Histoire d’un paysan – 1789 – Les États généraux

Chapitre 5

 

C’est de ce temps que je commence à vivre.Celui qui ne sait rien, et qui n’a pas le moyen de s’instruire,passe sur la terre comme un pauvre cheval de labour ; iltravaille pour les autres, il enrichit ses maîtres, et, quand ildevient faible et vieux, on s’en débarrasse.

Tous les matins, au petit jour, le pèrem’éveillait. Les frères et sœurs dormaient encore. Je m’habillaissans faire de bruit, et je sortais avec mon petit sac, les piedsdans mes sabots, le gros bonnet de roulier sur les oreilles et mabûche sous le bras. Il faisait froid à l’entrée de l’hiver. Jefermais bien la porte et je partais, soufflant dans mes doigts.

Comme tout me revient après tantd’années : le sentier qui monte et redescend, les vieux arbresdépouillés au bord du chemin, le grand silence de l’hiver dans laforêt ; et puis le village de Lutzelbourg au fond du vallon,avec son clocher pointu, le coq dans les nuages gris ; lepetit cimetière en bas, les tombes enterrées dans la neige ;les vieilles maisons, la rivière, le moulin du père Sirvin, quiclapote sur la grande fosse tournoyante… Est-il possible que leschoses de l’enfance vivent toujours dans votre esprit, quand lereste est vite oublié !…

J’arrivais presque toujours avant les autres.J’entrais dans la salle encore vide. La mère de M. le curéChristophe, une toute petite femme courbée et ratatinée, la jupe detoile rouge montant derrière jusqu’au milieu du dos, à la modealsacienne, le bonnet en forme de coussin, sur le chignon,Mme Madeleine, alerte comme une souris, venait déjà d’allumerle feu. Je posais ma bûche à côté du poêle, et mes sabots dessous,pour les sécher. Tout est encore là sous mes yeux : lespoutres blanchies à la chaux ; les petits bancs à lafile ; le grand tableau noir, contre le mur entre les deuxfenêtres ; tout au fond, la chaire de M. Christophe, surune petite estrade ; et au-dessus de la chaire, le grandcrucifix.

Chacun devait balayer à son tour, mais jecommençais en attendant les autres. Il en arrivait de Hultenhausen,des Baraques et même de Chèvrehof.

C’est là que j’ai connu tous mes vieuxcamarades : Louis Frossard, le fils du maire ; il estmort jeune, pendant la Révolution ; – Aloïs Clément, qui futtué d’un coup de mitraille à Valmy ; il était déjà lieutenanten 92 ; – Dominique Clausse, qui s’est établi menuisier, plustard, à Saverne ; – François Mayer, maître tailleur au6e hussards ; en 1820, il s’est retiré riche, à ceque l’on dit, mais où, je n’en sais rien ! – Antoine Thomas,chef de bataillon dans la vieille garde ; combien de fois ilest venu me voir à la ferme, après 1815 ! Nous causions de nosanciennes histoires ; je lui donnais toujours la chambred’honneur, en haut ; – Jacques Messier, garde général des eauxet forêts ; – Hubert Perrin, maître de la poste aux chevaux deHéming ; et cinquante autres, qui ne seraient jamais riendevenus sans la Révolution.

Avant 89, le fils du cordonnier restaitcordonnier, le fils du bûcheron restait bûcheron, on ne sortait pasde sa classe. Au bout de trente ou quarante ans, on vous retrouvaità la même place, faisant la même chose, un peu plus gros, un peuplus maigre, voilà tout ! Mais aujourd’hui, on peut s’éleverpar son courage et son bon sens, il ne faut jamais désespérer derien, le fils d’un simple paysan, pourvu qu’il ait du talent et dela conduite, peut arriver à gouverner la France.

Louons donc le Seigneur de nous avoir éclairésde ses lumières, et réjouissons-nous de ce beau changement.

Pour en revenir à mes anciens camaradesd’école, maintenant ils sont tous partis. L’année dernière nous nerestions plus que deux : Joseph Broussousse, chapelier àPhalsbourg, et moi. Quand j’allais acheter un chapeau de paille, auprintemps, le gros Broussousse reconnaissait ma voix ; ilarrivait toujours en traînant la jambe et criant :

– Hé ! c’est MichelBastien !

Il fallait absolument passer dansl’arrière-boutique et vider ensemble une bouteille de son vieuxbourgogne. Et Broussousse, à la fin, en me reconduisant, nemanquait pas de dire :

– Allons… allons… ça marche encore,Michel ! Mais, attention !… Lorsque je prendrai monpasseport, tu pourras faire viser le tien. Ha ! ha !ha !

Il riait.

Pauvre Broussousse ! L’automne dernier,il a fallu le conduire derrière la bascule. Et malgré tout ce qu’ilme disait, je ne veux pas faire viser mon passeport. Non ! ilfaut d’abord que cette histoire soit finie, et puis j’inventeraiencore autre chose pour attendre. Ne nous pressons pas, il esttoujours temps de lever le pied.

Enfin c’est chez M. Christophe que j’aiconnu tous ces vieux amis, et bien d’autres dont les noms mereviendront peut-être plus tard. – Sur le coup de huit heures, ilsarrivaient tous à la file en criant :

– Bonjour, monsieur Christophe !Bonjour, monsieur Christophe !

Il n’était pas encore là, et l’on criait toutde même. On se serrait autour du poêle, on riait, on se poussait.Mais à peine les grands pas de M. le curé se faisaient-ilsentendre dans l’allée, que tout se taisait. Chacun allait se mettresur son banc, la croisette sur les genoux et le nez dessus, sanssouffler. Car, pour dire la vérité, M. Christophe n’aimait pasle bruit ni les disputes ; je me rappelle l’avoir vu plusd’une fois, pendant la classe, lorsqu’on se donnait des coups decoude, se lever tranquillement, vous tirer du banc par le collet,et vous jeter dehors comme de petits chats.

On n’avait plus envie de recommencer, et mêmeon tremblait dans sa peau, lorsqu’il vous regardait de travers.

M. le curé arrivait donc ; ilregardait, debout sur la porte, si tout était en ordre. Onentendait bourdonner le feu ; rien ne bougeait ! Puis ilmontait dans sa chaire, en nous criant :« Allez ! » et tous ensemble nous chantions le B A,BA. Cela durait longtemps ; à la fin, M. le curé nouscriait : « Halte ! » et l’on se taisait. Alorsil nous appelait chacun à notre tour :

– Jacques ! Michel !Nicolas ! arrive !…

On s’approchait, le bonnet à lamain :

– Qui vous a créés et mis aumonde ?

– C’est Dieu.

– Pourquoi Dieu vous a-t-il créés et misau monde ?

– Pour l’adorer, pour l’aimer, pour leservir, et par ce moyen obtenir la vie éternelle.

C’était un bon moyen de nous instruire ;rien que d’avoir entendu répondre les autres, je savais au bout detrois mois presque tout mon catéchisme.

Il nous faisait aussi réciter le livret pardemandes et par réponses ; et puis il avait l’habitude, versonze heures, de passer derrière les bancs et de se pencher pourreconnaître si vous étudiez ; quand on épelait bas, il vouspinçait doucement l’oreille, en disant :

– C’est bien… ça marchera !

Chaque fois qu’il me disait cela, je nerespirais plus, mes yeux se troublaient de contentement. Une foismême il me dit :

– Tu préviendras maître Jean Leroux queje suis content de toi. Tu m’entends ? Je te donne cettecommission.

Ce jour-là le maire de la ville, les échevins,le gouverneur lui-même, n’auraient pas été mes cousins ; etpourtant je ne dis rien à maître Jean, pour ne pas tomber dans lepéché d’orgueil.

Au commencement du mois de mars, je savaislire. Malheureusement maître Jean ne pouvait pas me nourrir à nerien faire toute l’année, et quand le printemps revint, au lieu decontinuer d’aller à l’école, il fallut retourner à la pâture. Maisj’avais toujours le catéchisme dans mon sac, et pendant que meschèvres grimpaient sur les rochers, moi, tranquillement assis dansune touffe de bruyères, à l’ombre d’un hêtre ou d’un chêne, jerepassais ce que M. le curé nous avait appris. Il arriva doncqu’au lieu d’oublier mes leçons, comme ceux de Hultenhausen, deChèvrehof et d’ailleurs, je les savais encore mieux à la fin del’automne, et que M. Christophe, à la rentrée d’hiver, me fitpasser dans la classe des riches de Lutzelbourg, qui suivaientl’école toute l’année. J’appris tout ce qu’on apprenait en cetemps-là dans nos villages : à lire, écrire et calculer unpeu ; et le 15 mars 1781, je fis ma première communion. Ce futla fin de mes études. J’étais aussi savant que maître Jean ;le reste, avec du travail et de la bonne volonté, devait venir toutseul.

Depuis ce temps le parrain me prit tout à faità sa forge ; il donna son bétail à garder au vieux Yéri, lehardier de la ville, je continuais à le soigner dansl’étable, mais j’apprenais en même temps un état ; et quelquesmois après, la force m’étant venue, je battais déjà le fer entroisième.

La mère Catherine et Nicole avaient pour moide la considération, car le soir, lorsque le feu de la forge avaitfatigué les yeux de maître Jean, c’est moi qui lisais les gazetteset les petits livres de toute sorte que nous apportait Chauvel. Jelisais, mais sans comprendre, bien des choses ! Par exemple,quand la gazette parlait des droits de la couronne, des impositionsdes pays d’État et des pays d’élection, j’en suais sang eteau ; cela ne pouvait pas m’entrer dans la tête. Je voyaisbien que c’était de l’argent qu’il fallait donner au roi, mais jene comprenais pas la manière dont on nous le prenait.

Pour tout ce qui regardait notre pays, c’étaitautre chose. Quand la gazette parlait de gabelles, comme j’allaistoutes les semaines en ville acheter le sel de la maison, à sixsous la livre, ce qui ferait plus de douze sous aujourd’hui, je mefigurais le saunier criant par son guichet à quelque pauvrediable :

« Tu n’es pas venu mardi dernier… Tuachètes de la contrebande… J’ai l’œil sur toi… Prendsgarde !… »

Car, non seulement il fallait acheter le selau bureau de la gabelle, beaucoup plus qu’il ne valait, mais ilfallait en acheter tant par tête et par semaine.

Quand il était question de dîmes, je mefigurais le paulier, avec sa perche et ses voitures, criant au loindans les champs, pendant la moisson :

« Eh ! ohé ! gare laonzième ! »

Alors, même en temps d’orage, quand la pluiemenaçait, il fallait ranger les gerbes en ligne ; et lepaulier venait lentement, lentement vous accrocher les plus bellessous le nez, pour les lancer sur son tas.

C’était assez clair !

Je comprenais aussi les droits sur lesboissons, ceux du treizième sur les ventes, du péage, du halage surtoutes les marchandises, les droits réunis, les droits réservés,les droits de tarif, de cloison, d’imposition, d’entrée, d’octroi,de courte-pointe, de graissage, etc. Je n’avais qu’à me représenterles barrières, les halles, la mairie, et puis lescontrôleurs-jurés-visiteurs, les marqueurs, les jaugeurs, lescourtiers de police sur les vins, les inspecteurs-gourmets, lesessayeurs d’eau-de-vie, les essayeurs de bière, les jurés-vendeurs,priseurs et visiteurs de foin, les botteleurs, les leveurs deminot, les auneurs-jurés, les contrôleurs de porcs, les inspecteursaux boucheries, et mille autres employés, allant, venant, tâtant,regardant, ouvrant, déballant, arrêtant, tançant et confisquant…Tout cela, je le comprenais très bien.

Chauvel m’expliquait le reste.

– Tu veux savoir ce que c’est qu’un paysd’élection, me disait-il, tranquillement assis derrière le poêle,ce n’est pas difficile à comprendre, Michel. Un pays d’élection estune ancienne province de France, une des premières comme Paris,Soissons, Orléans, où les rois ont commencé. Dans ces pays-là, lesintendants du roi sont tout et font tout ; ils mettent lesimpositions comme ils veulent, ils chargent le baudet tant etplus ; ils sont les maîtres, personne n’ose piper ni seplaindre. Les plaintes qu’on fait contre eux leur reviennent, etils les jugent ! Autrefois ces pays nommaient eux-mêmes leursrépartiteurs ; ils arrangeaient leur bât, pour le porter avecmoins de peine. On appelait ces répartiteurs : les élus !et c’est à cause de cela qu’on disait : – Ce sont des paysd’élection. – Mais depuis deux cents ans les intendants nomment lesrépartiteurs ; cela leur convient mieux.

Il clignait de l’œil.

– As-tu compris, Michel ?

– Oui, maître Chauvel.

– Eh bien, pour les pays d’État, ou paysconquis, comme notre pays de Lorraine, d’Alsace, comme la Bretagne,la Bourgogne, c’est différent. Ici, les intendants ne font pastout, les nobles et les évêques se réunissent de temps en temps enassemblées provinciales, ils votent les impôts, d’abord pour lapart de la province dans les dépenses de tout le royaume ;c’est comme ils disent : – le don gratuit… l’affaire duroi ! – ensuite pour leurs propres dépenses, pour leurschemins, leurs cours d’eau, leurs bâtisses, etc. Avant de serendre, nos pays ont fait leurs conditions, les nobles et lesévêques de nos pays s’entend ! Ils ont eu leur capitulation,ils ont gardé leurs avantages et privilèges. Quant à nous, pauvrediables, nous payons, c’est notre droit ; personne ne viendranous l’ôter, celui-là ! Nous payons, non seulement commeautrefois les charges de nos provinces, mais depuis la capitulationnous payons en sus l’affaire du roi ; c’est le plus clair denotre bénéfice. Tu comprends, Michel ?

– Oui.

– Eh bien, tâche de t’ensouvenir !

Maître Jean s’indignait :

– Ce n’est pourtant pas juste, disait-il,son gros poing sur la table, non, ce n’est pas juste !Sommes-nous tous Français, oui ou non ? Sommes-nous du mêmesang, de la même nation ? Pourquoi les uns votent-ils leursimpositions, et pourquoi les autres payent-ils toujours ?Est-ce que les avantages et les frais ne doivent pas être mis encommun ?

– Hé ! sans doute, répondaittranquillement Chauvel. Et les barrières, et les taxes, et lesaides, et les corvées, et toutes ces charges qui pèsent sur lespauvres seuls, pendant que les nobles, les couvents et même lesbourgeois en train de s’anoblir ne supportent rien ou presque rien,tout cela n’est pas juste non plus ! Mais à quoi sert d’enparler ? Nous ne changerons rien à la chose.

Jamais il ne s’emportait. Je me rappellel’avoir souvent entendu raconter les misères de ses anciens, avecun grand calme : comme on les avait chassés de la Rochelle,comme on leur avait pris terre, argent, maisons, comme on les avaitpersécutés à travers toute la France, enlevant leurs enfants deforce, pour les élever dans la religion catholique, comme plustard, à Lixheim, on leur avait envoyé des dragons pour lesconvertir à coups de sabre, comme le père s’était sauvé dans lesbois du Graufthal, où la mère et les enfants l’avaient suivi lelendemain, renonçant à tout plutôt qu’à leur religion, comme legrand-père avait été mis aux galères de Dunkerque treize ans, lajambe attachée jour et nuit sur son banc de rameur, avec unvéritable scélérat pour maître, qui les rouait de coups tellement,qu’un grand nombre de ces calvinistes en mouraient ; et quandon livrait bataille, comment ces malheureux galériens voyaient lesAnglais pointer leurs grosses pièces chargées jusqu’à la gueule, –en face de leur banc, à quatre pas, sans pouvoir bouger, – et lamèche descendre sur la lumière ! et puis, une fois les balles,les clous et les biscaïens passés, comme on arrachait leurs jambesfracassées de la chaîne, comme on les jetait à la mer, en balayantle reste.

Il racontait ces choses, qui nous faisaientfrémir, en se râpant une prise de tabac dans le creux de la main,et sa petite Marguerite, toute pâle, le regardait avec ses grandsyeux noirs en silence.

Il finissait toujours par dire :

– Oui, voilà ce que les Chauvel doiventaux Bourbons, au grand Louis XIV, à Louis XV, le Bien-Aimé !C’est drôle, n’est-ce pas, notre histoire ? Et moi-même,encore aujourd’hui, je ne suis bon à rien, je n’ai pas d’existencecivile. Notre bon roi, comme tous les autres, en montant sur sontrône, au milieu de ses évêques et de ses archevêques, a juré notreextermination : – « Je jure de m’appliquer sincèrement etde tout mon pouvoir à exterminer de toutes les terres soumises à madomination, les hérétiques nommément condamnés parl’Église ! » Vos curés, qui dressent les actes de la vie,et qui doivent être pour tous les Français, refusent de dresser nosactes de naissance, de mariage et de décès. La loi nous défendd’être juges, conseillers, maîtres d’école. Nous ne pouvons querouler dans le monde, comme des animaux ; on nous couped’avance toutes les racines qui font vivre les hommes, et pourtantnous ne faisons pas de mal, tous sont forcés de reconnaître notrehonnêteté.

Maître Jean répondait :

– C’est abominable, Chauvel, mais lacharité chrétienne ?…

– La charité chrétienne !… Nousl’avons toujours eue, disait-il, heureusement pour nosbourreaux ! Si nous ne l’avions pas eue !… Mais tout sepaye, avec les intérêts des intérêts !… Il faut que tout sepaye !… si ce n’est pas dans un an, c’est en dix ; si cen’est pas en dix ans, c’est en cent… en mille… Tout sepayera !

On comprend d’après cela que Chauvel n’auraitpas voulu se contenter, comme maître Jean, d’un peud’adoucissement, d’un soulagement dans les impôts, dans la milice.Rien qu’à voir son teint pâle, ses petits yeux vifs et noirs, sonnez fin et crochu, ses lèvres minces toujours serrées, son échinesèche, courbée à force de porter la balle, et ses petits membresnerveux comme des fils de fer ; rien qu’à le regarder, onpensait :

« Ce petit homme-là veut tout ourien ! Il a de la patience tant qu’il en faut, il risqueraitles galères mille fois pour vendre des livres dans ses idées ;il n’a peur de rien, et il se méfie de tout ; si l’occasion seprésente, il ne fera pas bon d’être contre lui ! Et sa petitefille lui ressemble déjà ; cela casse, mais cela ne pliejamais. »

Sans penser à tout cela, – car j’étais tropjeune, – je le sentais en moi-même ; j’avais beaucoup derespect pour le père Chauvel ; je lui tirais le bonnet tout desuite, et je me disais : – Il veut le bien des paysans, noussommes ensemble !

Nos gazettes parlaient aussi dans ce tempsd’un déficit, et souvent le parrain s’écriait qu’il ne pouvait pascomprendre d’où venait ce déficit ; que le peuple payaittoujours ses impositions ; qu’on ne lui faisait pas grâce nicrédit d’un denier, qu’on l’augmentait même de jour en jour ;et que ce déficit-là montrait qu’il existait des voleurs ; quenotre bon roi ferait bien de rechercher ces voleurs ; que cene pouvait pas être des gens de notre classe, puisque une foisl’argent des impositions levé, les paysans n’en voyaient plus unliard, ni de près ni de loin ; il fallait donc bien croire queles voleurs étaient autour du roi.

Valentin alors levait les mains etdisait :

– Oh ! maître Jean, maître Jean, àquoi pensez-vous ? Mais autour de S. M. le roi ne viventque des princes, des ducs, des barons, des évêques ; des gensremplis d’honneur, qui mettent leur gloire bien au-dessus de larichesse.

– C’est bon, faisait maître Jeanbrusquement, pense ce qui te plaira, et laisse-moi penser ce qui meconvient. Tu ne me feras pas croire que les paysans, les ouvriers,et même les bourgeois, qui ne touchent à rien que pour payer,soient la cause du déficit. Pour voler, il faut s’approcher de lacaisse ; donc, si ce ne sont pas les princes, ce sont leurslaquais.

Le parrain avait raison, car, avant laRévolution, le peuple ne pouvait pas envoyer de députés pourvérifier les comptes, les seigneurs et les évêques avaient tout enmain ; ils étaient donc responsables de tout.

Mais, à dire la vérité, personne n’étaitencore sûr du déficit ; les gens en parlaient, et quelquefoisaussi les gazettes, d’une façon détournée, quand le roi nomma pourministre un marchand de Genève, qui s’appelait Necker. Cet homme, àla manière des marchands qui ne veulent pas faire banqueroute, eutl’idée de dresser le compte de toute la France : d’un côté lesgains, et de l’autre les dépenses.

Les gazettes appelaient cela le compte rendude M. Necker.

C’était la première fois, depuis des siècles,qu’on disait aux paysans où passait leur argent, parce que, derendre des comptes à ceux qui payent, c’est une idée de marchand,et que les seigneurs, les abbés et les moines étaient trop fiers ettrop saints pour avoir une idée pareille.

Quand je songe au compte rendu deM. Necker, c’est comme un rêve ! Tous les soirs, maîtreJean en parlait ; la guerre d’Amérique, Washington,Rochambeau, Lafayette, les batailles sur la mer des Indes, toutétait mis de côté pour ce compte rendu, qu’il épluchait en levantles mains et gémissant : « Maison du roi et de la reine,tant ! Maison des princes, tant ! Régiments suisses,tant ! Traitements des receveurs, fermiers, payeurs,régisseurs, tant ! Communautés, maisons, édifices de religion,tant ! Pensions sur la cassette,tant ! » – Et toujours par millions !

Je n’ai jamais vu d’homme plus indigné.

– Ah ! maintenant, criait-il, onvoit d’où vient notre grande misère, on voit pourquoi les gens vontpieds nus ; on voit pourquoi tant de milliers d’hommespérissent de froid et de faim ; on voit pourquoi tant deterres restent en friche. Ah ! maintenant, on comprendtout ! Dieu du ciel ! faut-il que les misérables donnenttous les ans cinq cents millions au roi, et que ce ne soit pasassez !… qu’il reste cinquante-six millions dedéficit ?

Rien que de voir sa figure, votre cœur seretournait.

– Oui, c’est bien triste, disait Chauvel,mais il faut aussi penser que c’est un grand bonheur de savoir oùpasse notre argent. Autrefois on pensait : « Que fait-onde cette masse d’argent ? Où va-t-il ? Est-ce qu’il tombedans la mer ? » Maintenant, en payant les milleimpositions de toute sorte, on saura ce que cela devient.

Alors maître Jean répondait encolère :

– Vous avez raison, ce sera bien agréablede penser : « Je travaille pour acheter des palais àM. de Soubise. Je me prive de tout, pour que Mgr le comted’Artois donne des fêtes de deux cent mille livres. Je m’échine dumatin au soir, pour que la reine accorde au premier mendiant noblevenu, dix fois plus que je n’ai gagné dans ma vie ». Ça nousréjouira beaucoup !

Malgré cela, l’idée que l’on allait nousrendre des comptes lui plaisait, et la première colère une foispassée, il dit :

– Depuis Turgot, nous n’avons pas eud’aussi bon ministre. M. Necker est un honnête homme, il suit lesidées de l’autre, qui voulait aussi soulager le peuple, diminuerles impôts, abolir les jurandes et rendre des comptes. Les grandsseigneurs et les évêques l’ont forcé de quitter la place. Pourvuqu’ils ne puissent pas en faire autant pour M. Necker, et quenotre bon roi le soutienne ! Maintenant, ceux qui nous ruinentauront un peu de honte, ils n’oseront pas continuer leursabominables dépenses. Quand ils passeront près d’un pauvre hommequi travaille aux champs, ils ne pourront pas s’empêcher de rougir,en voyant que ce malheureux les regarde avec mépris ; ilspenseront : « Celui-là doit avoir lu le compte deM. Necker ; il sait que ces plumets, ces chevaux, cettevoiture, et ces laquais me viennent de son travail, et que je lesai mendiés. »

Ce qui réjouissait encore plus maître Jean,c’est que M. Necker finissait son compte en disant que, pourpayer le déficit, il fallait abolir les privilèges des couvents etdes seigneurs, et leur demander les mêmes impôts qu’auxpaysans.

– Voilà le plus beau, disait-il,M. Necker a de très bonnes idées.

Le bruit d’un grand changement courait lepays, la bonne nouvelle entrait partout. Durant plus de troissemaines, Chauvel et sa petite Marguerite ne reparurent plus auvillage, et pendant tout ce temps, ils ne firent que vendre descomptes rendus de M. Necker. C’est à Pont-à-Mousson qu’ils lescherchaient pour la Lorraine, et à Kehl pour l’Alsace. Je ne saisplus combien ils vendirent de ces petits livres ; Margueriteme l’a dit autrefois, mais tant d’années se sont passéesdepuis ! Les jours de marché, vous n’entendiez plus parler quede l’abolition des privilèges et de l’égalité des impôts :

– Hé ! maître Jean, il paraît doncqu’à la fin des fins, nos bons seigneurs et nos abbés seront aussiforcés de payer quelque chose ?

– Mon Dieu, oui, Nicolas ! C’est cegueux de déficit qui nous vaut ça. Les anciens impôts ne suffisentplus, le peuple n’arriverait jamais à remplir le déficit ;c’est terrible, terrible… Quel malheur !…

Et l’on riait. On s’offrait une prise detabac, en plaignant ces pauvres moines, ces pauvres seigneurs.

Cela se passait en 81 ; mais la confiancene dura pas longtemps. On apprit bientôt que le comte d’Artois, lareine Marie-Antoinette et le vieux ministre Maurepas ne pouvaientpas supporter ce ministre bourgeois qui voulait rendre des comptes.L’inquiétude gagnait de plus en plus, on se méfiait de quelquechose ; et le 2 juin 1781, un vendredi, maître Jean m’ayantenvoyé chercher du sel au bureau de la gabelle, je trouvai toute laville en l’air. La musique du régiment de Brie jouait sous lebalcon de M. le marquis de Talaru. Les tambours battaientdevant l’hôtel du prévôt, et devant la maison du major, ilsallaient par détachements, comme au jour de Noël, et ces tamboursrecevaient aussi de bons pourboires. On aurait dit une fête !Mais le peuple était triste ; les marchands de volaille et delégumes, assis sur leurs petits bancs à la file, ne criaient pascomme à l’ordinaire. On n’entendait que cette musique sur la place,et les tambours à droite et à gauche dans les rues.

Devant le bureau de la gabelle se pressait lafoule. De jeunes officiers, des cadets comme on les appelait, leurspetits chapeaux de travers et la bouffette au bras, allaient partrois et par quatre, riant et faisant les fous. Le saunier comptamon argent, il me passa le sac par son guichet et je partis.

Au coin de la halle, quelques marchands degrains causaient entre eux :

– C’est fini, disait un de ces hommes,c’est fini, nous ne pouvons plus compter sur rien : le roi l’amis dehors.

Aussitôt l’idée me vint que Necker étaitrenvoyé, car on ne parlait que de lui depuis trois mois. Je medépêchai donc de retourner aux Baraques. Les vieux soldats de gardeà la porte d’Allemagne fumaient leur pipe, et jouaienttranquillement à la drogue comme d’habitude.

Lorsque j’arrivai devant notre forge, maîtreJean savait déjà tout, par des marchands qui revenaient de laville. Ces marchands étaient encore là, racontant ce qu’ils avaientappris. Le parrain criait :

– Ça n’est pas possible !… ça n’estpas possible !… Si M. Necker s’en va, qui payera ledéficit ? Les autres iront toujours leur train, ils donnerontdes fêtes, des chasses et des réjouissances, ils jetteront l’argentpar les fenêtres, le déficit, au lieu de diminuer, grandira. Jevous dis que ce n’est pas possible.

Mais quand je lui racontai ce que j’avaisvu : les réjouissances des cadets, la musique devant l’hôteldu gouverneur, et le reste, ses gros sourcils se froncèrent.

– Allons, dit-il, je vois que c’est vrai,le brave homme s’en va ! J’avais cependant cru que notre bonroi voulait le soutenir.

Il aurait dit encore bien d’autres choses,mais nous ne connaissions pas tous les gens qui se trouvaient là,sur la porte, et qui nous regardaient en écoutant. Il reprit sonmarteau et nous cria :

– Courage !… Travaillons bien… Ilfaut payer la pension de Soubise ! En avant,garçons !…

Il riait tellement haut, qu’on l’entendait enface, à l’auberge, et que la mère Catherine se penchait dehors,pour voir ce qui se passait.

Les marchands s’en allèrent, et beaucoupd’autres défilèrent encore tout ce jour, dans la tristesse. On nedit plus rien ; seulement le soir, entre nous, la porte et lesvolets fermés, maître Jean vida son cœur :

– M. le comte d’Artois et notrebelle reine, dit-il, ont fini par l’emporter ! Malheur aupauvre homme qui se laisse conduire par une femme dépensière !il peut avoir toutes les bonnes qualités du monde, il peut aimerses peuples, il peut abolir les corvées et la question, mais lesfêtes, les danses, les plaisirs de toute sorte, il ne peut pas lesabolir ! sur ce chapitre, la femme dépensière n’écoute rien,elle ne veut rien entendre ; elle verrait tout périr, que lesfêtes devraient toujours aller leur train : c’est pour celaqu’elle est venue au monde ! Il lui faut des compliments, desbouquets, de bonnes odeurs. Regardez ce pauvre tabellionRégoine : un homme à son aise, un homme que son père, songrand-père, tous ses parents avaient enrichi, et qui n’avait qu’àse laisser vivre tranquillement jusqu’à cent ans. Eh bien ! ila le malheur de prendre Mlle Jeannette Desjardin pour safemme ; alors il faut courir à toutes les fêtes, à toutes lesnoces, à tous les baptêmes ; il faut atteler la carriole matinet soir, et mettre dessus deux bottes de paille fraîche, pourarriver glorieusement à la danse. Et puis, au bout de cinq ou sixans, les huissiers arrivent, ils vident la maison, ils vendentterres et meubles ; le pauvre Régoine va se promener auxgalères, et Mme Jeannette court le monde avec le chevalier deBazin, du régiment de Rouergue. Voilà ce que fait la femmedépensière ; voilà comme tout finit avec des êtrespareils.

Plus maître Jean parlait, plus la colèrel’emportait ; il n’osait pas prédire que notre reineMarie-Antoinette nous entraînerait tous dans le malheur, mais onvoyait bien à sa mine qu’il le pensait. Ses discours duraient aumoins depuis une demi-heure, il ne finissait plus de parler.

Dehors il pleuvait et le vent soufflait ;c’était un vilain jour.

Mais nous devions avoir encore une grandefrayeur, et même apprendre des choses plus tristes ; car,après neuf heures, comme Nicole couvrait le feu, et que j’allais memettre un sac sur le dos pour courir chez nous, deux grands coupsretentirent aux volets.

Maître Jean venait de tant crier, que, malgréla pluie et le vent, on pouvait l’avoir entendu. Nous nousregardions sans bouger, et dame Catherine portait déjà la lampedans la cuisine, pour faire croire que nous dormions ; l’idéedes sergents, debout à la porte, nous rendait tout pâles, quand unegrosse voix se mit à crier dehors :

– C’est moi, Jean… C’est Christophe…Ouvre !…

Et l’on pense si nous reprîmes haleine.

Maître Jean sortit dans l’allée, et la mèreCatherine rapporta la lampe.

– C’est toi ? disait maîtreJean.

– Oui, c’est moi.

– Quelle peur tu viens de nousfaire !

Presque aussitôt ils entrèrent ensemble ;et nous vîmes tout de suite que M. le curé Christophe n’étaitpas content, car, au lieu de saluer Mme Catherine et tout lemonde comme toujours, il ne fit attention à personne, et secoua songrand tricorne plein de pluie, en s’écriant :

– Je viens de Saverne… J’ai vu ce fameuxcardinal de Rohan… Dieu du ciel ! Dieu du ciel ! faut-ilque ce soit un cardinal, un prince de l’Église… Ah ! quand j’ypense !…

Il avait l’air indigné. L’eau coulait de sesjoues jusque dans le collet de sa soutane ; il ôta brusquementson rabat et le mit dans sa poche, en se promenant de long enlarge. Nous le regardions tout surpris ; lui n’avait pas l’airde nous voir et parlait à maître Jean seul.

– Oui, j’ai vu ce prince, s’écriait-il,ce grand dignitaire, qui nous doit l’exemple des bonnes mœurs et detoutes les vertus chrétiennes, je l’ai vu conduire lui-même savoiture et passer au galop dans la grande rue de Saverne, au milieudes faïences et des poteries étalées à terre, en riant comme unvrai fou… Quel scandale !…

– Tu sais que Necker est renvoyé ?lui demanda maître Jean.

– Si je le sais ! fit-il en souriantd’un air de mépris. Est-ce que je ne viens pas de voir lessupérieurs de tous les couvents d’Alsace, les picpus, les capucins,les carmes déchaussés, les barnabites, tous les mendiants, tous lesva-nu-pieds défiler en grande cérémonie dans les antichambres deSon Éminence ? Ha ! ha ! ha !

Il arpentait la chambre. La boue le couvraitjusqu’à l’échine, la pluie le trempait jusqu’aux os, mais il nesentait rien, sa grosse tête grise et crépue frémissait ; ilse parlait en quelque sorte à lui-même :

– Oui, Christophe, oui, voilà les princesde l’Église !… Va demander la protection de monseigneur pourun pauvre père de famille ; va te plaindre à celui qui doitêtre le soutien du clergé ; va lui dire que les employés dufisc, sous prétexte de rechercher de la contrebande, ont pénétréjusque dans ton presbytère ; qu’il a fallu leur livrer lesclefs de ta cave, de tes armoires. Dis-lui qu’il est indigne deforcer un citoyen, quel qu’il soit, d’ouvrir sa porte de jour et denuit, à des hommes armés qui n’ont aucun uniforme, aucune marquequi puisse les distinguer d’avec les brigands ; qui sont crussur leur serment en justice ! sans qu’il soit permis de faireaucune information sur leurs vie et mœurs, lorsqu’on les installedans leurs fonctions, qu’on confie à leur périlleuse parole lafortune, l’honneur, quelquefois la vie des gens. Dis-lui qu’ilappartient à sa dignité de porter ces justes réclamations au pieddu trône, et de faire relâcher un malheureux traîné en prison,parce que les gabeloux ont trouvé chez lui quatre livresde sel… Va… va… tu seras bien reçu, Christophe !

– Mais au nom du ciel, lui dit maîtreJean, que t’est-il donc arrivé ?

Alors il s’arrêta deux minutes etdit :

– J’étais allé là, pour me plaindre d’unevisite générale que les employés de la gabelle ont faite hier àonze heures du soir, dans mon village, et de l’arrestation d’un demes paroissiens, Jacob Baumgarten. C’était mon devoir. Je pensaisqu’un cardinal comprendrait cela, qu’il aurait pitié d’unmalheureux père de six enfants, dont tout le crime est d’avoiracheté quelques livres de sel de contrebande, et qu’il le feraitrelâcher ! Eh bien, d’abord il m’a fallu rester deux heures àla porte de ce magnifique château, où les capucins entraient commechez eux. Ils allaient complimenter monseigneur sur l’heureuxchangement de Necker. Et puis, on m’a permis d’entrer dans cetteBabylone, où l’orgueil de la soie, de l’or et des pierres se montrepartout, dans la peinture et dans le reste ! Enfin on m’alaissé là depuis onze heures du matin jusqu’à cinq heures du soir,avec deux pauvres curés de la montagne. Nous entendions rire leslaquais. Nous en voyions de temps en temps un grand, habillé derouge, sur la porte, qui nous regardait et criait aux autres :« La prêtraille est toujours là ! » Je patientais…Je voulais me plaindre à monseigneur, lorsqu’un de ces drôles estvenu nous dire que les audiences de monseigneur étaient renvoyées àhuit jours. Le gueux riait.

En disant cela, M. le curé Christophe,qui tenait son gros bâton de houx, le cassa comme une allumette, etsa figure devint terrible.

– Le pendard aurait mérité des soufflets,dit maître Jean.

– Si nous avions été seuls, répondit lecuré, je l’aurais pris aux oreilles, et je l’aurais arrangé !Mais là, j’ai fait le sacrifice de mon humiliation au Seigneur.

Alors il se remit à marcher. Nous leplaignions tous. La mère Catherine était allée lui chercher du painet du vin, il resta debout pour manger, et tout à coup sa colères’était calmée. Mais il dit des choses que je n’oublieraijamais ; il dit :

– L’humiliation de la justice estpartout. Le peuple fait tout, et les autres ne font rien que desinsolences, ils mettent sous leurs pieds toutes les vertus, ilsméprisent la religion ! C’est le fils du pauvre qui lesdéfend, c’est le fils du pauvre qui les nourrit ; et c’estencore le fils du pauvre, comme moi, qui prêche le respect de leursrichesses, de leurs dignités et même de leurs scandales !Jusqu’à quand cela peut-il durer ? Je n’en sais rien, maiscela ne peut pas durer toujours : c’est contraire à la nature,c’est contraire à la volonté de Dieu ; c’est un acte deconscience que de prêcher le respect de ce qui mérite lahonte ! Il faut que cela finisse, car il est écrit :« Ceux qui font mes commandements entreront dans mademeure ; mais dehors seront les impudiques, les menteurs, lesidolâtres : quiconque aime la fausseté et lacommet ! »

Ce même soir, M. Christophe retourna dansson village. Nous étions tristes, et maître Jean nous dit avant denous séparer :

– Tous ces nobles ne connaissent qu’euxseuls. Lorsqu’ils sont forcés de se servir d’un de nous, que cesoit comme prêtre, comme ouvrier ou comme soldat, ils l’humilientet s’en débarrassent aussitôt que possible. Eh bien, ils onttort ! Et maintenant que tout le monde connaît le déficit, leschoses vont changer. On sait que l’argent vient du peuple, et lepeuple se lassera de travailler pour des princes et des cardinauxde cette espèce.

Je retournai dans notre baraque après dixheures, et toutes ces pensées me suivirent jusque dans le sommeil.J’avais les mêmes idées que maître Jean, Chauvel et M. le curéChristophe ; mais les temps n’étaient pas encore venus ;nous devions encore beaucoup souffrir avant d’arriver à notredélivrance.

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