L’Amour Impossible

L’Amour Impossible

de Jules Amedee Barbey d’Aurevilly

Il ne s’agit point de ce qui
est beau et amusant, mais tout
simplement de ce qui est.

Dédicace

À Madame La Marquise Armance d… V…

Madame,

Je mets ce petit livre à vos pieds, et, fort heureusement, c’est une bonne place, car probablement il y restera. Les exigences dramatiques de notre temps préparent mal le succès d’un livre aussi simple que celui-ci. Il n’a pas l’ombre d’une prétention littéraire, et vous n’êtes point une Philaminte : j’ai donc cru pouvoir vous le dédier. Ce ne serait qu’un conte bleu écrit pour vous distraire, si ce n’était pas une histoire tracée pour vous ressouvenir.

Dans un pays et dans un monde où la science, si elle est habile,doit tenir tout entière sur une carte de visite (le mot est de Richter), j’ai pensé qu’on devait offrir à l’une des femmes les plus spirituelles et les plus aimables de ce monde et de ce pays quelques légères observations de salon, écrites sur le dos de l’éventail à travers lequel elle en a fait tant d’autres qui valaient bien mieux, et qu’elle n’a pas voulu me dicter.

Agréez, Madame, etc.,

J. B. d’A.

Préface à la deuxième édition (1859)

Le livre que voici fut publié en 184… C’était un début, et on le voit bien. L’auteur, jeune alors, et de goût. horriblement aristocratique, cherchait encore la vie dans les classes de la société qui évidemment ne l’ont plus. C’était là qu’il croyait pouvoir établir la scène de plusieurs romans, passionnés et profonds, qu’il rêvait alors ; et cette illusion de romans impossibles produisit l’Amour impossible. Le roman,en effet, n’est jamais que l’histoire de l’âme et de la vie à travers une forme sociale. Or l’âme et la vie n’habitaient pas beaucoup les boudoirs jonquille de l’époque où se passe l’action,sans action, de ce livre auquel un critique bienveillant faisait trop d’honneur, l’autre jour, en l’appelant : une tragédie de boudoir.

L’Amour impossible est à peine unroman, c’est une chronique, et la dédicace qu’on y a laisséeatteste sa réalité. C’est l’histoire d’une de ces femmes comme lesclasses élégantes et oisives –le high life d’un pays où le motd’aristocratie ne devrait même plus se prononcer – nous en ont tantoffert le modèle depuis 1839 jusqu’à 1848. À cette époque, si on sele rappelle, les femmes les plus jeunes, les plus belles, et,j’oserais ajouter, physiologiquement les plus parfaites, sevantaient de leur froideur, comme de vieux fats se vantent d’êtreblasés, même avant d’être vieux. Singulières hypocrites, ellesjouaient, les unes à l’ange, les autres au démon, mais toutes,anges ou démons, prétendaient avoir horreur de l’émotion, cettechose vulgaire, et apportaient intrépidement, pour preuve de leurdistinction personnelle et sociale, d’être inaptes à l’amour et aubonheur qu’il donne… C’était inepte qu’il fallait dire, car detelles affectations sont de l’ineptie. Mais que voulez-vous ?On lisaitLélia, – ce roman qui s’en ira, s’il n’est déjàparti, où s’en sont allésl’Astrée etla Clélie, et où s’en iront tous les livres faux,conçus en dehors de la grande nature humaine et bâtis sur lesvanités des sociétés sans énergie, – fortes seulement enaffectations.

L’Amour impossible, qui malheureusementest un livre de cette farine-là, n’a donc guère aujourd’hui pourtout mérite qu’une valeur archéologique. C’est le mot si connu,mais retourné et moins joyeux, de l’ivrogne de la Caricature :« Voilà comme je serai dimanche. » – Voilà, nous !comme nous étions… dimanche dernier, –et vraiment nous n’étions pas beaux ! Les personnagesde l’Amour impossible traduisentassez fidèlement les ridicules sans gaieté de leur temps, et ils nes’en doutent pas ! Ils se croient charmants et parfaitementsupérieurs. L’auteur, alors, n’avait pas assez vécu pour sedétacher d’eux par l’ironie. Toute duperie est sérieuse, et voilàpourquoi les jeunes gens sont graves. L’auteur prenait réellementses personnages au sérieux. Au fond, ils n’étaient que deuxmonstres moraux, et deux monstres par impuissance les plus laids detous, car qui est puissant n’est monstre qu’à moitié. L’auteur qui,quand il les peignait, écrivait de la même main la viede Brummel a, depuis, furieusement changé sonchamp d’observation romanesque et historique. Il a quitté, pour n’yplus revenir, ce monde des marquises de Gesvres et des Raimbaud deMaulévrier, où nonseulement l’amour est impossible,mais le roman ! mais la tragédie ! et même la comédiebien plus triste encore !… En réimprimant ce livre oublié, iln’a voulu que poser une date de sa vie littéraire, si tant estqu’il ait jamais une vie littéraire, voilà tout. Quant au livre enlui-même, il en fait bon marché. Il n’a plus d’intérêt pourl’espèce d’impressions, de sentiments et de prétentions que celivre retrace, et la Critique, en prenant la peine de dire le peuque cela vaut, ne lui apprendra rien. Il le sait.

J. B. d’A.

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