La Dame d’Auteuil

ÉPILOGUE

Lucien ne revit plus Berthe.

Il avait souffert en silence.

La fin hideuse de son roman l’avait cruellement blessé, maissans le mettre hors de lutte. Comme ces tempéraments sanguins quela médecine traite par d’abondantes saignées, sa nature exubérantede sève avait besoin d’une blessure profonde qui ouvrît passage àce trop-plein d’énergie et rétablît l’équilibre.

Quand sa douleur se fut calmée, il reprit son ciseau ettravailla.

Et, en moins de deux années, il travailla tant et si bien que,si je vous disais son véritable nom, vous me croiriez à peine, carce nom est grand, et nul ne l’ignore.

Nonobstant, je vous le donne en mille.

 

Dans les derniers jours du mois d’octobre 1840, un jeune hommeet une jeune fille suivaient seuls un convoi qui se dirigeait versle cimetière Montmartre.

Quand le prêtre eut béni la tombe, les deux jeunes genss’agenouillèrent.

C’était Émilie et Lucien !

Il faisait une journée douce et triste à la fois ; lesrayons pâlissants du soleil avaient bien de la peine à percer levoile que la brume jetait sur Paris ; Émilie et Lucienrestèrent plus d’une heure sur la terre humide.

Tous deux priaient et pleuraient.

Enfin ils se levèrent, et Lucien prit le bras de la jeunefille.

Ils étaient profondément émus l’un et l’autre, et marchaient àpas lents et rêveurs.

– Vous l’avez bien aimée, dit enfin Émilie, en levant sonregard sur le visage pâle de l’artiste.

– C’est vrai ! répondit Lucien.

– Son souvenir est encore tout entier dans votre cœur.

– Il y a longtemps été, du moins.

– Pauvre Berthe !…

– Oui, vous avez raison, pauvre Berthe ; pauvre enfantégarée, qui a passé auprès du bonheur, qui n’avait qu’à tendre lamain pour le saisir, et qui a mieux aimé s’en détourner… Ah !cette femme a été mon malheur à moi…

– Votre malheur ?… fit Émilie étonnée.

– Oh ! ne croyez pas qu’il y ait la moindre amertumedans ma pensée, reprit Lucien.

– Qu’avez-vous donc, alors ?

– Elle ne m’a jamais aimé.

– Qu’en savez-vous ?

– Elle m’a raillé, trompé… et quand j’allais mourir àAuteuil, quand, pendant près d’un mois, je fus suspendu entre lavie et la mort, est-ce donc elle qui s’est inquiétée, elle qui estvenue ?…

– Mais qui vous dit qu’elle ne l’a pas fait ?

– Ma vieille Marthe…

– Votre domestique peut se tromper.

– Peut-être… Mais moi, Émilie, moi, puis-je refuserd’ajouter foi à ce témoignage que le hasard a remis entre mesmains, et qui, depuis longtemps, m’a révélé un secret que jen’aurais jamais osé deviner ?

Lucien remit en même temps à Émilie la bourse qu’il tenait deMarthe…

Et comme la jeune fille confuse et troublée ne savait commentcacher son émotion :

– Émilie ! ajouta-t-il d’une voix émue, vous meconnaissez assez aujourd’hui pour me croire, quand je vous jureque, si vous l’ordonnez, ce secret mourra avec moi !…

 

Six mois après, Lucien épousait Mlle Émilie deNogent.

FIN.

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