Poèmes

Poèmes

de Jean Jaurès

Comme un rêve

Bien souvent, dans la contemplation et la rêverie, nous jouissons de l’univers sans lui demander ses comptes ; nous aspirons la vie enivrante de la terre avec une irréflexion absolue, et la nuit étoilée et grandiose n’est plus bientôt, pour notre âme qui s’élève, une nuit dans la chaîne des nuits. Elle ne porte aucune date ; elle n’éveille aucun souvenir ; elle ne se rattache à aucune pensée ; on dirait qu’elle est, au-dessus même de la raison, la manifestation de l’éternel. Nous ne nous demandons plus si elle est une réalité ou un rêve, car c’est une réalité si étrangère à notre action individuelle et à notre existence mesquine qu’elle est, pour nous,comme un rêve ; et c’est un songe si plein d’émotion délicieuse qu’il est l’équivalent de la réalité.

Étude de nuages

De façon ou d’autre, la lumière s’est adaptée,pour poursuivre son chemin, au milieu épais qu’elle doit traverser ; c’est qu’elle en a tout d’abord subi la loi propre ; et il est bien probable que cette adaptation première lui permet, non d’éviter tous les chocs, mais d’y résister ;non d’échapper à tous les mouvements des particules à travers lesquelles elle voyage, mais de s’harmoniser à ces mouvements, deles respecter et d’en être respectée ; le rayon qui traversele nuage n’est pas ainsi un étranger qui passe au plus vite, fuyantle danger : il a pris corps au passage dans la nuée ardentequi voile et révèle le soleil ; il en a été un moment l’âmesplendide ; et, quand un reflet de pourpre s’allonge dans laplaine et gravit le coteau, ce n’est pas seulement un dernierregard du soleil qui s’en va, c’est aussi une pénétrante etmélancolique caresse de la nuée occidentale à l’horizon ami dont lesouffle naissant du soir veut la séparer.

Voici, à mi-hauteur du ciel, un beau nuagedans un ciel pur. Le soleil va se coucher. Le nuage est blanc. Àmesure que le soleil baisse, le nuage se revêt d’or ; puis ilpasse lentement au rouge, puis à une sorte de marron, puis à unesorte de violet, jusqu’à ce qu’il apparaisse noir et commedéchiqueté, dépouillé à la fois de tout éclat et de la formeadmirable et douce dont cet éclat l’enveloppait…

Mais, au-dessus du nuage que vous regardieztout à l’heure, voyez cet autre. Quand le soleil allait se coucheret de ses rayons rasait la plaine, le nuage trop haut restaitsombre ; mais, à mesure que le soleil descend et que sesrayons, au lieu d’aller vers l’Orient dans leur course horizontale,se retirent lentement et frappent les hauteurs du ciel, le nuage, àpeine atteint d’abord par la clarté, se nuance d’un gris roux, puispasse au marron, puis au rouge, puis se dore et s’illumine, jusqu’àce qu’enfin sa blancheur légère semble s’élever plus haut encoredans les espaces supérieurs.

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