Histoire d’un paysan – 1794 à 1795 – Le Citoyen Bonaparte

Chapitre 7

 

Au moment même où Pichegru faisait massacrerses divisions par les Autrichiens, avaient eu lieu les nouvellesélections ; bientôt après, les gazettes nous apprirent que laConvention venait de déclarer sa mission terminée, et que lesnouveaux représentants élus s’étaient partagés selon leur âge, pourêtre du conseil des Anciens ou des Cinq-Cents ; que le conseildes Cinq-Cents avait ensuite nommé cinquante membres, parmilesquels celui des Anciens avait choisi nos cinq directeurs :Lareveillière-Lépaux, Letourneur (de la Manche), Rewbell, Barras etCarnot, en remplacement de Sieyès, qui refusait. Ces directeursdevaient être renouvelés par cinquième, d’année en année ; ilspouvaient être réélus. Les conseils devaient se renouveler partiers, tous les ans.

La Convention, en se retirant le 26 octobre1795, avait duré trois ans et trente-cinq jours ; elle avaitrendu plus de huit mille décrets. Mais depuis le 9 thermidor et larentrée des girondins royalistes, ce qui restait d’hommes justes etde vrais républicains dans cette assemblée, ne pouvait empêcher lesautres, en majorité, de ruiner ouvertement la république. Tous leshonnêtes gens furent donc heureux de la voir finir.

Le 15 novembre nous reçûmes une lettre deChauvel, nous annonçant qu’il revenait à Phalsbourg, et lesurlendemain, un mardi, pendant la grande presse du marché, nous levîmes entrer dans notre boutique, sa petite malle de cuir à lamain, au milieu de l’encombrement des hottes, des paniers et desgrands chapeaux montagnards. Quel joyeux spectacle pour un homme decommerce comme Chauvel ! Nous étions sortis du comptoir etnous l’embrassions avec un bonheur qu’il est facile de sereprésenter.

Lui nous disait gaiement :

– C’est bien, mes enfants, c’estbien ; retournez à votre ouvrage, nous causerons plustard ; je vais me chauffer à la bibliothèque.

Et, durant trois heures, derrière les petitesvitres de l’arrière-boutique, il vit les affaires que nousfaisions ; ses yeux brillaient de satisfaction. Les paysans deconnaissance et des files de patriotes entraient lui serrer lamain. On riait ; on se dépêchait de servir, pour avoir letemps d’échanger quelques mots, et puis on retournait à sonposte.

Ce ne fut que vers une heure, quand lesmarchands de grains, de légumes et de volailles eurent repris lechemin de leur village, que nous pûmes enfin causer et dînertranquillement.

Ce qui réjouissait le plus Chauvel, c’estqu’avec notre grand débit de boissons, d’épicerie et de mercerie,nous avions la facilité de répandre des journaux et des livrespatriotiques en masse. Il allait et venait dans notre petitechambre, l’enfant sur les bras, et s’écriait :

– Voilà ce qu’il fallait !…Autrefois, quand je courais le pays ma hotte au dos, c’était tropfatigant ; aujourd’hui que les gens viennent chez nous, nousaurons tout sous la main. On ferme nos clubs ; nous aurons unclub dans chaque baraque, jusqu’au fond de la montagne ; aulieu de lire à la veillée des histoires de bandits et de sorcières,on lira les traits héroïques, les actions généreuses des citoyens,leurs découvertes, leurs inventions, leurs entreprises utiles aupays, les progrès du commerce, de la fabrication, de la culturedans toutes les branches, enfin tout ce qui peut servir aux hommes,au lieu de leur boucher l’esprit, de les rendre superstitieux et deles aider à tuer le temps. Nous allons faire un bien immense.

Il fut aussi très heureux de voir mon amiSôme ; du premier coup d’œil ils s’étaient jugés, et seserrèrent la main comme d’anciens camarades.

Ce même soir, après souper, Raphaël Manque,Collin, le nouveau rabbin, Gougenheim, Aron Lévy, maître Jean etmon père étant arrivés, les embrassades et les cris de joieapaisés, on se mit à parler de politique.

Chauvel raconta l’état de nos affaires ;il dit que dans notre position actuelle, au milieu des divisionsqui nous déchiraient, de la ruine qui nous menaçait, dudécouragement qui gagnait le peuple, les patriotes devaientredoubler de prudence. Maître Jean Leroux ayant alors fait observerque, la constitution de l’an III assurant à chacun ce qu’il avaitgagné, la révolution était en quelque sorte finie, Chauvel luirépondit avec vivacité :

– Vous êtes dans une grande erreur,maître Jean, cette constitution ne finit rien du tout ; elleremet au contraire tout en question. C’est l’œuvre des royalistesconstitutionnels et de la bourgeoisie, pour écarter le peuple dugouvernement, et le priver de sa part légitime dans les conquêtesde la république sur le despotisme. Quand je dis que la bourgeoisieest complice des royalistes dans cette abomination, il fautdistinguer entre l’honnête bourgeoisie, et l’intrigante quil’entraîne dans ses manœuvres ; les vrais bourgeois sont lesenfants du peuple, élevés par leur instruction, leur intelligenceet leur courage ; ce sont les commerçants, les fabricants, lesentrepreneurs, les avocats, les gens de loi, les médecins, lesécrivains honnêtes, les artistes de toute sorte, tous ceux qui fontavec les ouvriers et les paysans la richesse d’un pays.

» Ceux-là ne veulent que laliberté ; c’est leur force, leur avenir ; sans liberté,toute cette bourgeoisie, la vraie, – celle qui dans le temps ademandé l’abolition des jurandes et des communautés, qui plus tarda rédigé les cahiers du tiers dans toute la province, et qui par safermeté, par son bon sens, a forcé la main du roi, de la noblesseet du clergé – sans la liberté, cette brave et solide bourgeoisie,l’honneur et la gloire de la France depuis des siècles, estperdue !… Mais à côté de celle-là, malheureusement, il enexiste une autre, qui n’a jamais vécu que de places dugouvernement, de pensions sur la cassette, de monopoles et deprivilèges, qui donnait tout au roi, pour recevoir de sa mainsacrée les dépouilles de la nation.

» Celle-là ne veut pas de laliberté ; la liberté, c’est la supériorité du travail, del’intelligence et de la probité sur l’intrigue ; elle aimemieux tout obtenir de la munificence d’un prince ou d’unstathouder, cela coûte moins de peine ; les enfants sontrecommandés ; on leur apprend à plier l’échine, à traîner lechapeau jusqu’à terre devant les grands, et les voilà lotis, leuravenir est assuré. C’est cette bourgeoisie-là qui vient de faire laconstitution de l’an III, malgré nous ; avec lessoixante-treize girondins rentrés à la Convention après thermidoret tous les autres royalistes, ils ont eu la majorité. Le coup,prévenu par Danton le 31 mai 93, devenait facile ; nousn’avions plus rien à dire !… Ces messieurs ont établi leursélections à deux degrés, leurs deux conseils et leurdirectoire ; comme ils avaient besoin d’un appui, lesmalheureux ont entraîné la vraie bourgeoisie dans leur iniquité, enlui faisant peur du peuple et en lui donnant part auxbénéfices. »

Chauvel parlait si clairement, que personnen’avait rien à répondre.

– Eh bien, dit-il, en déclarant que pourêtre député il faudrait avoir la propriété ou l’usufruit d’un bienpayant une contribution de la valeur de deux cents journées detravail, qu’ont-ils fait, ces honnêtes gens ? ils ont séparéles bourgeois du peuple, ils les ont rendus ennemis. Ils sefigurent que le peuple, après la révolution comme avant, va donnerson sang et le fruit de son travail pour des bourgeois de leurespèce, qui gouverneront au moyen d’un roi constitutionnel, un groshomme chargé de bien boire et de bien manger, pendant qu’ilsexploiteront le pays. La place de ce roi constitutionnel estmarquée dans leur constitution ; c’est le Directoire qui laremplit provisoirement ; plusieurs même avaient proposéd’appeler le roi tout de suite ; malheureusement Louis XVIIIespère mieux, il n’accepte pas de constitution ; il est dedroit divin comme Louis XVI et Louis XVII ; il veut restermaître absolu, et s’entourer de noblesse au lieu de bourgeoisie.Cela les embarrasse !… Mais le peuple dépouillé de ses droitsne les embarrasse pas ; ils sont bien sûrs qu’il va sesoumettre : – Imbéciles !

Chauvel, penché sur notre petite table, se mità rire ; et, comme nous l’écoutions en silence :

– Tout cela savez-vous ce quec’est ? dit-il, c’est la révolution qui ne finit jamais, larévolution en permanence ; il faut être aveugle pour ne pas levoir. Qu’il arrive un Danton, dans trois, quatre, dix ou vingt ans,il a son armée préparée d’avance : c’est le peuple dépouilléqui réclame la justice ! Danton parle, la révolutionrecommence ; on chasse le roi, les princes et lesintrigants ; l’honnête bourgeoisie est ruinée, son commerceest ébranlé, son industrie à bas ; elle paye pendant que lescoureurs de places se sauvent avec la caisse jusqu’à la fin del’orage. Ils reviennent avec le prince et refourrent dans leurconstitution de nouveaux bourgeois, parce que les anciens n’ontplus le sou ; eux, ils se portent toujours bien avec SaMajesté. Les affaires reprennent, mais la question n’est toujourspas résolue ; après Danton, c’est un général heureux quimarche sur Paris en criant : « Je viens défendre lesdroits du peuple. »

» Le peuple serait bien bête de s’opposerà ce général ; c’est encore la révolution quirecommence ! Et cette révolution recommencera, jusqu’à ce queles bourgeois se séparent des aristocrates et des intrigants quiprennent leur nom, et se réunissent franchement au peuple, pourréclamer avec lui la liberté, l’égalité, la justice, et reconnaîtrela république comme le seul gouvernement possible avec le suffrageuniversel. Alors la révolution sera finie. – Qu’est-ce qui pourratroubler l’ordre, quand le peuple et la bourgeoisie ne ferontqu’un ? – Chaque citoyen aura le rang qu’il mérite par sontravail, son intelligence et sa vertu ; on pourra vivre sanscraindre de tout perdre du jour au lendemain. Je vous en préviens,les jeunes gens comme Michel verront les révolutions se suivre à lafile, tant que la séparation du peuple et de la bourgeoisie ne serapas effacée, tant qu’un ouvrier pourra dire en parlant d’unbourgeois : « C’est un privilégié. » La constitutionde l’an III causera les plus grands malheurs. Bien loin de toutfinir, comme pense maître Jean, c’est elle qui met la guerre civileen train pour des années.

Tous les amis présents écoutaient Chauvel avecplaisir, et mon camarade Sôme se levait de temps en temps pouraller lui serrer la main en disant :

– C’est ça ! Je pense comme vous,citoyen ; la révolution ne peut finir que si les bourgeoisinstruits se mettent à la tête et soutiennent la république. Labourgeoisie est l’état-major du peuple. Malheureusement nousn’avons plus de bourgeois comme Danton, Robespierre, Marat,Saint-Just, Camille Desmoulins, – car c’étaient tous des bourgeois,des avocats, des médecins, des savants, capables de faire sonner letocsin, de soulever les sections et de marcher à la tête dupeuple.

– Non, lui répondit Chauvel, larévolution les a tous consommés ; aussi les aristocrates necraignent plus le peuple des faubourgs, depuis qu’il n’a plus dechefs ; le peuple lui-même est las de troubles à l’intérieur,la dernière famine surtout, avant l’insurrection de prairial, l’acomplètement épuisé. Maintenant les royalistes cherchent un généralcapable d’entraîner son armée contre la république ; s’ils letrouvent, les bourgeois sont perdus ; ils auront beau crier ausecours ! le peuple, qu’ils ont trahi, laissera faire. Etvoilà comme la partie instruite de la nation, la bourgeoisielaborieuse, sera paralysée, faute d’avoir le courage d’être justeavec le peuple, de l’élever, de l’instruire, de lui donner sa partdans le gouvernement, de le pousser aux premières places, s’il enest digne. Que les fainéants descendent et disparaissent ; queles travailleurs montent ; que les œuvres de chacun marquentsa place dans la nation et non pas ses écus. Notre révolution c’estcela ; si les bourgeois ne veulent pas le comprendre, tant pispour eux ; s’ils s’attachent aux royalistes, tous serontemportés ensemble, car la république finira par triompher danstoute l’Europe.

Chauvel se plaisait à faire des discours. Jene me souviens pas de tout ce qu’il dit ; mais les principaleschoses me sont restées, parce que si nous n’avons pas vu revenir unDanton se remettre à la tête des affaires, les généraux n’ont pasmanqué, même les généraux anglais, prussiens, russes etautrichiens, qui, par la suite, sont venus nous essuyer leursbottes sur le ventre. Cela rafraîchit les souvenirs d’unhomme ; j’ai toujours pensé que la constitution de l’an III enétait cause.

Enfin, ce soir-là, chacun fut content d’avoiréclairci ses idées sur notre constitution, et l’on résolut de seréunir quelquefois pour causer des affaires du pays.

Le lendemain, Chauvel ne s’occupait plus quede notre commerce ; il avait déjà vu notre inventaire endétail, nos bénéfices, notre dette, notre crédit. Je me souviensque le troisième ou quatrième jour de son arrivée, il fit descommandes de gazettes et de catéchismes républicains tellementextraordinaires, que je crus qu’il perdait la tête ; il enriait et me disait :

– Sois tranquille, Michel, ce quej’achète je suis sûr de le vendre ; j’ai déjà pris mes mesurespour cela.

Et, vers la fin de la semaine, arrivèrent despaquets de petites affiches imprimées chez Jâreis, de Sarrebourg.Ces petites affiches, grandes comme la main, portaient :« Bastien-Chauvel vend : encre, plumes, papier,fournitures de bureau ; il vend : épiceries, merceries,fournitures militaires ; il débite eau-de-vie etliqueurs ; il loue des livres à raison de trente sous parmois, etc., etc. »

– Mais, beau-père, lui dis-je, qu’est-ceque vous voulez donc faire de tout cela ? Est-ce que nousallons envoyer des gens poser ces affiches dans tous lesvillages ? Vous savez bien que les trois quarts et demi despaysans ne connaissent pas l’A B C ; à quoi bon faire une sigrande dépense ?

– Michel, me dit-il alors, ceux quiverront ces affiches savent tous lire ; nous allons les mettreà l’intérieur de la couverture des livres que nous louons et quenous vendons ; elles iront partout, et l’on se souviendra queBastien-Chauvel tient une quantité d’articles.

Cette idée me parut merveilleuse ; durantquinze jours, nous ne fûmes occupés, le soir, qu’à bien coller cesaffiches dans les livres de notre bibliothèque, dans lescatéchismes des droits de l’homme, et même sur les almanachs, quise vendaient plus que tout le reste.

Les autres épiciers, merciers, quincailliers,marchands de vin et d’eau-de-vie, voyant notre boutique toujourspleine de monde, s’écriaient :

– Mais qu’est-ce que cette maison a doncpour attirer toute la ville ? On s’y porte comme à lafoire !

Les uns se figuraient que le coin de la rue enétait cause, les autres la halle en face ; mais cela venait denos affiches, qui répandaient le nom de Bastien-Chauvel, etfaisaient connaître nos articles jusqu’à trois et quatre lieues dePhalsbourg. Il arrivait alors que les autres marchands,reconnaissant notre prospérité, se mettaient à vendre les mêmesarticles que nous ; je m’en indignais, mais le père Chauvels’en faisait du bon sang et me disait :

– Hé ! c’est tant mieux,Michel ; les pauvres diables n’ont pas d’idées, ils sontforcés de suivre les nôtres, et nous avons toujours l’avance. Voilàce qu’on appelle le progrès, la liberté du commerce ; quand onveut la liberté pour soi, il faut la vouloir pour tous. La seulechose que nous ne pourrions pas permettre, ce serait si des gueux,des filous, mettaient de nos affiches signées Bastien-Chauvel surde mauvaises drogues ; alors la justice serait là, leurindustrie ne durerait pas longtemps, parce que les honnêtes gens detous les partis sont associés contre la canaille ; c’est cequi fait l’institution des tribunaux, et ce qui rend la justice sirespectable.

Notre petit commerce allait donc de mieux enmieux depuis le retour de Chauvel, et pourtant cet hiver de 1795fut bien mauvais, à cause de la masse des assignats qui grandissaittoujours, et que personne ne voulait plus recevoir.

Le Directoire était bien forcé d’en faire denouveaux, puisque nous n’avions plus d’argent et qu’il fallaitpayer les armées, les fonctionnaires, la justice, etc. ;c’était une véritable désolation. Il fallut même décréter que lamoitié des contributions seraient payées en foin, paille, grains detoutes sortes pour l’approvisionnement des troupes. Cette mesurefit jeter de grands cris ; les paysans ayant obtenu presquepour rien la meilleure part des propriétés nationales, n’ypensaient déjà plus, ou ne voulaient plus en entendre parler ;l’égoïsme et l’ingratitude s’étendaient partout ; et, quand ony regarde de près, c’était de la pure bêtise, car si les arméesn’avaient pas été soutenues, la noblesse serait rentrée et lespaysans n’auraient pas gardé leurs biens.

C’est aussi dans cet hiver que Hoche pacifiala Vendée, qui s’était insurgée de nouveau, pensant que le comted’Artois allait arriver. Mais ce fils de saint Louis et de Henri IVétait un lâche ! Après avoir débarqué d’abord à l’île Dieu, ilrefusa de descendre en Vendée, malgré les supplications deCharette, et repartit pour l’Angleterre, abandonnant les malheureuxqui s’étaient soulevés pour lui.

Hoche pacifia le Bocage et le Marais, enécrasant les insurgés, en permettant aux gens paisibles de rebâtirleurs églises ; en prenant Stofflet et Charette et les faisantfusiller. Cela lui fit le plus grand honneur.

Après cette pacification, il pacifia laBretagne, en exterminant les chouans comme les autres, et disantaux paysans :

– Restez tranquillement chez vous ;priez Dieu ; élevez vos enfants ; tout le monde est libresous la république, excepté les bandits qui veulent tout avoir sanstravailler.

La grande masse des gens était alors si lasse,si malheureuse, qu’on ne demandait plus que le repos. À Paris ons’amusait, on dansait, on donnait des fêtes, on se gobergeait detoutes les façons. Je parle des Cinq-Cents, des Anciens et duDirectoire, de leurs femmes et de leurs domestiques, bien entendu.Quelquefois Chauvel, en lisant cela, hochait la tête etdisait :

– Ce Directoire tournera mal, mais cen’est pas tout à fait sa faute ; les souffrances ont été sigrandes, le peuple a perdu tant de sang ; les hommes forts ontété si durs envers eux-mêmes et les autres ; ils ont rendu lavertu si lourde, si pénible, que maintenant la nation découragée necroit plus à rien, et s’abandonne elle-même. Dieu veuille que lesgénéraux soient patriotes et vertueux ! car aujourd’hui quipourrait les démasquer, les traduire à la barre, les juger et lescondamner ? Ce que les Lafayette et les Dumouriez n’ont putenter sans péril, ceux-ci le feraient sans peine.

Ce qui nous fit à tous plaisir, et surtout àSôme, ce fut d’apprendre que Pichegru venait d’être destitué. Onavait découvert à Paris, chez un nommé Lemaître, des papiersprouvant que lui, Tallien, Boissy-d’Anglas, Cambacérès, Lanjuinais,Isnard, l’organisateur des compagnons de Jéhu, et plusieurs autresétaient en correspondance avec le comte de Provence, qui s’appelaitalors Louis XVIII. On aurait dû les arrêter et les juger commeautrefois ; mais, sous le Directoire, la république était sifaible, si faible, que le moindre petit effort paraissait au-dessusdes forces humaines. On n’avait encore de la force que pour écraserles patriotes qui réclamaient la constitution de 93 ; ceux-là,tout le monde les accablait ; on aurait dit qu’ils étaientplus criminels que les traîtres en train de vendre le pays.

Ainsi se passa cet hiver.

Les ennemis qui menaçaient l’Alsace et laLorraine n’entreprirent rien de sérieux, pensant que la réactionmarchait assez vite à l’intérieur, et qu’ils pourraient aller àParis sans faire campagne.

Vers la fin du mois de mars, Sôme,complètement rétabli, nous quitta pour rejoindre son bataillon àl’armée du Rhin, dont Moreau venait de prendre lecommandement ; et environ six semaines après, je reçus unelettre de Marescot, qui se trouvait alors, avec Lisbeth, à la13e demi-brigade provisoire, formée le 13 ventôse des1er et 3e bataillons de volontaires des côtesmaritimes. Il m’écrivait de Cherasco, en Italie, en avril 1796.

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