La Machine à assassiner

Chapitre 17Oh ! j’ai froid, d’un froid de glace !

 

Oh ! j’ai froid, d’un froid deglace !

Et je brûle à toute place !…

Sous la glace et dans le feu

Tu retrouveras ton dieu !

(Verlaine.)

En rentrant à l’hôtel, Jacques faisaitpitié… Cependant, il repoussait tous les soins…

Dans leur discrétion, les trois sœursn’insistèrent point. Tout de même, la servante du premier étage, labonne Catherine, sur les indications de ces demoiselles, bourra lepoêle de sa chambre de bûches bien sèches et glissa une briquechaude dans ses draps. En même temps, on apporta au voyageur ungrog bien chaud. Mais il laissa tout refroidir, le poêle, la briqueet le grog…

Si bien que, deux heures plus tard,enveloppé dans une méchante couverture, au fond du fauteuil où ilavait laissé crouler sa misère, il était grelottant, crachotant,toussotant, cependant qu’il sentait les premières ondes de lafièvre parcourir son corps sans défense…

Sur ces entrefaites, on vint luiannoncer la visite de Mlle de Beigneville.

Il la regarda entrer dans sa chambred’un œil morne.

« Oh ! mon pauvreJacques ! gémit-elle tout de suite, mais il faut tesoigner !… Qu’est-ce que tu as ?

– Tu me le demandes ? fit-il.Rien de bien grave, va ! J’ai froid aucœur ! »

Et il se mit à éternuer.

« Oui ! eh bien, tu vas tecoucher, et tu vas te laisser soigner. Ta respiration est déjàembarrassée. Catherine et moi, nous allons te mettre desventouses. »

Le malheureux fit entendre un riredéchirant.

« Et Gabriel ? Est-ce que tului mets des ventouses, à Gabriel ?

– Mais non, mon ami, il se portetrès bien, répondit Christine avec une candeur un peu étonnée.As-tu donc oublié qu’il ne craint ni le chaud, ni lefroid ?

– Non ! non ! certes. Jene l’ai pas oublié. Heureux Gabriel ! Pas de rhume de cerveau.Pas de coryza ! dirait M. Birouste, en le déplorant, dureste. Avec Gabriel, le commerce des herbes fait faillite. Pas defumigations, et quant à la vaseline mentholée pour les fossesnasales…

– Jacques ! si c’est pour medonner le spectacle de ta glaciale ironie…

– Glaciale est le mot, ma chèreChristine. Je suis ironique parce que je suis glacé !Pardonne-moi cet accès de mauvaise humeur…

– Indigne d’un homme commetoi !

– Indigne d’un homme commemoi ?…

– Qu’as-tu fait de ton espritsupérieur ?

– Puisque tu me le demandes, je terépondrai que je n’en sais plus rien !… J’ai dû le laisser enroute… quelque part, dans les neiges !…

– Au fond, vous êtes bien tous lesmêmes, les hommes !… Vous êtes très forts ! vous voussentez des muscles à escalader le ciel ; mais, au moindrebobo, patatras ! Et vous ne voulez pas que l’on voussoigne !… Vous êtes tous aussi insupportables les uns que lesautres !…

– Serait-ce pour Gabriel que tu disça ? reprit Jacques en tisonnant son feu.

– Pourquoi pas ?… Vous avezune pudeur stupide !… Vous oubliez que nous sommes des sœursde charité !… En ce qui concerne Gabriel, par exemple,quand le moment a été venu de le soigner, il n’a jamaisvoulu que je m’en mêle !… J’ai dû tout lui expliquer, etil s’est soigné tout seul !… Il ne veut pas me confier sespetites clefs !… et, comme il dit, il fait son ménagelui-même !

– Le principal, reprit Jacquesd’une voix de plus en plus encombrée par une toux irritante etirritée, le principal est que vous ayez fini par vousentendre !…

– Comme tu me dis cela !…exprima Christine en fronçant légèrement ses beaux sourcils… Me lereprocherais-tu, par hasard ?…

– Que non pas !… mais tout enm’en réjouissant, j’aurais peut-être le droit de m’enétonner !… Je suis passé par Corbillères, Christine, j’en airapporté tes petits papiers, enfin j’y ai relevé les traces d’undrame qui m’avait fait craindre pour ta vie !… Quelle surpriseet quelle joie pour moi de vous avoir vus passer ici, la main dansla main !…

– Tu vas tout comprendre d’un mot,mon Jacques !… C’est toi qui avais raison : BénédictMasson était innocent !

– C’est Gabriel qui t’en aconvaincue ?

– Oui…

– Il t’en a convaincue souspeine de mort ?

– Peut-êtrebien !… Je crois, en effet, que, s’il n’était pas arrivé à meconvaincre de cela, nous ne serions plus dans ce monde, ni moi, nilui !… Il m’entraînait dans une catastrophe d’où tu nel’aurais pas, cette fois, ressuscité !…

– Et que t’a-t-il dit pour teconvaincre de cela ?

– Jacques, tu te rappelles que,lorsque nous travaillions au « grand œuvre » et quetu t’occupais des yeux, tu me disais : « Il verra,mais je ne crois pas qu’il pleure jamais… »

« Eh bien ! il apleuré !…

« Ah ! quand j’ai vu coulerces larmes sur la cire de son visage, il m’a semblé que son âme quenous avions enfermée dans une boîte, en sortait pour me dire :« Christine ! voici ton œuvre vivante, non plus le gested’un automate, mais ma douleur que tu as voulue éternelle !…Es-tu satisfaite ? »

« Alors, j’ai essuyé ses larmes,mais elles n’ont cessé de couler que lorsque je lui ai dit :« Cesse de pleurer, Gabriel, car je crois à toninnocence ! »

– Ah ! ah ! vous voustutoyez !…

– C’est tout ce que tu trouves à medire ! Cependant le sujet est grave…

– Si grave, Christine, nonseulement pour lui, mais pour nous tous, que je n’ai pas hésité cesoir à venir troubler…

– Quoi ?…

– Rien !… Parlons del’innocence de Bénédict Masson !… Pendant ce temps-là,j’essayerai d’oublier Gabriel !…

– Jacques ! Jacques !… Tuas de mauvaises pensées !…

– Je suis unhomme !…

– Mais Gabriel n’est pas unhomme !…

– C’est pire !

– N’est-ce pas toi qui l’as vouluainsi ?

– Parlons de son innocence, tedis-je… de son innocence en tant qu’homme !… Alors tul’as vu pleurer et tu as eu la foi !

– Oui ! la foi ! Il n’y apas d’autre mot !…

– Et cela lui a suffi, tafoi ?…

– Si bien qu’il a consenti alors às’expliquer… Tant que je n’ai pas cru en lui, tant que je me suisimaginé que j’étais la proie d’un monstre, il s’est conduit commeun monstre m’emportant dans sa rage et dans son tourbillon ;mais quand il m’a vue attendrie par ses larmes, il m’a humblementsoumis le détail de sa misère avec une confianced’enfant !…

« Il s’est mis à genoux pour metendre ses héroïques, hallucinants, pitoyables griffonnages où soninnocence criait… et s’expliquait !… Et, mon Dieu, c’était sisimple !… si simple !…

« Tu vas en juger, Jacques… Il estvrai qu’il cachait au fond de sa cave tout le bagage des femmesdisparues… mais puisqu’elles l’avaient laissé derrière elles, cebagage, qu’aurais-tu voulu qu’il en fasse !… qu’aurait-il purépondre à ceux qui l’eussent interrogé ?… je te ledemande !…

– Tu me demandes cela, à moi, quiai toujours cru à l’innocence de Bénédict Masson !… Les femmesont, en vérité, une façon de concevoir la logique… Va,Christine ! continue !… tu m’intéresses !… et quedit-il du père Violette ?

– Il dit que le père Violetteétait peut-être le seul à savoir la vérité, ou tout aumoins qu’il l’avait apprise à ses dépens, au moment de sa mort, etc’est de cela qu’il serait mort !

« Gabriel s’imagine que le garde adû assister à l’attentat dont a été victime la petite Annie !Violette surveillait Annie fort activement depuis plusieurs jours.Il a dû se trouver là et sans doute intervenir au moment du drame…et l’on a supprimé le père Violette ! »

Il y eut un silence entre les deuxjeunes gens, puis Jacques prononça lentement :

« Je m’étais dit déjà tout cela, etnon seulement je me l’étais dit, mais je te l’avais dit à toi,Christine, tu ne t’en souviens peut-être pas ?

– Si !…

– Heureusemémoire !

– Tu me l’avais dit, mais je nevoulais, ou, plutôt, je ne pouvais rien entendre, à cause del’horrible scène…

– Oui ! oui ! le cadavred’Annie ! Rappelle-toi encore ce que Bénédict disait auprocès, ma chère Christine : « Ce n’est une raison parceque l’on découpe une femme en morceaux pour qu’on l’aitassassinée ! » À moi, cela me semblait l’évidencemême !

– Qu’il ne l’eût pasassassinée ?

– Non !… distinguons…l’évidence même que cela n’était pas une preuve que Bénédict Massoneût assassiné la petite Annie !… Vois-tu, Christine, quand ona raison, il faut savoir « distinguer »… Hélas !… cen’est généralement pas dans leurs raisonnements que les femmesmettent de la distinction… En ce qui me concerne, je ne m’en plainspas !… tant que je ne m’assiérai pas sur les bancs de la courd’assises !

– Tu es cruel,Jacques !…

– Non ! je prends mesprécautions !…

– Jamais je n’aurais cru qu’unhomme pût changer pareillement un homme !… Je tepardonne !… Tu as une méchanceté de malade !…

– J’attends l’histoire ducadavre de la petite Annie !… soupira Jacques aveclassitude ; est-ce qu’il la racontebien ?…

– Voici cequ’il me dit : Un jour que Bénédict rentrait chez lui, lecourant de l’étang lui amena ce cadavre presque devant saporte !… Le relieur ignorait alors que le père Violette eûtété assassiné ; aussi ne redouta-t-il rien tant que de voir legarde découvrir, lui aussi, le corps d’Annie !… Son ennemi nerôdait-il point toujours dans les environs ?… Enfin Bénédictétait au courant de tous les méchants bruits qui couraient àCorbillères !… Non seulement Annie passerait certainement pouravoir été la victime du Peau-Rouge !… mais encore elledevenait la preuve que celles qui l’avaient précédée chez Bénédictl’avaient été aussi !…

« Dans le désordre de son esprit etobéissant au premier instinct de la défense personnelle, il sepencha… saisit le cadavre… et, comme il n’avait que quelques pas àfaire pour être chez lui, il l’y jeta, referma la porte et commençaà réfléchir !

« Peut-être alors comprit-il queson geste avait été le plus dangereux de tous ; mais, en toutcas, je le considère, moi, comme tout à faitexplicable !…

« Maintenant, le plus grand dangerétait de ressortir le cadavre !… Ne valait-il pas mieux lefaire disparaître à domicile ?…

« Mais comment ?

« L’enfouir dans la cour, lejardin ?… Après cette nouvelle disparition, Bénédict Massonpouvait craindre une perquisition, une enquête qui bouleverseraittout chez lui !… Et ainsi fut-il conduit à l’idée du dépeçagenécessaire du pauvre petit corps dont il brûlerait les morceauxdans sa cuisinière !…

« Il descendit le cadavre dans sacave et, tandis que son poêle ronflait déjà là-haut, il commençason horrible besogne !…

« Il l’achevait comme je meprésentai à sa porte !… Tu connais la suite, Jacques !…Bénédict Masson est un martyr !…

– Et Gabriel est un ange !…acquiesça Jacques avec un amer sourire qui fut coupé par unéternuement aussi retentissant que ridicule…

– Jacques, tu n’es pas raisonnable…Laisse-toi soigner, je t’en supplie !… Tugrelottes !…

– Je demande un bonnet decoton !… » réclama Jacques avec un affreux rire decrécelle.

Christine, excédée, haussa lesépaules :

« Jacques ! Jacques ! jene te reconnais plus !… Depuis que j’ai franchi ce seuil, tune m’as pas adressé une parole amie… Tu ne m’as pas donné desnouvelles de mon père !… Crois-tu que je n’ai pas eu mesheures douloureuses, moi aussi ?

– Tu t’en souviens ?interrogea Jacques, les yeux en pleurs. Je pleure, expliqua-t-iltout de suite, parce que je suis enrhumé !… Ne confonds pasmes larmes avec celles d’un Gabriel !…

– Tu es odieux !… On diraitque tu m’en veux !… N’est-ce pas moi qui t’ai appelé ?…Ce nom de Beigneville ne t’a-t-il pas mieux renseigné que n’importequel télégramme que je n’eusse su où t’envoyer ?… et qu’iln’aurait pas laissé partir !

– Ah ! oui ! oui !tu es bien gardée !… Je me demande même comment tu as pu venirici ?…

– Oh ! il ne s’en doute pas…il repose… je le lui apprendrai demain avec toutes sortes deprécautions…

– Je t’en prie, Christine, surtoutne néglige pas les précautions !… Gabriel est sisusceptible !…

– Tu ne te doutes pas de ce qu’ilest susceptible !…

– Si ! si !… mais je vaiste fournir un excellent argument, dont, je l’espère, il ne pourraêtre que satisfait. Tout ce que tu viens de me dire au sujet desdisparitions de Corbillères peut, au besoin, expliquer l’innocencede Gabriel, mais ne la prouve pas !… Écoute, Christine, jecrois bien que la preuve arrive !… Tu n’as qu’à luidire : « Je savais que, pendant que nous étions dans cepays, les disparitions, les crimes, les attentats continuaient àCorbillères et même à Paris !… Les journaux étaient pleins desgestes redoutables de la poupée sanglante !… je ne t’en ai pasparlé, Gabriel (tu vois, je n’ai pas oublié que vous vous tutoyez),mais j’ai trouvé le moyen d’avertir Jacques !… Lis lesfeuilles publiques qu’il vient de nous apporter dans un pays bloquépar les neiges et au risque d’un rhume de cerveau… etespère !… »

Sans relever l’affreuse ironie quisoulignait ce petit discours prononcé d’une voix toujours de plusen plus encombrée par le catarrhe (avec hypersécrétion), Christines’était jetée sur les journaux et les parcourait d’un œil avide…Quand elle en fut aux dernières indiscrétions signées XXX, elles’écria :

« Certes, sa joie va êtreimmense !… Tu as raison… Je peux maintenant lui dire que tu eslà !… Voilà un prétexte touttrouvé !…

– Remercions-en le Ciel !reprit Jacques, en se mouchant aussi décemment que possible dans ungrand mouchoir que cette excellente Catherine avait emprunté, dansla pitié que lui inspirait ce voyageur imprudent, à son trousseauparticulier… Remercions-en le Ciel… car cela m’aurait fait vraimentde la peine de repartir sans lui avoir dit un petit bonjour… Ilest donc bien jaloux ?

– Ah ! mon ami, plus que tu nepourrais te l’imaginer !…

– Eh bien, moi aussi, je suisjaloux ! s’écria Jacques avec un éclat qui détermina unequinte qui faillit le suffoquer.

– Est-il possible ! s’exclamaChristine. Tu es jaloux de Gabriel !… Toi, Jacques, la sagessemême, tu es jaloux d’une poupée !…

– C’est comme je te le dis,Christine… Pygmalion aimait sa statue… moi, je la déteste !…Voilà où j’en suis, moi, Jacques, la sagesse même !… Et nefais pas l’étonnée, Christine ! Le masque de stupéfactionderrière lequel tu te dérobes est le plus haïssable desmensonges !… Une femme soi-disant honnête qui nourrit pourl’étranger qui fréquente la maison des sentiments criminels neberne pas plus audacieusement son époux que tu ne metrompes !… Tu ne m’as jamais aimé, moi !… Tu n’as jamaisaimé que ton rêve !… et quand tu as découvert mon génie, quise traînait à tes pieds, tu ne l’as relevé que pour qu’il eût laforce de donner la vie à l’image insensible caressée par tapensée !… Maintenant que mon œuvre est achevée, je n’existepas plus pour toi que l’artisan que l’on met à la porte dès quel’on peut se passer de ses services… Et encore, celui-ci, on l’apayé ! Mais moi… moi… tu m’as laissé tomber, comme disentMM. les étudiants, « avec un bruit sec etmétallique » !…

– Jacques ! Jacques ! tues fou !…

– Tais-toi !… et que tonregard, en me fixant, soit moins clair, si tu as encore quelquepudeur !… Hier, je t’ai entendue prononcer ces mots :« Si tu n’étais pas ce que tu es, disais-tu àGabriel, je ne te dirais pas : jet’adore ! »

– Malheureux ! Je luidisais : « Je t’adore ! » comme une mère le dità son enfant… Est-ce que Gabriel n’est pas notreenfant ?…

– Menteuse !… Oui, il est monenfant, à moi… mais à toi ?… Allons ; Christine !assez de grimaces !… Est-ce que tu pensais à ton enfantlorsque tes mains d’artiste caressaient l’ébauche de cire d’oùdevait sortir sa figure de victoire !… Tes mains servaient toncœur qui roucoulait comme une colombe : « Le voilà celuique j’aurais aimé !… » Et tu t’es tournée vers moi et tum’as dit : « Souffle sur ce limon !… » Dans monorgueil insensé, j’ai emprunté l’haleine des dieux et j’ai soufflé…Et il a vécu !… et je suis oublié !…

– Et moi, je regrette que l’enfantde ton génie ne m’ait déchirée !… Que vais-je devenirentre vous deux ?…

– Rassure-toi… J’ai un bonrhume !… le rhume se changera en bronchite !… labronchite en pneumonie… et il ne sera plus question que de tonbonheur !…

– Chut ! fit soudainChristine. Écoute ! »

Un pas se faisait entendre dans lecorridor… un pas au rythme singulier, qu’elle connaissaitbien.

« C’est lui ! »gémit-elle.

Le pas de la statue du Commandeurn’apporta pas plus d’effroi à don Juan, à l’heure où tout se paie,que le bruit du pas de Gabriel ne versa d’épouvante au cœur deChristine, dans cette modeste demeure des Alpes où allaient seheurter les éléments de la plus grande tragédie du monde !…Dans son amour forcené de l’Idéal, Christine avait-elle été moinscoupable que le prince des libertins ? Plus que le grandcynique, n’avait-elle pas foulé aux pieds les lois divines ethumaines ? Si c’est un péché d’aimer la chair, ne l’avait-ellepas trop méprisée ? N’allait-elle pas être broyée entre cesdeux pôles du monde qu’elle avait mis en mouvement : le Pur etl’Impur ?

« Oh ! fit-elle, déjà à demimorte, que va-t-il se passer ? »

La porte s’ouvrit. C’étaitlui…

Il était enveloppé d’une pèlerine demontagne, dont il maintenait les pans croisés devant lui avec ungeste digne de la statuaire antique… Son noble front que ne ridaitaucun souci, où ne s’imprimait aucune douleur, miroir auguste de lasérénité, dominait cette scène où d’un côté l’inquiétude morale etde l’autre la misère physique de la pauvre vieille humanitétremblaient devant l’apparition du « plus fort que lamort » !

Son regard s’appesantit une seconde –une seconde de pitié – sur ce petit tas de chair dolente quigrelottait et crachotait au fond d’un fauteuil, devant un peu debraise qui achevait de s’éteindre, après avoir donné son derniereffort de chaleur ; puis il se tourna vers Christine, lui pritle bout des doigts dans une de ces attitudes qui rappellent lesdanseurs du Grand Siècle, au temps de la pavane, ou encore aveccette harmonie céleste que les grands peintres chrétiens ont donnéeau geste des archanges quand ceux-ci viennent chercher sur la terrel’élu du Seigneur pour le conduire aux demeureséternelles…

En vérité, en vérité ! quandGabriel, tenant Christine par la main, sortit de cette chambre, lefront tendu vers les astres, on eût pu croire qu’il allait éployerses ailes…

Il se contenta de refermer laporte…

Et le petit tas de chair dolente,grelottant et crachotant, resta tout seul au fond de sonfauteuil.

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