Bérénice

Scène VI

 

Titus, Bérénice

Titus

Madame, il faut vous faire un aveu véritable:

Lorsque j’envisageai le moment redoutable

Où, pressé par les lois d’un austère devoir,

Il fallait pour jamais renoncer à vous voir;

Quand de ce triste adieu je prévis les approches,

Mes craintes, mes combats, vos larmes, vos reproches,

Je préparai mon âme à toutes les douleurs

Que peut faire sentir le plus grand des malheurs.

Mais, quoi que je craignisse, il faut que je le die,

Je n’en avais prévu que la moindre partie;

Je croyais ma vertu moins prête à succomber,

Et j’ai honte du trouble où je la vois tomber.

J’ai vu devant mes yeux Rome entière assemblée.

Le sénat m’a parlé, mais mon âme accablée

Ecoutait sans entendre, et ne leur a laissé

Pour prix de leurs transports qu’un silence glacé.

Rome de votre sort est encore incertaine;

Moi-même à tous moments je me souviens à peine

Si je suis empereur, ou si je suis Romain.

Je suis venu vers vous sans savoir mon dessein:

Mon amour m’entraînait, et je venais peut-être

Pour me chercher moi-même et pour me reconnaître.

Qu’ai-je trouvé? Je vois la mort peinte en vos yeux;

Je vois pour la chercher que vous quittez ces lieux.

C’en est trop. Ma douleur, à cette triste vue,

A son dernier excès est enfin parvenue.

Je ressens tous les maux que je puis ressentir,

Mais je vois le chemin par où j’en puis sortir.

Ne vous attendez point que las de tant d’alarmes,

Par un heureux hymen je tarisse vos larmes:

En quelque extrémité que vous m’ayez réduit,

Ma gloire inexorable à toute heure me suit;

Sans cesse elle présente à mon âme étonnée

L’empire incompatible avec votre hyménée,

Me dit qu’après l’éclat et les pas que j’ai faits,

Je dois vous épouser encor moins que jamais.

Oui, Madame; et je dois moins encore vous dire

Que je suis prêt pour vous d’abandonner l’empire,

De vous suivre, et d’aller, trop content de mes fers,

Soupirer avec vous au bout de l’univers.

Vous-même rougiriez de ma lâche conduite:

Vous verriez à regret marcher à votre suite

Un indigne empereur, sans empire, sans cour,

Vil spectacle aux humains des faiblesses d’amour.

Pour sortir des tourments dont mon âme est la proie,

Il est, vous le savez, une plus noble voie;

Je me suis vu, Madame, enseigner ce chemin,

Et par plus d’un héros et par plus d’un Romain:

Lorsque trop de malheurs ont lassé leur constance,

Ils ont tous expliqué cette persévérance

Dont le sort s’attachait à les persécuter,

Comme un ordre secret de n’y plus résister.

Si vos pleurs plus longtemps viennent frapper ma vue,

Si toujours à mourir je vous vois résolue,

S’il faut qu’à tout moment je tremble pour vos jours,

Si vous ne me jurez d’en respecter le cours,

Madame, à d’autres pleurs vous devez vous attendre.

En l’état où je suis je puis tout entreprendre,

Et je ne réponds pas que ma main à vos yeux

N’ensanglante à la fin nos funestes adieux.

Bérénice

Hélas!

Titus

Non, il n’est rien dont je ne sois capable.

Vous voilà de mes jours maintenant responsable.

Songez-y bien, Madame, et si je vous suis cher…

 

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