Fables – Livre II

L’Aigle et l’Escarbot

 

L’aigle donnait la chasse à maître JeanLapin,

Qui droit à son terrier s’enfuyait au plusvite.

Le trou de l’escarbot se rencontre enchemin.

Je laisse à penser si ce gîte

Était sûr ; mais où mieux ?

Jean Lapin s’y blottit.

L’aigle fondant sur lui nonobstant cetasile,

L’escarbot intercède et dit :

« Princesse des oiseaux, il vous est fortfacile

D’enlever malgré moi ce pauvremalheureux ;

Mais ne me faites pas cet affront, je vousprie ;

Et puisque Jean Lapin vous demande la vie,

Donnez-la-lui, de grâce, ou l’ôtez à tousdeux :

C’est mon voisin, c’est moncompère. »

L’oiseau de Jupiter, sans répondre un seulmot,

Choque de l’aile l’escarbot,

L’étourdit, l’oblige à se taire,

Enlève Jean Lapin. L’escarbot indigné

Vole au nid de l’oiseau, fracasse en sonabsence,

Ses œufs, ses tendres œufs, sa plus douceespérance :

Pas un seul ne fut épargné.

L’aigle étant de retour et voyant ceménage,

Remplit le ciel de cris : et pour comblede rage,

Ne sait sur qui venger le tort qu’elle asouffert.

Elle gémit en vain : sa plainte au ventse perd.

Il fallut pour cet an vivre en mèreaffligée.

L’an suivant, elle mit son nid en lieu plushaut.

L’escarbot prend son temps, fait faire auxœufs le saut.

La mort de Jean lapin derechef est vengée.

Ce second deuil fut tel, que l’écho de cesbois

N’en dormit de plus de six mois.

L’oiseau qui porte Ganymède

Du monarque des dieux enfin implorel’aide,

Dépose en son giron ses œufs, et croit qu’enpaix

Ils seront dans ce lieu ; que, pour sesintérêts,

Jupiter se verra contraint de lesdéfendre :

Hardi qui les irait là prendre.

Aussi ne les y prit-on pas.

Leur ennemi changea de note,

Sur la robe du dieu fit tomber unecrotte ;

Le dieu la secouant jeta les œufs à bas.

Quand l’aigle sut l’inadvertance,

Elle menaça Jupiter

D’abandonner sa cour, d’aller vivre audésert,

De quitter toute dépendance,

Avec mainte autre extravagance.

Le pauvre Jupiter se tut :

Devant son tribunal l’escarbot comparut,

Fit sa plainte et conta l’affaire.

On fit entendre à l’aigle enfin qu’elle avaittort.

Mais, les deux ennemis ne voulant pointd’accord,

Le monarque des dieux s’avisa, pour bienfaire,

De transporter le temps où l’aigle faitl’amour

En une autre saison, quand la raceescarbote

Est en quartier d’hiver, et comme lamarmotte,

Se cache et ne voit point le jour.

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