AGATHA CHRISTIE L’AFFAIRE PROTHERO

AGATHA CHRISTIE L’AFFAIRE PROTHERO

(THE MURDER AT THE VICARAGE)

1

Il est bien difficile en vérité de savoir quand débuta cette histoire. Pour moi, ce fut au cours d’un déjeuner, un certain mercredi, au presbytère. Ce jour-là, la conversation – par ailleurs sans rapport avec notre sujet – roula sur un ou deux points qui ne sont pas sans importance pour la suite de l’affaire.

Je venais de découper une pièce de bœuf bouilli – des plus coriace, soit dit en passant – quand, tout en me rasseyant, je fis remarquer, dans un esprit convenant bien peu à mon habit, que quiconque tuerait le colonel Protheroe rendrait au monde un fier service.

— Voilà qui sera retenu contre vous, le jour où on le retrouvera baignant dans une mare de sang ! s’écria aussitôt mon jeune neveu, Dennis. Mary pourra en témoigner, n’est-ce pas, Mary ? Elle racontera de quel geste vindicatif vous brandissiez ce couteau à découper.

Mary, qui, faute de mieux, travaillait au presbytère, se borna à annoncer d’une voix forte et toute professionnelle : « Les légumes », et lui fourra sous le nez un plat ébréché.

— Vous a-t-il vraiment contrarié ? me demanda ma femme d’un ton compatissant.

Je ne répondis pas tout de suite car Mary, posant sans douceur les légumes sur la table, me présenta un plat où surnageaient des boulettes spongieuses fort peu ragoûtantes. Comme je refusais de me servir, elle planta le tout devant moi et quitta la pièce.

— Quel dommage que je fasse une si piètre maîtresse de maison, dit ma femme avec, dans la voix, une pointe de regret sincère.

J’étais bien de son avis. Mon épouse porte le doux prénom de Griselda – prénom rêvé pour une femme de pasteur, mais pas du tout pour elle, qui est tout le contraire de la douceur.

J’ai toujours été d’avis qu’un homme d’Église devrait rester célibataire. J’ignore encore pourquoi j’ai imploré Griselda de m’épouser alors que je la connaissais depuis vingt-quatre heures à peine. De même ai-je toujours pensé que le mariage est une chose sérieuse qu’on n’aborde qu’après mûre réflexion, et seulement si l’on partage goûts et inclinations.

Griselda a presque vingt ans de moins que moi. Elle est ravissante et tout à fait incapable de rien prendre au sérieux. Elle ne sait à peu près rien faire, ce qui ne facilite pas l’existence en commun. À l’en croire, ma paroisse n’existe que pour son divertissement. J’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour lui former l’esprit, sans succès. Et je suis plus que jamais persuadé aujourd’hui que le célibat est l’état qui convient aux membres du clergé. Je me suis d’ailleurs efforcé plus d’une fois d’en convaincre Griselda qui s’est contentée de me rire au nez.

— Si seulement vous y mettiez un peu du vôtre, dis-je.

— Mais c’est ce à quoi je m’astreins parfois, et cela ne fait qu’aggraver la situation, me répondit Griselda. Il est clair que je ne suis pas faite pour être une bonne maîtresse de maison. Je préfère m’en remettre à Mary, quitte à pâtir de ses services et de sa cuisine.

— Mais avez-vous songé à votre mari, ma chérie ? demandai-je d’un ton de reproche. (Et, suivant l’exemple de Satan citant les Écritures pour son propre bénéfice, j’énonçai 🙂 « Elle prenait grand soin des affaires de son ménage… »

— Et vous-même, avez-vous songé que vous auriez pu être jeté en pâture aux lions, ou brûlé vif sur le bûcher ? Après tout, il y a pire martyre qu’une mauvaise cuisine, un peu de poussière et quelques cadavres de guêpes par-ci, par-là. Mais parlez-moi plutôt du colonel Protheroe. En tout cas, les chrétiens des premiers âges n’avaient pas à supporter les chicaneries des marguilliers.

— Quelle effroyable vieille baderne, ce Protheroe, dit Dennis. Pas étonnant que sa première femme l’ait quitté.

— Elle n’a pas eu le choix, fit ma femme.

— Griselda, dis-je d’un ton sec, je ne veux pas vous entendre parler ainsi.

— Chéri, lança-t-elle pour m’amadouer, racontez-moi plutôt ce qui s’est passé. De quoi s’agissait-il ? Des simagrées et des sempiternels signes de croix de Mr Hawes ?

Hawes, le nouveau vicaire, est des nôtres depuis trois semaines environ. C’est un traditionaliste qui observe rigoureusement le jeûne du vendredi. En revanche, le colonel Protheroe exècre tout rituel.

— Pas cette fois-ci, dis-je. Il s’est contenté d’y faire allusion en passant. Non, c’était à propos du malheureux billet d’une livre de Mrs Price Ridley.

Mrs Price Ridley est l’une de mes ferventes paroissiennes. À l’office du matin, que je célébrais pour l’anniversaire de la mort de son fils, elle avait fait don à la quête d’un billet d’une livre. Or, en consultant la liste recensant le détail des offrandes, elle avait constaté avec dépit qu’il n’y avait aucun billet d’un montant supérieur à dix shillings.

Lorsqu’elle vint s’en plaindre à moi, je crus bon de lui faire remarquer qu’elle s’était peut-être tout bonnement trompée.

— Nous nous faisons vieux, dis-je pour couper court. Et il nous faut payer notre tribut au temps qui passe.

Assez curieusement, ces paroles ne firent que l’exaspérer davantage. Elle me déclara que la chose lui paraissait pour le moins suspecte et se montra surprise que je ne fusse pas du même avis. Puis elle me planta là pour aller sans doute s’en ouvrir au colonel Protheroe. Protheroe est homme à aimer faire des histoires à tout propos et en tout lieu. Il fit donc une histoire et, par malheur, cela tombait un mercredi. Or, le mercredi matin, j’enseigne le catéchisme, ce qui me rend nerveux pour tout le reste de la journée.

— Ma foi, il faut bien qu’il se distraie, commenta ma femme, faisant mine de juger les choses en toute impartialité. Personne ne papillonne autour de lui en l’appelant « mon cher pasteur », personne ne lui brode d’affreuses pantoufles ni ne lui offre des chaussettes pour Noël. Sa femme et sa fille en ont par-dessus la tête de lui. Il faut croire qu’il est ravi de se sentir important pour quelqu’un.

— Oui, mais pourquoi en faire une histoire ? m’écriai-je. Il n’a pas dû mesurer les conséquences de ses propos. Il prétend vérifier tous les comptes de l’église pour s’assurer qu’il n’y a pas de détournement de fonds. Il a bien dit détournement ! Me soupçonnerait-il de détourner les fonds de notre église ?

— Nul ne songe à vous soupçonner de quoi que ce soit, chéri, dit Griselda. Vous êtes tellement au-dessus de tout soupçon que vous auriez bien tort de ne pas en profiter. Si seulement vous pouviez partir avec la caisse des missions ! J’exècre les missionnaires. Je les ai toujours exécrés.

Je n’aurais pas manqué de réprimander Griselda pour cette déclaration si Mary n’était entrée à cet instant, avec un gâteau de riz à moitié cuit. J’émis une faible protestation mais mon épouse entreprit de m’expliquer que les Japonais mangeaient toujours le riz ainsi, et qu’il fallait y voir la cause de leur intelligence exceptionnelle.

— Je dirais même, ajouta-t-elle, que si vous mangiez du gâteau de riz comme celui-ci tous les jours jusqu’à dimanche, vous feriez le meilleur sermon de votre carrière.

— Dieu m’en garde, hoquetai-je avec un frisson de dégoût. Protheroe vient demain soir pour vérifier les comptes avec moi, et je dois finir aujourd’hui de préparer ma conférence pour le cercle paroissial. Comme je cherchais une référence, je me suis plongé dans Réalité, le livre du chanoine Shirley, et je n’ai guère avancé. Et vous, Griselda, que faites-vous cet après-midi ?

— Mon devoir, dit-elle. Mon devoir de femme de pasteur. Thé et potins à 4 heures et demie.

— Qui attendez-vous ?

Griselda recensa ses invitées sur ses doigts avec une mine angélique.

— Mrs Price Ridley, miss Wetherby, miss Hartnell et la terrible miss Marple.

— J’aime bien miss Marple, dis-je. Au moins elle a le sens de l’humour.

— C’est la plus mauvaise langue du village… Toujours au courant de tout ce qui se passe, et prompte à en tirer à chaque fois les pires conclusions.

Comme je l’ai dit, Griselda est beaucoup plus jeune que moi. Et à mon âge, on sait que ce sont toujours les pires éventualités qui se réalisent.

— Ne m’attendez pas pour le thé, Griselda, dit Dennis.

— Chameau ! dit Griselda.

— Peut-être, mais je dois aller faire un tennis chez les Protheroe aujourd’hui.

— Chameau ! répéta ma femme.

Prudent, Dennis battit en retraite tandis que Griselda et moi passions dans mon cabinet de travail.

— Je me demande sur le dos de qui nous casserons du sucre cet après-midi, dit Griselda en s’asseyant sans façon sur mon bureau. Sur le Dr Stone et miss Cram, sans doute, à moins que ce ne soit sur Mrs Lestrange. À propos, je suis passée chez elle hier mais elle était sortie. Oui, je crois que Mrs Lestrange fera les frais de ce thé. Tout est si mystérieux, non ?… Son arrivée et son installation ici, sa quasi-réclusion… C’est un vrai roman policier. Vous savez… « Qui était cette femme énigmatique au beau visage pâle ? Quelle était son histoire ? Nul ne la connaissait. Une aura vaguement menaçante planait autour d’elle. » Je crois que le Dr Haydock sait quelque chose à son sujet.

— Vous lisez trop de romans policiers, Griselda, fis-je remarquer avec douceur.

— Et vous donc ? rétorqua-t-elle. J’ai cherché partout La Tache sur l’escalier le jour où vous vous étiez enfermé dans votre bureau pour rédiger votre sermon. Et quand, enfin, je suis entrée pour vous demander si vous l’aviez vu, qu’ai-je aperçu… ?

J’eus le bon goût de rougir.

— Je l’avais ramassé sans y songer. Une phrase avait attiré mon attention et…

— Je connais ce genre de phrase, dit Griselda qui cita sur un ton émouvant : « C’est alors que survint un incident surprenant ; Griselda se leva, traversa la pièce et embrassa tendrement son vieux mari. »

Et elle joignit le geste à la parole.

— Est-ce donc si surprenant ? demandai-je.

— Si c’est surprenant ! Vous rendez-vous compte, Len, que j’aurais pu épouser un ministre, un baron, un riche promoteur, trois lieutenants, un séduisant vaurien, et qu’au lieu de cela, je vous ai choisi, vous ? Ne trouvez-vous pas cela étonnant ?

— J’avoue que cela m’a étonné sur le coup. Et je me suis demandé plus d’une fois pourquoi vous m’aviez épousé.

Griselda soupira et murmura :

— J’ai éprouvé un tel sentiment de puissance… Tous les autres me jugeaient merveilleuse et désiraient m’avoir pour épouse. Mais vous, vous n’avez pas pu résister à mes charmes, alors que j’incarne tout ce que vous désapprouvez, tout ce que vous abominez ! Je vous ai cédé par vanité ! Il est ô combien plus délicieux d’être le péché mignon d’un homme qu’une plume à son chapeau. Je vous mets à la torture, je vous entraîne toujours sur la mauvaise pente, et pourtant vous m’adorez. Car vous m’adorez, n’est-ce pas ?

— Bien entendu, je vous aime beaucoup, ma chérie.

— Oh ! Len, vous êtes fou de moi. Vous rappelez-vous le jour où j’étais restée en ville et où je vous avais envoyé un télégramme que vous n’avez jamais reçu, parce que la sœur de la postière avait eu des jumeaux, et qu’elle avait oublié de le transmettre ? Vous étiez dans tous vos états… Vous avez appelé Scotland Yard, remué ciel et terre…

Il est des choses qu’on n’aime guère se voir remettre en mémoire. Cette fois-là, je m’étais conduit comme un imbécile.

— Si cela ne vous ennuie pas, ma chérie, je voudrais finir de préparer ma conférence pour le cercle paroissial.

Griselda eut un soupir excédé, m’ébouriffa les cheveux et les raplatit sur mon crâne :

— Vous ne me méritez pas. Voilà la vérité. Je vais avoir une aventure avec l’artiste. Je vous aurai prévenu, et alors quel scandale dans la paroisse !

— Je crois qu’il y en a déjà bien assez comme cela, murmurai-je d’un ton radouci.

Griselda se mit à rire et m’envoya un baiser. Puis elle sortit par la porte-fenêtre.

2

Griselda s’y entend pour vous mettre les nerfs en pelote. En me levant de table, j’étais dans les meilleures dispositions pour préparer à l’intention du cercle paroissial une allocution énergique ; mais à présent j’étais chiffonné et vaguement mal à l’aise.

À l’instant précis où je me mettais au travail, Lettice Protheroe fit une apparition. C’est à dessein que j’utilise le mot apparition ; j’ai lu quantité de romans où la jeunesse déborde d’énergie, de joie de vivre et de vitalité, or si j’en crois mon expérience, tous les jeunes me font l’effet d’aimables apparitions.

Lettice était particulièrement spectrale cet après-midi-là. C’est une grande et jolie fille, blonde et toujours dans la lune. Elle apparut donc à la porte-fenêtre, enleva d’un geste machinal son béret jaune et murmura d’un ton distrait et étonné :

— Tiens ! C’est vous ?

Le sentier de Old Hall coupe à travers bois et débouche juste à la barrière de notre jardin, si bien que la plupart des gens, au lieu d’accéder à la porte d’entrée par la route qui fait un grand tour autour de la maison, préfèrent pousser la grille et se présenter à la porte-fenêtre de mon bureau. Nullement étonné de voir Lettice emprunter ce chemin, je fus néanmoins un peu agacé par ses manières. Si vous vous rendez au presbytère, n’est-il pas normal d’y trouver un pasteur ?

Elle entra donc et se laissa choir dans un de mes grands fauteuils en faisant bouffer ses cheveux, les yeux au plafond.

— Dennis est là ?

— Je ne l’ai pas vu depuis le déjeuner. J’avais cru comprendre qu’il allait jouer au tennis chez vous.

— J’espère qu’il n’en a rien fait. Il n’aura trouvé personne.

— Et pourtant, selon lui, vous l’aviez invité…

— C’est possible, en effet. Mais c’était vendredi. Et aujourd’hui, nous sommes mardi.

— Nous sommes mercredi.

— C’est affreux. C’est donc la troisième fois que j’oublie une invitation à déjeuner (par bonheur, la chose ne semblait guère l’affecter). Griselda est là ?

— Vous devriez la trouver au jardin, dans l’atelier… en train de poser pour Lawrence Redding.

— Mon père a fait toute une histoire au sujet du peintre. Père est terrible.

— Quelle hist… De quoi s’agissait-il ?

— Tout cela parce qu’il fait mon portrait. Père a découvert le pot aux roses. Pourquoi ne pourrais-je pas poser en maillot de bain ? Si je vais à la plage en maillot de bain, pourquoi ne ferait-on pas mon portrait dans cette tenue ? (Après un temps, elle reprit 🙂 C’est vraiment ridicule… Père interdisant sa porte à un jeune homme. Bien sûr, Lawrence et moi n’avons fait qu’en rire. Je pourrais venir ici et nous continuerions dans votre atelier.

— Non, ma chère enfant. Pas si votre père l’a interdit.

— Mon Dieu ! soupira Lettice. Comme les gens sont fatigants ! Je n’en peux plus, je suis à bout. Épuisée. Si au moins j’avais de l’argent, je partirais, mais sans argent, c’est impossible. Si au moins père avait la bonne idée de mourir, tout serait réglé.

— Vous ne devez pas parler ainsi, Lettice.

— Eh bien, s’il ne veut pas que je souhaite sa mort, il ferait bien d’être moins odieux pour les questions d’argent. Rien d’étonnant à ce que ma mère l’ait quitté. Figurez-vous que pendant des années je l’ai crue morte ! Savez-vous comment était le jeune homme avec lequel elle est partie ? Était-il sympathique ?

— C’était avant que votre père ne vienne s’installer ici.

— Je me demande ce qu’elle est devenue. Anne ne tardera pas à avoir une aventure. Elle me déteste… Elle reste polie avec moi, mais elle me déteste. Elle vieillit et, cela, elle ne le supporte pas. Elle a atteint l’âge critique.

Je me demandais si Lettice avait l’intention de passer tout l’après-midi dans mon bureau.

— Vous n’auriez pas vu mes disques, par hasard ? me demanda-t-elle encore.

— Non.

— C’est assommant. J’ai pourtant bien dû les laisser quelque part. J’ai aussi perdu le chien. Et ma montre est Dieu sait où. D’ailleurs, tant pis car elle ne marchait plus. Mon Dieu, je tombe de sommeil. Je me demande bien pourquoi, car je suis restée au lit jusqu’à 11 heures. Mais la vie est épuisante, vous ne trouvez pas ? Oh ! zut, il faut que je me sauve. Je dois aller voir les fouilles du Pr Stone à 3 heures.

Je jetai un coup d’œil à ma pendulette et lui fis remarquer qu’il était 4 heures moins 25.

— Vraiment ? C’est épouvantable ! Pourvu qu’ils ne m’aient pas attendue. Et s’ils étaient partis sans moi ! Je ferais mieux de me dépêcher. (Elle se leva et disparut en jetant par-dessus son épaule 🙂 N’oubliez pas d’en parler à Dennis, n’est-ce pas ?

J’acquiesçai machinalement pour m’apercevoir trop tard que je n’avais pas la moindre idée de ce que je devais dire à Dennis. Puis, m’avisant que cela ne devait guère avoir d’importance, je me mis à penser au Pr Stone, archéologue très connu, installé depuis peu au Sanglier Bleu, pour diriger des fouilles sur la propriété du colonel Protheroe. Plusieurs disputes avaient déjà éclaté entre les deux hommes et je m’étonnais qu’il ait donné rendez-vous à Lettice pour visiter son chantier.

Il me vint à l’esprit que Lettice Protheroe était une chipie. Comment allait-elle s’entendre avec miss Cram, la secrétaire de l’archéologue ? J’étais curieux de le savoir. Miss Cram est une jeune femme de vingt-cinq ans, exubérante et énergique, au teint fleuri, et dont la dentition m’a toujours paru surabondante.

Le village était divisé en deux camps à son sujet : les uns pensaient qu’elle était ce qu’on supposait qu’elle était, les autres la tenaient pour une jeune fille défendant farouchement sa vertu, avec l’idée bien arrêtée de se faire épouser par son patron. Elle est en tout cas l’exact opposé de Lettice. J’imaginais sans peine que tout ne devait pas être facile à Old Hall. Le colonel Protheroe s’était remarié quelque cinq ans auparavant, et la seconde Mrs Protheroe était une très jolie femme, d’une beauté pour le moins originale. Je m’étais toujours douté que les relations entre sa belle-fille et elle manquaient de cordialité.

Je fus à nouveau interrompu, par mon vicaire, cette fois. Hawes voulait connaître les détails de mon entretien avec Protheroe. Je lui rapportai que le colonel avait déploré ses penchants pour le rituel traditionnel mais j’ajoutai que ce n’était pas là l’essentiel des préoccupations de notre voisin. J’en profitai aussi pour lui dire qu’il devait en toutes choses se conformer à mes ordres. Dans l’ensemble, il accepta de bonne grâce mes remarques.

Après son départ, je m’en voulus presque de ne pas l’apprécier davantage. Ces sympathies et antipathies que nous éprouvons vis-à-vis des autres sont peu conformes aux enseignements des Évangiles, cela ne fait aucun doute.

Constatant avec un soupir que les aiguilles de la pendulette sur mon bureau marquaient 5 heures moins le quart, ce qui voulait dire qu’il n’était que 4 heures et demie, je me rendis au salon. Quatre de mes paroissiennes s’y trouvaient réunies autour d’une tasse de thé. Griselda présidait, s’efforçant de prendre l’air naturel ; elle paraissait plus déplacée encore que de coutume.

Je serrai les mains à la ronde et m’assis entre miss Marple et miss Wetherby.

Miss Marple est une vieille demoiselle aux cheveux blancs et aux manières affables et distinguées, tandis que miss Wetherby est d’un tempérament à la fois aigre et fleur bleue. Miss Marple est de loin la plus dangereuse des deux.

— Nous étions en train de parler du Pr Stone et de miss Cram, dit Griselda d’une voix sucrée.

Un refrain leste concocté par Dennis me traversa l’esprit. Miss Cram n’en fait pas un drame… J’eus une brusque envie de le clamer tout haut pour juger de l’effet produit, mais par bonheur, je m’en abstins.

— Aucune jeune fille digne de ce nom ne se le permettrait, déclara miss Wetherby, laconique, en pinçant ses lèvres minces dans une moue désapprobatrice.

— Ne se permettrait quoi ? demandai-je.

— D’être la secrétaire d’un célibataire, déclara miss Wetherby, horrifiée.

— Oh ! ma chère, dit miss Marple, à mon avis, les hommes mariés sont les pires. Rappelez-vous cette pauvre Molly Carter.

— Il faut reconnaître que les hommes mariés vivant séparés de leur femme sont de tristes sires, approuva miss Wetherby.

— Et que dire de certains d’entre eux qui vivent avec leur femme ? murmura miss Marple. Je me rappelle…

— Pourtant, de nos jours, les jeunes filles peuvent travailler tout comme les hommes, dis-je pour couper court à ces réminiscences déplacées.

— Pour courir les routes ? Et loger au même hôtel ? demanda Mrs Price Ridley d’une voix sévère.

— Et dans des chambres situées au même étage, confia miss Wetherby à miss Marple, en aparté.

Elles échangèrent un coup d’œil entendu.

Miss Hartnell, une aimable femme au teint hâlé, véritable terreur des pauvres et des nécessiteux de notre paroisse, fit observer d’une voix à la fois forte et émue :

— Le pauvre homme va se laisser piéger avant même d’avoir compris ce qui lui arrivait. Il est aussi innocent que l’enfant à naître, c’est évident.

Nous employons parfois de bien curieuses tournures. Aucune de ces dames ne se serait avisée de risquer la moindre allusion à un nourrisson avant de le voir de ses yeux dans son berceau.

— C’est contre nature, continua miss Hartnell avec son tact habituel. Il a, au bas mot, dans les vingt-cinq ans de plus qu’elle.

Trois voix de femmes s’élevèrent pour l’empêcher de poursuivre ; on entendit parler tout à coup de l’excursion des enfants de chœur, du regrettable incident survenu lors de la dernière réunion de l’association des mères de famille et des courants d’air sévissant dans notre église. Miss Marple jeta à Griselda un regard pétillant.

— Ne croyez-vous pas, demanda ma femme, que miss Cram aime peut-être tout bonnement faire un travail intéressant, et qu’elle considère le Pr Stone comme un simple employeur ?

Un silence tomba. De toute évidence, pas une de ces dames n’était de cet avis. Miss Marple reprit la parole.

— Vous êtes très jeune, ma chère, dit-elle en tapotant le bras de Griselda. Et les jeunes sont bien innocents.

Griselda rejeta cette idée avec indignation.

— Bien sûr, ajouta miss Marple sans tenir compte de cette interruption, vous ne voyez que le bon côté des gens.

— Croyez-vous vraiment qu’elle veuille épouser ce bonhomme triste et chauve ?

— J’ai cru comprendre qu’il avait quelque fortune, observa miss Marple. Mais il est, semble-t-il, d’un tempérament plutôt violent. L’autre jour, il a eu une dispute assez sérieuse avec le colonel Protheroe. (Toutes se penchèrent avec intérêt.) Le colonel Protheroe l’a traité d’âne bâté.

— C’est tout le colonel Protheroe ! Voilà qui est stupide ! s’écria Mrs Price Ridley.

— C’est tout le colonel Protheroe, mais ce n’est pas si stupide, répliqua miss Marple. Vous souvenez-vous de cette femme qui avait fait le tour du village en prétendant représenter le service social ? Elle avait recueilli des cotisations et on n’avait plus jamais entendu parler d’elle ; on a découvert ensuite qu’elle n’avait rien à voir avec le service social. Nous avons trop tendance à faire confiance aux gens et à prendre pour argent comptant tout ce qu’ils nous disent.

Pour ma part, je ne me serais jamais risqué à dépeindre miss Marple comme quelqu’un de confiant et de crédule.

— Il y a eu une scène à propos de ce jeune artiste, Mr Redding, n’est-ce pas ? demanda miss Wetherby.

Miss Marple acquiesça.

— Le colonel Protheroe l’a chassé de chez lui. Il paraît qu’il faisait le portrait de Lettice en costume de bain.

Émoi bien compréhensible chez ces dames !

— Je me suis toujours doutée qu’il y avait quelque chose entre eux, dit Mrs Price Ridley. Ce jeune homme passe sa vie à traîner dans les parages. Quel malheur que cette petite n’ait plus sa mère ! Une belle-mère, ce n’est pas la même chose.

— Je dois reconnaître que Mrs Protheroe fait de son mieux, dit miss Hartnell.

— Les filles sont si cachottières, déplora Mrs Price Ridley.

— Quelle belle histoire d’amour, soupira la sentimentale miss Wetherby. Il est si beau garçon !

— Mais bien peu recommandable, trancha miss Hartnell. Un artiste ! Paris ! Les modèles ! Le nu !

— Faire son portrait en costume de bain, dit Mrs Price Ridley, ce n’est guère convenable…

— Il fait aussi le mien, avoua Griselda.

— Mais pas en costume de bain, ma chère, corrigea miss Marple.

— C’est peut-être pire, déclara Griselda avec sérieux.

— Farceuse, dit miss Hartnell, pour ne pas être en reste.

Les autres me parurent un peu choquées.

— Lettice vous a-t-elle parlé de ce problème ? me demanda miss Marple.

— À moi ?

— Oui, je l’ai vue traverser le jardin en direction de votre bureau.

Miss Marple voit toujours tout. Sous prétexte de jardiner et d’observer les oiseaux à la jumelle, elle surveille son monde.

— Elle y a fait allusion, oui, admis-je du bout des lèvres.

— Mr Hawes avait l’air préoccupé, continua miss Marple. J’espère qu’il n’a pas travaillé trop dur.

— Oh ! s’exclama Mrs Wetherby, j’allais oublier. Je savais bien que j’avais quelque chose à vous dire. J’ai vu le Dr Haydock sortir de chez Mrs Lestrange.

Toutes ces dames s’entre-regardèrent.

— Serait-elle souffrante ? suggéra Mrs Price Ridley.

— Dans ce cas, cela se sera déclaré très brusquement, fit miss Hartnell, car je l’ai vue se promener dans son jardin, à 3 heures de l’après-midi, et elle semblait en parfaite santé.

— Le Dr Haydock et elle sont peut-être de vieilles connaissances, dit Mrs Price Ridley. Il est très discret à ce sujet.

— N’est-ce pas curieux qu’il n’en ait jamais parlé ? demanda miss Wetherby.

— À propos…, chuchota Griselda d’un air mystérieux avant de s’interrompre. (Ces dames prêtèrent l’oreille.) Il se trouve que je sais, reprit mon épouse d’une voix vibrante, que son mari était missionnaire. C’est une histoire terrible. Il a été dévoré par les cannibales. Oui, et figurez-vous qu’elle a été contrainte de devenir la femme du chef de la tribu. Le Dr Haydock faisait partie de l’expédition qui l’a secourue.

Il y eut un instant de vive émotion, puis miss Marple dit d’un ton de reproche mais avec un sourire : « Farceuse ! » en gratifiant ma femme d’une tape réprobatrice sur le bras.

— Ce ne sont pas des choses à faire, ma chère ; si vous inventez des histoires pareilles, les gens sont bien capables de les croire. Et cela pourrait entraîner des complications.

Il y eut un froid. Deux des invitées se levèrent pour partir.

— Je me demande s’il y a quelque chose entre le jeune Lawrence Redding et Lettice Protheroe, lança miss Wetherby. On dirait bien que tel est le cas. N’est-ce pas votre avis, miss Marple ?

— Certes non. Il ne s’agit pas de Lettice mais d’une tout autre personne, à mon avis, répondit miss Marple d’un air pensif.

— Mais le colonel Protheroe a dû penser…

— Le colonel Protheroe m’a toujours paru assez stupide, coupa miss Marple. Il est homme à se mettre une fausse idée en tête sans vouloir en démordre. Vous rappelez-vous Joe Bucknell, du Sanglier Bleu ? Quel scandale n’a-t-il pas fait au sujet de sa fille qui flirtait, prétendait-il, avec le jeune Bailey ! Alors qu’en fait, c’était sa friponne de femme qui flirtait avec ce sacripant.

Comme elle fixait Griselda tout en parlant, je sentis soudain une vague de colère m’envahir.

— Ne croyez-vous pas, miss Marple, dis-je, que nous avons tendance à avoir la langue trop bien pendue ? Il n’est guère charitable de voir le mal partout, et les langues de vipère peuvent causer bien du tort.

— Cher pasteur, dit miss Marple, vous vivez si retiré du monde… Mais laissez-moi vous dire qu’à force d’observer la nature humaine, je finis par me demander s’il y a grand-chose à en attendre. Je reconnais que les commérages sont parfois peu charitables et bien cruels, mais hélas ! ils révèlent bien souvent la vérité.

Et sur cette dernière flèche du Parthe, miss Marple prit congé.

3

— Quelle vieille chipie ! s’écria Griselda avant de tirer la langue à la porte qui venait de se refermer sur nos visiteuses. Dites-moi la vérité, Len : me soupçonnez-vous de flirter avec Lawrence Redding ? me demanda-t-elle ensuite en riant.

— Jamais de la vie, ma chérie.

— Mais pourtant vous avez bien cru que miss Marple faisait allusion à quelque chose de ce genre, et vous avez pris ma défense, en grand seigneur, comme… comme un véritable tigre en colère.

J’éprouvai un soudain malaise. Un tigre en colère… Voilà qui était fort déplacé pour un membre du clergé. Quoi qu’il en soit, j’étais convaincu que Griselda en rajoutait.

— Je ne pouvais pas laisser passer cela sans rien dire, Griselda, mais je vous saurais gré de surveiller vos paroles à l’avenir.

— Voulez-vous parler des cannibales ou de mes séances de pose pour Lawrence ? Si ces dames savaient qu’il me peint engoncée dans un manteau avec un grand col en fourrure – une sorte de cuirasse dans laquelle vous pourriez vous présenter devant le pape en personne, et qui ne laisse même pas voir un seul pouce de chair tentatrice ! En fait, tout est très pur entre nous, et Lawrence n’a jamais cherché à me faire la cour ; d’ailleurs je me demande bien pourquoi…

— Il n’ignore pas que vous êtes une femme mariée.

— Ne jouez pas les innocents, Len, et n’oubliez pas que la jeune et séduisante épouse d’un homme mûr est un don du ciel pour un jeune homme. Non, il doit avoir quelque raison cachée car je ne manque pas de charme, ce n’est pas vous qui direz le contraire !

— Êtes-vous bien sûre que vous n’apprécieriez pas un petit brin de cour ?

— Nnnon, dit Griselda après une brève hésitation que je ne fus pas loin de juger indécente.

— S’il est amoureux de Lettice Protheroe…

— Ce n’est pas là ce que semble penser miss Marple.

— Miss Marple peut se tromper.

— Miss Marple ne se trompe jamais. Les vieilles chipies de son espèce ont toujours raison. (Griselda resta un instant silencieuse et ajouta, en me jetant un regard en coin 🙂 Vous me croyez, Len, quand je vous dis qu’il n’y a rien entre Lawrence et moi ?

Un peu surpris, je le lui confirmai et elle vint m’embrasser.

— J’espère que vous n’êtes pas de ceux qui se laissent facilement abuser, Len. Vous devez me croire, quoi que je dise.

— J’entends bien, ma chérie, mais je vous supplie de surveiller vos propos. N’oubliez pas que ces dames manquent singulièrement d’humour et prennent tout au pied de la lettre.

— Un peu de vice dans leur existence ne leur ferait pas de mal. Ainsi, elles ne passeraient pas leur temps à fourrer leur nez dans les affaires des autres, conclut mon épouse en quittant la pièce.

Un coup d’œil à ma montre m’apprit qu’il était grand temps pour moi de rendre certaines visites qui attendaient depuis le matin.

On ne se bousculait pas à l’office du mercredi soir. Je venais de me débarrasser de mon habit dans la sacristie avant de traverser l’église vide, quand je vis une femme en arrêt devant les vitraux ; nous en possédons quelques-uns d’assez anciens et, d’ailleurs, notre église mérite le détour. La visiteuse se retourna au bruit de mes pas : c’était Mrs Lestrange.

Nous eûmes l’un et l’autre un instant d’hésitation.

— J’espère que vous aimez notre église, dis-je.

— Le jubé me plaît beaucoup. (Sa voix était agréable, grave mais néanmoins très distincte.) Je suis navrée d’avoir manqué votre épouse, hier, ajouta-t-elle.

La conversation roula encore un moment sur notre église. De toute évidence, j’avais affaire à une personne cultivée, férue d’architecture religieuse et d’histoire. Nous sortîmes ensemble de l’église et prîmes l’un des chemins qui mènent au presbytère en passant devant chez elle.

— Entrez, me dit-elle aimablement comme nous arrivions à sa porte. J’aimerais connaître votre avis sur mes aménagements.

J’acceptai l’invitation. Little Gates était naguère habité par un colonel anglo-indien et je fus grandement soulagé de constater que les plateaux en cuivre et les bouddhas avaient disparu. La maison était désormais meublée dans un goût classique et dépouillé, et respirait la sérénité et l’harmonie.

Néanmoins, j’eusse été curieux de savoir ce qui avait bien pu amener une femme du monde comme Mrs Lestrange à venir s’enterrer à St. Mary Mead.

Nous nous tenions dans son grand salon bien éclairé, et c’était la première fois que j’avais le loisir de l’examiner de près.

Elle était grande, avec des cheveux blonds tirant sur le roux. J’étais incapable de déterminer si ses cils et ses sourcils étaient noirs naturellement ou maquillés ; si c’était du fard, comme je le croyais, l’effet était des plus réussis. Au repos, ses traits étaient énigmatiques et ses yeux dorés les plus étranges que j’eusse jamais vus.

En dépit de son élégance et de ses manières qui étaient celles d’une femme distinguée, quelque chose en elle détonnait et déconcertait un peu. Comme si elle dissimulait quelque chose. Le mot de Griselda à son sujet me revint en mémoire : menaçante. C’était absurde ! Mais après tout, était-ce si absurde ? Une pensée me traversa l’esprit : cette femme ne devait reculer devant rien.

Notre conversation fut des plus banales et roula sur la peinture, la littérature et les vieilles églises, mais je ne pouvais me défaire de l’impression que Mrs Lestrange désirait m’entretenir d’un tout autre sujet.

Une ou deux fois, je surpris son regard posé sur moi, indécis. Je remarquai qu’elle se cantonnait strictement aux sujets qui ne la concernaient pas directement ; c’est ainsi qu’elle n’évoqua ni son mari ni sa famille, et pas davantage ses amis.

« Puis-je vous parler ? » me suppliaient ses yeux. « J’aimerais pouvoir. Pouvez-vous m’aider ? »

Cet appel muet finit par cesser ; peut-être n’avait-il été qu’un effet de mon imagination. Je crus comprendre qu’il était temps de prendre congé et me levai pour partir. En sortant de la pièce, je jetai un coup d’œil par-dessus mon épaule et vis Mrs Lestrange qui me fixait de ses yeux inquiets.

— S’il y a quoi que ce soit que je puisse faire…, commençai-je en revenant sur mes pas.

— C’est très aimable à vous…, dit-elle d’une voix hésitante. (Nous restâmes un instant silencieux puis elle ajouta 🙂 J’aimerais savoir… C’est très difficile. Non, je ne pense pas que l’on puisse m’aider, mais je vous remercie beaucoup de votre sollicitude.

Elle n’ajouta plus rien et je m’en fus, perplexe. Nous n’avons pas l’habitude de faire des mystères à St. Mary Mead.

La preuve ! Comme je passais la grille, quelqu’un fondit sur moi comme un oiseau de proie.

— Je vous ai vu ! s’écria miss Hartnell sans le moindre tact. Je brûle de savoir, mais vous allez tout me dire, hein ?

— À quel propos ?

— À propos de la mystérieuse Mrs Lestrange ! Est-ce qu’elle est veuve ? A-t-elle un mari quelque part ?

— Je n’en sais rien car elle ne me l’a pas dit.

— Comme c’est bizarre ! J’aurais pensé qu’elle évoquerait sa situation, par hasard ou dans le courant de la conversation. C’est à croire qu’elle a de bonnes raisons de se taire, non ?

— Ce n’est pas mon avis.

— Oh ! mon cher pasteur, miss Marple a raison : vous êtes si détaché des choses de ce monde ! Dites-moi, connaît-elle le Dr Haydock depuis longtemps ?

— Il n’a pas été question de Haydock, aussi je l’ignore.

— Vraiment ? Mais de quoi avez-vous donc parlé ?

— De peinture, de musique et de littérature, dis-je.

Ce qui était la stricte vérité.

Miss Hartnell, qui n’a pour seul sujet de conversation que la vie privée de ses congénères, arborait une expression entre méfiance et incrédulité. Profitant d’un instant de flottement dans la conversation, je lui souhaitai bonne nuit et m’éloignai en toute hâte. Après une dernière visite qui m’appelait en bas du village, je rentrai au presbytère par le chemin de derrière, non sans avoir longé, comme je le fais souvent, le champ de mines que constitue le jardin de miss Marple. En la circonstance, je ne voyais pas comment il eût été humainement possible que la nouvelle de ma visite à Mrs Lestrange fût déjà parvenue à ses oreilles, aussi me sentais-je à peu près tranquille.

Je refermais la grille derrière moi quand je songeai soudain que je pourrais aller voir comment progressait le portrait de Griselda, dans le hangar au fond du jardin que le jeune Lawrence utilisait en guise d’atelier.

Je dois relater ici un fait important pour la suite de cette affaire, mais je m’en tiendrai aux détails strictement nécessaires.

Je croyais l’atelier vide. Aucun bruit de voix ne m’avait laissé supposer le contraire et sans doute nul n’entendit mes pas dans l’herbe.

J’ouvris la porte et restai pétrifié sur le seuil. Deux personnes enlacées échangeaient un baiser passionné.

Lawrence Redding et Mrs Protheroe.

Je battis en retraite et filai me réfugier dans mon bureau. Là, je m’assis, sortis ma pipe et me mis à réfléchir à la scène.

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