L’Abîme

Victoire d’Obenreizer.

 

La scène change encore une fois. Nous sommesau pied du Simplon, du côté de la Suisse.

Dans l’une des tristes chambres de cettetriste auberge de Brietz étaient assis Bintrey et Maître Voigt.

Ils étaient un conseil, – suivant leshabitudes de leur profession, – un conseil composé de deux membres.Bintrey fouillait sa boîte à dépêches ; Maître Voigt regardaitsans cesse une porte fermée, peinte en une certaine couleur brunequi se proposait d’imiter l’acajou.

Cette porte s’ouvrait sur la chambrevoisine.

– L’heure n’est-elle pas arrivée ?… Nedevait-il pas être ici ?… – fit le notaire, – qui changea ladirection de son regard pour examiner une seconde porte à l’autrebout de la chambre.

Celle-là était peinte en jaune et se proposaitd’imiter le bois de sapin.

– Il est ici ! – répliqua Bintrey, aprèsavoir écouté un moment.

La porte jaune fut ouverte par un valet quiintroduisit Obenreizer.

Il salua Maître Voigt en entrant, avec unefamiliarité qui ne causa pas peu d’embarras au notaire ; ilsalua Bintrey avec une politesse grave et réservée.

– Pour quelle raison m’a-t-on fait venir deNeufchâtel au pied de cette montagne ? – demanda-t-il enprenant le siège que l’homme de loi Anglais lui indiquait.

– Votre curiosité sera complètement satisfaiteavant la fin de notre entrevue, – répliqua Bintrey. – Pour lemoment, voulez-vous me permettre un conseil ?… Oui. Ehbien ! allons tout droit aux affaires. Je suis ici pourreprésenter votre nièce.

– En d’autres termes, vous, homme de loi, vousêtes ici pour représenter une infraction à la loi.

– Admirablement engagé, – s’écria l’Anglais, –si tous ceux à qui j’ai affaire étaient aussi nets que vous, que maprofession deviendrait aisée ! Je suis donc ici pourreprésenter une infraction à la loi. Voilà votre façon à vousd’envisager les choses ; mais j’ai aussi la mienne et je vousdis que je suis ici pour essayer d’un compromis entre votre nièceet vous…

– Pour discuter un compromis, – interrompitObenreizer, – la présence des deux parties est indispensable… Je nesuis pas l’une de ces deux parties. La loi me donne le droit decontrôler les actions de ma nièce jusqu’à sa majorité. Or, ellen’est pas majeure. C’est mon autorité que je veux.

En ce moment, Maître Voigt essaya de parler.Bintrey, de l’air de compatissante indulgence qu’on emploie enversles enfants gâtés, lui imposa silence.

– Non, mon digne ami, non, pas un mot. Ne vousagitez pas vainement. Laissez-moi faire.

Et se retournant vers Obenreizer, il s’adressade nouveau à lui.

– Je ne puis rien trouver qui vous soitcomparable, Monsieur, – dit-il, – rien que le granit. Encore legranit même s’use-t-il par l’effet du temps. De grâce, dansl’intérêt de la paix et du repos, au nom de votre dignitélaissez-vous amollir un peu… Ah ! si vous vouliez seulementdéléguer votre autorité à une personne que je connais, vouspourriez être bien sûr que cette personne ne perdrait jamais, nijour, ni nuit, votre nièce de vue…

– Vous perdez votre temps et le mien, –interrompit Obenreizer. – Si ma nièce n’est pas rendue à monautorité sous huit jours, j’invoquerai la loi. Si vous résistez àla loi, je saurai bien là prendre de force.

En même temps, il se dressait de toute sataille. Maître Voigt regarda encore une fois autour de lui, vers laporte brune.

– Ayez pitié de cette pauvre jeune fille, –reprit Bintrey avec insistance. – Rappelez-vous qu’elle a toutrécemment perdu son fiancé. Il est mort d’une mort affreuse… Rienne pourra donc vous toucher ?

– Rien.

Bintrey se leva à son tour et regarda MaîtreVoigt.

La main du notaire qui s’appuyait sur la tablecommença de trembler ; ses yeux demeurèrent fixés comme parune sorte de fascination irrésistible sur la porte brune.

Obenreizer, qui observait tout avec méfiance,suivit la direction de ce regard.

– Il y a là une personne qui nous écoute,s’écria-t-il.

– Il y en a deux, – fit Bintrey.

– Qui sont-elles ?

– Vous allez les voir.

Il éleva la voix et ne dit qu’un mot, un motbien commun, qui se trouve journellement sur les lèvres de tout lemonde.

– Entrez.

La porte brune s’ouvrit.

Soutenu par Marguerite, pâle, le bras droit enécharpe, Vendale se trouva debout devant son meurtrier.

Un fantôme sortant de la tombe !

Durant le silence qui suivit, le chant d’unoiseau en cage qui gazouillait en bas dans la cour, fut le seulbruit qu’on entendit dans cette chambre.

Maître Voigt toucha le bras de Bintrey, et luimontrant Obenreizer :

– Regardez-le, – dit-il tout bas.

Cette émotion terrible avait paralysé lemisérable ; son visage était celui d’un cadavre, et sur sajoue pâle un seul point gardait la couleur de la vie : c’étaitcette raie pourpre et sanguinolente, la cicatrice de la blessureque sa victime lui avait faite au bord du gouffre en se débattantcontre lui. Sans voix, sans haleine, immobile, stupide, on eût ditque, à l’aspect de Vendale, la mort à laquelle il avait condamnéson ennemi venait de le frapper lui-même.

– Quelqu’un devrait lui parler, – dit MaîtreVoigt. – Dois-je le faire ?

Même en ce moment, Bintrey s’opiniâtra à fairetaire l’heureux possesseur de l’horloge à secret, l’homme de loiAnglais entendant se réserver entièrement la direction de cetteaffaire. Il fit signe à Marguerite et à Vendale de sortir.

– Le but de votre apparition soudaine estrempli, – dit-il à ce dernier. – Éloignez-vous, quant à présent.Votre absence aidera sans doute Monsieur Obenreizer à recouvrer lesens et la voix qu’il a perdus.

Bintrey avait deviné juste.

À peine les deux fiancés eurent-ils disparu, àpeine la porte brune se fut-elle refermée derrière euxqu’Obenreizer fit entendre un profond soupir. Il chercha une chaiseautour de lui et s’y laissa tomber lourdement.

– Donnez-lui le temps de se remettre, – fitMaître Voigt.

– Point du tout, – dit Bintrey, – je ne saisl’usage qu’il ferait de ce temps, si je le lui accordais.

– Monsieur, – reprit-il, en se retournant versObenreizer. – Je me dois à moi-même… remarquez bien que je n’admetspas que je vous doive quelque chose à vous… d’expliquer monintervention dans tout ceci, et de vous apprendre ce qui a été faitd’après mes avis, sous ma responsabilité entière. Êtes-vous en étatde m’écouter ?

– Je vous écoute.

– Rappelez-vous l’époque à laquelle vous vousêtes mis en route pour la Suisse avec Vendale, – commença Bintrey.– À peine vingt-quatre heures s’étaient-elles écoulées depuis votredépart que votre nièce commettait une imprudence… Avec toute votrepénétration même, vous n’auriez pu la prévoir ! Elle suivaitson fiancé dans ce voyage, sans demander avis ni permission à quique ce fût au monde, et sans autre compagnon pour la protéger enroute qu’un garçon de cave au service de Vendale.

– Pourquoi ? – s’écria Obenreizer. – D’oùlui était venu cette pensée de nous suivre, et comment avait-ellepris cet homme pour guide ?

– Je vais vous le dire, – répliqua froidementBintrey. – Parce qu’elle soupçonnait qu’une querelle très sérieuseavait dû avoir lieu entre vous et Vendale et qu’on la lui avaitcachée ; parce qu’elle vous croyait – et avec raison – capablede servir vos intérêts et de satisfaire vos ressentiments par uncrime. Aussitôt après votre départ, elle s’adressa à ce Joey Laddleque vous connaissez afin de savoir ce qui s’était passé entre vouset son maître. Un accident fort ordinaire arrivé à Vendale dans sescaves avait éveillé chez cet homme une superstition ridicule ;il était frappé de l’idée que Monsieur Vendale mourrait de mortviolente. Votre nièce lui arracha cette prédiction insensée quiporta ses propres craintes à leur comble. Aussitôt Joey Laddle eutconscience du mal qu’il venait de faire, il se condamna lui-même àla seule expiation qu’il pouvait offrir : « Si mon maîtreest en danger, » dit-il à Mademoiselle Marguerite, « il est demon devoir d’aller à son secours, et encore plus de veiller survous. » Ils se mirent donc en route tons les deux… C’est lapremière fois, Monsieur Obenreizer, qu’une superstition a servi àquelque chose. Cette terreur qui paraissait sans fondement, adécidé votre nièce à entreprendre ce voyage et l’a conduite àsauver la vie de celui qu’elle aimait. Jusqu’ici mecomprenez-vous ?

– Jusqu’ici, je vous comprends.

– La première connaissance de votre crime, –poursuivit l’Anglais, – me parvint par une lettre de MademoiselleMarguerite, et tout ce qu’il me reste à vous faire savoir, c’estque son amour et son courage surent retrouver votre victime. Ellemit toute son énergie à rappeler Monsieur Vendale à la vie. Tandisqu’il était mourant, soigné par elle à Brietz, elle m’écrivait pourme prier de me rendre auprès de lui. Avant mon départ, j’avertisMadame Dor de ce que je venais d’apprendre ; je lui dis queMademoiselle Obenreizer était en sûreté et que je connaissais lelieu de sa retraite. La bonne dame, à son tour, m’informa qu’unelettre était arrivée pour votre nièce, et qu’elle avait reconnuvotre écriture. Je m’en emparai et pris des arrangements pour quetoutes celles qui suivraient me fussent remises. Arrivé à Brietz,je trouvai Monsieur Vendale hors de danger, et je m’employai toutde suite à hâter le jour où je pourrais régler enfin mes comptesavec vous… Je savais que Defresnier et Compagnie s’étaient séparésde vous sur de certains soupçons ; je le savais mieux quepersonne, car ils n’ont agi que sur des renseignements particuliersque je leur avais fait passer. Vous ayant donc dépouillé toutd’abord de votre honorabilité menteuse, il me restait à vousarracher votre autorité sur Mademoiselle Marguerite. Pour atteindrece but, je n’ai pas connu de scrupules. C’est en parfaite sûreté deconscience que j’ai creusé le piège sous vos pas et dans l’ombre,et, faut-il vous l’avouer, j’ai même éprouvé une certainesatisfaction professionnelle à vous battre avec vos propres armes.Par mon ordre, on vous a soigneusement caché jusqu’à ce jour toutce qui s’était passé depuis deux mois. C’est ma main, invisiblemais toujours active, qui vous a amené ici par degrés. Je ne voyaisqu’un seul moyen de faire tomber d’un seul coup cette assurancediabolique qui, jusqu’à présent, a fait de vous un hommeredoutable. Ce moyen, je l’ai employé… Maintenant, il ne nous resteplus qu’une chose à faire ensemble, une seule, MonsieurObenreizer.

Ce disant, Bintrey tirait de son sac àdépêches deux feuilles de papier couvertes de caractères pressés oùl’on reconnaissait le grimoire légal.

– Voulez-vous rendre la liberté à votrenièce ? – reprit-il. – Vous avez commis une tentatived’homicide, un faux, et un vol. Nous en avons les preuvesirrécusables. Si vous subissez une condamnation infamante, voussavez aussi bien que moi ce qu’il adviendra de votre autorité detuteur. Personnellement, j’aurais mieux aimé le parti le plusviolent pour nous débarrasser de vous ; mais on a fait valoirà mes yeux mille considérations auxquelles je ne saurais pointrésister. Donc, j’avais bien raison de vous dire que cette entrevuedevait se terminer par un compromis. Signez cet acte par lequelvous vous engagez à ne plus prétendre à aucun pouvoir surMademoiselle Marguerite, à ne vous jamais montrer ni en Angleterreni en Suisse, et je vous signerai à mon tour un engagement, quivous garantira contre toute poursuite judiciaire. Signez !

Obenreizer prit la plume et signa.

Il reçut à son tour l’engagement dont luiavait parlé Bintrey. Après quoi, il se leva, mais sans faire aucunmouvement pour quitter la chambre. Il demeurait debout regardantMaître Voigt avec un sourire étrange ; une lueur sombrejaillissait de son ciel nuageux.

– Qu’attendez-vous ? – fit Bintrey.

Obenreizer montra du doigt la porte brune.

– Rappelez-les, – dit-il. – J’ai quelque choseà dire en leur présence avant de me retirer.

– Ma présence, à moi, ne suffit-elle pas àvous satisfaire ? – riposta l’Anglais, – je refuse de lesrappeler.

Obenreizer se tourna vers Maître Voigt.

– Vous souvenez-vous d’avoir eu jadis unclient Anglais du nom de Vendale ? – lui demanda-t-il.

– Eh bien, – répondit le notaire, – qu’est-ceque ce souvenir a de commun avec les choses qui nousoccupent ?

– Maître Voigt, votre horloge de sûreté vous atrahi.

– Que voulez-vous dire ?

– J’ai lu les lettres et certificats contenusdans la boîte de votre client, et j’en ai pris des copies. Cescopies, je les ai sur moi. Monsieur Bintrey, cela vousparaîtra-t-il enfin une raison suffisante de rappeler vosamis ?

Durant quelques instants, le notaire regardade tous côtés. Placé entra Obenreizer et Bintrey, il ne savaitauquel entendre, car il était plongé dans un étonnement qui luienlevait l’exercice de la raison. Enfin il se remit, il attira sonconfrère dans un coin de la chambre et lui dit quelques mots.

Le visage de Bintrey, après avoir réfléchi,pendant un moment ; comme un miroir, la surprise peinte surcelui de Maître Voigt, changea subitement d’expression. Avecl’ardeur d’un jeune homme, il s’élança vers la porte brune,disparut, et revint aussitôt suivi de Vendale et de Marguerite.

– Les voici ! – cria-t-il à Obenreizer. –à vous la dernière manche de la partie. Jouez serré.

– Avant d’abdiquer, comme tuteur, mon autoritésur cette jeune fille, – dit Obenreizer, – mon devoir me commandede lui révéler un secret auquel elle est intéressée. Je ne réclamepoint son attention à la légère, et je ne lui demande point, ni auxautres personnes présentes, d’en croire mon récit sur parole. J’aien main des preuves écrites. Ce sont des copies d’originaux dontl’authenticité pourra être attestée par Maître Voigt lui-même.Faites bien entrer cela dans son esprit, et reportons-nous ensembleà une époque déjà bien vieille… au mois de Février de l’année1836.

– Remarquez cette date, Vendale, – s’écriaBintrey.

– Ma première preuve, – continua Obenreizer,tirant un papier de son portefeuille, – est la copie d’une lettreécrite par une dame Anglaise, une femme mariée… à sa sœur qui estveuve. Je tairai le nom de cette dame pour le moment. Celui de lapersonne à laquelle cette lettre est adressée est Madame Jane AnnaMiller, à Groombridge Wells, Angleterre.

Vendale tressaillit, il allait parler, –Bintrey l’arrêta comme il avait tant de fois arrêté Maître Voigtdepuis une heure.

– Non, – fit l’opiniâtre Anglais. –Rapportez-vous-en à moi.

– Il est inutile, – reprit Obenreizer, – devous fatiguer de la première moitié de cette lettre et je vais vousen donner la substance en deux mots. Voici donc quelle était lasituation de la personne qui a écrit ces lignes. Elle avaitlongtemps habité la Suisse, avec son mari, que sa santé obligeaitd’y vivre. Ils étaient alors sur le point de se rendre à unenouvelle résidence qu’ils avaient choisie ; ils devaient yêtre installés sous huit jours et annonçaient à Madame Millerqu’ils pourraient l’y recevoir dans deux semaines. Ceci dit,l’auteur de la lettre entre alors dans un détail domestique trèsimportant. Privés de la joie d’avoir des enfants, et, n’ayant plus,après tant d’années, aucune espérance à ce sujet, ils sont seuls,ils sentent le besoin de mettre un intérêt dans leur vie et ils ontrésolu d’adopter un jeune garçon. Je commence ici à lire mot pourmot :

« Voulez-vous nous aider, chère sœur, dansla réalisation de notre projet ? En notre qualité d’Anglais,nous désirons adopter un enfant Anglais. Cet enfant, on peutl’aller chercher, je crois, à l’Hospice des Enfants Trouvés ;l’homme d’affaires de mon mari, à Londres, vous indiquera lesmoyens à prendre. Je vous laisse la liberté du choix aux seulesconditions que je vais vous dire. L’enfant sera âgé d’un an aumoins et ce sera un garçon. Pardonnez-moi la peine que je vais vousdonner, et amenez-nous l’enfant avec les vôtres, quand vousviendrez nous joindre à Neufchâtel.

Encore un mot, qui vous fera connaître lesintentions de mon mari en cette circonstance délicate. Il veutépargner à l’enfant, qui deviendra le nôtre, toute humiliation dansl’avenir et surtout ne jamais l’exposer à la perte du respect desoi-même, qui pourrait résulter pour lui de la connaissance de savéritable origine. Il portera le nom de mon mari et sera élevé dansla croyance qu’il est réellement son fils. L’héritage que nouslaisserons lui sera assuré, non seulement d’après les loisAnglaises, mais aussi d’après les lois de la Suisse. Nous avonsvécu si longtemps dans ce dernier pays que nous pouvons presque leconsidérer comme le nôtre. Il y a donc à prendre des précautionspour prévenir toute révélation postérieure qui pourrait être faiteà l’Hospice des Enfants Trouvés. Or, notre nom est assez rare enAngleterre, et si nous intervenons et sommes inscrits commeadoptants sur les registres de l’Hospice, il y aura certainementbien des choses à craindre. Votre nom à vous, chère, est porté enAngleterre par des milliers de personnes de toute classe et de toutrang, et si vous vouliez consentir à paraître seule sur cesregistres, le secret serait assuré.

Nous changeons de séjour et nous nousrendons dans une partie de la Suisse où notre situation et notremanière de vivre sont inconnues ; vous ferez bien, je crois,de prendre une gouvernante nouvelle, lorsque vous viendrez nousvoir. Avec toutes ces précautions l’enfant passera pour être lemien, que j’aurai laissé en Angleterre et qui me sera ramené parles soins de ma sœur. La seule servante que nous gardions avec nousen changeant de demeure, est ma femme de chambre, en qui je peuxavoir une confiance sans réserve. Quant aux hommes d’affaires, tantd’Angleterre que de Suisse, ils savent par état garder un secret etnous pouvons être tranquilles de ce côté-là. Ainsi voilà toutenotre petite conspiration dévoilée devant vos yeux. Répondez-moipar le retour du courrier. – Mille amitiés, et dites-moi que voussuivrez de près votre lettre. »

– Persistez-vous à cacher le nom de lapersonne qui a écrit ces lignes ? – demanda Vendale.

– Je le garde pour le bouquet, – réponditinsolemment Obenreizer, – et je passe à ma seconde preuve. Unsimple chiffon de papier, cette fois, comme vous voyez. C’est unenote remise à l’avoué Suisse qui a rédigé les documents relatifs àcette affaire. Je viens de le lire. En voici les termes :

« Adopté à l’Hospice des EnfantsTrouvés de Londres, le 3 Mars 1836, un enfant mâle du nom de WalterWilding. – Nom et situation de l’adoptant : Madame Jane AnnaMiller, veuve, agissant en cela pour sa sœur, mariée, domiciliée enSuisse. »

– Patience ! – fit Obenreizer en voyantVendale qui, malgré les efforts de Bintrey, se préparait encore àprendre la parole, – je ne cacherai plus bien longtemps le nom quevous désirez connaître. Mais, voici encore deux autres petitschiffons de papier. Voici ma troisième preuve :

« Certificat du Docteur Ganz, àNeufchâtel, daté de Juillet I838. »

– Le docteur certifie – vous lirez tout àl’heure – d’abord qu’il a soigné l’enfant adopté dans toutes lesmaladies du jeune âge – ensuite que, trois mois avant la date de cecertificat même, le gentleman adoptant était mort ; qu’à cettedate juste, la veuve de ce gentleman, accompagnée de sa femme dechambre, quittait Neufchâtel pour s’en retourner en Angleterre… Unanneau encore à ajouter à toutes ces chaînes, – reprit Obenreizer,après une courte pause, – et mon devoir sera rempli… La femme dechambre en question demeura au service de cette dame jusqu’à lamort de celle-ci, il n’y a que peu d’années. Elle pourrait doncaffirmer l’identité de l’adopté qu’elle a suivi depuis son enfancejusqu’à l’âge viril. Voilà son adresse en Angleterre… et ceci.Monsieur Vendale, est ma quatrième et dernière preuve.

– Pourquoi vous adressez vous à moi ? –dit Vendale, tandis qu’Obenreizer jetait l’adresse écrite sur latable.

– Parce que vous êtes cet homme ! Parceque si ma nièce vous épouse, elle épousera un bâtard, élevé par lacharité publique ; elle épousera un imposteur, sans nom, sansfamille, qui fait le personnage d’un gentleman et qui n’est qu’unmasque.

– Bravo ! – s’écria Bintrey, –admirablement engagé, Monsieur Obenreizer ; je n’ajouteraiqu’un mot à ce que vous venez de dire !… Votre nièce épouse,grâce à vos efforts et à votre heureuse intervention, un homme quihérite d’une belle fortune !… George Vendale, commeco-exécuteur testamentaire, souffrez que je me félicite en mêmetemps que vous. Le dernier vœu terrestre de notre pauvre ami estaccompli. Nous avons trouvé le véritable Walter Wilding… ah !ah ! c’est Monsieur Obenreizer lui-même qui le dit : Vousêtes cet homme !

Ces derniers mots arrivèrent sans qu’il lesentendit à l’oreille de Vendale. En ce moment il n’avait conscienceque d’une sensation unique et délicieuse, il n’écoutait qu’unevoix, celle de Marguerite qui lui disait :

– George, je ne vous ai jamais tant aimé queje vous aime.

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