La Fabrique de crimes

Chapitre 7TRAHISON !

 

Il faudrait la plume d’or des poètes pour vousdire l’effet produit par l’anecdote des aventures du faux fumistesur les Piqueuses de bottines réunies.

– Aviez-vous cru, s’écria tout à coupmademoiselle de Rudelame en pleurant, fusse pendant le quart d’uneseconde, aviez-vous cru, jeunes filles du commun, que ladescendante de mes aïeux, l’amante de Coriolan, étaitcoupable ?

La présence seule du prêtre éthiopien doitvous dire avec quelle régularité les choses se passèrent.

Le docteur Fandango ôta son costume de porteurd’eau ; il avait par-dessous des vêtements propres et d’uneétonnante magnificence. À son médium était le diamant du Vieux dela Montagne qui lui fut donné par la reine. Tous les ordresétrangers brillaient sur sa large poitrine. Il s’était fait labarbe peu de temps auparavant.

Que dire ? Vous connaissez sa beauté.Tous les jolis garçons qui l’entouraient avaient l’air de sesdomestiques.

Il mit un genou en terre devant moi et mepassa au cou un joyau en corail aquatique, d’un prix extravagant,aussi précieux par la matière que par le travail, enmurmurant :

– Vierge adorée, ceci est la croix de mamère !

Son émotion était maladive. Ilajouta :

– Grâce aux effets du porteur d’eau, j’aisurmonté tous les dangers inséparables de mon entreprise.Désormais, soyons tout au bonheur.

Sur un geste de lui, les lambris de ma chambreà coucher furent immédiatement tendus de satin vert clair, parseméde bouquets de topaze. On répandit des parfums sur le tapis, tandisque d’autres aromates brûlaient dans les cassolettes orientales. Unautel se dressa en face de la cheminée à la prussienne.

Simon avait apporté son orgue de barbarie, etc’était justement cet objet qui n’avait pas pu passer par letuyau.

Il joua dessus plusieurs morceaux tendres etanacréontiques.

Puis, le prêtre mutilé d’Éthiopie nous unitdevant Dieu.

Il unit aussi, par la même occasion, leRémouleur et Olinda, ma première confidente.

La cérémonie se passa très bien, sauf unincident, en apparence vulgaire, mais qui aurait dû nous donner àréfléchir. Au moment où le prêtre nègre prononçait sur nos têtes desaintes paroles, en un langage incohérent, il éternua. Nous nousaperçûmes qu’un vent coulis venait du côté des fenêtres ;elles étaient restées entr’ouvertes, on courut les fermer, mais ilétait trop tard. Le prêtre d’Éthiopie qui n’avait qu’un bras,qu’une jambe et qu’un œil ajoutait maintenant un rhume de cerveau àces fâcheuses infirmités.

Est-ce pour vous entretenir de ce détail quej’ai parlé des fenêtres ouvertes ? Non ! Au travers descarreaux, le noble Mustapha crut voir une tête de hibou.

Il s’approcha pour mieux regarder et aperçutdans le feuillage des sycomores, plantés en rond autour du bassinde Mercure, une multitude d’ombres humaines et fugitives.

La lune qui se cacha sous un nuage opaque,cessa d’éclairer la nature. Mustapha crut s’être trompé. Il neparla point. Il eut tort. Un seul mot tombant de sa bouche nous eutépargné un épouvantable péril et neuf mois de tortures atroces, quime furent particulières et privatives, car mon Coriolan restalibre.

La cérémonie achevée, Mandina de Hachecor quime servait de dame d’honneur, fit comprendre au reste del’assemblée que l’heure de la retraite avait sonné. Nos amiss’éloignèrent au son de l’orgue de barbarie qui jouait un airconnu, dans les corridors, pour étouffer le bruit de leurs pas.

Coriolan était enfin seul avec son Elvire.

Ô jeunes filles, mesurez la nouveauté de cettesituation. Nous étions mariés, nous nous aimions avec délire, etc’était la première fois que nous nous rencontrions dans lemonde !

Mais il avait acheté ma photographie, et sabrillante renommée me le rendait familier,

Il prit place auprès de moi, sur lesopha[10], si jeune, si beau et surtout si bonque je m’accoutumai à lui tout de suite, puis le sommeil nous gagnatout doucement.

Puissance divine ! Quel réveil nousattendait !

La vision du noble Mustapha, dont il a étéprécédemment question, n’était pas une chimère. Le visage de hibou,aperçu à travers les carreaux, appartenait à mon bisaïeul, et lesformes sombres, perchées dans les sycomores, étaient celles de sessicaires.

Une de mes confidentes avait trahi notresecret.

Mon bisaïeul, éveillé en sursaut, vers minuit,avait vu près de sa couche cette fille sans entrailles Herminie,native du Bas-Meudon, celle-là même qui m’avait apporté le bouquetde fleurs rares, entouré de papier glacé.

– Pendant que vous dormez, lui dit-elle,imprudent vieillard, votre arrière-petite-fille est en train de semésallier à un porteur d’eau alsacien.

Le duc bondit hors de ses draps, il setrouvait devant une personne de l’autre sexe, n’importe, son grandâge le forçant à porter toujours des pantalons de flanelle, ilétait en état. Il appela ses valets ; ce fut en vain : lenarcotique faisait admirablement son office, les tenant enchaînésdans le sommeil. Alors, sachant bien qu’il ne pouvait s’attaquertout seul au Fils de la Condamnée, il monta au sommet d’une tour etalluma le phare.

Un quart d’heure après, trente-huit à quarantepieuvres mâles des divers impasses de Paris, arrivaient à l’hôtel.Vous avez deviné que le phare était un signal.

Mon bisaïeul les rassembla dans la grotte etleur dit sans préambule :

– J’ai assez vécu pour voir le déshonneur dema maison. Coriolan Fandango, natif des ruines de Palmyre, en Asie,exerçant la médecine à Paris, sans diplôme, a pénétré dans mondomicile à la faveur d’une veste de porteur d’eau, et s’est uniaussitôt à ma riche héritière.

– Qui vous a révélé ce mystère ? demandale pieuvre mâle de l’impasse Tivoli.

Mon bisaïeul montra Herminie duBas-Meudon.

Cette infortunée tomba, frappée de trente-huità quarante coups de yatagan.

– Comme cela, dit la hyène de l’impasseTivoli, elle ne fera plus de cancans dans le voisinage.

M. le duc approuva d’un signe de tête etreprit :

– Je suis dans l’embarras. Que chacun me donneson avis avec franchise.

Les Pieuvres s’assirent sur les tombes et ladélibération commença.

L’ancien professeur de la cité Jarie proposad’introduire du méphitisme pur dans la chambre nuptiale, à l’aided’un tube en gutta-percha[11] ;Carapace offrit d’inoculer aux deux époux une maladiecharbonneuse ; la hyène de l’impasse Tivoli conseilla de lesétouffer en faisant tomber sur eux le plafond de leur appartement,mais mon bisaïeul repoussa ces divers expédients comme ayant déjàservi.

Il fut interrompu par plusieurs coupsvigoureux frappés à la porte.

– Qui vive ? demanda aussitôt SilvioPellico.

–– C’est moi ! répondit une voix qui fittressaillir la jeune Grecque.

– Cet organe… commença-t-elle.

– Moi, poursuivit la voix, Frigolin de Torboy,qui, empêché il y a neuf mois par une circonstance imprévue, n’aipu venir au rendez-vous.

On pouvait l’en croire, c’était unconnaisseur.

– Dans les veines de la trop coupable enfant,dit-il en parlant de moi, est renfermée la dernière goutte du sangde Rudelame-Carthagène. Je veux la garder vivante, afin de latorturer à mon aise. Boulet-Rouge, la principale pieuvre mâle del’impasse Guéménée, n’a pas encore parlé. Son expérience m’étantconnue, je l’adjure de me fournir un truc pour anéantir le Fils dela Condamnée sans exposer les jours d’Elvire.

Boulet-Rouge se leva. Chacun connaîtl’emplâtre de dimension inusitée qu’il porte sur sont visage pouréloigner tous les soupçons. Il le repoussa un peu de côté etdit :

– En fait de procédés, on n’a qu’àchoisir.

Les inventions nouvelles offrent un champfertile. Il suffira de prendre un fil de métal, bon conducteur, etd’en isoler l’extrémité. Vous ferez passer le fil à travers lecorps des deux mariés, en ayant soin toutefois que la partie isoléesoit seule dans l’estomac de mademoiselle de Rudelame. Vousenverrez alors une dépêche qui ravira le jour à Fandango, enpassant, mais qui, arrêtée par la matière isolante, épargneral’existence de la jeune et belle Elvire.

La simplicité de cet appareil réunit tous lessuffrages. On leva la séance pour s’occuper des voies etmoyens.

Pendant que, plongés dans une sécuritétrompeuse, Fandango et moi, nous dormions, tout conspirait ainsicontre notre bonheur.

À trois heures et demie du matin, je fusréveillée par un léger bruit. Aux lueurs vacillantes de la lamped’opale, je vis un spectre à la fois fantastique et plein d’uneeffrayante réalité, Le plafond était ouvert, le plancher étaitcrevé. Trente-huit à quarante pieuvres mâles surgissaientdu sol ou descendaient en rampant le long des lambris, tendus desatin vert clair. Il y en avait qui se glissaient sur le tapiscomme des sauriens gigantesques. Il y en avait qui dégringolaientpar les colonnes de notre couche.

Au centre de la pièce, mon bisaïeul, que jereconnus seulement à son visage de hibou, car un costume de lancierpolonais dissimulait sa vétusté, mettait la dernière main àl’appareil électrique.

Je crus être le jouet d’un rêve jusqu’aumoment où on donna le signal, qui était un chant d’alouette, àcause de l’heure matinale.

Mon bisaïeul retroussa aussitôt les manches deson uniforme et se mit en devoir de passer l’appareil au travers denos corps.

Je ne pus m’empêcher de jeter un cri.

Aussitôt, les trente-huit à quarante yataganssortirent hors du fourreau, tandis que mon époux, réveillé ensursaut et comparable aux demi-dieux du paganisme, cherchait sonrevolver afin de se mettre en défense. Il ne le trouva pas,M. le duc le lui avait volé. Alors, le Fils de la Condamnéepoussa une exclamation terrible, à laquelle répondit le braiment deson cerf vivant qui l’attendait sous la charmille.

– Vampires ! dit-il avec force,coléoptères ! rebuts des civilisations et de l’histoirenaturelle, il me reste une ressource.

Et roulant avec rapidité sa cravate autour ducou de l’hyène de l’impasse Tivoli, il l’étrangla comme si c’eutété un enfant naissant.

Les autres conjurés frappés de ce tourd’adresse, reculèrent. Il n’en fallut pas davantage. Fandangos’élança dans la cheminée à la prussienne et disparut à tous lesregards.

Presque aussitôt après, on entendit le galopdu cerf dans les bosquets, et une voix terrible éclata dans lesilence de la nuit. C’était la sienne. Elle disait :

– Je m’éloigne sur mon cerf, natif comme moi,des ruines de Palmyre. Tremblez ! dans neuf mois, l’heure duchâtiment sonnera !

– Il est sauvé ! m’écriai-je, je puism’évanouir.

Et je perdis l’usage de mes sens, au moment oùnos ennemis témoignaient de leur désappointement et de leuraigreur.

Quand je revins à la vie, je cherchai en vainla lumière du jour. On avait muré les portes et les fenêtres de machambre nuptiale, qui était transformée en tombeau.

Auprès de moi, il y avait un pain de munition,une cruche d’eau saumâtre et des noisettes. J’en cassai une avecindolence. Un papier s’en échappa…

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