— Bromhydrate de scopolamine ? demanda Poirot.
— Je vous demande pardon ?
— Était-ce de bromhydrate de scopolamine dont parlait le Dr Carelli ?
— Mais oui, c’est ça, vous avez tapé dans le mille ! applaudit miss Amory, ravie. Alors Lucia le lui a pris des mains et a répété une phrase qu’il avait citée à propos d’un sommeil sans rêves mais dont on ne se réveillerait pas. Je déteste cette poésie moderne névrosée. Je le dis toujours : depuis que ce bon lord Tennyson est mort, plus personne n’a écrit de poésie qui vaille…
— Diable ! marmonna Poirot.
— Je vous demande pardon ? sursauta miss Amory.
— Rien, je disais seulement « admirable » en songeant à ce bon lord Tennyson. Mais poursuivez, je vous prie. Que s’est-il passé ensuite ?
— Ensuite ? Mais ensuite de quoi donc ?
— Vous nous parliez de la soirée d’hier. Ici même, dans cette pièce…
— Ah ! oui… Eh bien Barbara a voulu mettre une chanson extrêmement vulgaire. Sur le phonographe, veux-je dire. Dieu soit loué, j’ai pu l’en dissuader.
— Je vois, dit Poirot. Et ce petit tube que le docteur tenait en l’air… il était plein ?
— Oh, oui ! répondit miss Amory sans hésitation. Parce que quand il a fait cette citation sur le sommeil sans rêves, il a dit que la moitié des comprimés qu’il contenait suffirait à le provoquer.
Elle se leva de sa chaise et s’éloigna de la table.
— Vous savez, monsieur Poirot, continua-t-elle tandis qu’il se levait à son tour pour la rejoindre, je répète depuis le début que je n’aime pas cet homme, ce Dr Carelli. Il y a quelque chose en lui… une sorte de fausseté… sans compter ce que le personnage peut avoir de mielleux ! Bien sûr, je me suis gardé d’exprimer le fond de ma pensée en présence de Lucia puisqu’il passe pour être de ses amis, mais je ne l’aime pas. Lucia, voyez-vous, accorde si facilement sa confiance ! Je suis persuadée que cet individu a trouvé le moyen de s’insinuer dans ses bonnes grâces avec pour seul objectif de se faire inviter à la maison afin d’y voler la formule.
Poirot considéra miss Amory d’un air interrogateur :
— Vous ne doutez donc pas que ce soit le Dr Carelli qui ait dérobé la formule de sir Claud ?
Miss Amory rendit au détective son regard, dans lequel ne se lisait rien d’autre que la stupeur :
— Cher monsieur Poirot ! Qui d’autre aurait pu le faire ? Il était le seul étranger présent. Naturellement, mon frère n’aurait jamais pu se laisser aller à accuser un hôte, aussi a-t-il voulu lui offrir une chance de restituer le document. J’ai trouvé qu’il avait en cela fait preuve de beaucoup de délicatesse. De beaucoup de délicatesse, en vérité !
— Tout à fait, acquiesça avec tact Poirot en passant un bras amical autour des épaules de Caroline Amory, au vif autant qu’évident déplaisir de la dame. Maintenant, mademoiselle, je vais me livrer à une petite expérience pour laquelle je vais requérir votre coopération.
Il ôta son bras :
— Où étiez-vous assise, hier au soir, quand les lumières se sont éteintes ?
— Là, déclara miss Amory en montrant le canapé.
— Auriez-vous alors la bonté d’y retourner ?
Elle s’exécuta.
— À présent, mademoiselle, annonça Poirot, je vais vous demander un gros effort d’imagination ! Fermez les yeux, s’il vous plaît.
Miss Amory obtempéra.
— Très bien, continua Poirot. Maintenant, imaginez que vous êtes revenue à hier au soir. Il fait noir. Vous ne voyez rien. Mais vous pouvez entendre. Projetez-vous en arrière.
Prenant ses paroles au sens littéral, elle se plaqua contre le dossier du canapé :
— Non ! non ! projetez-vous mentalement, ai-je voulu dire. Qu’entendez-vous ? C’est cela, projetez votre esprit en arrière… Et maintenant, dites-moi ce que vous entendez dans le noir.
Impressionnée par la gravité que montrait le détective, miss Amory s’était efforcée de faire comme il lui était demandé. Elle resta un moment silencieuse puis commença à parler, lentement et par à-coups :
— Des halètements. Ou des soupirs, si vous préférez. Plein de petits halètements… et puis le bruit d’une chaise qui tombe… et une sorte de tintement métallique…
— Comme ceci ? fit Poirot qui sortit une clé de sa poche et la jeta à terre.
La clé ne fit pas de bruit et miss Amory, après avoir attendu quelques secondes, déclara qu’elle n’avait rien entendu.
— Peut-être bien comme cela, alors ? réessaya Poirot en ramassant la clé par terre et en la cognant violemment contre la table basse.
— Voilà, c’est exactement ce son-là que j’ai entendu hier ! s’exclama miss Amory. Comme c’est curieux !
— Poursuivez, je vous en prie, l’encouragea Poirot.
— Eh bien, j’ai ensuite entendu Lucia crier et appeler Claud. Et puis c’est là qu’on a commencé à frapper à la porte.
— C’est tout ? Vous êtes sûre ?
— Oui, je crois bien… Oh ! attendez une minute ! Tout au début, il y a eu un bruit étrange, comme de la soie qui se déchire. La robe de quelqu’un, je suppose.
— La robe de qui, à votre avis ?
— Ce ne peut être que celle de Lucia. Pas celle de Barbara, puisqu’elle était assise ici, juste à côté de moi.
— Bizarre, fit Poirot d’un air songeur.
— Et là, c’est vraiment tout, conclut miss Amory. Puis-je rouvrir les yeux, maintenant ?
— Oh ! bien entendu, mademoiselle.
Ce qu’elle fit, cependant que Poirot s’enquérait :
— Qui a servi son café à sir Claud ? Vous ?
— Non, répondit miss Amory. C’est Lucia.
— À quel moment précis ?
— Ce devait être juste après que nous avions parlé de ces affreux produits pharmaceutiques.
— Est-ce Mrs Amory elle-même qui a porté son café à sir Claud ?
Caroline Amory s’abîma quelques instants dans ses réflexions.
— Non… se décida-t-elle enfin à dire.
— Non ? répéta Poirot. Alors qui ?
— Je ne sais plus… je ne suis pas sûre… voyons un peu… Oh ! oui, cela me revient ! La tasse de Claud était sur la table à côté de celle de Lucia. Je m’en souviens parce que Mr Raynor l’emportait pour la donner à Claud dans son cabinet de travail quand Lucia l’a rappelé pour lui dire qu’il s’était trompé. Cela ne rimait d’ailleurs à rien puisqu’il n’y avait aucune différence entre les deux : du café noir et sans sucre.
— Donc, souligna Poirot, c’est Mr Raynor qui a porté son café à sir Claud ?
— Oui… ou plutôt non, c’est vrai : Richard le lui a repris des mains parce que Barbara voulait danser avec Mr Raynor.
— Oh ! Alors c’est Mr Amory qui a porté le café à son père ?
— Oui, cette fois c’est bien cela, confirma miss Amory.
— Tiens donc ! s’exclama Poirot. Dites-moi, que faisait Mr Amory juste avant ? Il dansait ?
— Oh ! non, répondit miss Amory. Il venait de soigneusement remettre tous les médicaments à leur place dans la boîte.
— Je vois, je vois… Sir Claud a donc bu son café dans son cabinet de travail ?
— J’imagine qu’il l’aura commencé là-bas, se remémora miss Amory. Mais il est revenu ici avec sa tasse à la main. Je me rappelle qu’il s’est plaint du goût, il le trouvait amer. Or, je puis vous assurer, monsieur Poirot, que c’était du bon café, et du meilleur. Un mélange spécial que j’avais commandé moi-même aux Army & Navy Stores de Londres. Vous savez bien, ce merveilleux grand magasin de Victoria Street. Tellement pratique, en plus, pas loin de la gare. Et je…
Elle s’interrompit comme la porte s’ouvrait, livrant passage à Edward Raynor.
— Je tombe peut-être très mal ? balbutia le secrétaire. Pardonnez-moi. Je voulais parler à M. Poirot, mais je peux revenir plus tard.
— Non, non, déclara ce dernier. J’ai fini de passer cette malheureuse miss Amory sur le grill !
Ladite miss Amory se leva.
— Je crains de ne pas vous avoir dit grand-chose d’intéressant, s’excusa-t-elle en se dirigeant vers la sortie.
Poirot se leva à son tour et la précéda.
— Au contraire, chère mademoiselle, vous m’en avez appris beaucoup. Bien plus peut-être que vous ne l’imaginez, assura-t-il en lui ouvrant la porte.
13
Après avoir accompagné miss Amory jusqu’au seuil, Poirot reporta son attention sur Edward Raynor.
— À présent, monsieur Raynor, fit-il en indiquant une chaise au secrétaire, je suis prêt à entendre ce que vous avez à me dire.
Raynor s’assit et regarda Poirot d’un air grave :
— Mr Amory vient de m’apprendre la nouvelle, au sujet de sir Claud. La cause de sa mort, j’entends. C’est ahurissant, monsieur.
— Vous êtes encore sous le choc ? demanda Poirot.
— Je pense bien. Je n’aurais jamais imaginé qu’une chose pareille puisse arriver.
Poirot s’approcha et, sans le quitter des yeux, montra au secrétaire la clé qu’il avait trouvée :
— Avez-vous déjà vu cette clé, monsieur Raynor ?
Ce dernier la prit et la retourna dans ses mains d’un air perplexe :
— On jurerait la clé du coffre de sir Claud. Mais je sais par Mr Amory que celle de sir Claud était à sa place sur sa chaîne.
Il la rendit à Poirot.
— C’est effectivement une clé du coffre qui se trouve dans le cabinet de travail de sir Claud, mais il s’agit d’un double, précisa Poirot. Un double trouvé par terre à côté de la chaise que vous occupiez hier soir, ajouta-t-il sur un ton significatif.
Raynor regarda le détective sans sourciller.
— Si vous croyez que c’est moi qui l’ai laissée tomber, vous vous trompez, déclara-t-il.
Poirot le dévisagea un moment, puis hocha la tête comme s’il était satisfait.
— Je vous crois, dit-il.
Il gagna le canapé d’un pas alerte et s’assit en frottant les mains :
— Et maintenant, mettons-nous au travail, monsieur Raynor. Vous étiez le secrétaire particulier de sir Claud, n’est-ce pas ?
— C’est exact.
— Vous en saviez donc long sur ses travaux ?
— Oui. Je possède une certaine formation scientifique et je l’ai aidé à l’occasion dans ses expériences.
— Sauriez-vous quoi que ce soit qui puisse éclairer cette navrante affaire ?
Raynor sortit une lettre de sa poche.
— Seulement ceci, répondit-il en se levant pour la remettre à Poirot. L’une de mes tâches consistait à ouvrir et trier la totalité du courrier de sir Claud. Elle est arrivée il y a quarante-huit heures.
Poirot prit la lettre et la lut à voix haute :
— Vous abritez une vipère dans votre sein… Dans votre sein ? fit-il, tourné vers Hastings et le visage en point d’interrogation avant de poursuivre : Méfiez-vous de Selma Gœtz et de sa progéniture. Votre secret est connu. Soyez sur vos gardes. Et c’est signé : Quelqu’un qui veille. Hum ! très imagé et théâtral. Hastings, ceci devrait vous plaire, commenta Poirot en passant la lettre à son ami.
— Ce que j’aimerais savoir, fit Raynor, c’est ceci : Qui est Selma Gœtz ?
Se carrant dans le canapé, Poirot joignit les extrémités de ses dix doigts :
— Je crois pouvoir satisfaire votre curiosité, monsieur. Selma Gœtz est la plus grande espionne internationale jamais connue. Très belle femme, de surcroît. Elle a travaillé pour l’Italie, pour la France, pour l’Allemagne, et enfin, je crois bien, pour la Russie. Oui, c’était un personnage extraordinaire, cette Selma Gœtz.
Raynor recula d’un pas :
— C’était ?
— Elle est morte à Gênes en novembre dernier, précisa Poirot.
Il reprit la feuille de papier à Hastings qui l’examinait en dodelinant de la tête et la mine perplexe.
— Alors il doit s’agir d’une mauvaise plaisanterie ! s’exclama Raynor.
— Je me le demande, murmura Poirot. « Selma Gœtz et sa progéniture », est-il écrit. Selma Gœtz a laissé une fille, monsieur Raynor, une fille ravissante. Or, depuis la mort de sa mère, cette jeune personne a complètement disparu.
Il empocha la lettre.
— Serait-il possible que… commença Raynor avant de s’interrompre.
— Oui ? l’encouragea Poirot. Vous alliez dire quelque chose, cher monsieur ?
S’approchant du détective, Raynor se fit volubile :
— La domestique italienne de Mrs Amory… Elle l’a amenée d’Italie avec elle, une très jolie fille… Vittoria Murzio, elle s’appelle. Se pourrait-il qu’elle soit la fille de Selma Gœtz ?
Poirot parut impressionné :
— Ah ! mais c’est une riche idée, ça !
— Permettez-moi de vous l’envoyer, proposa Raynor en s’apprêtant à sortir.
Poirot se leva :
— Non, non, une petite minute. Il importe avant tout de ne pas l’alarmer. Laissez-moi parler à Mrs Amory d’abord. Elle aura sûrement des choses à me dire sur cette fille.
— Vous avez peut-être raison, acquiesça Raynor. Je fais venir Mrs Amory tout de suite.
Le secrétaire quitta la pièce avec un air de grande détermination.
Surexcité, Hastings s’approcha de Poirot :
— Nous y sommes, Poirot ! Carelli et la bonniche italienne sont de mèche et travaillent pour un gouvernement étranger. Vous n’êtes pas d’accord ?
Plongé dans ses pensées, Poirot n’accorda pas la moindre attention à son compagnon.
— Poirot ? Vous n’êtes pas d’accord ? Je vous disais que Carelli et la fille doivent travailler main dans la main.
— Que vous le disiez ne m’étonne en rien, mon bon ami.
Hastings pâlit sous l’offense.
— Bon, alors quelle est votre idée à vous ? s’enquit-il d’un air pincé.
— Il est plusieurs questions qui demandent réponse, Hastings. Pourquoi la rivière de diamants de Mrs Amory a-t-elle été volée il y a deux mois ? Pourquoi s’est-elle opposée à ce qu’on appelle la police ? Pourquoi…
Il s’interrompit car Lucia Amory venait d’entrer, son sac à la main.
— Je me suis laissé dire que vous désiriez me voir, monsieur Poirot. Est-ce exact ?
— Oui, madame. Je souhaiterais… oh ! tout au plus vous poser quelques questions.
Il lui proposa une chaise près de la table :
— Vous ne voulez pas vous asseoir ?
Elle s’installa tandis que Poirot se tournait vers Hastings.
— Le jardin, de ce côté, est splendide, mon tout bon, sourit-il en le prenant par le bras et en l’aiguillant délicatement vers la porte-fenêtre.
Le capitaine paraissait fort peu disposé à quitter la place, mais la détermination de Poirot, même s’il y mettait des formes, était inébranlable.
— Splendide, mon bon ami, vous verrez, insista-t-il. Observez les beautés de la nature. Ne perdez jamais une occasion de vous en repaître.
À contrecœur, Hastings se laissa pousser dehors. Puis, la journée étant tout compte fait chaude et ensoleillée, il décida de prendre son mal en patience et de profiter de la situation pour explorer la propriété des Amory. Traversant en flânant la pelouse, il se dirigea vers une haie de thuyas au-delà de laquelle un jardin à la française, entrevu par une trouée dans la végétation, lui sembla tout spécialement engageant.
Tandis qu’il longeait le susdit écran de verdure, Hastings perçut des voix toutes proches qu’il reconnut en avançant comme étant celles de Barbara Amory et du Dr Graham. Les deux jeunes gens semblaient plongés dans un bienheureux tête-à-tête sur un banc, juste de l’autre côté de la haie. Dans l’espoir d’éventuellement surprendre un quelconque détail sur la mort de sir Claud ou sur la disparition de la formule qui intéresserait Poirot, il s’arrêta pour écouter.
— … tout à fait clair qu’il estime que sa jolie cousine peut viser plus haut qu’un médecin de campagne, était en train de déplorer Kenneth Graham. À la base, ce doit être pour ça qu’il n’est pas enthousiasmé par nos rencontres.
— Bah ! je sais bien que Richard peut parfois jouer les empêcheurs de tourner en rond, avoir des œillères et se comporter comme s’il avait trois fois son âge, répondit la voix de Barbara. Mais il ne faudrait surtout pas que ça vous impressionne, Kenny. Je me fiche comme d’une guigne de ce qu’il peut penser.
— Eh bien j’essayerai d’en faire autant, répondit Graham. Mais ce n’est encore pas le tout, Barbara. Je vous ai demandé de me retrouver ici parce que je voulais vous parler en privé, sans être vu ou entendu par la famille. Primo, je dois vous dire qu’il ne peut y avoir le moindre doute sur la question : votre oncle a été empoisonné, hier au soir.
— Ah bon ? lâcha-t-elle en bâillant.
— Apprendre une telle nouvelle n’a pas l’air de vous surprendre.
— Si, bien sûr, que je suis surprise. Après tout, ce n’est pas tous les jours qu’on s’empoisonne en famille, non ? Mais je dois avouer que sa mort ne me porte pas un coup fatal. En fait, je serais même plutôt contente.
— Barbara !
— Allons, ne faites pas l’étonné, Kenny. Vous ne devez plus pouvoir compter les fois où vous m’avez entendue dire pis que pendre sur ce vieux grigou. Il ne nous aimait ni les uns ni les autres, il ne s’intéressait en fait qu’à ses expériences à la gomme. Il traitait Richard comme le dernier des derniers et il ne s’est guère montré accueillant envers Lucia quand Richard l’a ramenée d’Italie après l’avoir épousée. Elle est pourtant tellement adorable, et si bien faite pour lui.
— Barbara chérie, il faut que je vous pose une question. Et je promets que tout ce que vous direz restera entre nous. Je vous protégerai même si nécessaire. Mais répondez-moi, savez-vous quelque chose, quoi que ce puisse être, sur la mort de votre oncle ? Avez-vous la moindre raison de soupçonner que Richard ait pu, par exemple, se sentir tellement aux abois financièrement qu’il aurait envisagé de tuer son père afin de mettre tout de suite la main sur ce qui devait être son héritage plus tard ?
— Je ne veux pas poursuivre cette conversation, Kenny. Je croyais que vous m’aviez fait venir ici pour me murmurer des mots doux, pas pour accuser mon cousin de meurtre.
— Chérie, je n’accuse Richard de rien. Mais reconnaissez qu’il y a là des éléments troublants. Il a tout l’air de rechigner à une enquête sur la mort de son père. Presque comme s’il redoutait ce qu’elle pourrait révéler. Il n’a aucun moyen d’empêcher la police d’intervenir, bien sûr, mais il a clairement montré qu’il était furieux contre moi d’avoir mis la machine en branle. Je ne faisais pourtant là que mon devoir de médecin. Comment aurais-je pu délivrer un certificat de décès stipulant que sir Claud était mort d’une crise cardiaque ? Nom d’un chien ! son cœur n’avait rien d’anormal lors du dernier examen de routine que je lui ai fait passer il y a quelques semaines.
— Kenny, je ne veux pas en entendre davantage. Je rentre. Vous saurez trouver la sortie du jardin, n’est-ce pas ? À plus tard.
— Barbara, vous savez très bien que tout ce que je veux c’est seulement…
Mais elle était déjà partie, et le Dr Graham émit un profond soupir qui était presque un râle.
Sur ces entrefaites, Hastings estima opportun d’effectuer un rapide repli stratégique en direction de la maison afin de n’être remarqué ni par l’un ni par l’autre des belligérants.
14
Dans la bibliothèque, ce n’est qu’après avoir poussé Hastings dans le jardin et pris soin de refermer la porte-fenêtre que Hercule Poirot avait reporté son attention sur Lucia Amory.
Cette dernière lui adressa d’entrée de jeu un regard anxieux :
— J’ai cru comprendre que vous vouliez me poser des questions sur ma camériste, monsieur Poirot. C’est du moins ce que m’a signalé Mr Raynor. Mais il s’agit d’une très brave fille. Je suis sûre qu’il n’est rien qu’on puisse lui reprocher.
— Madame, répliqua Poirot, ce n’est pas de votre camériste dont je veux vous parler.
Passant de l’angoisse à la crainte, elle sursauta :
— Mais Mr Raynor…
Poirot la coupa :
— J’avoue l’avoir laissé croire à Mr Raynor pour des raisons qui n’appartiennent qu’à moi.
— Que me voulez-vous, dans ce cas ? fit Lucia d’une voix rendue méfiante.
— Madame, dit Poirot, vous m’avez fait hier un fort aimable compliment. Dès le premier regard – ce sont là vos propres paroles –, vous avez eu confiance en moi.
— Et alors ?
— Eh bien, cette confiance, je vous demande maintenant de me la réitérer.
— Que voulez-vous dire ?
Poirot la considéra avec solennité :
— Vous êtes jeune, belle, admirée, aimée – tout ce dont une femme peut rêver. Mais il est, madame, une chose qui vous manque : un père confesseur ! Laissez ce bon papa Poirot postuler pour l’emploi.