Voyage autour de ma chambre

Chapitre 5

 

Après mon fauteuil, en marchant vers le nord, on découvre monlit, qui est placé au fond de ma chambre, et qui forme la plusagréable perspective. Il est situé de la manière la plus heureuse :les premiers rayons du soleil viennent se jouer dans mes rideaux. –Je les vois, dans les beaux jours d’été, s’avancer le long de lamuraille blanche, à mesure que le soleil s’élève : les ormes quisont devant ma fenêtre les divisent de mille manières, et les fontbalancer sur mon lit, couleur de rose et blanc, qui répand de touscôtés une teinte charmante par leur réflexion. – J’entends legazouillement confus des hirondelles qui se sont emparées du toitde la maison, et des autres oiseaux qui habitent les ormes : alorsmille idées riantes occupent mon esprit ; et, dans l’universentier, personne n’a un réveil aussi agréable, aussi paisible quele mien.

J’avoue que j’aime à jouir de ces doux instants, et que jeprolonge toujours, autant qu’il est possible, le plaisir que jetrouve à méditer dans la douce chaleur de mon lit. Est-il unthéâtre qui prête plus à l’imagination, qui réveille de plustendres idées, que le meuble où je m’oublie quelquefois ? –Lecteur modeste, ne vous effrayez point ; – mais nepourrais-je donc parler du bonheur d’un amant qui serre pour lapremière fois dans ses bras une épouse vertueuse ? plaisirineffable, que mon mauvais destin me condamne à ne jamaisgoûter ! N’est-ce pas dans un lit qu’une mère, ivre de joie àla naissance d’un fils, oublie ses douleurs ? C’est là que lesplaisirs fantastiques, fruits de l’imagination et de l’espérance,viennent nous agiter. – Enfin, c’est dans ce meuble délicieux quenous oublions, pendant une moitié de la vie, les chagrins del’autre moitié. Mais quelle foule de pensées agréables et tristesse pressent à la fois dans mon cerveau ! Mélange étonnant desituations terribles et délicieuses !

Un lit nous voit naître et nous voit mourir ; c’est lethéâtre variable où le genre humain joue tour à tour des dramesintéressants, des farces risibles et des tragédies épouvantables. –C’est un berceau garni de fleurs ; – c’est le trône del’amour ; – c’est un sépulcre.

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