Bérénice

Scène III

Antiochus, Arsace

Antiochus

Arsace, entrerons-nous ?

Arsace

Seigneur, j’ai vu la reine ;

Mais, pour me faire voir, je n’ai percé qu’à peine

Les flots toujours nouveaux d’un peuple adorateur

Qu’attire sur ses pas sa prochaine grandeur.

Titus, après huit jours d’une retraite austère,

Cesse enfin de pleurer Vespasien son père.

Cet amant se redonne aux soins de son amour,

Et si j’en crois, Seigneur, l’entretien de la cour,

Peut-être avant la nuit l’heureuse Bérénice

Change le nom de reine au nom d’impératrice.

Antiochus

Hélas !

Arsace

Quoi ? ce discourspourrait-il vous troubler ?

Antiochus

Ainsi donc sans témoins je ne lui puis parler ?

Arsace

Vous la verrez, Seigneur: Bérénice est instruite

Que vous voulez ici la voir seule et sans suite.

La reine d’un regard a daigné m’avertir

Qu’à votre empressement elle allait consentir,

Et sans doute elle attend le moment favorable

Pour disparaître aux yeux d’une cour qui l’accable.

Antiochus

Il suffit. Cependant n’as-tu rien négligé

Des ordres importants dont je t’avais chargé ?

Arsace

Seigneur, vous connaissez ma prompte obéissance.

Des vaisseaux dans Ostie armés en diligence,

Prêts à quitter le port de moments en moments,

N’attendent pour partir que vos commandements.

Mais qui renvoyez-vous dans votre Comagène ?

Antiochus

Arsace, il faut partir quand j’aurai vu la reine.

Arsace

Qui doit partir ?

Antiochus

Moi.

Arsace

Vous ?

Antiochus

En sortant du palais,

Je sors de Rome, Arsace, et j’en sors pour jamais.

Arsace

Je suis surpris sans doute, et c’est avec justice.

Quoi ? depuis si longtemps la reine Bérénice

Vous arrache, Seigneur, du sein de vos Etats,

Depuis trois ans dans Rome elle arrête vos pas ;

Et lorsque cette reine, assurant sa conquête,

Vous attend pour témoin de cette illustre fête,

Quand l’amoureux Titus, devenant son époux,

Lui prépare un éclat qui rejaillit sur vous…

Antiochus

Arsace, laisse-la jouir de sa fortune,

Et quitte un entretien dont le cours m’importune.

Arsace

Je vous entends, Seigneur: ces mêmes dignités

Ont rendu Bérénice ingrate à vos bontés.

L’inimitié succède à l’amitié trahie.

Antiochus

Non, Arsace, jamais je ne l’ai moins haïe.

Arsace

Quoi donc ? de sa grandeur déjà trop prévenu,

Le nouvel empereur vous a-t-il méconnu ?

Quelque pressentiment de son indifférence

Vous fait-il loin de Rome éviter sa présence ?

Antiochus

Titus n’a point pour moi paru se démentir :

J’aurais tort de me plaindre.

Arsace

Et pourquoi donc partir ?

Quel caprice vous rend ennemi de vous-même ?

Le ciel met sur le trône un prince qui vous aime,

Un prince qui jadis témoin de vos combats,

Vous vit chercher la gloire et la mort sur ses pas,

Et de qui la valeur, par vos soins secondée,

Mit enfin sous le joug la rebelle Judée.

Il se souvient du jour illustre et douloureux

Qui décida du sort d’un long siège douteux.

Sur leur triple rempart les ennemis tranquilles

Contemplaient sans péril nos assauts inutiles ;

Le bélier impuissant les menaçait en vain.

Vous seul, Seigneur, vous seul, une échelle à la main,

Vous portâtes la mort jusque sur leurs murailles.

Ce jour presque éclaira vos propres funérailles :

Titus vous embrassa mourant entre mes bras,

Et tout le camp vainqueur pleura votre trépas.

Voici le temps, Seigneur, où vous devez attendre

Le fruit de tant de sang qu’ils vous ont vu répandre.

Si pressé du désir de revoir vos Etats,

Vous vous lassez de vivre où vous ne régnez pas,

Faut-il que sans honneur l’Euphrate vous revoie ?

Attendez pour partir que César vous renvoie

Triomphant et chargé des titres souverains

Qu’ajoute encore aux rois l’amitié des Romains.

Rien ne peut-il, Seigneur, changer votre entreprise ?

Vous ne répondez point ?

Antiochus

Que veux-tu que jedise ?

J’attends de Bérénice un momentd’entretien.

Arsace

Eh bien, Seigneur ?

Antiochus

Son sort décidera dumien.

Arsace

Comment ?

Antiochus

Sur son hymen j’attends qu’elle s’explique.

Si sa bouche s’accorde avec la voix publique,

S’il est vrai qu’on l’élève au trône des Césars,

Si Titus a parlé, s’il l’épouse, je pars.

Arsace

Mais qui rend à vos yeux cet hymen si funeste ?

Antiochus

Quand nous serons partis, je te dirai le reste.

Arsace

Dans quel trouble, Seigneur, jetez-vous mon esprit ?

Antiochus

La reine vient. Adieu. Fais tout ce que j’ai dit.

 

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