Voyage autour de ma chambre

Chapitre 11

 

Il ne faut pas anticiper sur les événements ;l’empressement de communiquer au lecteur mon système de l’âme et dela bête m’a fait abandonner la description de mon lit plus tôt queje ne devais ; lorsque je l’aurai terminée, je reprendrai monvoyage à l’endroit où je l’ai interrompu dans le chapitreprécédent. – Je vous prie seulement de vous ressouvenir que nousavons laissé la moitié de moi-même, tenant le portrait deMme de Hautcastel, tout près de la muraille, à quatre pasde mon bureau. J’avais oublié, en parlant de mon lit, de conseillerà tout homme qui le pourra d’avoir un lit de couleur rose et blanc: il est certain que les couleurs influent sur nous au point denous égayer ou de nous attrister suivant leurs nuances. – Le roseet le blanc sont deux couleurs consacrées au plaisir et à lafélicité. – La nature, en les donnant à la rose, lui a donné lacouronne de l’empire de Flore ; et lorsque le ciel veutannoncer une belle journée au monde, il colore les nues de cetteteinte charmante au lever du soleil.

Un jour nous montions avec peine le long d’un sentier rapide :l’aimable Rosalie était en avant ; son agilité lui donnait desailes : nous ne pouvions la suivre. – Tout à coup, arrivée ausommet d’un tertre, elle se tourna vers nous pour reprendrehaleine, et sourit à notre lenteur. – Jamais peut-être les deuxcouleurs dont je fais l’éloge n’avaient ainsi triomphé. – Ses jouesenflammées, ses lèvres de corail, ses dents brillantes, son coud’albâtre, sur un fond de verdure, frappèrent tous les regards. Ilfallut nous arrêter pour la contempler : je ne dis rien de ses yeuxbleus, ni du regard qu’elle jeta sur nous, parce que je sortiraisde mon sujet, et que d’ailleurs je n’y pense jamais que le moinsqu’il m’est possible. Il me suffit d’avoir donné le plus belexemple imaginable de la supériorité de ces deux couleurs surtoutes les autres, et de leur influence sur le bonheur deshommes.

Je n’irai pas plus avant aujourd’hui. Quel sujet pourrais-jetraiter qui ne fût insipide ? Quelle idée n’est pas effacéepar cette idée ? – Je ne sais même quand je pourrai meremettre à l’ouvrage. – Si je le continue, et que le lecteur désireen voir la fin, qu’il s’adresse à l’ange distributeur des pensées,et qu’il le prie de ne plus mêler l’image de ce tertre parmi lafoule de pensées décousues qu’il me jette à tout instant.

Sans cette précaution, c’en est fait de mon voyage.

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