Une chasse à courre au Pôle Nord – Chez les esquimaux – Voyages, explorations, aventures – Volume 15

Chapitre 3ÉQUIPAGE DE CHASSE

 

Voilà que, la veille même de l’inauguration,on vit un trappeur, Bouche-de-Fer qui, étant en chasse, venait devoir quelque chose d’extraordinaire.

Il courut au capitaine Drivau qu’il aperçut etil lui dit tout essoufflé :

– Capitaine !

– Qu’y a-t-il ?

– Une troupe.

» À… à… cheval…

– Des Indiens ?

– Non !

» Des officiers anglais.

– Vous êtes sûr ?

– J’ai vu les habits rouges et l’or des galonssur les manches et sur les coiffures : ce sont des officiersanglais, vous dis-je.

» Ils ont plus de cent chiens !

» Qu’est ce que ces gens peuvent biennous vouloir ?

– Ah ! ils ont des chiens ! fitDrivau en souriant joyeusement.

» Tant mieux !

» Faites venir le cuisinier.

– Si vous le demandez, c’est que ces gens làsont des amis alors ?

– Des serviteurs à moi.

– Ces officiers anglais !

» Des domestiques ?

– Oui.

» Mais envoyez-moi le chef.

Langue-de-fer, très intrigué, alla chercher lecuisinier de l’hôtel.

– Monsieur Léon, lui dit Drivau, vous allezavoir cent chiens à nourrir.

» Vous y serez aidé par trois valets dechiens à pied, mais pas aujourd’hui.

» Mettez en besogne vos femmesesquimaudes qui vous servent d’aides.

» Qu’elles cassent du biscuit de mer quevous leur ferez jeter dans une grande marmite, contenant assezd’eau pour faire une soupe très épaisse.

» À l’eau vous ajouterez de la graisse dephoque, du poisson sec découpé fin, un peu de viande du phoqueaussi découpée.

» En terme de vénerie cette soupe à chiens’appelle une mouée.

» Vous ferez chauffer et vous ferez bienmélanger le tout à la spatule.

» Les valets de chiens serviront lameute, quand ce sera prêt.

En ce moment on entendit une fanfare de corsde chasse.

Elle sonnait l’air joyeux de l’arrivée aurendez-vous.

Les Indiens, les Esquimaux, les trappeurstombèrent en extase.

Cette musique leur semblait céleste et lesIndiens se disaient :

– Est-ce que le Grand-Esprit, conjurépar le capitaine Castarel, viendrait rendre visite au commandantd’Ussonville ?

Pour expliquer cette idée bizarre des Indiens,nous rappellerons au lecteur que Castarel était un prestidigitateurné, il avait ça dans le sang, comme on dit.

Or, sa joie, en vrai Marseillais qu’il était,son passe-temps favori était « de mystifier et d’épater lessauvages ».

Avec une table truquée, un appareilélectrique, une boite Robert-Houdin très complète, avec un appareilà projections lumineuses surtout, il plongeait Indiens, Esquimaux,trappeurs même, dans la stupéfaction.

Ils étaient convaincus tous qu’il était unsorcier dont le pouvoir surnaturel était immense etirrésistible.

Aussi était-il craint, respecté, redouté, maistrès aimé, parce qu’il était rieur, bon garçon et trèsgénéreux.

Sa petite femme, fille d’un Français et d’uneAbyssinienne, se faisait adorer, à cause de sa gentillesse.

Les Peaux-Rouges et les Esquimaux ne juraientque par Castarel.

Leurs femmes ne juraient que par la femme ducapitaine.

Donc les sauvages demandèrent à Castarel sicette musique était naturelle.

Il répondit, avec son aplomb habituel, queceux qui la faisaient incarnaient en eux l’esprit de la chasse,dont ils étaient possédés et que c’était cet esprit qui faisait,dans les trompes, entendre la musique du ciel.

Les Peaux-Rouges furent très satisfaits decette explication saugrenue.

L’équipage parut.

En tête, le premier piqueur de Drivau, lesuperbe La Feuille.

Puis, à droite et à gauche, le nez de leurschevaux à hauteur de l’épaule de celui du Premier, lesecond piqueur La Rosée et le troisième LaFutaie.

Puis un valet de chiens à pied, pour le momentmonté, en tête de meute.

La meute couplée.

Derrière elle, deux autres valets montés pource jour-là.

En arrière, un convoi de chevaux conduits pardes palefreniers et deux trappeurs.

Le spectacle était fort imposant et trèsoriginal, surtout en ce pays, au delà du cercle polaire.

Quand les piqueurs virent le capitaine Drivau,ils sonnèrent fanfare.

L’arrivée du maître.

Les Peaux-Rouges se pâmèrent de nouveaujusqu’à l’extase.

La meute s’arrêta en bel ordre.

Piqueurs et valets descendirent de chevaljetant les brides à des Indiens et à des Esquimaux auxquels Drivauavait fait signe ; puis, la casquette à la main, La Feuillealla saluer Drivau, son maître d’équipage, et il lui ditrespectueusement :

– Quand Monsieur voudra entendre lerapport…

Sur ce, il alla reprendre sa place à pied, entête de meute.

Donc, comme s’il s’agissait du simple rapportd’un jour de chasse, rendant compte des animaux que l’on avait pudétourner, La Feuille allait rendre compte d’un voyage de deuxmille lieues !

Il le fit laconiquement et clairement.

Quand Drivau et ses amis vinrent entendre lerapport, tous les piqueurs et valets se découvrirent.

Et Drivau dit :

– Parlez, La Feuille.

Lui froidement :

– Monsieur…

» Partis du château, selon vos ordres,avec tout le personnel.

» Embarqués au Havre.

» Débarqués à New-York.

» Gagné Montréal.

» Trouvé une meute prête et deuxtrappeurs servant de guides.

» Embarqués sur le Saint-Laurent.

» Traversé à pied plusieurspartages.

» Donné une bonne leçon aux Indiens.

» Capturé les chevaux sauvages que vousvoyez là-bas.

» Embarqués sur le Mackensie et arrivésici à bon port.

» Les deux trappeurs-guides se sontoffert pour le service de Monsieur.

» Je les ai engagés, selon mespouvoirs.

» Meute et chevaux en bon état.

Drivau, très laconiquement, dit :

– La Feuille, c’est très bien !

» Vous arrivez à point.

» Demain, nous inaugurons l’hôtel ;il y aura banquet et la fête sera double, puisque l’on fêtera votrearrivée.

» Le maître d’hôtel va vous caser.

» Le chenil est cette baraque en planchesrecouverte de zinc.

» Tout y est aménagé selon les règles dela vénerie et vous pouvez immédiatement y installer la meute àlaquelle vous ferez servir la mouée, qui sera bientôtprête.

» Vous et vos piqueurs, vous mangerezavec le maître d’hôtel, le chef de cuisine, le chef de service etle piqueur de l’écurie.

» Palefreniers et valets auront une tableà part avec les garçons de l’hôtel ; vous resterez à demeureici.

» Mais, quand tout sera terminé, vousferez tous le voyage du pôle.

Sur ce, Drivau tourna les talons.

Il n’était ainsi maître et le faisantvoir qu’à la chasse.

Partout ailleurs, il était, comme tous lesParisiens, très bon garçon.

Tout se passa dans le plus grand ordre et bienl’on dîna.

Les gens de l’équipage firent connaissanceavec ceux de l’hôtel.

Pour faire plaisir à tout le monde, surtoutaux Peaux-Rouges, l’équipage sonna une Retraite, laCurée aux Flambeaux et le Bonsoir lesAmis.

Sur ce, on se coucha.

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