La Fabrique de crimes

Chapitre 13LA POUDRE À DÉVOILER LES TRUCS

 

Au seul aspect du Fils de la Condamnée, tenantson illustre mère sous son bras, tous les malfaiteurs s’enfuirentcomme une volée d’oiseaux farouches. Le duc lui-même, dissimulantsa tête de hibou sous l’austère capuchon d’un moine, disparut parle plafond.

Boulet-Rouge avait pris les devants avec unpaquet de taille considérable puisqu’il contenait, non seulement lecercueil d’enfant, mais encore l’accouchée de l’allée sombre.Fandango l’aperçut au moment où il s’évanouissait à traversl’épaisseur d’un mur. Un soupçon lui poignarda le cœur.

– Où est Mustapha ! s’écria-t-il de cettevoix mâle et sonore que nous avons connue au faux porteur d’eau dela nuit des noces.

Personne ne lui répondit.

Il n’y avait là que Mandina qui cherchaitparmi les dépouilles de quoi se composer un deuil pour la mort dugendarme, Olinda en quête de son Frigolin et le jeune Gringalet,lequel n’avait jamais connu les embrassements de l’huissier.

– Je veux Mustapha ! reprit le docteurFandango. Il est l’homme de la situation. C’est lui qui possède lapoudre pour découvrir les passages secrets.

Avec cette poudre, il faut bien le dire, ontrouvait aussi les escaliers dérobés, les trappes et lesdouble-fonds. Elle coûtait cher, mais elle était indispensable auxnatures généreuses qui poursuivaient le crime à travers lesmystères de Paris.

Silvio Pellico prit la parole, quoiqu’il eûtdes cadavres jusqu’au menton.

– Je ne sais si je m’abuse, dit-il ;peut-être mes malheurs ont-ils diminué ma sagacité, mais il mesemble que mes pieds, autrefois si agiles, sont posés, à une grandeprofondeur, sur une figure connue. La vie sauvage que j’ai menéejadis, dans l’Amérique du Sud, aiguise et développe les sens. Monorteil, encore très subtil pour son âge, croit reconnaître legénéreux nez de Mustapha.

– Déblayez ! ordonna le Fils de laCondamnée. Quiconque me retrouvera Mustapha recevra, franco, toutce qui a paru de ce roman en cours de publication.

Gringalet aimait les lectures qui exercentl’esprit en fortifiant le cœur. Il se mit à l’œuvre aussitôt, aidépar la jeune Grecque Olinda et Mandina de Hachecor. C’étaitpeu : deux femmes et un enfant, mais Fandango les électrisaitdu regard et Silvio Pellico les intéressait en racontant sesinfortunes.

En quelques minutes, l’atelier de feu lesPiqueuses de bottines réunies fut débarrassé de toutes les matièresorganiques qui l’encombraient. Sous ces ordures, on retrouva, nonseulement le noble Mustapha, mais encore le rémouleur, le joueurd’orgues, le gendarme et même Frigolin de Torboy. Ils se portaienttous aussi bien que le permettaient les circonstances.

En les voyant rassemblés encore une fois sousses yeux, Fandango fit éclater sa joie. Il mit sa mère chérie enbandoulière, pour avoir désormais l’usage de ses deux bras etdit :

– Paris !

Les bons cœurs répondirent :

– Palmyre !

– Je tiens à voir vos cachets, dit encore leFils de la Condamnée.

Ils se dépouillèrent, sauf Mustapha qui seborna à montrer son oreille de vieillard.

Fandango reprit :

– Je suis satisfait, aucun traître n’a réussià se glisser parmi nous. Écoutez-moi bien. La Maison du Repris dejustice où nous sommes est une des demeures les mieux machinées duParis nocturne et mystérieux. Le nombre des passages secrets,trappes, pierres de taille montées sur pivot, plafonds mobiles,planches à bascule, murs où l’on marche, cheminées à ressort,armoires à escaliers, sarcophages, oreilles de Denys le tyran etautres oubliettes, y est littéralement incalculable ; Nosennemis sont disparus, mais je suis sûr qu’ils sont tous cachésdans l’épaisseur des cloisons. En conséquence, c’est le moment oujamais d’utiliser la poudre à dévoiler les trucs !

– C’est le moment ! répliquèrent tous lesbons cœurs d’une seule voix.

Et Silvio Pellico ajouta :

– Ou jamais !

Mustapha avait compris. Il sortit de son seinune boîte systématique, analogue à l’appareil connu sous le nomd’insecticide Vicat. Avec une adresse consommée, il mit enmouvement le petit soufflet dont il avait préalablement dirigé labouche vers un coin de la muraille.

Au premier grain de poudre qui toucha le murune porte apparut.

Mustapha fit glisser le soufflet : uneseconde porte se montra, puis deux, puis trois, puis dix ! lemur n’était que portes, conduisant toutes dans des lieuxinconnus.

L’assemblée fit éclater sa surprise et SilvioPellico s’écria :

– Je n’ai jamais rien vu de pareil, moi qui airégné sur l’Araucanie.

Mais le docteur Fandango ayant assujetti plussolidement derrière son dos sa mère respectée, réclama le silenced’un geste.

– Partisans de la vertu, dit-il, soutiensfidèles de la probité et de la délicatesse, nous allons entamer uneœuvre difficile. Appelez les bons cœurs qui peuvent être restésdans l’escalier et attention au commandement. Je vais passer lepremier, tenant d’une main cette torche, de l’autre ce javelot. Mamère me suivra, puisque je la porte. Mustapha suivra, tenant mamère par sa jupe. Le Rémouleur suivra Mustapha en le tenant par laqueue de son habit. Le Joueur d’orgues… enfin, vous m’avez saisi.Cette façon de circuler que les enfants appellent la queue-leu-leu,nous est indispensable, pour ne pas nous perdre dans lesincommensurables détours de cet hôtel. Le but de cette excursionest de trouver madame Fandango et son fils Virtuté. Yêtes-vous ?

– Nous y sommes ! répondit le chœur desamis de la générosité.

Sans plus de paroles, parmi toutes les portes,le Fils de la Condamnée choisit la plus secrète et l’ouvrit àl’aide d’un moyen particulier qu’il serait trop long de décrire.Cette porte était en cœur de chêne, munie de contreforts en acier.Aussitôt qu’elle eut roulé sur ses gonds, un air humide et glacépénétra dans la chambre.

C’était une immense galerie et dont, certes,âme qui vive ne soupçonnait l’existence dans la rue de Sévigné. Lavoûte, en plein cintre, était supportée par un quadruple rang decolonnes qui semblaient appartenir à l’époque romane.

Au moment où le docteur Fandango mettait lepied sur la première dalle, des rires aigus éclatèrent à l’autreextrémité de la galerie. Il leva sa torche aussitôt et vit, dans unlointain confus, une sorte de danse macabre.

Parmi les figures qui s’agitaient dans cesabbat, il crut distinguer une tête de hibou et une emplâtre dedimension inusitée.

C’en était assez. Il précipita sa course,suivi par sa mère et Mustapha. En approchant, il distingua lestraits peu réguliers de Carapace et d’Arbre-à-Couche. Il put mêmevoir que Boulet-Rouge portait toujours son paquet considérable.

– Marchons, s’écria-t-il ; à travers latoile de cette enveloppe, mon imagination en délire croitreconnaître le profil de celle que j’aime. Il n’avait pas achevéque tout disparut.

– La poudre !

Mustapha aspergea les dalles. La compositionconnue sous le nom de poudre-à-dévoiler-les-trucs a lesinconvénients de ses vertus. Elle met à nu tant de mystères, qu’onest souvent très embarrassé pour choisir. Ainsi le loyal Mustaphaayant fait jouer sa petite manivelle, toutes les diverses colonnesmontrèrent, à l’intérieur de leurs fûts, des escaliers dérobés.Chaque dalle laissa voir un trou muni d’une échelle, dontquelques-unes pénétraient par leur pied jusque dans les profondeursdes eaux croupissantes.

Mais la sagacité naturelle du Fils de laCondamnée était à l’épreuve de ces détails. Il alla droit à ladernière colonne et la fendit en deux en touchant un bouton decornaline, travaillé curieusement. L’intérieur de la colonnerenfermait des degrés en colimaçon. Le docteur descendit vingt-septmarches et se trouva dans une rotonde en marbre rouge, autour delaquelle étaient rangés vingt-quatre barriques en acajou portantdifférentes étiquettes, telles que : sang de femme, sangd’enfant, sang d’officier, sang de franc-maçon, etc…

Silvio Pellico ne put s’empêcher demurmurer :

– Ce Paris est vraiment cocasse !

Le docteur Fandango ne s’arrêta même pas. Ilen avait vu bien d’autres dans sa carrière agitée.

Il traversa un pont de lianes, jeté sur untorrent tout blanc d’écume et pénétra dans une grotte de vasteétendue, dont les riches stalactites renvoyèrent en gerbes delumière la rouge flamme de sa torche. Au bout de la grotte, ilaperçut encore, au milieu d’une foule, grimaçant, M. le duc deRudelame-Carthagène, entouré de ses trois Pieuvres mâles.

– À moi ! s’écria le Rémouleur.

Il avait fait un faux pas et la basque del’habit de Mustapha lui était restée dans la main. Il prit l’autrebasque et l’incident n’eut pas de suite.

La grotte ne contenait rien d’important, sinonun dépôt de substances vénéneuses à l’état brut. C’était le grenierd’abondance de la pharmacie du mystère. Silvio Pellico toujourssoigneux, compta cent quarante-sept caisses d’arsenic et plus demille bouteilles de strychnine, non encore épurée.

Venait ensuite un long couloir, défendu dedistance en distance par des herses et des chevaux de frise. Latroupe fidèle eut quelque peine à éviter les bascules, disposéesavec beaucoup d’art. Des deux côtés du couloir, il y avait desrâteliers pleins d’armes de guerre. Il se terminait par un mur queMustapha saupoudra. Ce mur n’était qu’apparent, la compositionchimique fit voir qu’il cachait un abîme insondable. Mais une sortede sentier à pic, taillé dans le roc vif s’ouvrait à gauche duprécipice.

Le docteur en s’y engageant, ne put s’empêcherde penser tout haut :

– Je ne prendrais pas volontiers cette voiepérilleuse s’il ne s’agissait de mon fils unique Virtuté et de labru de la condamnée.

En effet, à peine nos intrépides amisavaient-ils commencé à descendre que Tancrède, dit Chauve-Sourireet quelques autres mauvais sujets, firent pleuvoir sur eux desfusées, de la poix bouillante, du plomb fondu, enfin tout ce qu’ilstrouvèrent à portée de leurs mains.

Les défenseurs de la vertu en éprouvèrentquelques désagréments légers, mais Silvio Pellico qui avaitfréquenté des Anglais nomades en Araucanie, ne marchait jamais sansson parapluie, et comme le sentier était vertical, ce meubleprotégea toute la troupe.

Ils étaient dans les souterrains de l’archeNotre-Dame !

Après avoir traversé encore de nombreuxcorridors, au bout desquels ils apercevaient sans cesse lessectateurs du mal, reconnaissantes à la tête de hibou du bisaïeulet à l’emplâtre de Boulet-Rouge, après avoir franchi desprécipices, monté et descendu une grande quantité d’escaliers, ilsarrivèrent enfin dans un asile pittoresque au plus haut point etfort original qui servira de décor à notre dernier tableau.

C’était une salle en forme de nef ogivale,au-dessus de laquelle passaient les eaux du fleuve. La nuit avaitcessé d’envelopper la terre pendant ce long voyage. À travers lavoûte de cristal qui recouvrait la nef, à travers les ondes de laSeine qui roulaient au-dessus de la voûte, on pouvait jouir d’unjoli effet de soleil levant.

Mais là ne s’arrêtaient point les étrangetésde ce curieux séjour.

La salle était entièrement bâtie avec dessquelettes entiers et à jour, posés dans des attitudes variées etreliés ensemble solidement par un ciment peu connu. Il en résultaitune architecture vraiment surprenante et qui ne manquait pas degrâce.

Les baisers du soleil marinier, caressant cesdentelles d’ossements, formaient des dessins d’une légèreté inouïeet qui rappelaient les découpures des boites de bonbons.

Vous eussiez dit un rêve de poète !

Silvio Pellico essaya de compter lessquelettes employés à cette œuvre d’art, mais il n’y put réussir.Il vit seulement à certains signes que c’étaient tous des maladesdu docteur Fandango.

C’était la fin. Après cette salle magique, iln’y avait plus rien. Aussi les pieuvres mâles des impasses,chacals, mohicans, casquettes vertes et autres fléaux de lacapitale étaient-ils rassemblés en bataille au milieu de lanef.

Devant eux se tenait le duc deRudelame-Carthagène, vêtu du costume historique de Jean-Bart.

Ce costume était de circonstance. Le bisaïeultenait en effet dans la main droite une torche allumée et poséeau-dessus de quarante tonneaux de poudre fulminante.

Dans la main gauche, il avait une chaînette deplatine, correspondant à une large soupape, ménagée dans la voûtede cristal.

Derrière lui, Boulet-Rouge tenait madameFandango renversée sur une table de marbre.

La jeune femme allaitait son enfant.

Au-dessus de ce groupe, Arbre-à-Couche etCarapace brandissaient leurs stylets damasquinés !

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