La Machine à assassiner

Chapitre 15Sur la piste

 

Si l’inspecteur Lebouc, pour des raisonsque nous connaîtrons bientôt, avait abandonné la piste de la poupéesanglante, Jacques Cotentin, que nous avons laissé à Corbillères,en face des vêtements en lambeaux de Christine, s’était mis, lui,plus que jamais à la poursuite de Gabriel…

Après l’épouvante du premier moment, leprosecteur croyait avoir acquis, sinon la certitude, au moinsl’espoir que sa fiancée vivait encore. Il n’eût pu dire exactementcomment s’était terminé, entre la jeune fille et le redoutableautomate, le drame qui avait tout bouleversé dans cettechambre ; mais bien des indices lui permettaient de croire ques’il n’avait retrouvé de Christine que sa sinistre défroque, c’estque Gabriel la lui avait fait quitter pour qu’elle revêtît du lingefrais et des vêtements décents… quelques étiquettes restées sur leparquet et révélant les prix d’un magasin de nouveautés de Melun lemirent à même de faire une rapide enquête qui aboutit vite à desrenseignements précieux.

D’autre part, il découvrit, sous lehangar, la preuve du passage de la petite auto à conduiteintérieure volée à ce pauvre M. Lavieuville ; et mêmemieux que son passage : les raisons évidentes de sonstationnement dans le mystérieux enclos. Quelques boîtes depeinture fraîchement ouvertes, deux gros pinceaux abandonnés encoreenduits de la matière colorante, non seulement attestaient latoilette que l’on avait fait subir à la petite auto, mais encoreapportaient le plus formel des témoignages sur son mode decamouflage… Si bien qu’après un voyage de quelques heures à Melun,Jacques Cotentin était suffisamment renseigné pour se faire uneidée de la façon dont étaient habillés et la voiture et ceux quil’occupaient.

N’ayant rien laissé derrière lui, dansla maison de Corbillères, de ce qu’il y avait trouvé, de façon àn’être point gêné dans ses propres recherches (car il redoutaitpar-dessus tout, dans cette affaire, l’intrusion de la police), ilput donc se lancer aux trousses de son automate avec toutes leschances de le rejoindre au plus tôt.

Il n’avait déjà que trop perdu de temps.Le sort de Christine devait être lamentable. Les traces de ladernière lutte qu’elle avait eue à subir à Corbillères contre lesexigences de la poupée prouvaient que la malheureuse fille deNorbert n’avait accompagné le monstre qu’à son corps défendant etcontinuait à être sa proie…

Aussi, quelle ne fut pas la surprise duprosecteur quand, sur le chemin suivi par les fugitifs, dans unepetite auberge des bords de la Marne, il apprit que c’était lajeune fille qui était descendue de l’auto et avait fait elle-mêmetoutes provisions nécessaires avant d’aller rejoindre dans lavoiture le jeune homme qui l’y attendait, assis tranquillement auvolant…

Après les sanglantes étapes d’une pisteoù il n’avait découvert jusqu’alors que coups et blessures pourChristine, Jacques ne pouvait que se réjouir de voir que les chosestournaient moins au tragique que le début de l’aventure ne lefaisait prévoir… Il s’en réjouit certainement, mais il n’en fut pasmoins intrigué…

Les voyageurs avaient fait le tour deParis et pris le chemin de la Touraine, que Jacques connaissaitbien… Pour reconstituer cet itinéraire, il perdit encore un certaintemps, car la petite voiture à conduite intérieure ne suivait pastoujours la grand-route… Les voies détournées dans lesquelles elles’était engagée plus d’une fois témoignaient d’une telle astuce dela part du conducteur que Jacques, en d’autres circonstances, eûtpu s’en montrer fier. Hélas ! depuis qu’il avait mis sonautomate au monde, événement qui devait le remplir d’orgueil et degloire, ce n’est pas trop nous avancer de dire que Jacques Cotentinn’était plus fier de rien !…

Chose extraordinaire, sa taciturniténaturelle ne faisait qu’augmenter au fur et à mesure qu’il avait denouvelles preuves que Christine ne suivait plus Gabriel comme uneprisonnière, mais comme une compagne…

S’il se réjouissait d’un pareilchangement, comme nous l’avons présumé, il faut avouer que JacquesCotentin avait la réjouissance triste !

Il y a des caractères ainsi formésqu’ils se montrent indifférents et d’autant plus moroses qu’ilssont intimement satisfaits.

La surprise de Jacques Cotentin ne fitqu’augmenter quand il constata que nos jeunes gens, en quittantTours, avaient pris le chemin de Coulteray.

« Ce doit être là une idée deChristine », se dit-il.

Ainsi en était-il arrivé à cetteconception que cette singulière « randonnée », aprèsavoir été inspirée – et comment ! – par Gabriel, étaitmaintenant dirigée par la jeune fille elle-même. C’était l’automatequi faisait maintenant ce qu’ellevoulait !

Et qu’est-ce qu’ellevoulait ? Revoir ces lieux dont le souvenir la hantait,où elle avait laissé l’ombre, dangereuse pour imagination, de lapauvre marquise, fantôme pâle qui sortait de sa tombe à minuit pourfaire un petit tour dans les cimetières !…

« Eh bien, se dit Jacques après uninstant de réflexion qui sembla lui rendre subitement quelqueénergie, va pour Coulteray ! Aussi bien, ce sera une raison derevoir cet excellent docteur Moricet, dont je n’ai pas eu denouvelles depuis quelque temps ! »

Jacques avait loué une petite torpédoqu’il conduisait lui-même. Quand il arriva à Coulteray, il s’en futtout de suite à l’hôtellerie de la Grotte-aux-Fées et demanda lepatron.

« Ce bon M. Achard n’est pasencore tout à fait « remis », lui répondit la servante,mais si monsieur veut lui parler, je pourrais l’accompagner jusqu’àla chambre de mon bon maire…

– Il a donc été malade ?interrogea le prosecteur, qui se souciait de la santé du « bonmaître » comme de sa première pièce anatomique.

– Oh ! oui, monsieur, bienmalade !… mais il est raisonnable, allez !… Il fait toutce que lui ordonne monsieur le docteur… Il suit bien sonrégime !… »

Là-dessus, la servante poussa uneporte :

« Voilà un voyageur qui voudraitvous parler, monsieur, à moins que ça ne vousdérange ?…

– Que non pas !… que nonpas ! fit entendre le père Achard… quand on est malade, on n’ajamais trop de compagnie !… Entrez donc, monsieur, et prenezla peine de vous asseoir !… »

Jacques fit le tour d’un paravent etaperçut le malade. Il était assis, un bonnet de coton enfoncéjusqu’aux oreilles, en face d’un magnifique feu de bois quiembrasait la haute cheminée. Devant lui, une table, abondammentgarnie de victuailles et de fioles où pétillait le joli petit vind’Anjou, attendait le bon plaisir du convalescent, lequel étaitfort occupé, pour le moment, à arroser de son jus, par letruchement d’une cuiller à long manche, une appétissante poulardede Tours qui tournait sur sa broche, dans la cheminée.

« Ah ! ah ! fit Jacques,qui n’était pas habitué aux « régimes » de ce pays deCocagne, je vois que si vous avez été souffrant, cela va un peumieux, mon bon monsieur Achard !…

– Euh ! euh ! répliqual’autre en hochant la tête, je fais tout ce que je peux pourcela !… Je suis tout de même un peu inquiet !… Le docteurMoricet m’a plaqué là depuis vingt-quatre heures, et je suis bienobligé de me débrouiller tout seul !…

– Je vois que vous ne vous en tirezpas mal !…

– C’est mon régime,monsieur !… et bien que vous me sembliez à peu près bienportant, je vous offre volontiers de le partager. Tout l’honneursera pour moi !… »

Jacques s’assit en remerciant : iln’avait pas faim !…

« Il faudra« consulter », monsieur !… et surtout consulter ledocteur Moricet !… Il n’y a pas deux médecins comme lui pourguérir ces maladies-là… Moi aussi, je n’avais plus faim !… Ehbien, il m’a dit : « Faut manger, pèreAchard !… » Et je mange !…

– Mais qu’avez-vous donc ?…demanda le prosecteur… vous avez une minesuperbe !…

– Euh ! euh ! gémitl’autre en engloutissant une moitié d’andouillette fumante quiembaumait une platée de lentilles qu’on lui avait servie en guisede soupe… Euh ! euh !… il ne faut pas juger les gens surla mine !… Ainsi moi, tel que vous me voyez là, eh bien, jesuis très mal fichu !…

– Où souffrez-vousdonc ?

– Du côté,monsieur…ducôté moral !

– Ah !ah ! c’est le moral.

– Oui, monsieur, c’est le moral.Ah ! j’ai le moral très malade ! C’est le docteur qui l’adit.

– Monsieur, dit Jacques ensouriant, car il croyait que le père Achard se gaussait de lui, àla mode de ce terroir qui connaît et apprécie la plaisanterierabelaisienne… monsieur, je vous souhaite une prompte guérison. Enattendant, voici ce qui m’amène. Vous ne me reconnaissez pas,monsieur ? »

Le père Achard le regarda et puis posasa fourchette et sa cuiller, car il se soignait des deux mains à lafois… et puis fronça les sourcils :

« Ah çà ! mais, fit-il, je neme trompe pas… C’est bien vous qui êtes venu dîner à la maison lejour où nous avons enterrél’« empouse » ?

– Parfaitement, monsieur Achard,parfaitement. Vous y êtes.

– C’est vous qui étiez installé auchâteau, continua l’autre en fronçant de plus en plus les sourcils,avec cette jeune fille qui avait été l’amie de lamarquise ?

– Oui, monsieur Achard ! c’estcela même, et c’est avec cette jeune fille que je suis venu dînerchez vous. Vous la rappelez-vous, elle aussi ?

– Si je… ah ! je crois bienque je… Je n’ai rien oublié de la nuit terrible,allez !… Tenez ! rien que d’y repenser, je sens que monmoral ref… le camp !… »

Et il fit disparaître la seconde moitiéde l’andouillette, d’un coup de dent formidable… Sur quoi, il vidad’une haleine une demi-bouteille de vouvray, s’essuya le bec etconsidéra Jacques Cotentin avec une sorte de consternationmélancolique presque attendrissante !

« Qu’est-ce que vous voulezsavoir ? demanda-t-il.

– Je voudrais savoir si cette jeunefille, vous l’avez revue ?… si elle est repassée parici !… »

Le père Achard poussa unsoupir :

« Faut pas vous en faire, jeunehomme !… Croyez-moi : les femmes, même les meilleures,c’est toujours travaillé par le diable !… Croyez-en un hommequi n’est pas plus moche qu’un autre, qui a toujours été gentilavec le sexe et qui a toujours été trompé !… On s’y fait,jeune homme, on s’y fait !… s’il n’y avait plus que ceshistoires-là pour me rendre malade, je vous jure bien que jen’aurais pas besoin, en ce moment, de garder la chambre. Allons,vous prendrez bien un verre ! C’est du soleil en bouteille quece vin-là… ça vous remettra le cœur !… Eh bien, oui, elle estrevenue !… il n’y a pas huit jours ! Et elle étaitavec un autre !… C’est la vie !… »

Il y eut un silence. Puis, après unenouvelle rasade, l’autre reprit :

« Elle ne s’est pas arrêtéelongtemps, par exemple… Ils étaient dans une petite auto, elle enest descendue et on lui a garni son panier à provisions !…Vite, elle est remontée auprès de son godelureau… Elle avait commehonte de se faire voir… je me suis avancé pour voir avec qui elleétait… Eh bien, vous savez, celui qui vous remplace, soit dit sansvous offenser !… c’est un beau gars !… Si ça peut vousconsoler !… Ah ! les femmes !… Enfin !… Ilssont repartis dans la direction du château ; j’ai su depuisqu’elle était allée faire ses dévotions sur la tombe del’empouse… et puis je ne les ai plus revus…

– Et l’empouse, l’avez-vousrevue ?… » lança Jacques, sarcastique, et qui, touten faisant bonne figure aux singulières considérations du bonhommerelatives à son infortune, avait une envie furieuse de lui cassersa soupière sur la tête.

Mais il ne s’attendait pas à l’effetqu’allait produire sa question, faite sur le ton supérieur d’unesprit qui se moque d’un imbécile.

Le père Achard se leva d’un bloc ;ses belles couleurs, d’un coup, avaient disparu. Un nuageinquiétant avait soudain répandu son voile sur ses yeux naguèreaussi pétillants que le vin où ils retrouvaient la joie devivre…

« Oui, monsieur !… oui !dit-il d’une voix sourde, je l’ai revue !… et pas plus tardque la nuit même, tenez ! où « votre ancienne amie »est repassée par l’auberge… et je n’ai pas été le seul à larevoir !… et ceux qui l’ont revue en ont été aussi malades quemoi !… Moi, j’en ai eu comme un coup de sang… Bridaille, leforgeron, en a conservé comme une maladie de cœur… Il n’a plus deforce en rien… et il lui en faut dans son métier !… Verdeil,qui tient le garage au coin du pont, en a eu l’esprit si troubléqu’il prend, depuis, sa gauche pour sa droite, ce qui est,paraît-il, très dangereux pour conduire une automobile…

« C’est que, monsieur, ça n’a pasété, comme la première fois… où nous l’avions aperçue, nous autres,de si loin, qu’on a pu, depuis, nous raconter tout ce que l’on avoulu !… Ceux qui n’ont rien vu sont bien forts pour se ficherde nous !… Je regrette qu’ils n’aient pas été à notreplace !… Tenez, monsieur, la dernière nuit dont je vous parle,c’était du reste le dernier mardi, nous étions dans la salle debillard : Bridaille, Verdeil et moi !… Nous venions determiner la partie et chacun se disposait à aller retrouver sonlit… Verdeil avait déjà allumé sa lanterne… mais le gaz étaitencore allumé au-dessus du billard… c’est vous dire si on y voyaitclair dans la salle !… Tout d’un coup, on a frappé à lafenêtre…

« – Tiens ! fit Bridaille, jeparie que c’est ma femme qui vient me chercher !

« Et il ouvre lafenêtre…

« Alors, nous, tous les trois, nouspoussons un cri et nous reculons ! Tout près de la fenêtre, àla toucher ! c’était l’empouse.

« Ah ! il n’y avait pas à s’ytromper ! C’était la marquise de Coulteray, aussi blanche quela neige qui n’avait pas cessé de tomber depuis le matin. Et puis,nous avons bien reconnu sa voix.

– En vérité, fit Jacques qui,malgré lui, était légèrement ému. Elle a parlé ?

– Si elle a parlé ! Voilà cequ’elle nous a dit, et nous l’avons encore tous dansl’oreille : « C’est moi, père Achard ! Il fait froidcette nuit et j’ai peur, toute seule, sur les routes !…Voulez-vous me reconduire à mon tombeau ? »

« Ah ! je n’invente rien, jevous assure ! Nous étions incapables d’un mouvement et quasichangés en statues.

« Tout à coup, elle s’est mise àpousser un cri perçant, comme un vrai oiseau de nuit… et elle s’estsauvée !… Nous avons vu son fantôme disparaître au coin de laroute, poursuivi par un autre fantôme !… Les fantômesd’empouses,la nuit, ça doit se courir après… est-ce qu’onsait ?… Moi, je suis tombé raide sur le plancher… Bridaille,qui a toujours eu de la religion, était à genoux, plus ému qu’unenonnain qui vient d’entrevoir l’enfer… C’est Verdeil qui a encoreeu la force de refermer la fenêtre…

« Ils ont couché de nouveau cettenuit-là à l’auberge et le lendemain matin ils sont rentrés chezeux… Mais nous étions tous les trois si malades qu’il a fallu allerchercher le docteur… Comme un fait exprès, il était absent !…Oui, paraît qu’il était allé voir un client en Sologne !… Iln’est revenu que le soir… Il nous a trouvés bien bas… Nous luiavons raconté l’affaire… Il a dit tout de suite : « Jevois ce que c’est ! c’est le moral qui estaffecté !… » Oui, monsieur !… Le docteur Moricetn’est pas le premier venu… c’est un homme qui connaît sonaffaire !… Eh bien, il nous a tous examinés… et depuis cesoir-là, nous avons tous la même maladie, qu’il dit : ças’appelle un moral affecté !…

– Alors ! fit Jacques, ilvous a ordonné à tous trois le même régime ?

– Juste… Et on le prépareici !… Si vous étiez passé par la cuisine, vous auriez vu« le régime » que la servante va porter à Bridaille et àVerdeil !… Mais c’est moi, sans contredit, qui suis le plusmalade, et c’est moi qui ai le plus fort régime, comme ça secomprend tout seul !… Monsieur ! d’avoir reparlé deça ! je sens que mon moral est repris !… je vais attaquerla poularde !… »

Achard ne souriait pas. Jacques nonplus, du reste… Il résista à une dernière offre de son hôte, pritcongé, remonta tout de suite dans son auto…

Il s’arrêta devant la demeure du docteurMoricet où la servante lui dit que « monsieur était absent etne serait point de retour avant la nuit »… Là-dessus, il s’enfut au garage Verdeil, qui était au carrefour de trois routes, aucoin du pont, et se livra à une rapide enquête auprès du garçon dequi il tira ce renseignement sûr que l’auto qui l’intéressait avaitfait de l’essence et avait réparé le mardi précédent pour se lancerde là sur la route de Saumur, c’est-à-dire à l’ouest… Muni de cerenseignement, il en profita, au grand ahurissement du garçon, pourprendre la route de l’est, qui conduit en Sologne…

Cependant, il repassait au même endroità dix heures du soir et allait coucher à Saumur…

Le lendemain matin, à Saumur, ilapprenait que les deux voyageurs qu’il recherchait étaientdescendus, vers les deux heures du matin, le mercredi précédent,dans le même hôtel que lui, qu’ils avaient demandé deux chambres,que, levés à l’aurore, ils avaient laissé en garde au garage del’hôtel leur petite auto à conduite intérieure et qu’ils avaientfait porter leur bagage à la gare… Jacques put voir l’auto ets’assurer ainsi qu’il était toujours sur la bonne piste.

En interrogeant le porteur de l’hôtel,il apprit que les deux voyageurs avaient pris un billet direct pourNice !

Venir à Saumur pour prendre un billetpour Nice, n’était-ce point là le comble de la ruse pour unautomate ?

Un express qui, par Tours, allaitrejoindre le P.-L.-M. à Lyon passait une heure plustard ; Jacques le prit, après avoir, lui aussi, laissé àSaumur son auto, dans le même garage…

Il n’osait télégraphier à l’horloger delui envoyer une dépêche dans une gare du parcours, Lyon, Avignon ouMarseille, de peur de donner l’éveil à la police avant qu’il n’eûtrejoint lui-même la poupée, jugé en toute impartialité la situationet pris ses décisions. Et cependant il brûlait du désir de savoirsi Christine lui avait adressé un mot à Paris pour le mettre aucourant de sa fugue avec Gabriel et lui donner le moyen de lesretrouver.

Il ne pouvait imaginer sans douleur quela fille du vieux Norbert acceptât si facilement le sort que luifaisait la poupée sans se préoccuper autrement de son père et deson fiancé !…

Pour distraire son inquiète pensée, ilacheta les journaux. Un titre qu’il retrouva partout lui sauta auxyeux : La poupée sanglante…

Il connut ainsi la confession affolée del’horloger, les déclarations du professeur Thuillier et l’indicibleémoi de la capitale !… À Marseille, les feuilles de lalocalité commençaient à donner des détails sur le« trocart » retrouvé dans la petite maison de Corbillèreset publiaient des télégrammes relatifs aux premierspiqués !…

Comme il fallait s’y attendre, Jacquesne vit là qu’une étrange suggestion, mais tout à fait explicable,dans l’état des esprits… Cependant, la constatation que l’onprétendait (maintenant) avoir fait des piqûres sur lecadavre du père Violette et des dernières victimes de Corbillèrescommença à le faire réfléchir… Il savait, lui, comment le trocarts’était trouvé à Corbillères et que la poupée (pas plus du resteque Bénédict Masson) n’en avait certainement usé…

Alors ?…

Alors, il y avait donc d’autrespistolets à trocart ?…

On entrait là dans un ordre d’idées oùle marquis, dont on n’avait plus de nouvelles depuis la cérémoniefunèbre de Coulteray, se trouvait forcément mêlé, et d’où lapossibilité de la preuve de l’innocence de Bénédict, et, enconséquence, de celle de la poupée, semblait ressortir avec un sisubit éclat que Jacques Cotentin se demanda s’il n’allait pasaussitôt prendre un train pour Paris ; mais l’idée derejoindre au plus tôt la poupée et surtout Christine, dontl’attitude si singulière dans sa passivité le troublait de plus enplus, l’emporta… et il continua sa route vers Nice.

À Nice, il perdit toutindice.

Il fit le tour des hôtels. Il lui futimpossible de savoir où les deux personnages étaientdescendus…

Comme, le soir même, il se tenaitaccablé devant une table de salon où traînaient des hebdomadaireslocaux, lesquels donnaient les noms des voyageurs nouvellementarrivés et l’endroit où ils avaient élu domicile (liste surlaquelle il avait en vain cherché une indication quelconque :par exemple les noms de M. et Mme Lambert, sous lesquelsGabriel et Christine s’étaient inscrits à Saumur, ses yeuxrencontrèrent les noms des étrangers montés récemment à la stationd’hiver toute proche dans la haute montagne, à Peïra-Cava (jeux etsports d’hiver) et descendus à l’hôtel des Fiers-Sommets… Parmi cesnoms, l’un d’eux lui fit pousser une sourde exclamation…

« Monsieur et Madame deBeigneville. »

C’était là le nom de jeune fille de lamère de Jacques !…

Le père de Jacques avait épousé unedemoiselle de Beigneville et signait même souvent : Cotentinde Beigneville !…

Ce nom avait été certainement choisi parChristine pour lui donner, à tout hasard, une indication, à lui,Jacques, sans que Gabriel s’en doutât !…

Christine pensait toujours àlui !…

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