Dix petits nègres d’ Agatha Christie

*

Dans le salon, on attendait Emily Brent.
— Voulez-vous que j’aille la chercher ? proposa Vera Claythorne.
— Attendez une seconde ! lança Blore.
Vera se rassit. Tout le monde regarda Blore d’un air interrogateur.
— Écoutez, vous tous, dit-il, voilà ce que je pense : à l’heure qu’il est, inutile de chercher l’auteur de tous ces meurtres plus loin que la salle à manger. Je suis prêt à jurer que cette femme est l’assassin après lequel nous courons.
— Et le mobile ? demanda Armstrong.
— Folie mystique. Qu’en dites-vous, docteur ?
— C’est tout à fait possible, répondit Armstrong. Je n’ai aucun argument à vous opposer. Mais nous n’avons aucune preuve.
— Je l’ai trouvée très bizarre, tout à l’heure, pendant que nous préparions le petit déjeuner à la cuisine, dit Vera. Ses yeux…
Elle frissonna.
— On ne peut pas la juger là-dessus, répliqua Lombard. En ce moment, on a tous le cerveau qui bat un peu la breloque.
— Il y a autre chose, insista Blore. Hier soir, après le coup du gramophone, elle a été la seule à refuser de se justifier. Pourquoi ça ? Parce qu’elle n’avait aucune justification à fournir.
Vera s’agita dans son fauteuil :
— Ce n’est pas tout à fait exact. Elle m’a tout raconté… plus tard.
— Et que vous a-t-elle raconté, miss Claythorne ? demanda Wargrave.
Vera répéta l’histoire de Béatrice Taylor.
— Voilà un récit dépourvu d’ambiguïté, fit observer le juge Wargrave. Pour ma part, je serais tenté de l’accepter sans réserve. Dites-moi, miss Claythorne, vous a-t-elle paru éprouver un sentiment de culpabilité ou de remords pour l’attitude qu’elle avait eue dans cette affaire ?
— Pas le moindre, répondit Vera. Elle était absolument imperturbable.
— Des cœurs de pierre, ces vieilles filles à principes ! grommela Blore. C’est l’envie qui les ronge, un point c’est tout !
— Il est 11 heures moins 5, déclara le juge Wargrave. Je pense que nous devrions prier miss Brent de se joindre à notre assemblée.
— Vous n’allez pas prendre des mesures ? s’inquiéta Blore.
— Je ne vois pas bien quelles mesures nous pourrions prendre, répondit le juge. Nos soupçons, pour le moment, ne sont que des soupçons. Je demanderai néanmoins au Dr Armstrong d’observer de très près le comportement de miss Brent. Et maintenant, allons dans la salle à manger.
Ils trouvèrent Emily Brent assise là où ils l’avaient laissée. De dos, ils ne remarquèrent rien d’anormal, sinon qu’elle ne semblait pas les avoir entendus entrer.
Et puis ils la virent de face, le visage injecté de sang, les lèvres bleuies, les yeux révulsés.
— Bon Dieu, s’exclama Blore, elle est morte !

*

— Encore l’une de nous dont l’innocence est prouvée… trop tard ! fit la petite voix posée du juge Wargrave.
Armstrong était penché sur la morte. Il lui renifla les lèvres, secoua la tête, lui examina les paupières.
— De quoi est-elle morte, docteur ? s’impatienta Lombard. Elle allait très bien quand nous l’avons quittée !
L’attention d’Armstrong était concentrée sur une marque, du côté droit du cou.
— Cette marque a été faite par une seringue hypodermique, dit-il.
Un bourdonnement leur parvint de la fenêtre.
— Regardez… une abeille ! s’écria Vera. Rappelez-vous ce que je vous ai dit ce matin !
— Ce n’est pas cette abeille qui l’a piquée ! fît observer Armstrong d’un air sombre. C’était une seringue, tenue par une main humaine.
— Quel poison lui a-t-on injecté ? demanda le juge.
— À vue de nez, un cyanure quelconque, répondit Armstrong. Probablement du cyanure de potassium, comme pour Anthony Marston. La mort par asphyxie a dû être instantanée.
— Mais cette abeille ? s’exclama Vera. Ça n’est quand même pas une coïncidence ?
— Oh, non, ce n’est pas une coïncidence ! répliqua Lombard, la mine farouche. C’est la touche folklorique de notre assassin ! Un sacré plaisantin celui-là. Ça l’amuse de coller au plus près à sa fichue comptine !
Pour la première fois, il parlait d’une voix tremblante, presque stridente. Comme si ses nerfs, pourtant aguerris par une longue carrière de périls et d’aventures dangereuses, avaient fini par lâcher.
— C’est fou… absolument fou ! lança-t-il avec violence. Nous sommes tous fous !
— Nous avons encore, je l’espère, toute notre raison, le contredit calmement le juge. Quelqu’un a-t-il apporté une seringue hypodermique dans cette maison ?
Le Dr Armstrong se redressa et, d’une voix mal assurée, balbutia :
— Oui, moi.
Quatre paires d’yeux se fixèrent sur lui. Il se raidit face à l’hostilité profonde, soupçonneuse de tous ces regards.
— J’en emporte toujours une avec moi, dit-il. Comme la plupart des médecins.
— Cela va de soi, déclara le juge Wargrave sans autrement s’émouvoir. Voulez-vous néanmoins nous dire, docteur, où se trouve actuellement cette seringue ?
— Dans ma valise, dans ma chambre.
— Nous pourrions peut-être aller vérifier de ce pas, dit Wargrave.
En une silencieuse procession, ils montèrent tous les cinq à l’étage.
On vida par terre le contenu de la valise. La seringue hypodermique n’y était pas.

*

— Quelqu’un a dû me la prendre ! s’écria Armstrong avec véhémence.
Il se fit un silence dans la pièce.
Armstrong tournait le dos à la fenêtre. Quatre paires d’yeux, soupçonneux et accusateurs, le fixaient. Il les regarda tour à tour, de Wargrave à Vera, en répétant d’une voix faible, désemparée :
— On a dû me la prendre, je vous dis !
Blore regarda Lombard, qui lui retourna son regard.
— Nous sommes cinq dans cette pièce, déclara le juge. L’un de nous est un meurtrier. La situation est extrêmement grave, et le danger partout. Tout doit être mis en œuvre pour protéger les quatre d’entre nous qui sont innocents. Dr Armstrong, permettez-moi de vous demander quels médicaments vous avez en votre possession.
— J’ai là une petite trousse médicale, répondit Armstrong. Vous pouvez l’examiner. Vous y trouverez quelques somnifères – du trional et des comprimés de sulfonal –, du bromure, du bicarbonate de soude et de l’aspirine. Rien d’autre. Je n’ai pas de cyanure en ma possession.
— Moi-même, j’ai des somnifères, dit le juge. Des comprimés de sulfonal, je crois. Je présume qu’ils seraient fatals si on les administrait à haute dose. Et vous, Mr Lombard, vous avez un revolver.
— Et alors ? repartit vivement Philip Lombard.
— Alors, voilà : je propose que les médicaments du Dr Armstrong, mes comprimés de sulfonal, votre revolver – et toute autre drogue ou arme à feu pouvant se trouver dans cette maison – soient rassemblés et placés en lieu sûr. Et, ceci fait, que nous nous soumettions tous à une fouille… aussi bien corporelle que de nos affaires.
— Je veux bien être pendu si je vous donne mon revolver ! s’emporta Lombard.
— Mr Lombard, répliqua sèchement Wargrave, vous êtes un garçon vigoureux et solidement bâti, mais l’ex-inspecteur Blore est également un homme de robuste constitution. J’ignore quelle serait l’issue d’une lutte entre vous deux, mais je puis vous certifier une chose : Blore aurait à ses côtés, pour lui prêter main-forte dans la mesure de nos moyens, le Dr Armstrong, miss Claythorne et moi-même. Vous conviendrez donc que, si vous décidiez de résister, vous auriez affaire à forte partie.
Lombard rejeta la tête en arrière. Il découvrit ses dents en une sorte de rictus féroce :
— Oh ! bon, très bien. Puisque vous avez la situation en main…
Le juge Wargrave hocha la tête :
— Vous êtes un garçon raisonnable. Où est-il, ce revolver ?
— Dans le tiroir de ma table de chevet.
— Bien.
— Je vais le chercher.
— J’estime qu’il serait préférable que nous vous accompagnions.
Avec son même sourire carnassier, Philip répliqua :
— On est soupçonneux, pas vrai ?
Ils enfilèrent le couloir jusqu’à la chambre de Lombard.
Philip alla ouvrir d’un coup sec le tiroir de sa table de chevet.
Il recula aussitôt, en poussant un juron.
Le tiroir était vide.

*

— Satisfaits ? demanda Lombard.
— Il s’était mis complètement nu et les trois hommes l’avaient méticuleusement fouillé ainsi que sa chambre. Vera Claythorne attendait dehors, dans le couloir.
La fouille se poursuivit avec méthode. Tour à tour, Armstrong, le juge et Blore furent soumis au même examen.
Enfin, sortant de la chambre de Blore, ils s’approchèrent de Vera.
— J’espère que vous comprendrez, miss Claythorne, lui dit le juge, que nous ne pouvons faire aucune exception. Il faut retrouver ce revolver. Vous avez un maillot de bain, je présume ?
Vera acquiesça.
— Dans ce cas, je vous demanderai d’aller l’enfiler dans votre chambre et de revenir ici ensuite.
Vera entra dans sa chambre et ferma la porte. Elle réapparut moins d’une minute plus tard, vêtue d’un maillot de satin moulant.
Wargrave eut un hochement de tête approbateur :
— Merci, miss Claythorne. À présent, si vous voulez bien rester ici, nous allons fouiller votre chambre.
Vera attendit patiemment dans le couloir. Lorsqu’ils eurent terminé, elle rentra se rhabiller et les rejoignit.
— Nous sommes maintenant sûrs d’une chose, déclara le juge. Aucun de nous cinq n’a d’arme ni de drogue mortelle en sa possession. C’est un bon point d’acquis. Nous allons maintenant mettre les médicaments en lieu sûr. Il y a bien un coffre pour l’argenterie dans l’office, n’est-ce pas ?
— Tout ça, c’est bien joli, grommela Blore. Mais qui en aura la clef ? Vous, je suppose.
Le juge Wargrave ne répondit pas.
Il descendit à l’office, suivi des autres. Il y avait là un petit coffre prévu pour le rangement de l’argenterie. Sous la direction du juge, on y déposa les divers médicaments et on le ferma à clef. Puis, toujours sur les instructions de Wargrave, on hissa le coffre dans le vaisselier, qu’on ferma également à double tour. Le juge remit alors la clef du coffre à Philip Lombard et celle du vaisselier à Blore.
— Vous êtes physiquement les deux plus forts, leur dit-il. Il serait difficile à l’un de vous de prendre sa clef à l’autre. Et aucun de nous trois ne pourrait le faire. Forcer la porte du vaisselier – ou celle du coffre – serait une méthode bruyante et peu pratique, qui ne manquerait pas d’attirer l’attention.
Il s’arrêta un instant avant de poursuivre :
— Reste un grave problème. Qu’est devenu le revolver de Mr Lombard ?
— Son propriétaire doit le savoir mieux que personne, maugréa Blore.
Un sillon blafard souligna les narines de Philip Lombard :
— Bougre de tête de mule ! Je vous répète qu’on me l’a volé !
— Quand l’avez-vous vu pour la dernière fois ? s’enquit Wargrave.
— Hier soir. Il était dans le tiroir quand je me suis couché – prêt à servir en cas de besoin.
Le juge hocha la tête :
— On a dû le subtiliser ce matin, dans l’affolement, pendant que nous cherchions Rogers ou après que nous avons découvert son corps.
— Il doit être caché quelque part dans la maison, dit Vera. Il faut le chercher.
Le juge Wargrave se tapotait le menton :
— Je doute qu’une perquisition donne des résultats. Notre assassin a eu tout le temps d’imaginer une bonne cachette. Je ne pense pas que ce revolver serait facile à trouver.
— Je ne sais pas où est ce revolver, intervint Blore avec force, mais je suis prêt à parier que je sais où se trouve quelque chose d’autre… la seringue hypodermique. Suivez-moi.
Il sortit et leur fit faire le tour de la maison.
Il trouva la seringue non loin de la fenêtre de la salle à manger. À côté d’elle il y avait une figurine de porcelaine brisée : le cinquième petit nègre, en miettes.
Satisfait, Blore expliqua :
— Elle ne pouvait être que là. Après avoir tué miss Brent, le meurtrier a jeté la seringue par la fenêtre et a envoyé la figurine de porcelaine la rejoindre.
Il n’y avait pas d’empreintes sur la seringue. On l’avait soigneusement essuyée.
— A présent, il faut que nous le cherchions, ce revolver, décréta Vera d’un ton décidé.
— Bien sûr, acquiesça le juge Wargrave. Mais, ce faisant, prenons garde de rester tous ensemble. Dites-vous bien que, si nous nous séparons, nous donnons au meurtrier sa chance.
Ils fouillèrent la maison de la cave au grenier. Sans résultat. Le revolver demeura introuvable.
13
« L’un de nous… l’un de nous… l’un de nous… »
Quatre mots, inlassablement répétés, qui s’enfonçaient heure après heure dans des cerveaux réceptifs.
Cinq personnes… cinq personnes terrifiées. Cinq personnes qui s’épiaient mutuellement, qui ne prenaient même plus la peine de cacher leur état de tension.
Plus question de donner le change – plus question de bavarder pour sauver les apparences. Ils étaient cinq ennemis, unis par un même instinct de conservation.
Et voilà que, déjà, ils ressemblaient moins à des êtres humains. Ils régressaient au rang de la bête. Telle une vieille tortue à l’affût, le juge Wargrave restait immobile, le dos rond, l’œil vif, aux aguets. L’ex-inspecteur Blore paraissait maintenant plus fruste et plus lourdaud. Sa démarche feutrée était celle d’un animal. Ses yeux étaient injectés de sang. Il avait l’air féroce et stupide à la fois de la bête aux abois, prête à charger ses poursuivants. Philip Lombard, lui, paraissait avoir les sens plutôt aiguisés qu’affaiblis. Ses oreilles réagissaient au moindre bruit. Son pas était plus léger, plus rapide ; son corps était souple et gracieux. Et, lèvres retroussées sur ses longues dents blanches, il souriait souvent.
Vera Claythorne était très silencieuse. Elle restait la plupart du temps recroquevillée dans un fauteuil, le regard perdu dans le vide. L’air hébété, elle faisait penser à un oiseau qui s’est cogné la tête contre une vitre et qu’une main a ramassé : terrifié, incapable de bouger, il y reste tapi, espérant trouver son salut dans l’immobilité.
Armstrong avait les nerfs en piteux état. Il était ravagé de tics et ses mains tremblaient. Il allumait cigarette sur cigarette et les éteignait presque aussitôt. L’inaction à laquelle ils étaient contraints semblait le miner plus que les autres. Par moments, il déversait nerveusement un déluge de paroles :
— Nous… nous ne devrions pas rester là à ne rien faire ! Il doit bien y avoir quelque chose… il y a sûrement, sûrement quelque chose à faire ! Si nous allumions un feu ?…
— Par ce temps ? soupira Blore, accablé.
Il tombait à nouveau des cordes. Le vent soufflait par rafales irrégulières. Le tambourinement déprimant de la pluie les rendait fous.
Sans se concerter, ils avaient adopté une même ligne de conduite. Ils restaient tous ensemble dans le salon. Une seule personne à la fois quittait la pièce. Les quatre autres attendaient le retour de la cinquième.
— Ce n’est qu’une question de temps, dit Lombard. La tempête va bien finir par se calmer, et nous pourrons alors faire quelque chose : lancer des signaux… allumer des feux… fabriquer un radeau, que sais-je !
Armstrong émit une sorte de gloussement :
— Une question de temps… De temps ? Mais nous n’en avons pas, du temps ! Nous serons tous morts…
De sa petite voix claire, chargée d’une détermination passionnée, le juge Wargrave intervint :
— Pas si nous sommes prudents. Il faut que nous soyons prudents…
Ils avaient déjeuné à l’heure habituelle, mais sans plus de cérémonie. Ils s’étaient installés tous les cinq dans la cuisine. À l’office, ils avaient découvert une importante réserve de conserves. Ils avaient ouvert une boîte de langue en gelée et deux boîtes de fruits au sirop. Ils avaient mangé debout, autour de la table de la cuisine. Puis, toujours groupés, ils avaient regagné le salon, s’y étaient assis – et étaient restés là, à s’épier du regard.
Désormais, leurs esprits étaient traversés de pensées hallucinatoires, fiévreuses, morbides…
« C’est Armstrong… il vient de me lancer un regard en biais… il a les yeux fous… complètement fous… Si ça se trouve, il n’est même pas médecin… Mais oui, c’est évident !… C’est un cinglé, échappé d’un asile et qui se fait passer pour un médecin… C’est ça… Est-ce qu’il faut que je prévienne les autres ?… que je me mette à hurler ?… Non, il ne faut pas le mettre sur ses gardes… Et puis il a l’air si équilibré par moments… Quelle heure est-il ?… Seulement 3 heures et quart !… Seigneur, la folie me guette, moi aussi… Oui, c’est Armstrong… Il est en train de m’épier… »
« On ne m’aura pas, moi ! Je suis de taille à me défendre… J’en ai vu d’autres… Où est ce revolver, bon Dieu ?… Qui est-ce qui l’a pris ?… Qui est-ce qui l’a en ce moment ?… Personne ne l’a sur lui – ça, c’est sûr. Tout le monde a été fouillé… Personne ne peut l’avoir… Mais quelqu’un sait où il est… »
« Ils deviennent fous… ils vont tous devenir fous… Ils ont peur de la mort… nous avons tous peur de la mort… Moi, j’ai peur de la mort… Oui, mais ça n’empêche pas la mort de frapper… « Le corbillard de Monsieur est avancé ! » Où ai-je lu ça ? La fille… je vais surveiller la fille. Oui, je vais surveiller la fille… »
« 4 heures moins 20… seulement 4 heures moins 20… la pendule s’est peut-être arrêtée… Je ne comprends pas… non, je ne comprends pas… Ces choses-là n’arrivent pas dans la réalité… et pourtant, c’est bien réel… Pourquoi est-ce qu’on ne se réveille pas ? Réveille-toi… le Jour du Jugement… non, pas ça ! Si seulement je pouvais réfléchir… Ma tête… Il se passe quelque chose dans ma tête… elle va éclater… elle va se fendre en deux… ça n’arrive pas, ces choses-là… quelle heure est-il ? Seigneur ! seulement 4 heures moins le quart. »
« Je dois garder la tête froide… garder la tête froide… Le tout est de garder la tête froide… Tout est parfaitement clair, tout est au point. Mais personne ne doit rien soupçonner. Ça devrait marcher. Ça doit marcher ! Il le faut ! Lequel ? C’est toute la question : lequel ? Je pense… oui, je pense… oui, lui. »
Ils sursautèrent tous en entendant l’horloge sonner 5 heures.
— Est-ce que quelqu’un… veut du thé ? demanda Vera.
Il y eut un moment de silence.
— J’en prendrai bien une tasse, articula enfin Blore.
Vera se leva :
— Je vais le préparer. Vous pouvez tous rester là.
— Je pense, ma chère petite, que nous préférons tous vous accompagner et vous regarder faire, objecta le juge Wargrave d’une voix douce.
Vera ouvrit de grands yeux. Puis elle eut un rire bref, à la limite de l’hystérie.
— Bien sûr ! dit-elle. Ça va de soi !
Cinq personnes allèrent dans la cuisine. Vera et Blore préparèrent et burent leur thé. Les trois autres prirent du whisky… après avoir ouvert une bouteille capsulée et utilisé un siphon provenant d’une caisse clouée.
— Il faut que nous soyons très prudents…, murmura le juge, un sourire reptilien sur les lèvres.
Ils regagnèrent le salon. Bien qu’on fût en été, la pièce était plongée dans la pénombre. Lombard actionna l’interrupteur, mais les lampes ne s’allumèrent pas.
— Bien sûr ! dit-il. Rogers n’étant pas là pour s’en occuper, le groupe électrogène n’a pas été mis en route.
Après avoir hésité, il ajouta :
— Nous pourrions aller le faire démarrer…
— J’ai vu un paquet de bougies à l’office, déclara le juge Wargrave. Autant s’en servir.
Lombard sortit. Les quatre autres restèrent à s’observer mutuellement.
Il revint avec une boîte de bougies et une pile de soucoupes. On alluma cinq bougies que l’on répartit dans la pièce.
Il était 6 heures moins le quart.

*

À 6 h 20, incapable de rester plus longtemps immobile, Vera décida de monter dans sa chambre pour asperger d’eau froide sa tête et ses tempes douloureuses.
Elle se leva et se dirigea vers la porte. Puis, se rappelant qu’il n’y avait pas de lumière, elle revint prendre une bougie dans la boîte. Elle l’alluma, fit couler un peu de cire dans une soucoupe et l’y ficha solidement. Puis elle sortit de la pièce, fermant la porte derrière elle et laissant les quatre hommes ensemble. Elle monta l’escalier et longea le couloir jusqu’à sa chambre.
Comme elle ouvrait la porte, elle s’arrêta brusquement, clouée sur place.
Ses narines palpitèrent.
La mer… l’odeur de la mer à St Tredennick.
C’était ça. Impossible de s’y méprendre. Évidemment, ça sentait aussi la mer sur une île ; mais là, c’était différent. C’était l’odeur qu’elle avait sentie sur la plage ce jour-là – à marée basse, avec les rochers couverts d’algues qui séchaient au soleil.
« Je veux nager jusqu’à l’île, miss Claythorne ! Pourquoi je peux pas nager jusqu’à l’île ?… »
Horrible petit morveux, geignard et à qui on passait tous ses caprices ! Sans lui, Hugo serait riche… libre d’épouser la fille qu’il aimait…
Hugo…
Est-ce qu’elle ne se trompait pas ? Est-ce que Hugo n’était pas là, près d’elle ? Non, il l’attendait dans la chambre…
Elle avança d’un pas. Un courant d’air venant de la fenêtre souffla la bougie. La flamme vacilla et s’éteignit…
Dans le noir, soudain, elle eut peur…
« Ne sois pas ridicule, se réprimanda-t-elle. Tu n’as rien à craindre. Les autres sont en bas. Tous les quatre. Il n’y a personne dans la chambre. C’est impossible. Tu te fais des idées, ma petite. »
Pourtant, cette odeur… l’odeur de la plage de St Tredennick… ce n’était pas un effet de son imagination. C’était réel.
Et il y avait quelqu’un dans la pièce… Elle venait d’entendre quelque chose… elle était sûre d’avoir entendu quelque chose…
Et alors qu’elle restait là, l’oreille aux aguets, une main froide et gluante lui frôla la gorge… une main mouillée, qui sentait la mer…

*

Vera hurla. Elle hurla, hurla… poussa des clameurs de peur panique… des appels à l’aide sauvages et désespérés.
Elle n’entendit pas le remue-ménage au rez-de-chaussée : chaise renversée, porte qu’on ouvre, pas précipités dans l’escalier. Elle n’avait conscience que de son indicible terreur.
Elle recouvra ses esprits en voyant des lueurs tremblotantes sur le seuil… des bougies… des hommes qui s’engouffraient dans la pièce.
— Bon sang, mais qu’est-ce que… ? Qu’est-ce qui se passe ? Nom de Dieu, mais qu’est-ce que c’est que ça ?
Elle frissonna, fit un pas en avant et s’effondra sur le plancher.
A demi consciente, elle sentit que quelqu’un se penchait sur elle, la forçait à courber la tête entre les genoux.
Une exclamation soudaine : « Bon sang, regardez-moi ça ! », la fit revenir à elle.
Elle ouvrit les yeux, leva la tête… et vit ce que regardaient les hommes aux bougies.
Un large ruban d’algue humide pendait du plafond. C’était ça qui, dans l’obscurité, s’était plaqué sur sa gorge. C’était ça qu’elle avait pris pour une main gluante, la main d’un noyé revenu d’entre les morts pour lui serrer le cou jusqu’à ce qu’il ne lui reste plus un souffle de vie !
Elle éclata d’un rire hystérique :
— C’était une algue… rien qu’une algue… d’où l’odeur…
De nouveau, elle défaillit… des vagues de nausée se succédèrent. De nouveau, quelqu’un la força à se pencher en avant, la tête entre les genoux.
Des éternités semblèrent s’écouler. On lui offrait quelque chose à boire… on pressait le verre contre ses lèvres. Ça sentait le cognac.
Elle était sur le point d’avaler l’alcool avec gratitude quand, soudain, une mise en garde – une sonnette d’alarme – tinta dans son cerveau. Elle se redressa, écarta le verre.
— D’où vient ce cognac ? demanda-t-elle d’un ton brusque.
Blore la regarda un moment en silence avant de parler.
— Je l’ai pris en bas, finit-il par dire.
— Je ne le boirai pas ! s’écria Vera.
Un autre silence suivit, puis Lombard se mit à rire :
— Bravo, Vera ! Même si vous avez eu la plus belle frousse de votre existence, vous n’avez pas perdu le nord ! Je file vous chercher une bouteille non débouchée.
Il sortit rapidement.
— Ça va, maintenant, bredouilla Vera. Je vais boire un peu d’eau.
Armstrong l’aida à se mettre debout. Cramponnée à lui pour ne pas tomber, elle tituba jusqu’au lavabo, ouvrit le robinet d’eau froide et le laissa couler avant de remplir son verre.
— Ce cognac est tout ce qu’il y a d’O.K., grommela Blore d’un ton vexé.
— Qu’est-ce que vous en savez ? contra Armstrong.
— Je n’ai rien mis dedans, répliqua Blore, furibond. C’est ce que vous insinuez, je suppose ?
— Je ne dis pas que vous l’ayez fait, riposta Armstrong. Mais je prétends que vous auriez pu le faire, ou que quelqu’un d’autre aurait pu tripatouiller cette bouteille en prévision précisément de cet incident.
Lombard ne tarda pas à revenir.
Avec une bouteille de cognac intacte et un tire-bouchon.
Il brandit la bouteille capsulée sous le nez de Vera.
— Et voilà, mon petit. Pas l’ombre d’une entourloupe.
Il déchira le papier d’étain et fit sauter le bouchon :
— Encore heureux qu’il y ait une bonne réserve d’alcools dans la maison. Délicate attention de A.N. O’Nyme.
Un violent frisson parcourut Vera.
Armstrong tint le verre pendant que Philip versait le cognac.
— Vous feriez bien de boire ça, miss Claythorne, dit-il. Vous avez subi un sacré choc !
Vera en but une gorgée. Son visage reprit des couleurs.
— Eh bien ! voilà un meurtre qui ne s’est pas déroulé comme prévu ! s’écria Philip Lombard en riant.
— Vous pensez que… que c’était le but recherché ? murmura Vera, presque dans un souffle.
Lombard hocha la tête :
— On espérait vous faire mourir de peur ! Ça aurait pu marcher avec d’autres, pas vrai, docteur ?
— Hum… impossible à dire, répondit Armstrong sans se compromettre. Sujet jeune et en bonne santé… pas de faiblesse cardiaque… Douteux. D’un autre côté…
Il prit le verre de cognac que Blore avait apporté, y trempa un doigt, le goûta avec précaution. Son visage ne changea pas d’expression.
— Hum… le goût est normal, remarqua-t-il, perplexe.
— Si vous insinuez que je l’ai trafiqué, je vous casse la gueule ! vociféra Blore, hors de lui, en faisant un pas en avant.
Revigorée par le cognac, Vera fit diversion :
— Au fait, où est le juge ?
Les trois autres se regardèrent.
— Bizarre… J’étais persuadé qu’il nous avait suivis.
— Moi aussi…, dit Blore. Votre avis, docteur ? Vous êtes monté derrière moi.
— Je croyais qu’il me suivait, répondit Armstrong. Remarquez, il devait grimper moins vite que nous. Ce n’est plus un gamin.
De nouveau, ils échangèrent un regard.
— C’est diablement étrange, murmura Lombard.
— Il faut aller à sa recherche ! s’exclama Blore !
Il se dirigea vers la porte. Les autres lui emboîtèrent le pas, Vera fermant la marche.
— Si ça se trouve, il est resté au salon ! lança Armstrong tandis qu’ils descendaient l’escalier.
Ils traversèrent le hall.
— Wargrave ! Wargrave ! Où êtes-vous ? appela Armstrong.
Pas de réponse. À part le tambourinement de la pluie, un silence de mort régnait dans la maison.
Sur le seuil du salon, Armstrong s’arrêta net. Les autres s’agglutinèrent autour de lui pour regarder par-dessus son épaule.
Quelqu’un poussa un cri.
Le juge Wargrave était assis dans son fauteuil à haut dossier, à l’autre bout de la pièce. Deux bougies allumées l’encadraient. Mais ce qui les stupéfia et les horrifia le plus, c’était qu’il siégeait en robe écarlate, avec une perruque de juge sur la tête…
Le Dr Armstrong fit signe aux autres de rester en arrière. Titubant comme un homme ivre, il s’approcha de la silhouette silencieuse, au regard fixe.
Il se pencha, scruta le visage figé. Puis, d’un geste vif, il souleva la perruque. Celle-ci tomba par terre, découvrant le front haut et dégarni – avec, au beau milieu, une marque ronde, poisseuse, d’où quelque chose avait coulé.
Le Dr Armstrong souleva la main inerte et chercha le pouls. Il se tourna vers les autres.
— Tué d’une balle dans la tête…, dit-il d’une voix sans timbre, morte, lointaine.
— Bon sang ! s’écria Blore. Le revolver !
— La balle a traversé le crâne… Mort instantanée…, poursuivait le médecin de la même voix inexpressive.
Vera ramassa la perruque.
— L’écheveau de laine grise que miss Brent avait perdu…, murmura-t-elle d’une voix frémissante d’horreur.
— Et le rideau rouge qui avait disparu de la salle de bains…, ajouta Blore.
— Voilà donc à quel usage on les destinait !… chuchota Vera.
Soudain, Philip Lombard éclata de rire – d’un rire haut perché, inquiétant :
— « Cinq petits nègres étaient avocats à la cour, l’un d’eux finit en haute cour… – n’en resta plus que quatre ! » Ainsi finit Wargrave, le Pourvoyeur de la Potence. Plus jamais il ne prononcera de sentences ! Plus jamais il ne coiffera la toque noire ! C’est la dernière fois qu’il siège au tribunal ! Plus jamais il n’enverra des innocents à l’échafaud. Il rirait bien, Edward Seton, s’il était là ! Seigneur, comme il rirait !
Les autres furent surpris et choqués par son éclat.
— Pas plus tard que ce matin, s’écria Vera, vous prétendiez que c’était lui !
Philip Lombard changea de visage, redevint maître de lui.
— Oui, c’est vrai, dit-il à voix basse. Eh bien, je me trompais. Encore un de nous dont l’innocence a été prouvée… trop tard !
14
Ils avaient transporté le juge Wargrave dans sa chambre et l’avaient allongé sur son lit.
Puis ils étaient redescendus dans le hall et étaient restés plantés là, à se regarder.
— Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? avait soudain demandé Blore d’une voix sourde.
— On va manger un morceau, avait répondu Lombard d’un ton guilleret. Il faut bien se nourrir, pas vrai ?
Une fois encore, ils se rendirent donc à la cuisine. Une fois encore, ils ouvrirent une boîte de langue en gelée. Ils mangèrent du bout des lèvres, sans goût.
— C’est la dernière fois que je mange de la langue, dit Vera.
Ils terminèrent leur repas. Et ils restèrent assis autour de la table à se regarder dans le blanc des yeux.
— Plus que nous quatre, marmonna Blore. À qui le tour, maintenant ?
Armstrong ne cilla pas.
— Il faut que nous soyons très prudents…, commença-t-il machinalement avant de s’arrêter net.
Blore hocha la tête :
— C’est ce qu’il disait toujours… Et maintenant, il est mort !
— Ce que je me demande, dit Armstrong, c’est comment ça a pu se passer.
Lombard émit un juron.
— Bougrement astucieuse, la diversion ! ricana-t-il. Cette cochonnerie suspendue dans la chambre de miss Claythorne a eu exactement l’effet désiré. Tout le monde a grimpé quatre à quatre, persuadé qu’elle était en train de se faire assassiner. Et là… profitant de l’affolement… quelqu’un a… a pris le vieux par surprise.
— Comment se fait-il que personne n’ait entendu le coup de feu ? s’étonna Blore.
Lombard secoua la tête :
— Miss Claythorne criait comme un cochon qu’on égorge, le vent hurlait, nous courions dans tous les sens en braillant. Non, il était impossible de l’entendre… Mais le truc ne pourra pas resservir, reprit-il après un temps de réflexion. Il va falloir qu’il trouve autre chose la prochaine fois.
— Qu’il y arrive ne fait guère de doute, pronostiqua Blore.
Sa voix avait une intonation déplaisante. Les deux hommes se mesurèrent du regard.
— Nous sommes quatre, dit Armstrong, et nous ne savons pas lequel…
— Moi, je le sais, l’interrompit Blore.
— Je n’ai pas le moindre doute…, dit Vera.
— Je pense que je le sais, au fond…, dit Armstrong avec lenteur.
— Et moi, je crois que je commence à avoir ma petite idée…, dit Philip Lombard.
De nouveau, ils se dévisagèrent…
Vera se remit sur pied tant bien que mal.
— Je ne me sens pas bien, dit-elle. Je vais me coucher… je suis rompue.
— Je vais en faire autant, dit Lombard. Pas la peine de rester là à se regarder en chiens de faïence.
— De mon côté, pas d’objection, dit Blore.
— C’est ce que nous avons de mieux à faire, murmura le médecin, même si je doute que nous arrivions à dormir.
Ils se dirigèrent vers la porte.
— Ce que je me demande, commenta Blore, c’est où se trouve le revolver à l’heure qu’il est !

*

Ils montèrent l’escalier.
La scène qui suivit n’aurait pas déparé une comédie burlesque.
Chacun des quatre s’arrêta, la main sur la poignée de sa porte. Puis, comme à un signal, chacun s’engouffra dans sa chambre et claqua la porte derrière soi. On entendit des bruits de serrures, de verrous et de meubles qu’on déplace. Quatre personnes terrorisées venaient de se barricader jusqu’au matin.

*

Ayant calé une chaise sous la poignée de sa porte, Philip Lombard se détourna avec un soupir de soulagement.
D’un pas nonchalant, il se dirigea vers sa table de toilette.
A la lumière vacillante de la bougie, il examina son visage avec curiosité.
— Pas à dire, cette histoire t’a secoué, se murmura-t-il à lui-même.
Il eut son sourire subit, carnassier.
Il se déshabilla rapidement.
Il s’approcha du lit et posa sa montre sur sa table de chevet.
Puis il ouvrit le tiroir de la table.
Et il resta pétrifié, le regard fixé sur le revolver qui se trouvait là…

*

Vera Claythorne était couchée.
À côté d’elle, la bougie brûlait toujours.
Elle ne trouvait pas le courage de l’éteindre.
Elle avait peur de l’obscurité…
Elle n’arrêtait pas de se répéter : « Tu es tranquille jusqu’à demain matin. Il ne s’est rien passé la nuit dernière. Il ne se passera rien cette nuit. Il ne peut rien arriver. La porte est fermée à clef et au verrou. Personne ne peut t’approcher… »
Et, brusquement, elle pensa :
« Mais voilà ! Je n’ai qu’à rester ici ! Rester enfermée. Tant pis pour la nourriture ! Je peux rester ici… en sécurité… jusqu’à ce qu’on vienne à notre secours ! Même si ça doit durer un jour… deux jours… »
Rester ici. Oui, mais en serait-elle capable ? Rester ici, heure après heure… sans personne à qui parler, sans rien d’autre à faire que réfléchir…
Elle recommencerait à penser aux Cornouailles… à Hugo… à… à ce qu’elle avait dit à Cyril.
Insupportable gamin pleurnichard, toujours à la harceler…
— Miss Claythorne, pourquoi j’ai pas le droit de nager jusqu’au rocher ? Je suis assez grand pour le faire. Je sais que je suis assez grand pour le faire.
Était-ce vraiment elle qui avait répondu :
— Mais oui, Cyril, tu es assez grand. Je le sais bien.
— Alors je peux y aller, miss Claythorne ?
— C’est que… vois-tu, Cyril, ta mère s’inquiète tellement pour toi. Ecoute, voilà ce que nous allons faire. Demain, tu nageras jusqu’au rocher. Moi, je bavarderai sur la plage avec ta mère pour détourner son attention. Et quand elle te cherchera, tu seras déjà là-bas, sur le rocher, en train de lui faire de grands signes. C’est ça qui lui fera une surprise !
— Oh, vous êtes chic, miss Claythorne ! Ce qu’on va rigoler !
Voilà, elle l’avait dit. Demain ! Le lendemain, Hugo devait aller à Newquay. Lorsqu’il reviendrait… ce serait terminé.
Oui, mais si jamais ça échouait ? Si ça ne se passait pas comme prévu ? Cyril serait peut-être secouru à temps. Et dans ce cas… dans ce cas, il dirait : « Miss Claythorne m’a dit que j’étais assez grand. » Et alors ? On n’a rien sans risque ! Si le pire venait à se produire, elle nierait froidement, « Comment peux-tu faire un mensonge pareil, Cyril ? Tu sais très bien que je n’ai jamais dit ça ! » On la croirait à tous les coups. Cyril racontait souvent des bobards. On ne pouvait pas lui faire confiance. Cyril saurait, évidemment. Mais ça n’avait pas d’importance… et puis de toute façon, tout se passerait bien. Elle ferait semblant d’aller à son secours. Mais elle arriverait trop tard… Personne n’irait la soupçonner…
Hugo l’avait-il soupçonnée ? Était-ce pour ça qu’il l’avait regardée de cette manière bizarre, distante ?… Hugo avait-il compris ?
Était-ce pour ça qu’il était parti si précipitamment après l’enquête ?
Il n’avait pas répondu à l’unique lettre qu’elle lui avait écrite…
Hugo…
Vera se tournait et se retournait dans son lit. Non, non, elle ne devait pas penser à Hugo. Ça faisait trop mal ! Tout ça, c’était fini, bel et bien fini… Il fallait oublier Hugo.
Pourquoi, ce soir, avait-elle eu soudain l’impression que Hugo était avec elle dans la chambre ?
Elle regarda fixement le plafond, regarda le grand crochet noir qui était fixé au centre.
C’était la première fois qu’elle le remarquait, ce crochet.
C’était là que l’algue avait été suspendue.
Elle frissonna au souvenir de ce contact froid et visqueux sur son cou.
Ce crochet au plafond ne lui plaisait pas. Il vous attirait l’œil, il vous fascinait… Un grand crochet noir…

*

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