarant, et pour preuve dece qu’il avance, il est disposé à nous déclarer oralement tous lesfaits et circonstances contenus en icelle, sans qu’il soit besoinde notre part de les rappeler à sa mémoire, par la lecture de soncontenu ; en conséquence, il déclare « que lors del’instruction de l’affaire qui l’amena au banc des accusés, et à lasuite de laquelle il fut condamné à la peine des fers, quand ilsoutint publiquement que le sieur Vidocq lui avait donné une sommede trois francs pour acheter la pince à l’aide de laquelle il avaitcommis le vol, cause de sa condamnation, il dit un faitnon-seulement inexact, mais tout-à-fait faux car jamais pareilleavance et pour pareil motif ne lui fut faite par ce fonctionnaire,et jamais encore, dans cette circonstance comme dans toute autre,il n’a reçu de lui aucun secours en argent ; s’il avança cettefausseté en plein tribunal, il le fit à la suite de mauvaisconseils qui lui furent donnés par les nommés Utinet et Chrestien,qui lui persuadèrent que par ce moyen seulement son affaireprendrait une tournure favorable, et qu’il ne serait pas condamné,d’autant mieux que s’il les faisait appeler l’un et l’autre commetémoins de ce qu’il avançait, ils soutiendraient son assertion, etqu’ils déposeraient dans le même sens que lui, et que même ilsdiraient qu’ils avaient vu donner la somme de trois francs ;ils allèrent même plus loin, ils lui persuadèrent qu’ils avaient àleur disposition un protecteur puissant, dont l’influence devaitgarantir lui déclarant, de toute espèce de condamnation, ou sicette condamnation devenait inévitable, devait lui servir utilementpour faire casser son jugement.

» Ce fut encore par le conseil de cesdeux individus, qu’il fit appeler à l’audience les nommés Lacour etDecostard, qui déposèrent les mêmes faits imputés par lui,déclarant, au sieur Vidocq, quoiqu’ils fussent absolument faux.

» Après sa condamnation, ces mêmesindividus exigèrent de lui qu’il se mit en appel, en lui promettantde lui fournir à leurs frais un défenseur, et de payer tout ce quecet appel occasionnerait de dépens. Sur cette dernièrecirconstance, on pourra entendre la mère, à lui déclarant, quireçut de la part de Lacour et Decostard les mêmes promesses et lesmêmes avances ; elles lui furent faites chez un marchand devin, place du Palais de Justice, qu’on appelle M. Bazile. Samère demeure avec son mari, rue du faubourg Saint-Denis,n° 143, chez M. Restauret, propriétaire.

» Ainsi, il doit, pour la satisfaction desa conscience, et pour rendre hommage à la justice et à la vérité,désavouer ce qu’il a dit en plein tribunal, au désavantage du sieurVidocq, contre sa moralité et contre son honneur ; il endemande humblement pardon.

» Pour corroborer la déclaration qu’ilvient de faire, il nous invite à entendre le nommé Lefebure, sonco-accusé, et condamné comme lui dans la même affaire, qui est danscette prison, lequel doit savoir par qui, et avec quel argent futachetée la pince que j’avais dit avoir été payée de l’argent deM. Vidocq. »

Lecture à lui faite de sa déclaration, a ditqu’elle contient vérité, qu’il y persiste, et a signé.

Signé PETOIS.

Ensuite, avons fait appeler le nommé Lefebure,ci-dessus désigné et détenu en cette maison, auquel nous avonsdemandé s’il savait comment le nommé Peyois, s’était procuré lapince à l’aide de laquelle le vol qui a motivé leur condamnationcommune, fut commis.

A répondu que deux ou trois jours avant que levol ne fût commis, il avait vu cet instrument entre les mains duditPeyois, qui, avant l’instruction de son affaire, lui avait toujoursdit que c’était lui qui l’avait achetée trois francs ; maisjamais il ne dit que c’était M. Vidocq qui lui avait donnél’argent. Ce fut au tribunal, et pendant l’instruction de leuraffaire, qu’il sut pour la première fois que c’était M. Vidocqqui lui avait fourni les moyens de l’acheter.

Qui est tout ce qu’a dit savoir, lecture à luifaite de sa déclaration, dit qu’elle contient vérité, qu’il ypersiste, et a signé.

Signé LEFEBURE

Dont et de tout quoi il a été rédigé leprésent procès-verbal, pour être celui transmis à M. le conseillerd’état préfet de police, dont acte, les jours, mois et an quedessus.

Signé RECODÈRE] dont Lacour,Chrestien, Decostard et Utinet s’étaientpromis le succès le plus complet. C’étaient eux qui m’avaientenvoyé Peyois, lorsqu’il était venu me trouver sous le prétexte deme demander si je ne pourrais pas lui indiquer un recruteur qui eûtbesoin d’un remplaçant ; c’étaient encore eux qui avaientengagé Berthelet à se présenter dans mon bureau, pour me donner desavis sur certains vols qui devaient se commettre. Ils avaient ainsidressé, pour le soutien de l’accusation sous le poids de laquelleils projetaient de m’accabler, un échafaudage de vraisemblancerésultant de mes rapports avec les voleurs antérieurement à leurarrestation. Selon toutes les apparences, il n’était pas impossiblequ’ils eussent quelque temps fermé les yeux sur les expéditions dePeyois et consors, à la condition que s’il leur arrivait d’êtrepris en flagrant délit, ils adopteraient un système de défenseconforme à leurs intérêts. Il n’existait pas de vestige d’unetransaction de ce genre, mais elle devait avoir eu lieu, et lesdémarches de mes agents, soit pendant l’instruction de laprocédure, soit depuis la condamnation des coupables, ne permettentpas d’élever le moindre doute à cet égard. Peyois est arrêté,aussitôt Utinet et Chrestien se rendent à la Force, et ont avec luiun entretien dans lequel ils lui persuadent que c’est seulement enm’accusant qu’il pourra faire prendre à son affaire une tournurefavorable ; que s’il veut ne pas être condamné, il n’a qu’àles faire appeler l’un et l’autre comme témoins de ce qu’il leurconvient qu’il avance ; qu’ils soutiendront son assertion, etdéposeront dans le même sens que lui, que même ils diront qu’ilsm’ont vu lui donner la somme de trois francs.

Les deux agents ne se bornent pas à cesconseils ; pour être certains, à tout événement, que Peyois nese rétractera pas, ils lui disent qu’ils ont à leur disposition unprotecteur puissant, dont l’influence le préservera de toute espècede condamnation, et qui, si par hasard une condamnation étaitinévitable, aurait encore les bras assez longs pour faire casser lejugement.

Les débats ouverts, Utinet,Chrestien, Lacour et Decostards’empressent de venir attester les faits qui me sont imputés parPeyois. Cependant, ce jeune homme, à qui ils ont promis l’impunité,est frappé par le verdict ; alors, appréhendant qu’enfinéclairé sur sa position, il ne les fasse repentir de l’avoirtrompé, en dévoilant leurs perfidies, ils se hâtent de ranimer sonespoir, et non seulement ils exigent de lui qu’il se pourvoie encassation, mais encore ils offrent de lui donner un défenseur àleurs frais et s’engagent à payer tous les dépens que cet appeloccasionnera. La mère de Peyois est également obsédée par cesintrigants ; ils lui font les mêmes offres de service et lesmêmes promesses ; Lacour, Decostard et Chrestien l’entraînentchez le sieur Bazile, marchand de vin, place du Palais deJustice ; et là, en présence d’une bouteille de vin et de lafemme Leblanc, ils déploient toute leur éloquence pourdémontrer à la mère Peyois que si elle les seconde et que son filssoit docile à leurs avis, il leur sera facile de le sauver ;soyez tranquille, lui dit Chrestien, nous ferons toutce qu’il faudra faire.

Telles furent les lumières que produisitl’enquête ; il devint évident pour les magistrats quel’incident de la pince fournie par Vidocq était une invention demes agents ; et depuis l’on a brodé sur ce fonds une foule derécits plus ou moins bizarres, que les Plutarque du Pilierlittéraire ne manqueront pas de donner pour authentiques, sijamais il prend fantaisie à l’imprimeur Tiger ou à son successeurd’ajouter à la collection de livres forains, l’Histoireadmirable et pourtant véridique des faits, gestes et aventuresmémorables, extraordinaires ou surprenantes du célèbre Vidocq, avecle portrait de ce grand mouchard, représenté en personne naturelleet vivante, tel qu’il était avant sa mort, arrivée sansaccident le jour de son décès, en sa maison de Saint-Mandé, àl’heure de minuit, le 22 juillet de l’an de grâce 1875.

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