Bérénice

Scène IV

 

Bérénice, Titus, Paulin, Phénice

Bérénice

Ne vous offensez pas si mon zèle indiscret

De votre solitude interrompt le secret.

Tandis qu’autour de moi votre cour assemblée

Retentit des bienfaits dont vous m’avez comblée,

Est-il juste, Seigneur, que seule en ce moment

Je demeure sans voix et sans ressentiment?

Mais, Seigneur (car je sais que cet ami sincère

Du secret de nos cœurs connaît tout le mystère),

Votre deuil est fini, rien n’arrête vos pas,

Vous êtes seul enfin, et ne me cherchez pas!

J’entends que vous m’offrez un nouveau diadème,

Et ne puis cependant vous entendre vous-même.

Hélas! plus de repos, Seigneur, et moins d’éclat.

Votre amour ne peut-il paraître qu’au sénat?

Ah! Titus! (car enfin l’amour fuit la contrainte

De tous ces noms que suit le respect et la crainte)

De quel soin votre amour va-t-il s’importuner?

N’a-t-il que des Etats qu’il me puisse donner?

Depuis quand croyez-vous que ma grandeur me touche?

Un soupir, un regard, un mot de votre bouche,

Voilà l’ambition d’un cœur comme le mien.

Voyez-moi plus souvent, et ne me donnez rien.

Tous vos moments sont-ils dévoués à l’empire?

Ce cœur, après huit jours, n’a-t-il rien à me dire?

Qu’un mot va rassurer mes timides esprits!

Mais parliez-vous de moi quand je vous ai surpris?

Dans vos secrets discours étais-je intéressée,

Seigneur? Etais-je au moins présente à la pensée?

Titus

N’en doutez point, Madame, et j’atteste les dieux

Que toujours Bérénice est présente à mes yeux.

L’absence ni le temps, je vous le jure encore,

Ne vous peuvent ravir ce cœur qui vous adore.

Bérénice

Hé quoi? vous me jurez une éternelle ardeur,

Et vous me la jurez avec cette froideur?

Pourquoi même du ciel attester la puissance?

Faut-il par des serments vaincre ma défiance?

Mon cœur ne prétend point, Seigneur, vous démentir,

Et je vous en croirai sur un simple soupir.

Titus

Madame…

Bérénice

Eh bien, Seigneur? Mais quoi? sans me répondre,

Vous détournez les yeux et semblez vous confondre!

Ne m’offrirez-vous plus qu’un visage interdit?

Toujours la mort d’un père occupe votre esprit?

Rien ne peut-il charmer l’ennui qui vous dévore?

Titus

Plût au ciel que mon père, hélas! vécût encore!

Que je vivais heureux!

Bérénice

Seigneur, tous ces regrets

De votre piété sont de justes effets.

Mais vos pleurs ont assez honoré sa mémoire,

Vous devez d’autres soins à Rome, à votre gloire.

De mon propre intérêt, je n’ose vous parler.

Bérénice autrefois pouvait vous consoler;

Avec plus de plaisir vous m’avez écoutée.

De combien de malheurs pour vous persécutée,

Vous ai-je pour un mot sacrifié mes pleurs!

Vous regrettez un père; hélas! faibles douleurs!

Et moi (ce souvenir me fait frémir encore),

On voulait m’arracher de tout ce que j’adore;

Moi, dont vous connaissez le trouble et le tourment

Quand vous ne me quittez que pour quelque moment;

Moi, qui mourrais le jour qu’on voudrait m’interdire

De vous…

Titus

Madame, hélas! que me venez-vous dire?

Quel temps choisissez-vous? Ah! de grâce arrêtez.

C’est trop pour un ingrat prodiguer vos bontés.

Bérénice

Pour un ingrat, Seigneur! Et le pouvez-vous être?

Ainsi donc mes bontés vous fatiguent peut-être?

Titus

Non, Madame. Jamais, puisqu’il faut vous parler,

Mon cœur de plus de feux ne se sentit brûler.

Mais…

Bérénice

Achevez.

Titus

Hélas!

Bérénice

Parlez.

Titus

Rome… l’empire…

Bérénice

Eh bien?

Titus

Sortons, Paulin; je ne lui puis rien dire.

 

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