Une chasse à courre au Pôle Nord – Chez les esquimaux – Voyages, explorations, aventures – Volume 15

Chapitre 7LE GOLFE GELÉ

 

Pour gagner l’île, en cette saison de dégel,il fallait s’embarquer.

Mais ce n’était qu’un jeu pour l’expéditiond’Ussonville.

Avec son clipper qui filait trente-cinq nœudsavec sa machine électrique, seize nœuds sous voiles, en bonneroute, avec son navire brise-glace qui ouvrait passage partout,faire la traversée n’était qu’un jeu.

Le brise-glace, en ces mers boréales,remorquait le clipper.

En mer libre, c’était le clipper quiremorquait le brise-glace.

Comme le brise-glace s’aidait d’une trèspuissante machine, il ne ralentissait pas beaucoup la marche duclipper.

Comme, d’autre part, il portait beaucoup detoile, cela compensait les défauts de marche causés par sa formetrop ronde.

Les deux navires bondés d’outils, deprovisions, de munitions, d’objets utiles, assuraient aux hôtels unapprovisionnement de deux ans, plus de grosses réserves.

Rien à craindre pour les conserves.

À bord, elles étaient entassées dans deschambres de glace, ainsi que les salaisons.

À terre, elles étaient conservées dans descaches de glace.

Il ne faut pas oublier que, dans ces régions,jamais le sol ne dégèle à plus de quarante centimètres deprofondeur.

Plus bas, la terre est éternellementgelée.

Donc, si l’on creuse cette terre gelée, si ony enterre lard, jambons, bœuf, veau, mouton salés ou frais,conserves, tout cela gèle et se conserve intact.

Point de lard rance.

Point de conserves vieillies.

Et c’est là un très grand avantage.

Ainsi, dans l’hôtel du Mackensie, pêcheurs etchasseurs se mirent en campagne, profitant de la belle saison.

Ce que l’on cacha dans la glace estinimaginable comme quantité.

Langoustes, homards, énormes, crabestourteaux, crevettes et d’autres crustacés étaient jetés dans lescaches vivants.

Et vivants retirés, bien longtemps après,vivants quoique inanimés.

Morts d’apparence.

Mais il suffisait de les faire dégeler dans del’eau de glace fondante pour les ressusciter et il en était de mêmepour le poisson.

Celui-ci exquis.

Truites, truites saumonées, saumons, morues,maquereaux, etc.

Les coquillages, huîtres, moules, clovisses,praires, bigorneaux, ormeaux, coquilles Saint-Jacques revivaientaussi en sortant des caches de glace.

On y enterrait encore des monceaux d’alguesmarines comestibles, de cochléaria, de lichens et de pointesd’arbustes.

Précieuses ressources contre le scorbut.

Il ne faut pas oublier la farine de pomme, lafarine de haricots et de petits pois, de carottes séchées et delentilles.

Les oignons, les aulx, les échalottes et lachoucroute se conservaient dans la glace.

Le persil, le cerfeuil, marinaient dans desbarils avec de la saumure.

Les conserves de tomates et d’autres capablesde supporter le froid étaient mises au système de la gelée.

Aussi les pommes demi-séchées à l’américaine,les poires, les pruneaux, les confitures, les compotes et lesconserves de fruits.

En ayant la précaution de dégeler lentement,très lentement, on trouvait tout cela inaltéré et succulent.

Avant de filer sur l’île de Banks avecl’expédition, les navires bondèrent de toutes ces provisionsl’hôtel du Mackensie.

Enfin on monta à bord et l’on mit le cap surl’île, le brise-glace en tête.

On fit d’abord route en mer libre ; mais,au moment d’entrer dans un golfe où les deux navires seraient ensûreté, on s’aperçut que ce havre était couvert d’un épaisfloë.

Le floë est un champ de glace.

Les glaçons, non fondus, il y en a deflottants toute l’année, avaient été poussés là par les vents etles courants.

Ils formaient une couche épaisse.

Si épaisse qu’il fallut recourir aux grandsmoyens dont disposait le brise-glace et notamment aux torpilles àla roburite.

Un bras énorme, arme d’un pic, trouait laglace à distance, puis on enlevait le pic et on le remplaçait parune torpille que le bras déposait dans le trou.

Puis on relevait le bras et on mettait le feuà la torpille par un fil électrique et la glace s’ouvrait.

Alors le brise-glace se lançait à travers lesglaçons et les refoulait.

Le clipper se glissait dans le passage ainsiouvert par son puissant ami.

Ce travail était très intéressant à suivre etles explosions qui bouleversaient le floë offraient un spectacledes plus dramatiques ; elles donnaient chaque fois lesentiment d’un grand cataclysme naturel.

Il ne semblait pas possible qu’une forcesoumise à l’homme put produire des effets aussi effrayants.

La glace se fendait en tous sens avec unfracas terrible ; le golfe, remué dans ses profondeurs, sesoulevait en lames énormes au creux desquelles les deux naviressemblaient s’abîmer pour en remonter les pentes déferlantes, ensurmonter les crêtes et en redescendre l’autre flanc avec unerapidité vertigineuse.

Les glaçons dansaient une infernale sarabandesur cette mer démontée et s’émiettaient sous l’action dubrise-glace.

On respirait une fine poussière de glacepulvérisée.

Quand le brise-glace donnait dans un bloc deglace, il faisait, au dire des matelots, entendre sa musique.

Sa coque de métal, sa quille creuse, sesarcs-boutants en aluminium, ses cloisons en tôle, tout tintait àbord ; c’était un chant de guerre vibrant qui s’envolait versle ciel, chant du triomphe de l’homme asservissant les forces lesplus puissantes de la nature pour surmonter d’insurmontablesobstacles.

Enfin les navires touchèrent la rive, et,derrière eux la glace se referma.

Mais ils savaient comment se dégager.

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