Voyage avec un âne dans les Cévennes

VIII – ADIEU, MODESTINE !

À l’examen, le matin du 4 octobre, Modestinefut déclarée hors d’état de poursuivre le voyage. Elle auraitbesoin d’au moins deux jours de repos, d’après le garçon d’écurie.Or, j’étais maintenant pressé d’arriver à Alais pour mon courrier.Comme je me trouvais à présent dans une région civilisée avecservice d’omnibus, je décidai de vendre mon amie et de partir parla diligence de l’après-midi. Notre trotte de la veille, autémoignage du charreton qui nous avait suivis pendant toute lamontée du Saint-Pierre, donnait une idée avantageuse des capacitésde ma bourrique. Des acquéreurs éventuels escomptèrent une occasionsans précédent. Avant dix heures, j’avais une offre de vingt-cinqfrancs et avant midi, après un engagement téméraire, je la vendis,le bât et tout l’attirail, pour trente-cinq francs. Le gainpécuniaire n’était pas évident, mais j’avais, par ce marché, acquisma liberté.

Saint-Jean-du-Gard est une localité importanteet en majeure partie protestante. Le maire, un protestant, medemanda de l’aider, en une petite circonstance caractéristique deshabitudes de l’endroit. Les jeunes femmes des Cévennes profitentd’une similitude de religion et de la différence de parler pour seplacer en grand nombre comme gouvernantes en Angleterre. Il y enavait une, originaire de Mialet, qui se débattait avec lescirculaires de deux agences rivales de Londres. Je lui rendis tousles services en mon pouvoir et donnai, en plus, quelques conseilsqui me parurent d’excellente opportunité.

Une chose en outre à noter. Le phylloxéraavait ravagé les vignobles des environs et, dans le prime matin,sous quelques châtaigniers en bordure de la rivière, j’aperçus ungroupe d’individus actionnant un pressoir à pommes. Je ne parvenaispas à comprendre où ils en voulaient venir et demandai à l’un destypes de me l’expliquer.

– Faire du cidre, répondit-il. Oui,c’est comme ça. Comme dans le Nord.

Il y avait dans son ton une pointesarcastique. Le pays allait à la diable.

Ce ne fut qu’après être bien installé auprèsdu conducteur et roulant à travers un vallon rocailleux auxoliviers rabougris que j’eus conscience qu’il me manquait quelquechose. J’avais perdu Modestine. Jusqu’à cet instant, j’avais cru ladétester ; mais à présent qu’elle était partie« Ah ! quel changement pour moi ! »

Pendant douze jours nous avions étéd’inséparables compagnons ; nous avions parcouru sur leshauteurs plus de cent vingt kilomètres, traversé plusieurs chaînesde montagnes considérables, fait ensemble notre petit bonhomme dechemin avec nos six jambes par plus d’une route rocailleuse et plusd’une piste marécageuse. Après le premier jour, quoique je fussesouvent choqué et hautain dans mes façons, j’avais cessé dem’énerver. Pour elle, la pauvre âme, elle en était venue à meconsidérer comme une providence. Elle aimait manger dans ma main.Elle était patiente, élégante de formes et couleur d’une sourisidéale, inimitablement menue. Ses défauts étaient ceux de sa raceet de son sexe ; ses qualités lui étaient propres. Adieu, etsi jamais…

Le père Adam pleura quand il me la vendit.Quand je l’eus vendue à mon tour, je fus tenté de faire de même. Etcomme je me trouvais seul avec le conducteur du coche et quatre oucinq braves jeunes gens, je n’hésitai pas à céder à monémotion.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer