Voyage autour de ma chambre

Chapitre 23

 

Je ne dirai qu’un mot de l’estampe suivante : C’est la familledu malheureux Ugolin expirant de faim : autour de lui, unde ses fils est étendu sans mouvement à ses pieds ; les autreslui tendent leurs bras affaiblis et lui demandent du pain, tandisque le malheureux père, appuyé contre une colonne de la prison,l’œil fixe et hagard, le visage immobile, – dans l’horribletranquillité que donne la dernière période du désespoir, meurt à lafois de sa propre mort et de celle de tous ses enfants, et souffretout ce que la nature humaine peut souffrir.

Brave chevalier d’Assas, te voilà expirant sous centbaïonnettes, par un effort de courage, par un héroïsme qu’on neconnaît plus de nos jours !

Et toi, qui pleures sous ces palmiers, malheureusenégresse ! toi qu’un barbare, qui sans doute n’était pasAnglais, a trahie et délaissée ; – que dis je ? toi qu’ila eu la cruauté de vendre comme une vile esclave malgré ton amouret tes services, malgré le fruit de sa tendresse que tu portes danston sein, – je ne passerai point devant ton image sans te rendrel’hommage qui est dû à ta sensibilité et à tes malheurs !

Arrêtons-nous un instant devant cet autre tableau : c’est unejeune bergère qui garde toute seule un troupeau sur le sommet desAlpes : elle est assise sur un vieux tronc de sapin renversé etblanchi par les hivers ; ses pieds sont recouverts par delarges feuilles d’une touffe de cacalia, dont la fleurlilas s’élève au-dessus de sa tête. La lavande, le thym, l’anémone,la centaurée, des fleurs de toute espèce, qu’on cultive avec peinedans nos serres et nos jardins, et qui naissent sur les Alpes danstoute leur beauté primitive, forment le tapis brillant sur lequelerrent ses brebis. – Aimable bergère, dis-moi où se trouvel’heureux coin de la terre que tu habites ? de quelle bergerieéloignée es-tu partie ce matin au lever de l’aurore ? – Nepourrais-je y aller vivre avec toi ? – mais, hélas ! ladouce tranquillité dont tu jouis ne tardera pas à s’évanouir : ledémon de la guerre, non content de désoler les cités, va bientôtporter le trouble et l’épouvante jusque dans ta retraite solitaire.Déjà les soldats s’avancent ; je les vois gravir de montagnesen montagnes et s’approcher des nues. – Le bruit du canon se faitentendre dans le séjour élevé du tonnerre. – Fuis, bergère, presseton troupeau, cache-toi dans les antres les plus reculés et lesplus sauvages : il n’est plus de repos sur cette triste terre.

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